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   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
 
 
 
 
 
AED La Grande Relève Articles > N° 785 - janvier 1981

 

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N° 785 - janvier 1981

Perspectives   (Afficher article seul)

La clef   (Afficher article seul)

Que d’eau   (Afficher article seul)

Au fil des jours   (Afficher article seul)

Lettre à Georges Marchais   (Afficher article seul)

Pour en sortir   (Afficher article seul)

Capitalisme et Démocratie   (Afficher article seul)

Informatique et secteur tertiaire   (Afficher article seul)

Les illusions dangereuses   (Afficher article seul)

Éléments de sociologie scientifique   (Afficher article seul)

La fin des patrons *   (Afficher article seul)

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Perspectives

par M.-L. DUBOIN
janvier 1981

« La Grande Relève » offre à ses lecteurs, en cadeau de Nouvel An, une présentation allégée, rajeunie. Nous avons fait cet effort parce que, décidément, « La Grande Relève » reste le plus solide moyen pour nous faire comprendre. Certains d’entre nous caressaient le dessein d’utiliser la période des élections présidentielles pour mener une vaste campagne de propagande. Mais ce sont des centaines de millions de francs dont il faudrait disposer. Une page de publicité dans « le Monde », en rubrique économique, coûte, 73 000 F (plus de 7 millions de centimes) et pour une seule parution  !
Il faut donc concentrer nos efforts sur le journal, en élargir l’audience par tous les moyens possibles. Et comme on nous a souvent reproché d’avoir une présentation « rétro », et qu’en plus nous traitons un sujet « sérieux », « pas commercial », nous avons cherché à attirer l’oeil et à le retenir. Il faut bien se rendre à l’évidence qu’il ne suffit pas de proposer la solution aux problèmes économiques et sociaux que tout le monde cherche... Il faut, en plus, plaire !
En retour, nous espérons pouvoir compter sur nos abonnés pour renouveler leurs efforts faire le siège non seulement de leur entourage, mais aussi des points de vente. « La Grande Relève » est vendue dans quelques kiosques de gares parisiennes ou de grande correspondance, près de certains hôpitaux, dans des villes d’eau. Mais nous pouvons augmenter le nombre des points de vente si des lecteurs nous en proposent. Nous avons toujours des tracts disponibles (les pages 2 et 16 en recto-verso) et nous projetons d’en préparer d’autres. Enfin la réédition, augmentée de chiffres récents, du livre de Jacques Duboin « Libération » est en chantier. Et, sait-on jamais, l’année 1981 verra peut-être le retour de « Kou l’ahuri »...(*)

*

Ce pauvre Kou, qui découvrait en 1934 un monde plongé dans la misère, devant ces stocks de marchandises qu’on a fini par détruire, faute de pouvoir les vendre ! Quel serait son ahurissement de voir que près de cinquante ans n’ont pas permis à l’homme de réagir devant de telles absurdités : on nous demande de plus belle de nous serrer la ceinture, un nombre croissant de gens, même en France, n’ont pas de quoi vivre, alors que les campagnes se dépeuplent et que les paysans se plaignent de ne pouvoir vendre leu ; s productions. Que dirait Kou en voyant les syndicats réclamer le plein emploi, les patrons refuser la diminution des heures de travail tandis qu’on prône la compétitivité et qu’on lance pour cela la robotique ! Il aurait de quoi être encore plus ahuri qu’autrefois s’il était mis au courant des faits les plus récents en ce domaine : la General Electric, aux Etats-Unis, s’apprête à lancer un programme complet d’automation qui pourra remplacer la moitié environ des 37 000 travailleurs de ses chaînes d’assemblages. Un nombre croissant de travailleurs qualifiés va être remplacé par la technologie ; les plus récents robots sont déjà contrôlés par ordinateurs et dans les prochaines années, quand la nouvelle génération de robots qui est en chantier sera réalisée, les meilleurs appareils actuels apparaîtront comme des outils grossiers. Les grandes sociétés d’électronique vont bouleverser le marché des robots avec des engins d’assemblage capables de « voir » et de « sentir » : les laboratoires Draper ont créé une « main » de serrage capable de mesurer les déplacements pendant une opération et sa programmation lui permet de corriger la position d’un boulon qui aurait été placé incorrectement. Une caméra de télévision, faisant office « d’oeil » est utilisée par Renault : elle est capable d’identifier chacune des 200 pièces qui lui sont présentées au hasard sur une chaîne. Le robot peut alors les atteindre, les saisir séparément avant d’effectuer les opérations nécessaires.
La prochaine étape est celle des robots « pensants » qui pourront prendre un nombre restreint de décisions. Ces robots, doués d’autonomie, pourront distinguer les éléments d’un ensemble mélangés dans un chariot, en examiner les défauts, puis décider de les utiliser ou de les rejeter suivant leur état. De telles analyses répétées seront mises en mémoire par le robot qui pourra ainsi observer le taux de reproduction d’un défaut. Et si ce taux venait à dépasser une certaine norme, le robot n’aurait plus qu’à signaler à son collègue robot de la production qu’il faut intervenir à tel niveau de la pièce en question.
On est très loin des rêves d’économistes attardés qui voyaient le développement de l’automatisation créateur d’emplois... pour fabriquer les robots. Non seulement ils se fabriquent déjà eux-mêmes, mais en plus ils se corrigent mutellement.
Et la robotique se développe, et à toute allure pour la raison très simplement expliquée par le directeur de l’assemblage de la société Loockheed en ces termes : « pour chaque dollar que vous dépensez en robotique, vous épargnez en fait trois dollars par an ».

*

Devant une perspective aussi prometteuse, comment des scientifiques, comment des chercheurs, qui côtoient chaque jour des moyens aussi révolutionnaires, peuvent-ils manquer d’imagination au point de traiter d’utopiste celui qui vient leur dire : l’ère du salariat s’éteint comme s’est éteinte auparavant l’ère des serfs et de l’esclavage !

* Livre publié par J.D. en 1934.

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La clef

par M. DUBOIS
janvier 1981

DEPUIS longtemps, les lecteurs de notre journal sont familiarisés avec les néfastes répercussions de notre système économique sur notre vie quotidienne.
Mais nous avons peut-être eu le tort de trop insister sur les conséquences des pollutions sous toutes leurs formes : alimentation frelatée et nuisances de toutes natures, qui pourraient facilement être évitées dans une économie des Besoins où l’élimination du souci du profit à tout prix permettrait de prendre toutes les mesures utiles (et aussi possibles que connues) pour concilier les nécessités de la production avec les intérêts vitaux des individus.

Malheureusement les méfaits de la société mercantile vont encore beaucoup plus loin. Il est en effet loisible à des interlocuteurs partiaux de prétendre que les atteintes à notre environnement sont l’inévitable contre-partie de la production de masse, dont nous bénéficions par ailleurs, et qu’après tout, mieux vaut par exemple une alimentation industrielle de mauvaise qualité qu’une famine soi-disant inévitable avec des méthodes agricoles traditionnelles.

Des petites escroqueries...

Or la meilleure preuve qu’une telle argumentation est totalement fallacieuse, c’est que ce même culte du profit incite les producteurs non seulement à limiter au strict minimum les mesures de sécurité ou de lutte contre la pollution, mais aussi à saboter délibérément la qualité des produits offerts, de manière à rendre inévitable leur renouvellement.
Des exemples ? Il en existe à la pelle et depuis bien des décennies nous avons dénoncé dans ces colonnes les petits scandales des ampoules électriques ou des lames de rasoir. Et chacun de vous, j’en suis convaincu, a eu mille occasions de pester contre les prises électriques moulées non réparables, contre la disparition des pièces détachées concernant la plupart de nos appareils électro-ménagers ou radiophoniques, dont les modèles se succèdent à une cadence accélérée à seules fins de rendre inévitables les mises à la poubelle.
Le numéro 154 de septembre 1980 de « Que choisir », la publication mensuelle de l’Union fédérale des consommateurs, nous révèle (après bien d’autre) deux nouveaux exemples de ces pratiques aussi éhontées que courantes.
Le premier concerne la durée d’utilisation des crayons à bille qui a été systématiquement réduite de moitié : en 1976 en effet, un crayon à bille couvrait 2 750 mètres d’écriture ; en 1980 il s’arrête à 1 490 mètres.
Le second, beaucoup plus grave concerne la composition des encres utilisées pour les crayons feutres et les marqueurs. Après analyse il est apparu que ces encres comportent de hautes doses de produits toxiques comme le méthyglycol, l’éthylino-glycol et le xylène. Les enfants, qui utilisent ces marqueurs par prédilection, sont donc exposés à ce que leurs yeux, leurs voies respiratoires, leur peau et leurs muqueuses souffrent gravement d’un contact prolongé avec ces substances, classées comme nocives et irritantes par l’Institut national de la recherche et de la sécurité, et par le Conseil de l’Europe. Et tout ceci en dépit des mentions « NON TOXIQUE » apposées ici et là avec un cynisme déconcertant...

...aux crimes odieux

Ainsi mises le dos au mur, les bonnes âmes dévouées à la défense des économies de marché vous rétorqueront peut-être avec un sourire désarmant que tout ceci ne va finalement pas très loin et qu’il est bien normal de consentir quelques sacrifices pour la sauvegarde du plein emploi (sic...).
Hélas, si la société mercantile multiplie ainsi les petites escroqueries, cela ne l’empêche nullement d’accumuler également les atteintes directes à la vie des hommes. Rappelez-vous ce que nous avons déjà écrit au sujet des marées noires ou des suppressions de gardiennage de passages à niveau : lorsqu’une étude de rentabilité révèle que le montant financier des risques de pertes de vies humaines est moins élevé que celui des mesures à prendre pour les éviter, ces risques sont délibérément acceptés... Un nouvel et accablant exemple de ces agissements absolument criminels vient de nous être fourni par le tragique tremblement de terre d’El Asnam d’octobre 1980 et ses dizaines de milliers de victimes. Ce n’est pas « La Grande Relève », mais « le Figaro », qui dénonce l’absurdité de la réédification de la cité sur les lieux mêmes du sinistre de 1954, et surtout le rejet volontaire des techniques pourtant bien au point de construction des immeubles dans les zones menacées par des secousses sismiques. Pourquoi ce rejet ? Parce que, nous dit « le Figaro », l’utilisation de ces techniques était onéreuse, et tout à fait contraire aux intérêts des promoteurs qui ont préféré construire encore plus haut !! Et tout ceci en dépit des avertissements les plus catégoriques d o n n é s en temps utile par les meilleurs sismologues de notre époque. Dans ce même « Figaro  », nous lisons aussi que les Etats-Unis ont mis au point des appareils capables de mesurer la tension des sols et de prévoir ainsi les tremblements de terre avec une précision très satisfaisante. Malheureusement, ajoute ingénument ce journal, ces appareils coûtent si cher que leur utilisation généralisée n’est même pas envisageable...

Construire
plutôt que détruire

Comment l’opinion publique d’un pays qui se veut évolué et démocratique peut-elle accepter sans broncher de tels défis au plus élémentaire bon sens ? Et comment ceux de nos compatriotes qui en prennent conscience n’auraient-il pas parfois, surtout s’ils sont jeunes, la tentation de tout casser ? Mais pour reconstruire quoi ?
Il est bien certain que pour l’observateur impartial non encore abruti par le gavage orthodoxe, l’impression dominante est d’être enfermé dans une véritable prison sur les murs de laquelle viennent se briser les tentatives les plus louables dans leurs intentions. Entre la prétendue inflation et le trop réel chômage, les soi-disant solutions apparaissent si contradictoires entre elles que nos dirigeants donnent l’impression de vouloir résoudre la quadrature du cercle. Et lorsqu’au moment précis où le 8e Plan prévoit officiellement plus de 2 millions de chômeurs dans les prochaines années, un Alfred SAUVY consacre un livre entier à nous expliquer que le progrès technique, l’informatique, et la bureaucratique, vont créer plus d’emplois qu’ils n’en supprimeront, il y a évidemment de quoi se dire que dans un tel monde de fous il n’y a plus rien à perdre.
Pourtant, mettre le feu à une prison n’a de justification que s’il est impossible d’en ouvrir tout simplement les portes avec une clef. Or voici presque un demi- siècle qu’une clef nous a été tendue par Jacques DUBOIN pour nous évader du système infernal au sein duquel nous demeurons enfermés par ignorance ou par sottise. Franchissons la première enceinte en dissociant au moyen du Revenu social le pouvoir d’achat du nombre d’heures de travail fournies. Puis le plus vite possible ouvrons la seconde et dernière porte en redonnant à l’Argent, par la réforme monétaire, le caractère qu’il n’aurait jamais dû perdre, à savoir celui d’une simple unité de mesure de valeur, et de répartition, des biens de consommation. Et nous voici dehors, face à toutes nos difficultés, à tous nos problèmes, et Dieu sait qu’ils n’auront pas été pour autant effacés d’un coup de baguette magique. Mais nous voici libres enfin d’assumer notre destin et de lutter pour bâtir un avenir qui ne soit plus un désespérant abandon !

Aurons-nous assez de lucidité et de courage pour saisir cette clef et nous en servir avant de sombrer dans l’effarant cataclysme dont tous les signes avant- coureurs barrent aujourd’hui notre horizon ? C’est en tout cas le moment, pour tous nos amis, de ne pas manquer les occasions offertes par l’élection présidentielle ; car les Jeanne d’Arc (1) qui vont prétendre sauver la France ne nous proposeront pas l’Economie des Besoins si elle ne leur est pas vigoureusement réclamée. Et cela n’est pas l’affaire des autres, mais celle de chacun de nous.

(1) Cet article a été rédigé avant le dépôt de la candidature de Mme Marie- France GARRAUD.

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Que d’eau

par P. SIMON
janvier 1981

QUELLE situation cruelle que celle du naufragé sur son radeau entouré de l’immensité liquide mais sans une seule goutte à boire. Toutes proportions gardées certains pays des Caraïbes et de la Corne de l’Afrique subissent le même supplice. Situés au bord de l’océan ils sont régulièrement victimes de la sécheresse.
Pour y remédier, quelques-uns, plus riches, font venir de l’eau douce dans les besoins extrêmes au prix de 56 francs le mètre cube. C’est encore moins cher que la bouteille d’Evian vendue dans les gares, mais tout de même. C’est en songeant à ces pays, et à d’autres, que des chercheurs de l’Université de Delaware ont mis au point une machine ingénieuse qui transforme l’eau de mer en eau pure et douce.
Le Delbuoy est un ensemble formé d’une bouée et d’une pompe qui utilise la force des vagues pour faire passer sous pression l’eau de mer à travers un filtre spécial constitué d’une membrane qui sépare le sel de l’eau. L’opération élimine également toutes les impuretés, y compris les polluants chimiques. L’eau douce obtenue peut être acheminée à terre au moyen de tubes plastiques, par exemple, et consommée sans problème puisqu’elle répond aux normes les plus exigeantes.
La houle de la mer agite la bouée qui, à son tour, met en mouvement la pompe submergée. L’eau passe alors à travers le filtre sous une pression de 56 kilos au centimètre carré. La production ? Entre 5 et 6 mètres cubes par jour. Bien sûr, deux questions viennent à l’esprit. Que se passe-t-il si la mer est calme ? Evidemment pas grand chose. Mais ces machines pourraient être installées dans les régions parcourues par les vents alizés, soit une zone qui va en gros du 30e degré nord de latitude au 30e degré sud. Or les alizés soufflent presque constamment.
Deuxième question : comment augmenter la production pour satisfaire les besoins d’une population côtière ? On peut multiplier ces machines peu coûteuses et économiques le mètre cube produit ne revient qu’à un peu plus de deux francs) et réserver le précieux liquide obtenu à des usages prioritaires comme la boisson ou l’irrigation au goutte à goutte. Pas question de s’en servir pour laver les voitures.
L’entretien de ces machines est, nous dit-on, d’une grande simplicité et les gens du cru ne devraient avoir aucun mal à s’en occuper, même s’ils n’ont pas reçu de formation technique. Ils pourraient même fabriquer la bouée avec des matériaux locaux bon marché comme le bambou. Seule la pompe devra être fournie par des industriels.
Les chercheurs ont même envisagé le cas où la mer viendrait à se déchaîner, mettant l’installation en danger. Ils ont prévu de relier la pompe à la bouée au moyen d’un chaînon faible qui, si les forces auxquelles est soumis l’engin deviennent considérables, se rompra, sacrifiant la bouée mais protégeant la pompe qui tombera au fond de l’eau où on pourra ensuite la récupérer. Tout le monde avait compris qu’il ne s’était jamais agi d’installer ces machines, ne serait-ce que parce qu’elles doivent être constamment reliées à la terre, à des distances considérables des côtes.
Emportés par leur élan, les chercheurs ont même pensé que leurs pompes pourraient, si on le voulait, fournir, non pas de l’eau douce, mais de l’eau de mer sous pression susceptible d’alimenter un compresseur et, pourquoi pas, produire du froid et permettre de conserver des aliments. Ils ont calculé qu’avec une seule machine on arriverait à conserver environ trois tonnes de poisson.
Souhaitons que ces travaux sortent rapidement du laboratoire pour entrer au stade de l’expérimentation en milieu réel avant la production commerciale.
En offrant à des populations isolées dans des îles, par exemple, ce dont elles ont le plus besoin, avant même l’énergie, c’està-dire l’eau douce, les chercheurs de l’Université du Delaware ont bien mérité. Mais qui va payer la facture  ? Ces bouées représentent-elles un marché suffisant pour que des producteurs s’y intéressent ? Il est indiscutablement des cas où une volonté doit se substituer au profit. Ces cas sont légion.

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Au fil des jours

par J.-P. MON
janvier 1981

« Le combat contre l’inflation doit se mener en veillant à ce que la demande globale ne croisse pas plus vite que la production  ». C’est une déclaration percutante (une de plus) de R. Barre, qui voudrait nous faire croire que « s’il y a inflation, c’est qu’il y a trop d’argent pour trop peu de marchandises ».

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Même son de cloche (c’est le cas de le dire !) chez J. Meo, économiste en chef du R.P.R. qui, critiquant la « croissance douce » prônée par le Président de la République et « l’austérité en pente douce » pratiquée par le Premier ministre. écrit dans un article intitulé « Le Défi Français » (« Le Monde » du 22-11-1980) : cette politique « conduit au sous-emploi, à la hausse des prix par la rareté, au blocage du niveau de vie  ». Il est vrai que R. Barre a traité J. Méo de «  muscadin de l’économie ». Ils disent pourtant bien la même chose tous les deux ! Barre est donc un autre muscadin de l’économie.

*

C’est encore l’inénarrable Debré, qui, évoquant la situation en Pologne, a souhaité que la France aide ce pays financièrement et alimentairement. Pour cela il a proposé d’instaurer « un jour sans viande pour la Pologne », car les quantités ainsi dégagées de la consommation française pourront être acheminées vers la Pologne.
Barre, Méo, Debré sont des « paléo - économistes  » qui se croient encore à la fin du 19e siècle. Ils ne se sont pas encore aperçu que le problème auquel se trouvent confrontées les économies occidentales, ça n’est pas produire mais vendre ; ce n’est pas la rareté mais au contraire l’abondance !

*

Les conneries économiques ne sont d’ailleurs pas l’apanage de la droite qui nous gouverne. C’est ainsi qu’on a pu voir lors du Colloque « Economie et Santé » (21-22 novembre 1980), M. Delors, économiste du P.S., approuver la déclaration suivante  : « Il faut enfin pour l’assurance-chômage faire appel à la solidarité en demandant aux fonctionnaires de verser une cotisation  ». Pourquoi ne pas demander aussi aux retraités de verser leur obole à ladite assurance ?
Au cours du même colloque on a aussi parlé « du rôle positif des dépenses de santé, créateur d’emplois et de technologies nouvelles ».
Et dire qu’il y en a encore qui pensent que « du moment qu’on a la santé... ».
Ce sont de mauvais citoyens qui ne veulent pas développer l’emploi  !

*

Malgré ses richesses pétrolières, la Grande-Bretagne est le pays industrialisé le plus éprouvé par la récession. (Ça prouve au moins que la récession n’est pas toujours due au pétrole !). Entre septembre 1979 et septembre 1980, la production industrielle a baissé de 11,4 %, le chômage atteint le niveau de celui des années 30 (2,1 millions de sans-emploi, soit 60 % de plus en un an) et on prévoit entre 3 et 3,2 millions de chômeurs d’ici un an ; le déficit budgétaire est de 11,5 milliards de livres. Et il n’y a que 18 mois que Margaret Thatcher est au pouvoir. Bravo, c’est un beau résultat.
Rappelons que Mrs Thatcher est une grande admiratrice de Milton Friedman, le monétariste bien connu, conseiller de Pinochet et du gouvernement israélien (en Israël, l’inflation atteint facilement 100% par an). Mais consolons-nous, depuis qu’elle préside aux destinées du Royaume Uni, Mrs Thatcher a fait considérablement remonter la livré Sterling, qui vaut maintenant plus de 10 francs.

*

Il y a quand même des gens qui se posent des questions. Ainsi Jean-François Kahn, qui dans « Les Nouvelles Littéraires  » du 4 décembre 1980 s’inquiète « du silence des analystes » : Rappelant la faillite du système léniniste, l’échec des solutions de type social-démocrate classiques, illustré par les défaites électorales des socialistes suédois ou des travaillistes britanniques, et le naufrage des solutions néo-libérales en Grande-Bretagne, en Israël et en France, J.-F. Kahn s’étonne que « nos brillants analystes restent muets » et se demande pourquoi. Il écrit : «  Redouterait-on de reconnaître qu’aujourd’hui il n’y a plus d’idéologie classique capable de résister à l’épreuve des faits et qu’il est temps d’inventer quelque chose de totalement neuf ? ».
J.-F. Kahn ne doit pas connaître l’économie distributive...

*

A Valognes (Manche), V.G.E. a déclaré le 5-12-1980 : « Il faut conserver ce qui peut être conservé ; il faut changer tout ce qui doit être changé ».
Faut avoir fait l’E.N.A. pour dire des choses aussi profondes.
Il est vrai qu’entre deux volées de pommes à cidre, V.G.E. a précisé : « Il faut conserver tout ce qui fait la force de la France : ses institutions, sa vigoureuse cellule familiale, son attachement à la terre, mais aussi sa culture, son respect pour l’intelligence et pour la science, la capacité de travail de ses ouvriers et son attachement inébranlable à la liberté.  » Plus brièvement on dit : « Travail, Famille, Patrie  ».
Décidément, V.G.E. est un homme du passé !

Jean-Pierre MON

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Dans le cadre de la campagne proposée par notre camarade de Pagney (voir G.R. n° 783) nous vous suggérons d’adresser la lettre ci- dessous à M. Georges Marchais, Secrétaire du P.C.F., place du Colonel Fabien, 75019 PARIS, et à tous les militants communistes que vous pourriez connaître.

Lettre à Georges Marchais

par J.-P. MON
janvier 1981

Monsieur le Secrétaire Général,

C’est avec le plus grand intérêt que j’ai pris connaissance de votre « Plan de lutte contre la crise, pour le changement » dont je ne puis que reconnaître la grande générosité. Je crains cependant que les cent trente et une mesures que vous préconisez pour atteindre les quatre objectifs que vous vous êtes fixés (des emplois pour tous, un travail humain, une vie libre et responsable dans une société fraternelle, une société pour la jeunesse) ne soient pour la plupart illusoires... à moins que vous n’ayez cédé à une certaine démagogie électorale.
Avant d’examiner les principales de ces mesures, je voudrais revenir rapidement sur un de vos objectifs, le premier : vous voulez des emplois pour tous mais vous savez très bien que le progrès technique (dont vous êtes un chaud partisan, si j’en crois ce que vous écrivez sous le titre « Je combats pour la Science » dans «  l’impulsion » de décembre 1980) supprime un nombre croissant d’emplois dans l’industrie et bientôt aussi dans le secteur des services. Pour atteindre votre objectif, vous proposez la création chaque année de 500 000 emplois supplémentaires, la réduction de la durée du travail et l’octroi d’une cinquième semaine de congés payés.
Mais ne craignez-vous pas que ces mesures n’empêchent les entreprises de réaliser les profits que vous souhaitez qu’elles fassent «  dans l’intérêt de la société socialiste » et êtes-vous bien sûr aussi que la « personnalité s’épanouisse dans le plein emploi » ?
Ne croyez-vous pas, qu’au lieu de réclamer le plein emploi, il serait plus réaliste d’exiger un revenu garanti pour tous, travailleurs ou non, le travail, corvée nécessaire au bon fonctionnement et à la prospérité de la société, étant effectué à tour de rôle par chacun, selon ses capacités ,sous la forme d’un service national dont la durée irait diminuant au fur et à mesure que se moderniserait « l’outil de travail » ?
Vous proposez, pêle-mêle, d’augmenter fortement l’impôt sur les revenus, de porter immédiatement le S.M.I.C. à 3 300 francs par mois, d’augmenter les prix à la production des produits agricoles, de défendre le franc, de combattre l’inflation et de nationaliser vingt-trois groupes industriels. Vous ne me ferez pas croire que vous ne percevez pas l’inanité, voire les antinomies de ces mesures, qui provoqueraient sans nul doute la fuite et la dissimulation des revenus et des capitaux, des faillites innombrables de petites entreprises et l’inflation que vous voulez combattre.
Appliquer ces mesures en conservant des structures qui resteraient capitalistes (d’Etat) et les règles monétaires actuelles condamnerait le pays à subir le sort du Chili d’Allende ou celui plus récent et moins voyant de la Jamaïque. Car, et vous le savez bien, les grands intérêts financiers privés, les multinationales dont vous dénoncez si souvent le pouvoir, savent organiser leur défense en bloquant les approvisionnements extérieurs, en empêchant les ventes à l’étranger, en provoquant des grèves et des sabotages...
Non monsieur Marchais, ce n’est pas avec les mesures que vous proposez que vous pourrez atteindre les objectifs généreux que vous vous êtes fixés.
Vous n’y parviendrez que si vous changez totalement les règles du jeu monétaire, c’est-à-dire si vous remplacez la monnaie telle que nous la connaissons, thésaurisable, par une monnaie de consommation, annulée dès qu’elle a été utilisée, comme un vulgaire ticket de métro.
Vous ôterez ainsi tout pouvoir aux affairistes et aux financiers, vous pourrez « casser le pouvoir de l’argent ». En associant cette monnaie de consommation à un revenu garanti pour tous, vous résoudrez d’un seul coup les problèmes d’impôts (devenus inutiles) , de nationalisation (puisque tous les personnels directeurs et administrateurs de société deviennent des salariés) , d’inflation (puisque la monnaie n’est créée qu’en fonction de la production disponible) et bien sûr, d’emplois.
Je me permets encore de vous demander comment vous conciliez votre souhait que la France dispose d’un armement nucléaire efficace et opérationnel avec votre désir de stopper la recherche et la production de nouvelles armes dont la bombe à neutrons ? Je ne vous ferai cependant pas l’injure de penser que vous défendez la production des armements pour sauvegarder l’emploi.
Si comme je le crois néanmoins, vous souhaitez sincèrement l’avènement d’une société véritablement socialiste, vous vous devez, M. Marchais, de proposer des mesures qui sortent enfin des sentiers battus d’une époque révolue  : faites campagne pour UN REVENU GARANTI pour tous et pour UNE MONNAIE DE CONSOMMATION.

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Soit dit en passant

Pour en sortir

par G. LAFONT
janvier 1981

L’auteur de « Sortir de la pagaille », notre ami Maurice Laudrain, n’avait pas lu « La 3e Vague » de l’Américain Alvin Toffler, dont on parle beaucoup en ce moment, quand il écrivait son bouquin. Ou alors il pensait à autre chose. Sinon il aurait renoncé à l’écrire. A quoi bon ? On n’a plus besoin de lui pour en sortir, maintenant. Il y a du nouveau. Même le professeur Barre peut aller se rhabiller. Il suffit d’un peu de patience.
C’est tout simple, mais il fallait y penser. La nouvelle qui noue arrive, portée par la troisième vague, dispensera désormais, s’ils ne sont pas trop pressés, tous les sauveurs suprêmes qui se bousculent déjà au portillon derrière Coluche et qui en sont restés en matière économique à Ricardo, J.-B. Say, Keynes, voire à Alfred Sauvy que j’allais oublier, d’élaborer au prix d’interminables nuits blanches quelques-uns des chefs-d’oeuvre du génie humain appelés plans de redressement, avec lutte contre l’inflation et le chômage et label de garantie, et qui vont finir généralement dans les corbeilles de Matignon, sous formes de cocotes en papier.
Donc, selon le futurologue Alvin Toffler, il y a de l’espoir. On en sortira. Et tout seuls. Je veux dire sans demander la recette à M. Raymond Barre ou à ses pareils. Dans cet important ouvrage « La 3e Vague », abondamment documenté et dont je recommande la lecture, l’auteur analyse la crise que traverse le monde moderne et qui fait suite à la révolution industrielle, tandis que commence un nouveau bouleversement avec l’arrivée en force (le l’électronique.
Je déplore pourtant que tout au long de ces 500 pages passionnantes qui nous font entrevoir un avenir plus radieux que nous le laisse espérer le spectacle de ce XXe siècle finissant incapable de s’adapter aux foudroyants progrès des sciences et des techniques, je déplore qu’Alvin Toffler n’ait pas fait la moindre mention en passant à l’Economie Distributive. Pourquoi « l’Utopie » de Jacques Duboin n’aurait-elle pas sa petite place dans la « Sociologie du Futur » ? Ça ferait pourtant gagner du temps. Oui, pourquoi  ? Je vais vous le dire : parce que les grosses têtes qui mènent le monde - mais le mènent où. ? - et gouvernent au pifomètre dans la tempête entre Charybde et Scylla, je veux dire entre l’inflation et le chômage, avec des millions de demandeurs d’emploi et des tonnes de marchandises « excédentaires » fabriquées par des robots, ne connaissent pas de système économique régi autrement que par la loi sacrosainte du marché. C’est ce qu’on leur a enseigné à Sciences Po.
En attendant, la pagaille généralisée, qui sévit depuis plusieurs lustres sur notre charmante planète de plus en plus déboussolée, ne semble pas troubler le sommeil d’Avin Toffler. La terre continue de tourner. Plutôt mal. Mais elle tourne, comme disait déjà Galilée. Dans les pays sous-développés où règne une effrayante misère on continue à crever de faim, mais aussi à acheter des armes. Parce qu’il est plus facile de se procurer des armes, même hors de prix, pour s’entretuer, que des vivres de première nécessité pour ne pas mourir. Allez savoir pourquoi. Et dans les pays civilisés où triomphe l’abondance on continue à déverser des choux-fleurs sur les routes et à fabriqaer des armes de guerre. Parce qu’il est plus facile de vendre des mitrailleuses ou des bainbordiers lourds, que du lait en poudre et du cassoulet en boîtes. Mais là. on sait pourquoi.

Tout cela n’empêche pas le futurologue Alvin Toffler de faire de beaux rêves. Selon lui tout va s’arranger. Comment ? Par l’action combinée « du hasard et de la nécessité » empruntée à Jacques Monod. Faisant état des travaux du savant Prigogine, né à Moscou mais devenu Bruxellois, il nous décrit la manière dont les termites édifient leurs nids. On voit d’abord ces bestioles aller et venir de la façon la plus désordonnée, déposer ça et là, comme un chien fait sa crotte, un bout de mucus, au petit bonheur la chance, sans plan préétabli ni la moindre idée directrice. Ils se baladent dans tous les sens, à gauche, à droite, en zig-zag. Peu à peu ça pousse, ça monte, ça s’agglutine et, si le hasard le veut, si la nécessité s’y prête et si le vent souffle du bon côté, ça prend forme, on se demande comment, et ça devient - miracle - cette architecture complexe qui fait l’admiration des connaisseurs : une termitière.

Alors, pourquoi se casser la tête ? Faisons comme les termites, ne cherchons pas à être plus malins, il suffit d’attendre. Chez nous, en France, on a déjà construit le Centre Pompidou et les abattoirs de la Villette en appliquant, sans le savoir, - comme M. Jourdain faisait de la prose - la méthode des termites. On est dans une belle pagaille, c’est vrai. Mais le plus dur est fait. Ne cherchons pas à en sortir par les moyens classiques qui ont d’ailleurs tous échoué jusqu’ici, restonsy. Grâce à l’action combinée du hasard et de la nécessité on en sortira.

Mais ne me demandez pas dans quel état.

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Capitalisme et Démocratie

par J.-P. MON
janvier 1981

Dès 1941, les stratèges financiers américains ont commencé à préparer la réorganisation de l’économie industrielle mondiale de l’après- guerre sur (les bases extrêmement favorables aux Etats-Unis. Leurs plans se sont concrétisés en 1944 à Bretton Woods par la création du Fonds Monétaire International (F.M.I.) et de la Banque Mondiale (B.M.). Le dispositif a été complété un peu plus tard par la signature des accords « G.A.T.T. » (Général Agreement on Traffic and Tade). Quels étaient les rôles ou les fonctions de ces organismes ou accords ?

- Toutes les nations membres du FM.I. (44 à Bretton Woods) (levaient accrocher leur monnaie au dollar américain ou à l’or (dont les Etats-Unis détenaient à l’époque 72 % des réserves mondiales). Cela permettait en fait au F.M.I. de fixer les taux de change des monnaies des puissances adhérentes.

- Créée en principe pour fournir aux pays d’Europe les fonds nécessaires à leur reconstruction, la Banque Mondiale s’est progressivement mise à accorder des prêts aux nations non industrialisées pour aménager leur infrastructure (ports, routes, ...) de façon à faciliter l’exportation des matières premières vers les pays industrialisés.

- Le but officiel des accords G.A.T.T. était de « libéraliser  » les échanges commerciaux entre nations. En fait, ils permettent essentiellement de rendre plus malaisée pour les pays les plus pauvres la protection de leur industrie naissante.

Bien entendu, les trois systèmes ne fonctionnent pas indépendamment les uns des autres : c’est pourquoi il est interdit à la Banque Mondiale d’accorder (les prêts à tout pays non affilié au F.M.I. ou ne souscrivant pas aux accords G.A.T.T.

On peut constater que le dispositif mis en place a bien joué son rôle pour le plus grand profit des multinationales. Et malheur aux récalcitrants !
Un nouvel exemple (le « mise au pas » vient de nous être donné par les élections jamaïcaines (lu 30 octobre dernier, où le Parti National Populaire (P.N.P.) au pouvoir depuis 1972, vient d’être balayé « démocratiquement  » par une vague (le mécontentement dont l’ampleur a finalement surpris les jamaïcains eux-mêmes. Que s’est-il donc passé  ?

L’envoyé spécial du « Monde » à la Jamaïque décrivait ainsi la situation peu avant les élections :
« Elu premier ministre en 1972, réélu en 1976, M.  Michaël Manley, président du People National Party (P.N.P.) a engagé son pays dans la voie du « socialisme démocratique  ». Les réalisations sociales de son gouvernement sont incontestables  : réduction de moitié de la mortalité infantile, éducation gratuite, alphabétisation des adultes, établissement d’un salaire minimum, égalité de traitements pour les femmes, mise en place de conseils de communautés permettant aux citoyens de participer directement aux décisions affectant leur vie quotidienne.
« Mais M. Manley s’est fait des ennemis. Une réforme agraire pourtant timide a fait peur aux grands propriétaires terriens. Le renforcement du contrôle de l’Etat sur les échanges internationaux a aliéné les industriels qui n’investissent plus depuis 1975. L’augmentation des taxes sur la bauxite et l’alumine, la création d’une association internationale des producteurs de bauxite, dont le siège est à Kingston, ont poussé les multinationales implantées à la Jamaïque à baisser la production ici, quitte à l’augmenter dans d’autres pays du monde. Enfin, les prises de positions en faveur d’un nouvel ordre économique international où l’admiration pour M.  Fidel Castro, dont M. Manley fait publiquement état, ont braqué contre lui un nombre considérable de personnes, aussi bien à l’intérieur qu’à l’étranger.
« La situation économique se résume en deux chiffres  : le produit national brut par tête a diminué de 25 % en sept ans ; le chômage se situe aux environs de 35 % ».

Comment en est-on arrivé là ?
La Jamaïque est obligée d’importer 70 % de sa nourriture, notamment à cause des structures et des habitudes alimentaires héritées de l’époque coloniale. Elle avait besoin d’emprunter pour financer ses importations. C’était donc une proie facile pour les Etats-Unis.

« En 1974, le gouvernement de M. Manley obtenait du F.M.I. un premier droit de tirages au titre des financements compensatoires, qui devait être suivi de nouveaux prêts, en 1976 et en 1977. En 1978, il impose une série de dévaluations qui finiront par atteindre 50 %, le gel des salaires, la diminution des dépenses publiques et la mise en place des conditions redonnant au secteur privé un rôle dominant. Le gouvernement de M. Manley décide d’accepter les conditions du F.M.I., en échange de quoi il devait recevoir une aide qui aurait pu s’élever à 429 millions de dollars.
« En décembre 1979, la Jamaïque n’ayant pas rempli une des conditions concernant ses réserves et devises, l’organisme international impose de nouvelles mesures, notamment une diminution des dépenses publiques devant entraîner le licenciement de près de 20 des fonctionnaires. Le gouvernement refuse puis convoque des élections anticipées pour donner au pays l’occasion de décider du chemin à suivre ».

Comme l’explique M. N. Girvan, ancien directeur de l’Agence Nationale de Planification

« Accepter les conditions du F.M.I., c’était mettre un terme au processus de réformes engagées et, par là, nous discréditer. Nous ne pouvions pas accepter des mesures renforçant le secteur privé, c’est-àdire ceux-là mêmes qui s’opposent à toute modification de l’ordre social existant.  »

Les Jamaïcains n’ont pas compris et c’est désormais un homme à la solde des Etats-Unis, M. E. Seaga, qui gouverne le pays. Avant même sa victoire, M. Seaga était assuré de pouvoir obtenir un crédit de 300 millions de dollars du secteur privé américain et les banques américaines avaient fait savoir que la Jamaïque pourrait bénéficier d’une aide accrue s’il l’emportait.
Le nouveau gouvernement va ainsi pouvoir ouvrir dans des conditions très favorables les négociations sur sa dette extérieure qui s’élève à 1 milliard de dollars. Les Etats-Unis peuvent maintenant relancer la mise en place du « Caricom », le marché commun des Caraïbes...
Tout le monde vous dira, j’en suis sûr, que le peuple jamaïcain a choisi souverainement et démocratiquement son nouveau gouvernement et que les Etats-Unis sont restés neutres.
C’est un exemple à méditer.

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Informatique et secteur tertiaire

par G. STEYDLÉ
janvier 1981

Chassés du secteur primaire (agriculture) et du secondaire (industrie) par les progrès de la science et des techniques permettant de remplacer les hommes par des machines de plus en plus perfectionnées, bon nombre de nos concitoyens, hommes et femmes, ont cru pouvoir se réfugier dans le secteur tertiaire (activités de bureau, banques, assurances, etc...) .

C’était sans compter sur l’avènement de l’informatique et de la télématique qui progressent à pas de géant et qui s’introduisent dans les secteurs les plus reculés des activités professionnelles.

A ce sujet, vous trouverez ci- dessous les constatations auxquelles se livre René Wormser dans la revue « Choisir », sous la forme d’une étude intitulée « La société informatisée et les femmes ». (Nous pensons que ces constatations s’appliquent aussi bien aux hommes qu’aux femmes).

Nous publions quelques extraits de cette étude dont le sous-titre est : « Effets et conséquences de la télématique au niveau de l’emploi » :

... Il est évident que l’informatisation des sociétés apportera un gain considérable de productivité, mais il faut compter sur une aggravation du chômage, surtout dans le secteur des services :
BANQUES : l’économie d’emploi pourrait tendre jusqu’à 30% dans les 10 années à venir.
ASSURANCES : même proportion envisagée.
SECURITE SOCIALE : mouvement moins rapide, mais poussé par la nécessité de réduire les coûts de cette administration.
POSTE : le trafic interne des administrations et entreprises s’effilochera avec le développement de la télécopie et de la téléimpression. Or ce trafic représente 60 % du courrier actuel.
ACTIVITES DE BUREAU : énorme secteur diffus dans l’ensemble de l’économie, constitué de 800 000 secrétaires parmi les 2 millions de l’ensemble des agents de bureau. L’informatisation va peser sur les effectifs. Un nouveau type de secrétaire va se dégager, dont les tâches seront davantage de surveillance que d’exécution. L’informatisation de ce secteur sera extrêmement rapide. L’isolement et la dispersion des employés au sein des entreprises ne leur permettra pas de résister à cette évolution avec des effets sur l’emploi à coup sûr massifs.
Ainsi apparaît, ait niveau de l’emploi une baisse quantitative, dont les femmes seront les premières et les plus nombreuses victimes, puisque ce sont elles qui occupent en majorité le secteur du tertiaire.

C’est l’évidence même !

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Les illusions dangereuses

par F. FOULON
janvier 1981

LA faim persiste dans le Tiers-Monde, parce que la nourriture est contrôlée par les tenants de l’économie libérale, c’est-à-dire que les riches et eux seuls en tirent bénéfices.

« Puisqu’une moitié de l’humanité n’a pas grand chose à attendre de l’autre moitié, elle ne peut compter que sur son héroïsme. Les damnés de la terre décideront peut-être bientôt de ne pas mourir en silence. »

La plupart des pays du TiersMonde n’en sont pas encore à élever la voix. Beaucoup restent muets, ce qui est le signe de leur indicible souffrance.

Notre propos (1) est de faire un tour dans ce sombre horizon en laissant parler les faits et en parlant pour eux, avec objectivité, quand ils ne se montrent pas suffisamment éloquents. En revanche, nous attendons du lecteur qu’il manifeste la loyauté de voir les choses comme elles sont et non pas comme il voudrait qu’elles soient, ce qui le conduira inévitablement...

- à reconnaître qu’un siècle de libéralisme économique a plongé l’humanité dans le malheur une première guerre mondiale, le bolchevisme, Hitler, la seconde guerre universelle, la ruine de l’Europe, la course folle aux armements, la famine du Tiers-Monde ; que le commandement d’amour du message chrétien n’est pas civilisateur, que les pays qui s’en réclament ne sont pas des communautés fraternelles, que là où la foi est fervente et unanime, comme en Amérique latine, l’Eglise n’est pas avec les pauvres qui. sont mal traités, affamés, torturés...

- à déplorer que la Révolution verte, mise sur pied par la fondation Rockefeller ait été détournée de son objectif humanitaire de sauver le Tiers-Monde de la faim, au seul profit des sociétés multinationales agro-alimentaires, rendant ainsi les pauvres plus pauvres et faisant les riches plus riches  ; à juger sans ménagement la C.I.A. (Central Intelligence Agency) pour avoir, en 1953, rendu son trône au chah d’Iran répudié par 99 % de son peuple, avoir prolongé pendant un quart de siècle le règne tyrannique d’un monarque condamné à abdiquer et être responsable de l’actuelle confusion...

- à réprouver la manoeuvre de la fondation Ford qui a ramené, en 1965, dans le camp occidental, l’Indonésie, grâce à l’organisation diabolique du massacre de plusieurs centaines de milliers de paysans soupçonnés de sympathie communiste...

- à convenir que l’Alliance pour le progrès, élaborée généreusement par John F. Kennedy, en vue de la démocratisation et de l’émancipation économique de l’Amérique latine, a finalement introduit dans ces pays rongés par la misère, des dictatures inhumaines, soutenues par le militarisme américain, qui ne recule pas devant le meurtre, pour s’opposer à tout mouvement vers la liberté, comme au Chili...

- à admettre aussi que la recherche du plein emploi devient absurde dans un régime économique de concurrence et de profit dont la finalité est la réduction, puis la suppression du labeur humain, remplacé dans les usines par les robots, dans les bureaux par les ordinateurs et les microprocesseurs...

- à adopter, au-delà de nos diversités, de nos objectifs, de nos styles de vie de nos divergences d’opinions, un esprit planétaire, ainsi qu’à faire naître l’idée que la Terre est notre deuxième patrie, qu’elle mérite d’être respectée comme une mère nourricière et non pas maltraitée comme elle ne cesse d’en souffrir et risque d’en mourir...

- à comprendre, enfin, et à encourager l’action du Club de Rome qui s’efforce de créer un nouvel esprit de solidarité active et de coopération entre tous les peuples, toutes les nations et à participer à tout mouvement économique qui cherche, par une production abondante de biens socialement utiles la satisfaction des besoins matériels et spirituels de chaque individu pendant toute son existence, à la manière du socialisme distributif.

Nous voilà, dès lors, tous concernés et il devient du devoir de tout homme sensé de combattre, par tous les moyens en son pouvoir, jusqu’au niveau de la contestation, un régime qui, sacrifiant la promotion de l’homme au profit d’argent et à l’enrichissement d’une minorité privilégiée, compromet dangereusement l’issue de la bataille que le monde est condamné à livrer, s’il veut survivre.

(1) Ce texte est extrait de l’introduction de « Un écologiste accuse ».

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Lectures

Éléments de sociologie scientifique

par H. MULLER
janvier 1981

Il y a à boire et à manger et bien autre chose encore dans le gros livre de Mar IEL qui, sans être indigeste, loin s’en faut, rassemble le fourre-tout de 50 années de réflexions autour des thèmes du distributisme.
L’ouvrage laisse perplexe quant à l’organisation, qu’il décrit, de la société distributive, à la densité des précisions ayant trait à la vie sociale. C’est une sorte de CORAN, de THORA laïque régentant du berceau à la tombe, la vie de chaque individu.
Après une critique bien charpentée du capitalisme, Marc IEL s’enlise dans une conception irréelle de la nouvelle société, posant en postulat l’égalité des besoins pour des individus de même âge. C’est Robinson débarquant sur la planète des singes. Son projet fait table rase des us et coutumes, des habitudes de chacun, tous liens rompus avec ce qui a précédé. Aux habitants de cette planète, on impose une réglementation étroite du cadre de vie, allant jusqu’à dicter à chacun ce qu’il doit manger. Marc IEL ’fait de sa société un univers de tickets et de bons. Il veut ignorer la diversité et la singularité, lai. sent f i des individualités, du besoin de dépassement, des « différences » qui forment la trame de toute vie sociale.
Sa société est une société rigoureusement égalitaire, miraculeusement débarrassée des pesanteurs inhérentes à la nature humaine, la réceptivité intellectuelle étant supposée la même au niveau de chaque individu.
Venue de la pensée anarchiste, une telle caporalisation surprend. Elle n’est pas dans le droit-fil de la tolérance revendiquée par les mouvements distributistes. D’aucuns se diront que s’il faut en passer par là pour atteindre le stade d’une civilisation idéale, mieux vaut s’accommoder de celle que l’on a avec ses imperfections.
Il faut savoir sacrifier à certaines injustices, à certaines inégalités si l’on ne veut ni stériliser la recherche. l’initiative féconde, ni paralyser les compétences. Peut-on réellement croire à l’efficacité de l’appareil productif si l’on commence par placer tout le monde devant la même gamelle face à une discipline de fer ?
Qui plus est, Marc IEL évacue la monnaie de consommation pour lui substituer un étalon « temps de travail efficace », bien peu réaliste eu égard aux mille cas concrets auxquels ce système de valeur ne saurait s’appliquer, notamment en matière de travail intellectuel, créations d’art, services, etc...
Marc IEL semble avoir été piégé par un ensemble de vues sommaires visant la monnaie et l’abondance.

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Lectures

La fin des patrons *

LA FOI DU CHARBONNIER
par H. MULLER
janvier 1981

Y. Gattaz fait partie de cette pléïade de besogneux attelés à une impossible mission : la défense de la « libre entreprise », considérée comme le système le plus apte à procurer le maximum de bien-être au maximum de personnes. Les faits démentent, aujourd’hui, les visions paradisiaques d’Adam Smith et de J.B. Say, prophètes d’un autre siècle. Qu’à cela ne tienne. Ayant choisi de nier l’inadaptation de nos usages monétaires à l’accélération du progrès technique, Y. Gattaz et ses confrères en religion libérale tentent, contre l’évidence, de démontrer que les faits ont tort. Leur foi est émouvante mais elle ne suffit pas à convaincre. Une hirondelle ne fait pas le printemps. Toute entreprise reste vulnérable, exposée à la concurrence extérieure, pourchassée par le fisc, assujettie au crédit, à l’humeur de ses banquiers, paralysée par la grève, par d’incessants contrôles, par des ruptures d’approvisionnements, des carrences de main d’oeuvre qualifiée, sinistres, accidents et mille autres aléas.
Contre un marché qui se dérobe. le courage, la ténacité, l’adaptabilité du petit patron comptent pour moins qu’un pipi de chat.

* Un livre de Y. Gattez.

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