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   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
 
 
 
 
 
AED La Grande Relève Articles > N° 784 - décembre 1980

 

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N° 784 - décembre 1980

La loi du plus gros   (Afficher article seul)

Les syndicats de salariés font fausse route   (Afficher article seul)

Programme, demandez programme !   (Afficher article seul)

Les maîtres   (Afficher article seul)

Au fil des jours   (Afficher article seul)

La bonne conscience   (Afficher article seul)

A la bonne vôtre   (Afficher article seul)

Égalité et fédéralisme   (Afficher article seul)

Terre des hommes   (Afficher article seul)

France, ton économie se barre   (Afficher article seul)

Du rêve à la réalité   (Afficher article seul)

Il n’y a pas de sécurité (sociale) sans feu   (Afficher article seul)

A propos de... techniques et capitalisme   (Afficher article seul)

La guerre dans un monde fragile   (Afficher article seul)

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La loi du plus gros

par M.-L. DUBOIN
décembre 1980

LE programme économique du prochain Président des Etats-Unis annonce le retour triomphal d’un libéralisme économique effréné dans ce pays Retour qui réjouit bien évidemment les milieux d’affaires (comme en témoigne a hausse du dollar qui a suivi l’élection du cow-boy) mais qui par conséquent n’annonce rien de bon sur le pan social. A tel point qu’on s’étonne qu’une propagande anti- Carter ait réussi à faire élire si massivement le candidat appuyé par les champions du capitalisme.
Nous, Français, sommes bien mal placés pour reprocher ce vote aux Américains ; nous avons élu (moins massivement il est vrai) un Président dont le programme économique, réalisé par R. Barre, est en tout point semblable et tout aussi réactionnaire. Il suffit pour s’en convaincre, d’analyser le programme Reagan.
Il comporte une réduction importante des dépenses publiques  : 3 % en 1981, 6 % en 1982, 8 % en 1983 et 10 % les deux années suivantes. Comme il prévoit dans le même temps une augmentation sensible des dépenses militaires et que l’équilibre du Budget est un dogme qu’on ne remet pas en cause, ce sont forcément les dépenses sociales qui vont baisser. Ceci est à rapprocher d’une part de la déclaration faite au Sénat, lors de la discussion sur le Budget 1981, par le Rapporteur Général Blin, sénateur des Ardennes, soulignant « le caractère courageux de certaines mesures, notamment le freinage massif des équipements publics », et d’autre part du fait que dans ce budget c’est la première fois qu’en temps de paix les dépenses d’équipement militaire seront supérieures aux dépenses d’équipement civil.
Le second point du programme américain est la réduction des impôts directs, de 10 %, pour chacune des trois années à venir. Il témoigne de l’influence de l’économiste Arthur Laffer qui estime qu’au-dessus d’un certain niveau, l’impôt décourage la production. Ceci est apparu comme un magnifique cadeau fiscal dont la promesse a sûrement beaucoup influencé le choix des électeurs. Mais ils ont été trompés, car il est prévu que dans le même temps les recettes devaient au total continuer à augmenter, ce qui signifie donc la hausse des impôts indirects. Or les impôts indirects sont les plus injustes puisqu’ils sont payés également par les riches et les pauvres.
Une série de dérèglementations accompagnera ces mesures, tels les dégrèvements fiscaux accordés par le biais d’une accélération des amortissements, la réduction de l’impôt sur les bénéfices (et même la suppression de l’impôt sur les superbénéfices des compagnies pétrolières que Carter avait eu tant de mal à faire passer). Des réductions d’impôts, analogues, sur les sociétés, ont été réalisées récemment en France. Et les fameux Pactes pour l’Emploi résultent, tout compte fait, en une diminution des charges pour les sociétés qui embauchent des jeunes.
Le Conseiller de Reagan en politique monétaire
fait ses preuves auprès de Pinochet, de Margaret Thatcher et en Israël (qui eut 100 % d’inflation en 1970 et prévoit 160 % cette année). C’est Milton Friedman. Il annonce une politique monétaire « saine, stable et prévisible ». La stabilité du Franc était aussi au programme de R. Barre, avec sa lutte contre l’inflation. On a vu sa belle réussite sur toute la ligne puisque même la dévaluation du franc ne sera pas évitée (après l’élection présidentielle...) .
Enfin Reagan promet le rétablissement de la confiance par la poursuite d’une politique économique nationale, c’est-à-dire d’exportations dynamiques. Pour cea, on adoucira les lois sur l’environnement, on développera le nucléaire, voire même les surrégénérateurs. Politique semblable suivie par Raymond Barre, mais avec évidemment un handicap, car le poids économique de la France n’est pas celui des Etats-Unis.

*

Et voilà comment partout c’est la loi du plus fort, la loi du plus gros, de celui qui a le plus de moyens, qui s’impose. C’est la loi de la jungle. Et la manifestation dénommée « escargot  » récemment lancée par les conducteurs de poids lourds, pour imposer leur intérêt, en est une excellente image, ô combien édifiante !
Or, le rôle des gouvernements n’est pas d’augmenter les injustices en aidant les forts à mieux écraser les faibles. C’est au contraire d’imposer une loi plus humaine, plus juste et plus intelligente. Leur rôle est avant tout un rôle social, que les économistes, perdus dans les nuages de leur jargon et de leur vision du monde, ont totalement oubliée. On voit de pareilles erreurs dans toutes les corporations. C’est celle de l’architecte qui oublie... l’escalier. Mais pour les économistes, responsables du présent et de l’avenir de tout un peuple, ces erreurs d’intellectuels qui perdent pied sont autrement graves. Elles sont criminelles. Non seulement parce que la production d’armements, qu’imposent leurs lois économiques, pousse à la guerre. Non seulement parce que pour être «  plus compétitif » on fait courir des risques énormes et des dommages irréversibles à la planète. Mais aussi sûrement parce que le nombre de miséreux ne fait que croître. Et je ne parle pas du Tiers-Monde. A côté de nous, même cachées, il y a des familles entières qui ne touchent même pas une allocation, qui n’ont rien pour vivre. Il faut lire les rapports des délégués du Secours Catholique : leur aide a dû augmenter de 30 à 80 %, selon les endroits, en un an. Ils connaissent des situations de plus en plus nombreuses de familles qui font des dettes pour manger. Ils reçoivent dans leurs permanences, des parents en pleurs venant demander de quoi manger pour leurs enfants. De grands ensembles de la région parisienne sont devenus des bidonvilles en hauteur ; dans l’un d’eux, de 15 000 habitants, 10 % ne peuvent pas payer leur loyer, et gaz et électricité leur sont coupés. En plein vingtième siècle, dans un pays riche comme le nôtre, ces délégués ont dû reprendre une forme d’assistance qu’ils pensaient dépassée  : la distribution de colis alimentaires. Ils voient des personnes qui n’ont rien mangé « depuis trois ou quatre jours », qui disputent leur nourriture aux chats et aux chiens. Et sur les jambes des enfants des plaies inguérissables qui dénoncent les carences alimentaires.

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Voilà l’oeuvre du meilleur économiste de France. Et ce comédien de Reagan va prendre le même chemin !

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Les syndicats de salariés font fausse route

par R. KOPINSKI
décembre 1980

LES syndicats de salariés ont pour but de défendre l’intérêt des travailleurs dans le panier de crabes du capitalisme. Jusqu’à présent leurs efforts ont été réellement positifs si on constate l’importance et le nombre d’améliorations des conditions de travail et de rémunération qu’ils ont arrachés depuis près de cent ans à la suite des progrès techniques.
Mais la lutte est de plus en plus difficile. Le capitalisme se défend et le combat pour des conditions de vie meilleure n’est jamais fini. Au fur et à mesure des progrès techniques les salariés veulent, eux aussi, en être bénéficiaires et ils ont raison.
Or, c’est le contraire qui se produit depuis quelque temps : le nombre de chômeurs grandissant montre le nombre de ceux qui perdent leur emploi et de ceux qui voient diminuer leur pouvoir d’achat.
La lutte harassante que mènent les travailleurs est soutenue et revivifiée par les syndicats constamment sur le qui-vive. Mais la conjoncture économique a tellement changé depuis l’intervention massive des progrès techniques que l’on peut constater l’échec d’un certain nombre d’actions syndicales. La fermeture totale ou partielle de certaines entreprises non compétitives ou financièrement pas rentables, les licenciements de personnel pour restructuration, ont-ils pu être évités ?
Si les syndicats ne veulent pas se leurrer ni susciter des espoirs utopiques ils doivent prendre conscience que la grève, qui jusqu’ici était la forme la plus dynamique pour le maintien de l’emploi et du pouvoir d’achat, perd son tranchant du moment où il est possible d’augmenter la production en réduisant la main-d’oeuvre manuelle ou intellectuelle remplacée par des mécanismes automatiques et autonomes.
Et cela est vrai non seulement dans certains secteurs comme la sidérurgie ou le textile, par exemple, mais dans un nombre de plus en plus grand de branches industrielles, commerciales et administratives, car tout « patron » a intérêt à investir pour améliorer la productivité par l’emploi de matériel automatique.
Autrefois le patronat, pour lutter contre les grèves, employait quelques miséreux pour en faire des briseurs de grèves, des « jaunes ». Aujourd’hui la science et les techniques lui permettent de remplacer de plus en plus souvent les « jaunes  » par des machines ou des appareils automatiques acquis, en principe, non pour mater la grève, mais pour améliorer la productivité. En fait les techniques sont en train de rendre la grève progressivement impossible faute de « combattants ».
C’est pourquoi les salariés, ouvriers, employés, cadres peuvent toujours élever des protestations par des meetings, des cortèges ou de toute autre manière. Leurs grèves gênent de plus en plus souvent les autres travailleurs. Rien n’empêche l’augmentation du nombre de ceux dont la production, Ia gestion et le commerce n’ont plus besoin. Et les chômeurs, eux, ne peuvent plus faire grève.
Parfois, quand les tenants du capitalisme disent la vérité ils avouent que nous connaîtrons, en France, dans les toutes prochaines années quelques deux millions de chômeurs, pardon, de demandeurs d’emplois, et ils laissent timidement espérer un prochain renversement de la tendance. Timidement, car ils savent que cet espoir est fallacieux puisque ce qui caractérise justement la période actuelle c’est que, pour la première fois dans l’Histoire, la production augmente (limitée pourtant à environ 3 % par an)) en même temps que le chômage (environ 10%).
Au mieux une forte reprise de l’activité économique et l’augmentation massive des exportations françaises ne pourraient se faire que par la compétitivité donc par l’automatisation, c’est-à-dire par !’augmentation du chômage.
Les syndicats ne voient-ils pas qu’on ne peut créer des emplois qui soient financièrement rentables que dans les secteurs ou les pays à faible technicité ?
Dans ces conditions quelles actions utiles les syndicats peuvent-ils entreprendre ?
Quand le progrès entraîne la suppression d’emplois, parce que dans toute économie de marché la compétitivité est de rigueur, il n’est plus rationnel de réclamer le droit au travail et il serait stupide de demander l’arrêt - impossible - du progrès technique. Car il est vain de souffler contre le vent quand le vent devient tempête. Le droit au travail est une exigence périmée parce que impossible à satisfaire quand le travail se raréfie.

C’est donc le droit à la vie qu’il faut exiger puisque les produits nécessaires à la vie existent Et le droit à la vie se concrétise par un revenu correspondant à la production nationale et adapté à une qualité de vie que la science et les techniques rendent à présent possible. Une société assez avancée pour savoir produire automatiquement ce qui, il y a quelques années, exigeait une armée de travailleurs manuels et intellectuels doit être capablé d’assurer à l’armée des sans-emploi un revenu en rapport avec l’expansion de la production.
Les syndicats, s’ils étaient réalistes, ne devraient pas se contenter de réclamer la diminution dés heures de travail pour un même revenu, c’est-àdire la répartition du travail encore nécessaire afin de transformer le chômage d’un certain nombre, en loisirs supplémentaires pour tous.
Ils devraient aussi, en dehors dés revendications courantes dans le cadre du capitalisme, et puisqu’ils né peuvent pratiquement rien faire contre la marée montante du chômage, avoir pour objectif la création d’un revenu pour tous non seulement garanti mais en rapport avec la production générale du pays, ce qui signifié que les chômeurs forcés toucheraient quand même leur salaire.
Cela poserait, il est vrai, immédiatement, même en cas d’autogestion, deux sortes de problèmes :
- D’une part : comment occuper intelligemment des gens qui ne travaillent pas afin qu’ils ne s’ennuient pas, comment faire pour qu’ils sachent trouver une occupation qui leur soit agréable et qui soit, si possible, utile à la société ? Problème urgent qui ne peut être résolu que par la culture donnée à tous suivant leurs aptitudes et auquel il faut réfléchir dès maintenant.
- D’autre part : comment et où trouver l’argent nécessaire pour fournir un revenu à tous, pour payer la culture et les loisirs à ceux dont la production n’a plus besoin ?
Cette dernière question paraît évidente et insoluble à qui accepte d’emblée les structures fondamentales d’une économie de marché.
Et ceux qui croient qu’il y a une solution à ces problèmes en se contentant de modifier l’économie de marché oublient qu’il n’est pas possible, malgré leur bonne volonté, de dégager des sommes importantes sans qu’elles se retrouvent d’une manière ou d’autre dans les prix ou dans les taxes et impôts. Les prix ne peuvent donc que continuer à monter et la lutte pour le rattrapage des salaires est sans fin. En outre la lutte contre la hausse des prix ne peut que stimuler la mécanisation et l’automatisation c’est-à-dire l’augmentation du chômage.
Prendre l’argent chez les riches n’est pas une solution, car impossible à réaliser puisque lés riches n’ont pas de disponibilités liquidés - et s’il leur fallait vendre leurs biens pour «  faire de l’argent » à qui les vendraient-ils ?
Si les meilleurs financiers du monde se montrent incapables de trouver une solution à tous ces problèmes, c’est qu’ils ne veulent pas abandonner les privilèges acquis ou qu’ils refusent de raisonner hors du cercle vicieux dans lequel se débattent tous les capitalistes libéraux ou étatiques. Dans ces conditions ils né seront pas non plus capables d’imaginer un moyen pour maintenir des retraites décentes quand le nombre dés ayants-droit augmentera pendant que le nombre de cotisants diminuera. Et il diminuera même si une politique de natalité est couronnée de succès.
Le syndicalisme par contré doit pouvoir raisonner hors du cadre de toute économie de marché et chercher à comprendre si un autre système économique est possible. Tout en veillant à satisfaire au mieux les revendications immédiates des salariés, le syndicalisme doit voir plus loin et orienter ses exigences vers le revenu garanti, la culture pour tous et étudier, dès maintenant, les moyens pratiques pour y parvenir, même si ces moyens ne correspondent pas aux « canons » de l’économie de marché libérale ou socialiste.
Car ces moyens existent, même s’ils ne sont encore appliqués nulle part. Les tenants du régime les taisent évidemment, car leur idéal n’est pas l’homme, mais le maintien du système dont ils profitent. Le syndicalisme, par contre, dont le but est l’épanouissement de l’homme, ne doit pas les taire. Il devrait se rappeler que Châteaubriand avait écrit dans ses « Mémoires d’Outre-Tombe » que « le salariat n’est que l’esclavage prolongé ». Il devrait se rendre compte que vouloir sortir de l’esclavage c’est obligatoirement sortir du capitalisme privé sans tomber dans les difficultés du capitalisme d’Etat. Cela exige l’abandon de l’économie de marché, même de celle qui s’intitulerait « économie de marché socialiste ». En effet, toute économie de marché maintient les structures financières du capitalisme quelle qu’en soit la formé, comme par exemple celle qui fait inclure les revenus des citoyens dans le prix de la production ou dans le montant des taxes et des impôts.
Le comportement actuel du syndicalisme pourrait faire croire qu’il en est encore à admettre que hors de l’économie de marché il n’y a point de salut. Pourtant les syndicalistes du début de ce siècle avaient bien défini le but du syndicalisme par l’excellente formulé de « l’abandon du salariat ». Pourquoi les syndicalistes d’aujourd’hui ne l’emploient-ils plus ?
Serait-il indigne d’un syndicaliste intelligent de reprendre l’oeuvre d’un Jacques DUBOIN qui, lors de la grande crise économique des années 30, avait déjà préconisé un moyen inédit d’éviter la dernière guerre et de sortir véritablement de la société de profit pour assurer à chacun, comme prime de civilisation, un revenu social en rapport avec le progrès ?
Si les syndicalistes persistent à vouloir trouver dés solutions provisoires dans le cadre des régimes existants, dans l’espoir qu’une société socialiste vienne un jour prochain en apporter de définitives, la société socialiste s’éloignera toujours comme les mirages dans le désert font reculer l’oasis en vue - et les syndicats continueront à faire fausse routé avec toutes les graves et dramatiques conséquences qui en résulteront.

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LETTRE A M. DEBRÉ

La lettre de notre camarade de Pagney a suscité l’enthousiasme (le nos lecteurs dont beaucoup se déclarent prêts à la forme d’action proposée.
L’analyse ci-dessous du programnne de M. Debré (tel qu’il ressort d’une interview accordée à des journalistes) avait été écrite avant qu’il soit entendu que de telles analyses seraient transformées en lettres. Si nos lecteurs, cependant, veulent envoyer cette lettre à M. Debré, il pourraient y ajouter quelques lignes sur notre propre programme. en s’aidant, par exemple, des résumés de nos thèses des pages 2 et 36.
On peut aussi. évidemment, suggérer que M. Debré daigne nous dire ce qu’il en pense...

Programme, demandez programme !

par P. SIMON
décembre 1980

REPONDANT aux questions que vous posaient deux journalistes du «  Monde », vous avez attaqué en flèche. « Tôt ou tard », dites-vous,« la nécessité du sursaut apparaîtra ». Nous n’avons jamais dit autre chose dans les colonnes de « La Grande Relève ». S’agit-il bien du même sursaut ?
Première raison de réagir, de « se rebeller », selon vos termes, Monsieur le Président, la dénatalité. On s’y attendait. Pourquoi diable les Français iraient-ils fabriquer de futurs petits chômeurs dont l’éducation, de plus en plus volontiers confiée au secteur privé, va leur coûter de plus en plus cher ? On ne peut pas s’offrir tous les luxes. Mais que faire pour promouvoir une véritable politique de la famille  ? Sur ce point, pas grand chose. Sans doute quelques allocations vite grignotées par la vie chère, alors qu’il faudrait de véritables raisons d’espérer en l’avenir.
Deuxième point traité, la puissance industrielle et agricole de la France qu’il faut à tout prix promouvoir. Mais quelle puissance  ? Celle qui vise à satisfaire des besoins raisonnables ou celle qui s’essouffle à rechercher des créneaux où l’on excelle encore pour quelque temps avant d’être détrôné par un concurrent dont la main-d’oeuvre est sous- payée ? A l’heure des grands transferts mondiaux où l’on assiste à une redistribution des productions orchestrée par les multinationales conçues pour ce projet, que reste-t-il à notre pays ? Les armements sans doute. Ce n’est guère rassurant.
Ancien Premier ministre, vous parlez ensuite d’« une grande politique de solidarité sociale ». Bien. Mais un peu plus loin vous évoquez les charges qui pèsent sur les entreprises et qui sont « !’expression d’une nécessaire solidarité sociale » pour dire : « il faut cesser de les augmenter pour lutter contre la concurrence extérieure ». Alors, où est le grand dessein ?
Quant à la cinquième semaine de congés payés, n’y comptez pas trop. Elle serait bienvenue « en période d’expansion économique ». Il n’en est donc pas question pour l’instant.
Dans le domaine de la monnaie, vous regrettez les occasions qu’on a laissé passer de lutter contre l’inflation et ses causes intérieures. Mais que fait donc M. Barre ? N’a-t-il pas constamment la main sur le robinet du crédit pour ralentir l’économie au prix d’un accroissement du chômage ? Que feriez-vous donc ? On tremble.
Le reste du discours est politique et franchement électoraliste. A la fin de l’interview on n’en sait guère plus qu’au début et le peu qu’on sait n’indique pas d’amorce d’une solution originale aux problèmes que nous traversons. Votre message économique, M. Debré, celui qui nous intéresse, pourrait peut-être se résumer à cette formule : Ayez de nombreux enfants et serrez-vous la ceinture d’une main en travaillant de l’autre ».

Merci, M. Debré.

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Les maîtres

par A. CHANTRAINE
décembre 1980

Les dirigeants du centre, de gauche et de droite sont de simples instruments dirigés par les puissances occultes de l’Argent. Ces puissances tiennent en mains toutes les richesses de la terre. Aidés par les ordinateurs. les grands financiers savent tout ce qui se passe sur tous les points du globe, en un temps record. Ils peuvent ainsi détruire ou instaurer des régimes suivant leurs désirs, niais toujours dans le seul but d’exploiter les hommes. Tous les hommes baissent l’échine devant les maîtres de l’argent. Rares sont ceux qui refusent de subir leurs pensées ataxiques, rares sont ceux qui travaillent à la démystification de l’Argent.
Evidemment ceux qui, se libèrent et disent la vérité ne sont pas bien vus. C’est extrêmement difficile de démystifier et réussir une percée dans la Jungle du mental humain. C’est une rude tâche que de vouloir éveiller des esprits étroits conditionnés, depuis des siècles, à rester esclaves.

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Au fil des jours

par J.-P. MON
décembre 1980

On peut lire dans la conclusion d’un récent rapport de l’O.C.D.E. qui vient de paraître sous le titre « Changement technique et politique économique » : « Les problèmes les plus difficiles ne viennent pas du potentiel scientifique et technologique en tant que tels, mais plutôt de la capacité de nos systèmes économiques à faire de ce potentiel un usage satisfaisant. Le succès des politiques d’adaptation dépendra largement de l’aptitude de nos sociétés à exploiter leur capital intellectuel et technologique afin de répondre aux défis sociaux et économiques qui nous attendent dans les vingt dernières années de ce siècle...
Le changement technique, pas plus que la croissance économique n’est une fin en soi : il doit trouver sa légitimité ultime et l’indispensable soutien politique dans sa correspondance très étroite avec les aspirations et les décisions des populations de nos pays. »
L’analyse est effectivement bien faite mais rien ne sera possible tant que l’on restera en économie de profit.

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A propos de progrès technologiques, les Américains envisagent de « réindustrialiser » les Etats-Unis sur le modèle japonais. Il est vrai que dans l’optique capitaliste l’exemple du Japon fait rêver : dans la revue « Energies » du 10 octobre dernier, on pouvait lire sous le titre « Perspectives Japonaises :
« Pour les huit premiers mois de 1980, le volume des exportations japonaises a progressé de 14% ».
Ce résultat est dû en majeure partie à un accroissement de la compétitivité du Japon sur les marchés extérieurs grâce notamment à des innovations technologiques.
Par exemple, un nouveau câble de transmission et un « robot père ». Ainsi la Compagnie Nippone des Téléphones a lancé le 5 septembre dernier un système de transmissions par fibres optique capable de fournir 25 fois plus d’informations que les câbles classiques ; il sera vendu dans maints pays.
Quant au « robot constructeur d’autres robots », c’est la firme Fujitsu qui a récemment présenté un prototype digne de la science fiction : le « robot père » fournit en pièces brutes et en éléments métalliques les machines automatiques où, selon des programmations par ordinateurs et avec des microprocesseurs, seront produits d’autres robots semblables...  ».

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Mme Brigitte Gros, sénateur des Yvelines, aurait dû mieux se documenter avant de rédiger son rapport pour le Président de la République, consacré à « L’avenir de l’automobile en France ». Mme Gros conclut en effet qu’il faut robotiser l’industrie automobile pour résister aux Japonais, autrement dit, qu’il faut remplacer l’homme par la machine. Jusque là nous applaudissons. Mais là où nous nous marrons c’est quand elle ajoute « Les hommes qui ne travailleront plus à la chaîne pour fabriquer des voitures seront, après un cycle de formation, employés à fabriquer des robots ». A mon avis, elle n’est pas au courant !

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Autre chose : « La France a-telle un déficit commercial  ? ». C’est la question que se posait L. Lammers dans la revue « Energies » du 24 octobre dernier. Constatant qu’entre les recettes des pays pétroliers du Golfe Persique et leurs dépenses il existe une différence de vingt milliards (pour la période 1974-1979 inclus), L. Lammers écrit :

« Cette différence ne peut évidemment provenir que des pays excédentaires puisque les pays en déficit ont obligatoirement une comptabilisation plus transparente des mouvements de fonds. Après enquête, il apparaît que la seule explication possible est celle des ventes d’armements, qui s’effectuent dans des conditions de secret et d’opacité de nature également à modifier le sens de bien des déclarations.
Pour ce qui concerne la France, il faut par exemple savoir que les statistiques du commerce extérieur des armes ne sont pas enregistrées dans leur totalité. Si l’on trouve, en effet, traces des petits matériels de guerre ou protection intérieure (pistolets, fusils, mitrailleuses légères, munitions, etc.), en revanche les matériels lourds et les matériels sophistiqués n’apparaissent jamais, ni en nombre ni en valeur, et les statistiques douanières ne les reprennent jamais. Ces matériels sont tellement gros qu’ils deviennent aveuglants...
Mais alors, dans ces conditions, que penser du déficit commercial de la France ? Et de celui des autres pays ? Car cette situation ne concerne pas que les pays du Golfe. Pour en rester dans leur secteur cependant, disons que la France entretient une très importante mission militaire en Arabie Saoudite, par exemple, là où nous avons quasiment le monopole du matériel blindé, l’aviation étant un domaine réservé à l’armement américain. La France n’est pas inactive non plus dans les autres pays. Donc, une bonne question est : quelle est la véritable position de la balance commerciale de la France avec les pays pétroliers, toutes ventes incluses ? Mais la réponse est difficile. sinon impossible. »

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La bonne conscience

par F. LÉVY
décembre 1980

SOUS ce titre, que « Le Monde » du 15 décembre 1970 a publié en « Libres Opinions », je déplorais que, depuis la fin de la guerre, les « antifascistes » de France et d’ailleurs n’aient pas hésité à conforter le régime franquiste par leurs vacances en Espagne (« parce que c’est moins cher que chez nous ») et leurs investissements dans les promotions immobilières, hôtelières, touristiques et bancaires (« parce que c’était rentable »). La conclusion était que, aveugles et pusillanimes pendant 25 ans, ces combattants de la liberté l’avaient trahie par leur comportement, puis soutain « découvraient l’Espagne », à BURGOS d’où un procès inique déclenchait enfin les passions et... la lumière. Les résistants espagnols m’apprirent plus tard que cet article avait été traduit et diffusé dans tout le pays. Les événements actuels démontrent bien le poids de l’extérieur sur l’économie espagnole.
Aujourd’hui, nous découvrons l’URSS, à KABOUL. Il a fallu l’Afghanistan, il a fallu SAKHAROV pour que s’organise la protestation, que s’affirme le refus, le refus des relations commerciales et culturelles, le refus des Jeux Olympiques. Il a fallu 25 ans, depuis la dernière guerre, pour qu’une partie du monde proteste clairement contre l’asservissement de peuples satellites, contre les procès, les goulags, les hôpitaux psychiatriques, les bannissements, les privations de situation et de travail, les interdictions de circuler dans le pays et d’en sortir, tout ce qui est contraire à toutes les Chartes et à tous les accords, de l’ONU à HELSINKI, aux élémentaires droits de l’homme dans tout pays civilisé, il a fallu 25 ans pour la manifestation du refus.
Non, la guerre n’est pas la solution, la guerre ne sera jamais plus une solution : le napalm apatride a grillé les Vietnamiens qui se voulaient communistes comme il carbonise les Afghans qui s’y refusent. Pour rien. La guerre ne résout que les problèmes commerciaux posés par le système marchant : il faut des débouchés pour pouvoir ventre, il faut consommer pour pouvoir produire. Or il y a peu d’années Charles LEVINSON (1) a écrit que les échanges entre les deux blocs avaient pris une telle ampleur qu’ils rendaient impensable, parce qu’inutile, la guerre : échanges commerciaux (des pays d’Amérique du Sud, transformés en boucheries anti-communistes, livrent leur blé à l’URSS), échanges de services, technologiques, scientifiques (quant les savants ne décident pas de rester chez eux) . A noter . lorsque deux adversaires possèdent : les moyens de détruire dix fois la planète, la preuve est faite que les fabrications d’armements ont d’autres buts que leur utilisation : à l’Ouest, le complexe militaro-industriel défend des intérêts très précis ; de l’autre côté « la course » se justifie par l’encerclement hostile, depuis la naissance des soviets, et la volonté de propagation universelle de l’idéologie.
Il paraît possible de prétendre qu’une idéologie est discutable lorsque ses résultats matériels, dans une partie du monte entièrement soumise à sa loi, n’ont en 60 ans pas mieux progressé. En face, depuis 1929, la libre entreprise - jointe aux jeux de la bourse et du hasard - n’a encore provoqué qu’une guerre mondiale, et beaucoup d’autres qui se succèdent, et deux crises économiques dont l’actuelle empire tous les jours  : de bons esprits pensent la résoudre par la guerre nucléaire.
Il paraît possible de proposer que les chefs des pays concernés - il s’agit des deux blocs qui se terrorisent, et du reste du monte qui pâtit de cette situation -, que les responsables de tous les Etats du monde se réunissent le plus tôt possible pour organiser la vie de la planète. Sur deux thèmes.
- Il est mal envisageable que 500 millions d’êtres humains meurent de faim dans les années 80 (2). L’argent prévu pour les armements sera reporté sur la production, le transport et la distribution gratuite des produits nécessaires à la survie des condamnés.
- La preuve étant ainsi faite que la vie (et le bonheur) des hommes n’est pas nécessairement liée à leur commerce et à leur profit pécuniaire, l’idéologie nouvelle, devenue commune aux blocs et au Tiers-Monte, se concrétisera dans les efforts de la production, de toutes les productions de paix, en vue de la satisfaction des besoins des hommes, de tous les hommes.
Le premier thème sera combattu par l’évocation du chômage (probablement 20 % des travailleurs) provoqué par l’arrêt des armements, et de la débâcle des « balances de paiements » des pays concernés. La riposte sera : pourquoi discourez-vous depuis 35 ans sur le désarmement puisque le chômage et votre système des échanges le rendent impossible ? La solution sera : les principes nouveaux et l’économie nouvelle qui permettront d’assurer l’existence des sinistrés de la faim assureront aussi l’existence des sinistrés qui, à l’Est comme à l’Ouest, risquent de ne plus manger parce qu’ils risquent de ne plus travailler.
Le second thème sera combattu par l’évocation de la concurrence, mère du progrès ; et du profit, moteur du travail. La riposte sera : la concurrence est devenue mortelle sur le plan national (faillites dues aux bas salaires « d’ailleurs ») et sur le plan international (le Marché Commun - ses vins, ses légumes, ses fruits, ses moutons -, la sidérurgie et l’automobile - leurs crises, leurs craintes d’avenir -) ; et le profit aggrave les inégalités entre les hommes. La solution sera : travailler pour produire, et non plus pour « gagner ». Produire pour consommer, et non plus pour « vendre ».
- Vous prétendez changer le monde en cinquante lignes ?
- Vous préférez le voir détruit en cinquante secondes ?
A vous de jouer.

(1) Dans « VODKA-COLA » (voir G.R. n° 756).
(2) « Le Monde » du 18 juillet 1980.

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Soit dit en passant

A la bonne vôtre

par G. LAFONT
décembre 1980

Je ne voudrais pas décourager N. Raymond Barre, surtout par ces temps de grogne et de rogne où il aurait plutôt besoin d’être réconforté, mais autant le prévenir tout de suite pour lui éviter une grosse désillusion : ce n’est pas demain, en dépit de tout le mal qu’il se donne, de tous les efforts qu’il nous demande si gentiment et de tous les plans qu’il nous concocte, qu’on va en sortir.
Sortir de quoi ?... De la... Oui. vous voyez ce que je veux dire. De l’auberge, si vous préférez. Parce qu’on s’y enfonce. Un peu plus chaque jour. Et les nouvelles que nous apprenons par les journaux ne sont pas faites pour remonter le moral, sinon celui des fabricants, négociants et trafiquants d’armes en tous genres. Parce que la noble industrie du casse-pipes, toujours à la pointe du progrès, en France comme ailleurs, même dans les pays où l’on crève de faim, se porte bien, merci. Mais cela ne suffit pas pour relancer les affaires plutôt languissantes en ce moment et pour donner du travail à nos 1 500 000 ex-chômeurs devenus demandeurs d’emploi.
Mais en cherchant bien on trouve quand même, et c’est heureux, des nouvelles rassurantes dans les journaux. Du moins à première vue. Celle que nous annonçait V.S.D. du 17 septembre est du nombre. Mais ne nous emballons pas. Pour nous changer un peu de l’Afghanistan, de l’Ouganda, de la Bolivie ou du Golfe Persique qui prend la relève, et autres pays en voie de développement qui font l’actualité quotidienne, des envoyés spéciaux de V.S.D. sont allés faire un petit tour du côté de Vilcabamba (Equateur) pour y chercher des hâvres de paix et de tranquillité.
Pas plus que moi, je suppose, vous n’êtes allés à Vilcabamba (Equateur). Il n’existe pas, à ma connaissance, le moindre village- vacances du Club Méditerranée installé dans ce bled. Mais ça va venir.
Apprenez que dans ce patelin hier encore ignoré du reste de la planète, perdu au fond d’une vallée où l’on n’arrive que par des chemins muletiers en partant de Guayaquil - vous me suivez  ? - vivent une trentaine d’hommes et de femmes âgés de plus de cent ans et dont le doyen, né en 1850 - c’est pas d’hier - toujours bon pied, bon oeil et le reste, vient de téter en famille au milieu de ses 34 petits enfants, son 130e anniversaire. Et peut-être même, pour couronner la cérémonie, faire un futur centenaire à son épouse. Qui dit mieux  ?
De nos jours les nouvelles vont vite, et la renommée de Vilcabamba a déjà franchi les frontières de l’Equateur pour se répandre dans le monde dit civilise. Des missions médicales, des savants et des chercheurs venus de tous les pays sont sur place où ils essayent de trouver l’explication de cette extraordinaire longévité pour en tirer un traitement ou la recette miracle.
Ça n’a pas traîné. On nous révèle déjà, et la chose n’est pas pour nous surprendre, qu’une société américaine vient de créer la «  Vilcabamba Corporation International " pour exploiter l’eau de la rivière qui coule dans cette vallée, riche, dit-on, en sels minéraux, qui sera vendue 1 dollar 50 la bouteille et distribuée en Europe !...
Alors, à la bonne vôtre ! Bientôt nous verrons trôner sur la table familiale ou sur le zinc du bistrot, à la place jusqu’ici réservée au Beaujolais, la bouteille de Vilcabamba. Il faudra s’y faire.
Cela n’ira pas sans provoquer des troubles graves. Nous verrons peut-être, une fois de plus, les viticulteurs en colère barrer les routes nationales, mais ce coup-ci ce sera pour lancer sur le service d’ordre des cocktails molotov confectionnés avec des bouteilles de Vilcabamba.
Nos malheurs ne s’arrêteront pas là. L’arrivée en masse des centenaires venant grossir le nombre des retraités videra rapidement les caisses de la Sécurité Sociale, mettant le pays - et avec lui la Société libérale avancée - au bord de la faillite.
Devant la gravité d’une crise pans précédent M.  Barre, ou son successeur, n’aura plus d’autre choix, faute de mieux, que d’appliquer une recette presque centenaire elle aussi, tombée on ne sait pourquoi en désuétude bien qu’elle ait fait ses preuves.
Cette recette en trois points la voici : 1° Procéder à l’arrachage des vignes qui seront remplacées sur tout le territoire par des cocotiers. 2° Faire grimper sur les coco. tiers tous les centenaires. 3° Secouer vigoureusement.
Puisque l’homme descend du singe, à ce qu’on dit, pourquoi n’y remonterait-il pas ?
Il est déjà sur la bonne voie.

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Égalité et fédéralisme

par D. LANDES
décembre 1980

DANS le dernier numéro de la « G.R. » j’ai été particulièrement intéressé par l’article de Roland Carpentier : « Le Fédéralisme en Economie Distributive  ». Comme l’auteur, je crois qu’il s’agit d’un complément nécessaire à la doctrine de Jacques Duboin.
Ses adeptes actuels donnent parfois l’impression de minimiser le fait que l’Economie Distributive constitue une révolution touchant tous les aspects de la vie sociale, toutes les relations interhumaines, qu’elle est en somme plus radicale que ne le fut la révolution léniniste.
Instaurer l’égalité économique revient non seulement à détruire le capitalisme, mais à faire disparaître toute forme d’inégalité dans tous les domaines et à tous les niveaux. La notion d’inégalité n’est pas seulement un incident de parcours dans l’histoire morale de notre race, mais un concept enraciné en nous et sur lequel furent construits tous les systèmes sociaux passés et présents. Tellement enraciné qu’on le retrouve dans la plupart des sociétés animales. L’égalité économique doit éclater et se prolonger dans l’égalité morale sinon elle connaîtra le sort des grands principes proclamés par la Révolution française ou la Révolution bolchevique. L’Economie Distributive ne postule pas simplement l’égalité, elle met les hommes dans une position où ils sont effectivement égaux. Ou bien ils acceptent le principe authentiquement et l’étendent progressivement à toutes leurs conceptions, et le système fonctionne, ou bien ils se contentent d’une acceptation de principe, superficielle et l’on débouche très vite sur Une course aux avantages les plus divers. Exactement comme cela s’est produit en URSS et ailleurs.
Le seul contrepoids possible à nos tendances égoïstes universelles réside en une totale liberté de choix. Je choisis une vie sociale dans laquelle autrui est considéré comme un complément indispensable et apprécié de ma propre existence. Notre interdépendance n’aliène en rien notre liberté puisque nous la recherchons comme gratifiante  ; nous sommes donc parfaitement égaux et nul ne songe à dominer autrui.
Un tel état d’esprit n’est pas du ressort d’un décret administratif, il s’acquiert au sein d’une communauté vivante, tissant entre ses membres des liens suffisamment personnalisés et non coercitifs. C’est la définition d’une commune autogérée, le contraire exact d’un Etat centralisateur et autoritaire.
Comme néanmoins la distribution implique l’existence d’organismes distributifs, tant pour le travail que pour les revenus, le fédéralisme décrit par R. Carpentier jouera ce rôle.
J’ai esquissé moi-même cette idée dans « La Société Amicaliste » après avoir longuement réfléchi à tous les aspects du problème (1). Je ne connaissais pas alors les théories de Jacques Duboin  ; lorsque j’en pris connaissance je compris qu’elles s’adaptaient fort bien à mes conclusions mais qu’il pouvait être utile de les compléter par une conception fédéraliste de la société future. Comment peut-on imaginer qu’un Etat auquel on remettrait le fantastique pouvoir de programmer, d’organiser la totalité des activités économiques et de distribuer la totalité des revenus, ne serait pas un Etat coercitif ? 63 ans après sa fondation, l’Etat soviétique donne-t-il des signes de dépérissement comme le voudrait la théorie marxiste ?
Il est d’ailleurs à remarquer que les Etats socialistes ou capitalistes, peu importe, ne rejettent pas systématiquement toute forme de fédéralisme. Il leur importe seulement de conserver le pouvoir effectif et les relations de subordination.
Par les progrès techniques nous sommes entrés dans une ère d’abondance potentielle qui change la totalité des rapports entre hommes, en supprimant la nécessité d’écraser le prochain pour survivre. Il nous reste à adopter les structures sociales nouvelles, découlant de cette « Grande Relève des Hommes par la Science ».

(1) Voir G.R. n° 773 et 774.

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Terre des hommes

par R. NOIR
décembre 1980

La terre est pour les hommes leur unique vaisseau
le constater devrait les rendre plus sages
afin que celui-ci ne fasse pas naufrage
mais éviteront-ils le dernier soubresaut ?

n’ont-ils pas jusqu’alors réglé leurs différends
dans des affrontements de plus en plus sanglants ?

peu enclins à rechercher ce qui les unissait
étant toujours prêts à s’entre déchirer
il est temps maintenant de changer les rapports
qui jusqu’à ce jour rendent vains les efforts
des hommes éclairés qui eurent pour desseins
de conduire les peuples vers un meilleur destin

essayons de changer les rapports de naguère
qui amenaient ceux-ci à se faire la guerre
désormais leurs besoins pouvant être assurés
le temps est venu pour eux de vivre en paix.

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Chronique de l’Elysée-Palace

Confidences recueillies par Jacques VEAU (ex Bonhomme) Français Moyen et rapportées par E.R. BORREDON.

France, ton économie se barre

par E.R. BORREDON
décembre 1980

Mais y a-t-il encore une Economie ?
Quand une nation comme la nôtre demande au commerce des armes d’assurer l’équilibre financier de nos échanges internationaux et trouve un élément de satisfaction dans le fait qu’elle concurrence dans ce domaine les plus grandes puissances de notre temps, que penser d’une économie tributaire de ce triste privilège  ?
Peut-on encore, en l’occurence, se présenter comme un défenseur des Droits de l’Homme quand on favorise la destruction industrielle de l’Etre Humain ? Car les armes sont fabriquées pour tuer. Que devient le droit fondamental à la vie ?
En une autre matière, celle de la production agricole intérieure, est-il admissible de voir détruites ou jetées à la décharge et souvent spectaculairement comme cet été en Bretagne, des récoltes de légumes et de fruits, soi-disant excédentaires, dont tant de personnes manquent dans le monde et même chez nous ?
Est-ce cela, l’Economie ?
Dans les manuels de mon éminent Premier ministre, ces péripéties sont pudiquement ignorées. Il est beaucoup plus facile de raisonner en équilibres financiers dans un système de rareté et de profits et de préconiser pour résoudre le problème des échanges nationaux et internationaux une véritable foire d’empoigne camouflée sous le vocable de « libre concurrence  ».
Que devient la notion de liberté dans ce contexte ?
Liberté de détruire l’entreprise du voisin compatriote ou étranger, et de priver d’emploi ses salariés ! Liberté de pousser les producteurs de biens de consommation courante de base à détruire les fruits de leur activité !
Non, vraiment, depuis bientôt sept années que cela dure, il n’y a pas de quoi pavoiser.
Et la libre entreprise, si prônée par mon coadjuteur, que peut-elle dans ces conditions ?
Si on la conçoit comme application de la libre concurrence dans une société libérale avancée, elle pourrait se traduire par : « n’importe qui, n’importe où, n’importe quand, n’importe quoi et n’importe comment » !
Voyons, ce n’est pas sérieux.
Et il est bien évident qu’il n’est pas possible d’encourager et d’aider de telles pratiques autrement que par de beaux discours. Car elles ne peuvent que conduire à une désorganisation croissante des processus de production personnalisés et cela, au seul profit des grosses entreprises robotiques qui, non seulement, éliminent la maind’oeuvre humaine traditionnelle, mais détruisent en outre le véritable esprit artisanal d’entreprise qui a été pendant longtemps la manifestation- la plus enviée de l’Economie de notre pays.
Où en est-on maintenant ?
Un exemple, parmi d’autres, va vous le montrer. Dans fin département du Sud-Ouest, une menuiserie fondée il y a une cinquantaine d’années par le père est reprise en charge en 1975 par le fils qui exerce seul son activité dans un atelier spacieux, créé par ses soins, avec l’aide des machines et outils les plus perfectionnés dans le travail du bois - mais ce matériel ne se substitue en rien à l’initiative clé l’artisan qui continue à concevoir les formes et à les exprimer plus facilement et plus rapidement grâce à lui.
En un mot, le recours à la technicité n’affecte en rien la créativité qui demeure l’essentiel dans l’élaboration de la production constituée ainsi exclusivement par des articles d’une qualité que l’on ne peut trouver dans les grandes exploitations vouées au machinisme intégral. Mais, alors que l’importance des investissements immobilier et technique permettrait normalement à une dizaine de compagnons de travailler à plein temps, les contraintes financières résultant de l’application des lois sociales, certes justifiées en elles-mêmes, mais, en l’espèce, inadaptées, s’opposent irrémédiablement à un développement de cette entreprise qui serait bénéfique à tous égards.
Et c’est ainsi que des moyennes et petites entreprises de toute nature végètent, périclitent et disparaissent par milliers tous les ans dans notre pays alors qu’elles en représentent les valeurs les plus soi nés.
C’est en cela que le système est faussé et qu’une autre politique s’imposait depuis le début de mon septennat si l’on avait voulu réellement sauve garder l’essentiel des possibilités de redressement.
Et, en ce domaine, je ne peux qu’exprimer un sincère et profond « mea culpa, mea maxima culpa ». Aussi, j’envisage très sérieusement en ce qui me concerne, et pour faciliter votre bon choix, de ne pas me représenter à vos suffrages le 26 avril 1981.

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Du rêve à la réalité

par R. CARPENTIER
décembre 1980

J’ai fait un rêve.., pour une fois j’ai cru à un tribun  ! Mais laissez-moi vous expliquer. Déçu par l’apathie générale des salariés qui subissent sans broncher l’injustice, la hiérarchie, les impôts, les inégalités, la vie chère.., et trompés par leurs représentants syndicaux, je me suis mis à rêver d’un homme, syndicaliste, hors du commun, surgi du temps de la Charte d’Amiens, qui oeuvrerait à la place de la base qui ne sait pas encore se déterminer elle-même.
Et ce syndicaliste déconseillait d’emblée aux salariés de continuer le mode de grève « traîne-savates » qui consiste à demander des augmentations de salaires - 10 F pour l’ouvrier, 1 000 F pour l’ingénieur - toujours dépassées par les prix. Et il nous dirigeait vers une action plus efficace et plus concrète de grève, et nous disait : Faisons une grève générale pour obtenir la suppression de l’impôt sur nos revenus pour commencer ; et ceci pour tous ceux qui sont salariés ou en retraite. Après, sur cette base d’action, nous ferons aussi une grève générale pour l’obtention de la gratuité dans tous les transports en commun trams, bus, métros, chemins de fer - payer la fatigue d’un voyage pour aller travailler, cela dépasse l’entendement ! Ainsi, après satisfaction de leurs revendications, les salariés reprenaient confiance en leur combativité et à nouveau, quelque temps après - mais pas trop tard pour ne pas permettre au patronat de relever la tête - leur «  leader » les appelait à faire une grève générale pour la gratuité dans la consommation de l’eau, du gaz, de la lumière et ainsi de suite au fur et à mesure des acquis, pour la gratuité du courrier postal et du téléphone, de la santé, (le l’instruction publique et de tout ce qui doit être obtenu dans les services publics - on ne paie pas un service public, on en use gratuitement ! -
Notre syndicaliste qui avait une audience incalculable auprès des salariés en leur montrant la voie à suivre, nous disant que cela est un commencement vers l’Economie Distributive et que nous pourrons ainsi continuer notre action avec toutes les autres sortes de consommateurs. De plus, ces grèves actives auront une efficacité certaine en concevant de les faire de façon productrice et distributive, dans toutes les professions où cela est applicable , il nous assurait encore que puisque les techniques très avancées de production nous relèvent de notre labeur - autrement dit nous envoient au chômage - que les salariés qui travaillent encore, mais en instance de chômage, déclenchent une grève générale pour obtenir la garantie de la totalité de leur salaire pour le jour où ils seront licenciés... Quelle exultation que ces coups de boutoirs contre la société capitaliste !
Mais un rêve ne dure pas et la réalité nous montre que ce n’est pas nos chefs syndicaux actuels, tous compromis dans la collaboration avec le patronat et le capitalisme, qui s’enhardiraient à défendre ainsi les salariés et les consommateurs  ! Ça ne fait rien quand même, la réalité est parfois dure à supporter !

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Il n’y a pas de sécurité (sociale) sans feu

(STYLE POMPIER)
par H. de JOYEUSE
décembre 1980

On ne saurait être plus délicat ! Savez-vous comment la Sécurité Sociale dénomme la Caisse qui s’occupe des retraités ?
- La CRAM vieillesse.
Pour qui est diplômé d’argot, il n’y a pas de mystère  ; comme en vieux français, « cram » c’est le feu éliminateur ! Voilà le programme, m’sieurs-dames : les vieux on les fait cramer. Merci. A une époque où le carburant est cher, on fait trop d’honneur aux vieux schnocques en les faisant servir jusqu’au bûcher inclus, en qualité de combustible. Que le son du corps est au stère au fond des Crams. Donne-lui tout de même l’adresse, dit le Révérend Père  : La Cram-vieillesse, 110, rue de Flandre, 75951 Paris Cédex 10.

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A propos de... techniques et capitalisme

par A. DUMAS
décembre 1980

Sciences et Avenir (n° 402, août 1980) nous informe de certaines innovations techniques dans le domaine de l’éclairage. La firme Philips commercialise une ampoule contenant un petit tube fluorescent, avec régulateur miniaturisé de tension et d’intensité. Cette ampoule de 18 watts donnerait la même lumière qu’une ampoule à filament de tungstène de 75 watts. D’où, dit la publicité, une dépense de quatre fois moins d’énergie. Toutefois, la nouvelle merveille coûte dix-neuf fois plus cher que l’ampoule traditionnelle, et pèse 530 grammes au lieu de 35 grammes. Mais elle dure 5 000 heures.
Face à cette innovation technique, la General Electric (qui vend la moitié des lampes à incandescence des États-Unis) va lancer en 1981 l’ « Electronic Halarc », ampoule combinant les vertus du filament de tangstène et celles de l’arc à vapeur d’halogénures. Elle aussi doit durer 5 000 heures et consommer trois fois moins d’énergie que les ampoules traditionnelles à incandescence. La General Electric espère bien devancer Philips dans le renouvellement des stocks.
Westinghouse n’est pas en reste et espère bien devancer General Electric avec son ampoule à tube fluorescent qui durera 7 500 heures.
Enfin, la G T E Sylvania annonce de son côté pour 1981 une « Miniarc », contrôlée électroniquement, qui fournira avec 40 watts la même lumière qu’une lampe à incandescence de 200 watts.

—« o »—

La télévison s’est fait l’écho de cette guerre des ampoules, en la situant dans le cadre de la compétition pour les économies d’énergie, en laissant le soin aux auditeurs d’apprécier l’intérêt que portaient les grandes compagnies industrielles à l’intérêt général.
Mais ni la revue ni la télévision n’ont fait allusion aux précédentes initiatives des grands trusts General Electric et Westinghouse se sont efforcés pendant plus de 10 ans d’empêcher ou de retarder l’introduction des lampes à fluorescence aux États- Unis (1). En 1939, General Electric demandait à tous ses vendeurs de cacher que les lampes à fluorescence économisaient des frais d’éclairage. E. Mandel cite le cas d’une ampoule électrique supérieure, inventée au début de 1930 et qui, selon les estimations, aurait économisé dix millions de dollars pour les consommateurs, mais n’a pas été mise sur le marché (2). Le même auteur reproduit la déclaration de M.O.D. Young, qui fut président de la General Electric : «  Les capitalistes sages évitent d’exploiter de nouvelles inventions et ne s’engagent que lorsque le public est prêt à une demande massive. » (3)
C’est bien ce qui se passe maintenant, les circonstances sont favorables pour ces messieurs.
Adret (4) rappelle que la firme qui a inventé les tubes fluorescents ne les a mis sur le marché qu’après avoir découvert le moyen d’en réduire le fonctionnement de 1 000 heures au lieu de 3 000.
Ainsi, après avoir gaspillé le travail humain et prostitué l’intelligence inventive au sabotage du progrès technique, les grands patrons de l’industrie électrique se présentent comme grands économiseurs d’énergie et bienfaiteurs de l’humanité.

(1) A.A. Bright Jr. The Electric Lamp Industry, cité par E. Mandel : Traité d’Economie Marxiste, Tome II, chap. XII.
(2) D’après Technological Trends, cité dans Lilley : Men, machines and History.
(3) D’après Rupert Maclauron, Invention and Innovation in the radio industry.
(4) Travailler deux heures par jour (Editions du Seuil, 1977).

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BLOC-NOTES

La guerre dans un monde fragile

(Warfare in a Fragile World) (1)
décembre 1980

Cette nouvelle étude du SIPRI examine dans quelle mesure les guerres et autres activités militaires contribuent à la dégradation de l’environnement. Ce livre ajoute aux arguments humanitaires des arguments écologiques pour conclure à la nécessité de renoncer aux armes de destruction massive et à l’utilisation des guerres pour régler les disputes entre nations.
La guerre dans un monde fragile est la troisième d’une série d’études publiées récemment par le SIPRI sur l’impact des guerres sur l’environnement. Les deux autres titres, Les conséquences écologiques de la seconde guerre d’Indochine (1976) et Les armes de destruction massive et l’environnement (1977) sont également disponibles en anglais aux adresses ci-dessus.
Le SIPRI est un organisme indépendant qui se consacre à l’étude des problèmes de paix et de guerre, en particulier les problèmes de désarmement et de règlements internationaux concernant les armements. L’Institut est financé par le Parlement suédois. Le personnel, les directeurs et le conseil scientifique appartiennent à diverses nationalités. Les publications de SIPRI sont utilisées de par le monde par de nombreuses organisations comme les Nations Unies et dans les négociations internationales ou nationales concernant les questions d’armement. Elles sont désormais considérées comme une source d’information incontestée.

(1) La guerre dans un monde fragile est publié (en anglais) par Taylor & Francis Ltd., Londres.
SIPRI Information Department, Sveavägen 166, S-113 46 Stockholm (Suède).

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