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   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
 
 
 
 
 
AED La Grande Relève Articles > N° 1034 - juillet 2003

 

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N° 1034 - juillet 2003

Quand ils sont venus…   (Afficher article seul)

Quelques simples lignes écrites à Dachau... à méditer par tous ceux qui ne se croient pas concernés.

Réformer ?   (Afficher article seul)

Jean-Pierre MON fait le point sur la vraie raison des réformes en cours.

Lettre aux Parlementaires haut-savoyards   (Afficher article seul)

Jacques HAMON s’adresse aux élus de son département.

A l’attention de M. Arnaud Montebourg   (Afficher article seul)

Paul VINCENT écrit à un député socialiste.

Étude de la monnaie : VI. les monnaies parallèles   (Afficher article seul)

1 - Bons d’achat et monnaies affectées.
2 - Monnaies locales
2.1 - L’après "Grande Crise".

Régression   (Afficher article seul)

Gérard-Henri BRISSE, tirant la leçon d’une arnaque dont il a été témoin, montre que le système économique fonctionne sur des bases erronnées.

À La Poste   (Afficher article seul)

Paul VINCENT écrit au directeur du courrier de La Poste.

Pourquoi la Droite néolibérale gagne-t-elle ?   (Afficher article seul)

Willy SOUDAN répond : parce qu’elle mise sur les plus mauvais côtés des êtres humains.

Retraites : débat entre deux non fonctionnaires   (Afficher article seul)

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À méditer…

… par tous les individualistes qui ne bougent que s’ils se sentent directement concernés, ce poème, écrit à Dachau…

Quand ils sont venus…

juillet 2003
Quand ils sont venus
chercher les communistes
je n’ai rien dit
je n’étais pas communiste.

Quand ils sont venus
chercher les syndicalistes
je n’ai rien dit
je n’étais pas syndicaliste.

Quand ils sont venus
chercher les juifs
je n’ai rien dit
je n’étais pas juif.

Quand ils sont venus
chercher les catholiques
je n’ai rien dit
je n’étais pas catholique.

Puis ils sont venus me chercher
et il ne restait plus personne
pour protester.

… et attribué au Pasteur Martin Niemoller

^


Éditorial

Réformer ?

par J.-P. MON
juillet 2003

Dans son édition 2003, le rapport de conjoncture économique et sociale du Medef, Cartes sur table, annonce la couleur : « Sans réformes, la France décline ; sans réformes les entreprises perdent du terrain ». Mais, contrairement à ce que l’on pourrait attendre d’une organisation patronale, ce n’est pas de réforme des entreprises qu’il s’agit, mais de réforme de l’État. Ce qui n’empêche pas le Medef de proclamer haut et fort qu’il ne fait pas de politique ! Cela me rappelle une citation qui courait aux temps préhistoriques où le capitalisme n’avait pas, comme l’affirme Michel Rocard [1], encore gagné : « l’ouvrier qui fait grève pour demander une augmentation de salaire fait de la politique, le patron qui la lui refuse n’en fait pas ! ».

Que pense-t-on dans l’entourage du baron-président du Medef de l’agitation sociale provoquée par le réforme des retraites ? D’abord, on met la pédale douce : « Nous nous attendions à une certaine crispation. Nous n’en rajouterons pas. Nous souhaitons voir adopté le plan Fillon et sommes conscients de la complexité de la tâche du gouvernement », mais on attend de « la fermeté » des pouvoirs publics, tout en avouant : « Nous savons qu’une partie de l’opinion voit dans le plan Fillon un projet du Medef. Nous n’avons aucun intérêt à intervenir sur la scène publique à un moment où le gouvernement, tout en se débattant dans une situation difficile, a commencé à nous envoyer des signaux positifs, en particulier sur la maîtrise de la dépense publique » [2]. Mais, moins faux-cul, la branche la plus dure du Medef, l’UIMM [3], s’inquiète pour le gouvernement : « Pourvu qu’ils tiennent ! C’est en peu de mots ce que la société civile a envie de dire à ceux qui nous gouvernent. Cette société civile qui imagine, invente, produit et fabrique une richesse qui profite à tous, et nous fait vivre tous. Cette société civile qui regarde, ahurie, notre République assiégée de l’intérieur par ses propres serviteurs, rétifs à la moindre réforme » [4].

Un plan concerté


à gauche, François Fillon, à droite, Ernest Antoine Seillière.
Ne croyez cependant pas que le Medef et le gouvernement Raffarin-Chirac fassent preuve d’originalité dans leurs propositions. Ils se bornent tout simplement à mettre en œuvre les conseils de la Banque mondiale. En effet, dans une “boîte à outils”, diffusée [5] par le Département de Communication de la Banque Mondiale et destinée aux décideurs politiques et économiques voulant préparer la privatisation de leurs services publics en contournant les résistances, on pouvait lire : « La privatisation et la réforme du secteur public sont au cœur des normes sociales autour desquelles la société est organisée. Elles affectent les relations entre institutions gouvernementales et citoyens, exigeant de la part de tous un changement radical d’opinions et de perception sur la nature des biens publics et sur l’équilibre entre responsabilité gouvernementale et opportunités pour le secteur privé. Elles exigent une évolution concernant les droits et obligations de l’ensemble des acteurs et appellent à une mobilisation nationale pour que tous ensemble ils fassent avancer les réformes […]. Un grand nombre de programmes de privatisations font face à l’hostilité des partis de l’opposition, des syndicats et du public dans son ensemble quand les gouvernements ne prennent pas les mesures nécessaires pour assurer le soutien social et politique indispensable à leur succès […] Les programmes de communication publique ne doivent pas seulement servir à constituer des soutiens aux privatisations mais aussi à promouvoir des changements dans les comportements sociaux et politiques sur le long terme. Ces programmes sont basés sur des stratégies mettant en jeu un processus incluant une analyse socio-politique des groupes visés, des messages clés pré-testés et l’emploi des canaux de communication les plus appropriés. Il implique l’analyse des segments affectés par la privatisation du secteur et des mesures à mettre en place pour obtenir leur soutien. Il doit utiliser tous les canaux de communication formels et informels du pays pour informer et consolider le consensus, porter la vision du projet et donner confiance dans le processus de réforme ». Il s’agit d’un véritable outil de propagande destiné à persuader les populations que les privatisations se font dans leur intérêt. Et on constate sans peine que la campagne publicitaire de Raffarin pour la réforme des retraites est tout à fait conforme à ces recommandations. Gageons qu’il en sera de même pour celles destinées à nous convaincre de la nécessité de réformer l’assurance maladie et de privatiser EDF, GDF, Air France, etc. Rappelons aussi que l’idée saugrenue de faire travailler les gens plus longtemps, proposée par la très libérale Commission européenne, a été acceptée à la fois par Jospin et Chirac lors du sommet européen de Barcelone en mars 2002.

L’entreprise, un paradis ?

Regardons donc d’un peu plus près « cette société civile qui imagine, invente, produit et fabrique une richesse qui profite à tous, et nous fait vivre tous », comme dit l’UIMM.

Eh bien justement, Capital, un mensuel qui ne passe pas pour particulièrement révolutionnaire, vient de consacrer 25 pages de son numéro de juin aux « menteurs de l’économie : patrons tricheurs, vendeurs baratineurs, charlatans de la Bourse, hommes politiques… » Il faut dire que, depuis l’éclatement de la bulle boursière, la série de scandales qui a frappé Wall Street (comptes maquillés d’Enron, Andersen, WorldCom, Global Crossing, Tyco, Qwest, Lucent, Xerox, etc.) et, en France, les déficits abyssaux de France Télécom et de Vivendi (pour ne citer que les plus importants) ou les dépôts de bilan (Air Lib, etc.), les faillites frauduleuses (Metaleurop, etc.) rendent de moins en moins crédibles les boniments du Medef sur les vertus de l’entreprise ou de la société civile. Bien au contraire, car, même pris en flagrant délit de fraude ou de mensonge, les dirigeants d’entreprise ne paraissent éprouver aucun remord : « Au fond, ce n’est pas étonnant. Le mensonge est une arme comme une autre dans l’univers du business » [6], « la désinformation est devenue l’une des armes économiques les plus tranchantes de notre début de siècle » [7] et « les mensonges sont devenus plus calculés, plus systématiques et plus professionnels » [8]. Si encore ces mensonges profitaient en partie aux salariés grâce à une répartition équitable des profits de l’entreprise, ou si au moins, on se sentait bien dans l’entreprise, mais non, il n’en est rien : « Paradoxalement aujourd’hui, alors que le salarié est, en apparence, mieux protégé par les lois, les nouvelles formes d’organisation basées sur l’individualisation des tâches et l’évaluation personnelle des performances le rendent plus vulnérable » [9] car « la modernisation des entreprises a conduit à des situations de travail où les salariés sont responsabilisés, c’est-à-dire responsables de la qualité et de la conformité aux exigences de ce qu’ils produisent dans des conditions sur lesquelles ils n’ont pas d’influence réelle. […] On assiste aujourd’hui à une sous-traitance aux salariés eux-mêmes des tensions organisationnelles, des problèmes non résolus tels que conciliation entre objectifs qualitatifs et quantitatifs » [10]. Mais le problème n’est pas typiquement français… Les études réalisées par la Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail mettent en évidence une recrudescence des accidents professionnels, une intensification des tâches et une dégradation des conditions de travail : 33% des salariés européens se plaignent de douleurs dorsales, 28% de stress, 23% d’épuisement. À cela, il faut ajouter l’augmentation de la flexibilité au travail : au sein de l’Union européenne 82% des emplois sont à durée déterminée et l’on sait maintenant de façon indiscutable combien est fort le lien entre précarité et conditions de travail dégradées. Rien d’étonnant alors que « certaines personnes sombrent, que d’autres ne trouvent leur salut que dans le retournement de la violence contre l’entreprise ou contre leur collègues. En réaction, on assiste aussi à des attitudes de défection, de grève du zèle. Mais la plupart des entreprises baissent un voile pudique sur ces manifestations de malaise »9. Nous voici bien loin des vertus du management moderne dont les idéologues de l’entreprise nous rebattent les oreilles depuis des années !

Pour faire bon poids ajoutez la brutalité des plans sociaux et des dépôts de bilan, les fermetures ou les déménagements d’usine à la sauvette, les restructurations express … Rappelez-vous, en 1993, ces départs “minute” où les licenciés défilaient un à un dans le bureau du chef du personnel qui leur demandait de quitter l’usine immédiatement en leur fournissant des sacs-poubelle pour les aider à emporter leurs affaires ; ou encore, ce témoignage [11], plus récent, d’une salariée de Palace Parfums : « Juste avant les congés de Noël, on a pris notre verre, on a trinqué, le patron nous a souhaité une bonne année, en nous disant : à bientôt, à la rentrée ». Deux semaines plus tard, le 6 janvier 2003, les salariés retournent dans une entreprise vide. En secret « tout avait été déménagé, y compris nos affaires personnelles, jusqu’à nos brosses à cheveux… »

Bien sûr, il n’y a pas que des « patrons voyous », comme dit Chirac, mais je crains cependant que beaucoup d’entre eux ne constituent la clientèle fidèle [12] de l’UMP (Union pour le Massacre du Progrès) qui souhaite “moderniser” la France sur le modèle de l’entreprise, chère au Baron Seillière, dont la holding, à part la gestion de la fortune de la famille de Wendel et la faillite d’Air Liberté, n’a pas l’air de produire beaucoup de richesses pour le pays.

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[1] dans Le Monde du 19 juin

[2] Propos de E.A. Seillière, président du Medef, le 22 mai (rapportés dans Le Monde du 5 juin).

[3] Union des industries et métiers de la métallurgie.

[4] Actualités, lettre de l’UIMM, 21/05/2003.

[5] Actualités, lettre de l’UIMM, 21/05/2003.

[6] Capital, n° 141, juin 2003.

[7] Christian Harbulot, directeur de l’École de guerre économique de Paris.

[8] Alain Etchegoyen, Commissaire au Plan.

[9] Catherine Rollot, Le Monde économie, 11/02/2003.

[10] Danielle Linhart, directeur de recherche au CNRS, responsable du laboratoire Travail et mobilité de l’université ParisX-Nanterre.

[11] Mots croisés, France 2, 03/02/2003.

[12] Voir Le Monde du 16/01/2002.

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Lettres ouvertes

Nous avons déjà traité le problème des retraites, et même beaucoup. Mais la façon dont le gouvernement a entrepris ses réformes a suscité tellement de réactions que nous y revenons pour publier deux “lettres ouvertes” à des parlementaires. La première s’adresse aux élus d’un département, la seconde à un député qui a réagi de façon quelque peu originale.

Lettre aux Parlementaires haut-savoyards

par J. HAMON
juillet 2003

Le 30 mai 2003, Messieurs,

La France doit résoudre rapidement quelques problèmes pour assurer l’avenir de ses résidents.

- Le plus important d’entre eux est la nécessité de réduire nos émissions de gaz à effet de serre à moins de 5% de leur présent niveau, avec abandon des énergies fossiles conventionnelles, et remplacement de la route par le rail, au sens large de ce terme ; rien n’est fait, et fort peu envisagé.

- L’impact social du vieillissement de la population vient ensuite, exigeant une révision complète de la politique de l’habitat et de celle des transports pour les rendre compatibles avec les personnes à mobilité réduite, et un vaste programme d’aides à domicile, de résidences décentes pour les GIC isolés, une reconsidération du rôle et de la rémunération des médecins de famille s’impose ; rien n’est fait, et fort peu envisagé, ou bien dans la mauvaise direction.

- L’inadéquation des établissements d’enseignement aux besoins prévisibles du pays est notable, l’ambition politique n’ayant pas les moyens de sa mise en œuvre ; les lycées professionnels refusent près de 80% des candidats issus de la 3ème générale ; les formations hospitalières sont en sous-effectifs dans presque tous les domaines ; le réseau de soins de proximité se réduit comme une peau de chagrin ; trouver du personnel infirmier pour des soins à domicile relève du miracle.

Résoudre les problèmes précités devrait créer des millions d’emplois, faisant disparaître le chômage. Dans ce contexte, le problème des retraites n’est nullement prioritaire.

Le projet sur la réforme des retraites que vous allez examiner, n’a ni base économique, ni base démographique, ni base sociale. La croissance nette (hors inflation) du PIB national est plus rapide que la croissance démographique. La France dispose ainsi chaque année de plus en plus de ressources nettes par résident. Qu’en fait elle ? C’est la question que vous devrez poser.

L’âge moyen de mise à la retraite, légal pour les fonctionnaires, de facto par suite de plans sociaux dans le secteur privé, est pratiquement le même, 57,5 années dans le public, 57,6 années dans le privé. L’amélioration du rendement de chaque travailleur, acquis dans le privé qui dégraisse en conséquence, et décidé dans le public, ne devant plus remplacer que la moitié des fonctionnaires partant à la retraite, va diminuer considérablement le nombre de cotisants aux caisses de retraite, et augmenter le nombre déjà notable des résidents à la recherche d’un emploi. Dans cette optique, il ne suffit pas d’accroître la durée des années de cotisations et leur montant, il faut supprimer le principe même d’un droit à la retraite. Le proposerez-vous ?

Si rien ne changeait, les fonctionnaires retraités n’auraient guère que 27,5 années à vivre, et les retraités du privé 25 années, tous nos présents retraités étant morts vers 2030. Où est le problème tant craint de 2040 ? L’espérance de vie s’accroît mais, pour un retraité, ce qui compte c’est l’espérance de vie en bonne santé, qui ne croît guère. Dans un cas que je connais bien, après des études universitaires variées, l’un des miens ne pourra faire valoir ses droits à la retraite qu’après 70 ans ; est-ce sérieux ? Souhaitez-vous une population de retraités grabataires ou, en réformant toujours à la baisse la Sécurité Sociale, organiserez-vous leur mort prématurée ?

L’économie nationale dépend pour une large part de la consommation des ménages devant gagner moins (accroissement des cotisations retraite, baisse des retraites) et s’efforcer de mettre quelques sous de côté pour parer au pire. Moins de consommation, moins de croissance. Est-ce votre objectif ?

Je viens de lire les propositions de modification des conditions de retraite des parlementaires français. Un petit effort supplémentaire ne serait-il pas nécessaire, pour vous conformer aux règles habituelles, sans années doubles, et sans cumul ?

L’école a failli. Nos résidents savent lire et écrire, pas toujours bien (pollués par une télévision dont le français laisse à désirer), et parfois fort mal. Malheureusement, presque tous savent compter, ce qui les amène à manifester contre le présent projet de réforme des retraites. Luc Ferry devrait ajuster les programmes scolaires pour que les futures générations ne sachent plus compter.

J’exagère à peine. Je ne doute ni de votre honnêteté, ni de votre dévouement à la République, mais seulement de votre capacité d’accès et d’exploitation d’analyses socio-économiques indépendantes.

Je lirai avec intérêt les comptes-rendus de vos interventions lors des débats parlementaires sur les retraites.

Bien cordialement, et bon courage.

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A l’attention de M. Arnaud Montebourg

par P. VINCENT
juillet 2003

Le 15 juin 2003 ,

Cher Monsieur,

Je m’adresse a vous parce que vous êtes un des rares politiques dits “de gauche” qui ne soit pas totalement démoralisant. Vous venez même d’écrire dans Le Monde certaines choses intéressantes, mais vous semblez vous aussi vous laisser contaminer par l’argument “de bon sens” suivant lequel, en compensation de ce qu’on vit plus vieux, il faudrait nécessairement accepter des sacrifices, comme de travailler plus longtemps. Cela me laisse aussi pantois qu’une certaine campagne de sécurité auprès des motards : “Deux roues, deux fois plus de raisons d’être prudent”, hélas trop tardive pour faire rigoler Coluche ou lui éviter son accident mortel. Ce sont des génies de la même espèce qui concoctent les campagnes publicitaires et les argumentaires politiques des gens “de bon sens”.

Je ferai au départ un constat encore plus démoralisant que celui de la droite au sujet des retraites, c’est que s’il y a un retraité pour deux actifs, d’abord beaucoup de ces actifs ne sont pas des productifs, et que d’autre part les retraités représentent seulement le tiers des inactifs. Mais le problème est de savoir si l’on manque de travailleurs ou si l’on manque de travail. Comme de retarder les départs en retraite risque d’avoir pour effet de freiner l’embauche des jeunes et d’accroître le chômage, je ne suis pas sûr de l’intérêt d’une telle opération. Ancien cadre ingénieur ayant résisté aux licenciements jusqu’à l’âge de 67 ans, je ne suis pourtant pas vis à-vis de la retraite un fanatique sectaire.

Il y a un autre sujet sur lequel Raffarin nous a bien roulés dans la farine, c’est celui des nouveaux tarifs postaux. Il ne nous a annoncé que la hausse de l’affranchissement à 46 centimes, arrondi à 50, une hausse relativement minime (9%) à laquelle vous avez acquiescé, œ que je ne vous reproche pas. Mais il est dommage que vous n’ayez pas remarqué et critiqué le fait que les autres affranchissements avaient subi des hausses allant jusqu’à 44%.

Certes vous n’avez pas laissé Jean-Pierre Raffarin vous donner des leçons de patriotisme, mais vous ne lui avez pas non plus fait remarquer qu’il pourrait en donner à ses amis du Medef, tel le baron Seillière, homme de paille de la Swissair dans une opération montée contre Air France, ou ces autres patrons qui délocalisent leurs fabrications dans des pays esclavagistes et leurs sièges sociaux dans des paradis fiscaux. Il faudrait un jour proclamer que le corollaire au libéralisme sauvage, c’est que si l’on n’a que sa peau à sauver, on a tout autant le droit de la délocaliser dans un pays neutre et de refuser de se battre pour ces gens-là. Je récuse le devoir de patriotisme dans un système qui prône par ailleurs le “chacun pour soi”.

Allons “la gauche”, encore un petit effort !

Recevez, cher Monsieur, mes meilleures salutations.

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Dossier (Étude de la monnaie VIIIe)

Étude de la monnaie : VI. les monnaies parallèles

par M.-L. DUBOIN
juillet 2003

Par définition, tout moyen de paiement est une monnaie. Mais la seule monnaie légale d’un pays est celle dont le cours est forcé par la loi et que tout le monde doit donc accepter en paiement. Toute autre monnaie utilisée est une monnaie parallèle, quelle que soit la raison pour laquelle elle a été créée, quels que soient les modalités de sa création et de distribution, son unité de compte, l’extension de son usage, limitée par son créateur, et quelles que soient ses méthodes de contrôle.

1. LES BONS D’ACHAT ET LES MONNAIES “AFFECTÉES”

La plus répandue des monnaies parallèles, et de très loin, est constituée par les bons d’achat.

Ces monnaies affectées à un usage précis, et restreint, peuvent être créées sous forme de bons destinées par un gouvernement à une catégorie de population. Ce mode de distribution sélective introduit donc une discrimination entre les membres de la société et fait apparaître qu’elle est “à plusieurs vitesses”.

Ces bons peuvent être remis aux pauvres, c’est le cas des "Food stamps" aux États-Unis. Cette distribution, destinée à leur apporter un secours alimentaire, impose donc aux pauvres une démarche humiliante : ils doivent faire une demande d’aide et la justifier en faisant état de leur trop modestes revenus (ou d’absence de revenus) ; elle peut même être pernicieuse, par exemple Milton Friedman eut l’idée de distribuer des bons d’enseignement grâce auxquels l’État assure aux enfants des familles pauvres l’accès aux écoles les moins chéres, donc un enseignement au rabais, et la sélection se fait sur les droits d’inscription, seules les familles riches pouvant payer les meilleures écoles. De tels bons permettent de privatiser l’école tout en proclamant que tous les enfants y ont accès.

Au contraire, des bons d’achat peuvent être distribués, en cas de pénurie, à des privilégiés pour leur réserver l’accès à certains produits devenus rares. Par exemple, des bons d’essence ont été émis en Italie, à l’intention des étrangers, à un prix plus bas que le prix à la pompe, quand celui-ci était particulièrement élevé. Il s’agissait alors d’attirer des touristes aisés.

Des sociétés spécialisées peuvent fabriquer et vendre un autre type de monnaies affectées, c’est le cas par exemple des tickets-restaurant. Ces sociétés en font l’avance aux employeurs qui versent une partie des salaires sous cette forme. Les employés qui les reçoivent ne peuvent donc pas dépenser leur salaire en se privant de nourriture. L’avantage pour les employeurs est double : d’une part, ils bénéficient de réductions fiscales et sociales quand ils les utilisent, et d’autre part, leurs employés ne peuvent pas se plaindre que leur salaire ne leur suffit pas pour se nourrir. Ces bons sont utilisés par 5 millions de salariés en France.

Internet permet maintenant l’utilisation de systémes de points qui sont, de fait, des monnaies propres à certains sites dont les revenus proviennent d’une part des ressources publicitaires et d’autre part de la vente d’informations concernant les clients.

Mais les plus répandus des bons d’achat sont ceux que distribuent les commerçants à des clients qu’ils veulent attirer ou “fidèliser”. Pour “capter” le client (ou le duper ?), leur imagination leur fait inventer toutes formes de bons d’achat : chéques-cadeaux, tirages au sort, cartes de fidélité, avantages promis après plusieurs achats, etc. Presque toutes les enseignes de la grande distribution proposent des cartes de fidélité gratuites et tous les achats (ou seulement certains achats) donnent droit à des points qui s’ajoutent sur ces cartes et ouvrent ultérieurement un droit soit à des réductions, soit à des cadeaux, selon des barèmes qui varient avec la chaîne commerciale.

Dans tous les cas il s’agit d’orienter la clientèle vers certains produits ou de la fidèliser à certaines marques ; il s’agit souvent de la pousser à l’achat, par exemple si les points acquis cessent d’être validés après un délai, fixé évidemment par la chaîne. Il arrive aussi que le cadeau promis ne soit pas “disponible”…

Comme exemple de bons d’achat, examinons brièvement le cas des “miles” aériens, si répandus depuis peu qu’ils sont qualifiés de “nouvelle monnaie mondiale”.

Créés en 1981 par la compagnie American Airlines, ces points sont portés sur des cartes personnelles de fidélité, offertes par des compagnies aériennes à leurs clients, et leur permettent d’obtenir des billets gratuits, proportionnellement aux distances parcourues sur leurs lignes. Par exemple, un vol Paris-New-York en classe économique rapporte 7.280 miles (la distance parcourue exprimée en miles nautiques) et pour gagner ce même vol il faut avoir acquis sur sa carte 50.000 miles.

Les compagnies aériennes ayant complètement intégré cet usage dans leur politique commerciale, elles vendent ces “miles” à leurs partenaires au sol (chaînes d’hôtel, loueurs de voitures, opérateurs téléphoniques, etc.) qui en distribuent, eux aussi, à leurs clients. Ceci permet d’évaluer le prix du stock actuel à quelques 765 milliards de dollars, soit plus que le montant total des pièces et des billets d’euros actuellement en circulation ! Autrement dit, ces miles constituent la deuxième monnaie mondiale en usage, après le dollar !

On a calculé que si ce stock de monnaie continue à croître au même rythme, soit 20% par an depuis 1995, il dépassera le stock de billets verts (dollars américains) d’ici deux ans.

Notons une particularité de cette monnaie mondiale : elle ne circule pas. Quand elle a servi une fois, elle est annulée. Elle est tellement passée dans les mœurs aux États-Unis que des associations de consommateurs réclament le versement d’intérêt sur leurs miles, que le fisc songe à imposer ce complément de salaire dont bénéficient les salariés qui voyagent pour leurs entreprises (et qui sont souvent les mieux payés) et que dans certains procès en divorce les époux se partagent le compte de miles familial. Il y a même maintenant un marché noir de miles. Mais comme toute monnaie dont l’émission n’est pas confrontée avec une valeur physique, elle constitue une sorte de bombe à retardement : les compagnies ont beau faire des provisions sur les miles qu’elles émettent, pour anticiper ce que ces miles leur coûteront en billets gratuits, on a beau prévoir que la majorité des titulaires de bons n’en ont pas accumulé assez pour avoir droit à des billets gratuits, il n’empêche que le stock mondial de miles détenus sous cette forme par 89 millions de clients des compagnies aériennes était évalué en 2001 par The Economist à 8.500 milliards. On peut calculer qu’il faudrait 23 ans pour vider toutes les cartes… et à condition de cesser d’en émettre !

L’usage des bons d’achat commerciaux, sous une forme ou sous une autre, a pour effet de fausser le marché, et ce, au moins de trois façons :

La première est que cette pratique neutralise la concurrence. Par exemple, un programme de miles aériens peut conférer à une compagnie une position dominante.

La seconde est que cet usage brouille l’information sur les prix finalement payés : quel est le prix d’une minute de téléphone avec un portable qui fonctionne avec une carte dont l’émetteur fait tel tarif dans certaines conditions et tel autre tarif dans d’autres ? Quel est le prix d’un vol payé par une société à tel de ses salariés qui va profiter de sa carte pour se payer un surclassement en classe affaires ? Plus grave : qui bénéficie des billets gratuits acquis grâce aux miles gagnés sur des billets professionnels payés par l’employeur ? Une telle question va encore plus loin quand l’employeur est l’État et le voyageur un élu : deux députés allemands ont été poussés à la démission pour avoir utilisé ces miles gratuits pour des déplacements en famille.

Enfin l’usage de ces bons a un impact immatériel, voire moral : la clientéle devient une part du capital (immatériel) des entreprises, et ces dernières calculent la valeur actuelle nette (VAN) d’un client par les profits qu’elles anticipent des achats qu’il fera s’il est ainsi fidélisé. Par exemple, on apprend en “mercatique” que « augmenter de 5% le taux de fidélisation d’un client augmente sa VAN de 35 à 95 % »…

2. LES MONNAIES LOCALES

Quand l’économie d’un pays est défaillante, la monnaie, que les économistes présentent comme un moyen d’échange, est perçue par ses habitants comme un frein à l’échange. Ce qui les amène à chercher comment "s’en tirer”. Alors ils réagissent au plan local, faute de pouvoir le faire à plus grande échelle. Dans pratiquement tous les cas, leur première initiative consiste à se passer de monnaie légale en créant une monnaie qui leur est propre et qui n’a pas d’autre objectif que de leur permettre de vivre mieux, voire de survivre.

C’est donc en périodes de difficultés économiques que naissent des expériences de monnaies locales.

Un premier exemple est celui de la grande crise qui débuta par la chute de la Bourse de New York en 1929 et se prolongea jusqu’à la Seconde guerre mondiale par la Grande dépression. Elle fut qualifiée de crise de surproduction ce qui, pour les économistes ne signifie pas que tout le monde était pourvu de l’essentiel, mais que de grandes quantités de produits ne trouvaient pas d’acheteurs solvables, parce que les millions de chômeurs et leurs familles, qui en avaient grand besoin, n’avaient pas d’argent. C’était la première manifestation de ce que J.Duboin dénonça comme“la misère dans l’abondance”.

1. L’après “grande crise”

La monnaie fondante

Pour accélérer la consommation, Silvio Gesell imagina une monnaie fondante, c’est-à-dire des billets dont le pouvoir d’achat, s’il n’était pas dépensé au bout d’un certain temps, était systématiquement dévalué au rythme de 0,5% par mois, soit 6% l’an. Des expériences ont été entreprises, dont la première à Wörgel, un village montagnard d’Autriche, et la seconde en France, à Lignères-en-Berry, après la guerre. Toutes les deux se sont traduites par une remarquable relance de l’économie par la consommation et toutes deux ont reçu l’ordre de stopper sous prétexte que cette monnaie fondante… était illégale !

Il n’est pas étonnant qu’après les Trente Glorieuses, la recrudescence du chômage dans les pays industrialisés ait suscité la réapparition de mouvements adeptes d’une monnaie fondante pour relancer l’économie. Un système fonctionnant avec une telle monnaie a été expérimenté, par exemple, à Saint Quentin en Yvelines à partir du 1er janvier 1997.

Le cercle WIR

Pour les fondateurs, en octobre 1934, du cercle économique Wirtshaft Ring Gesellschaft (WIR), cette même Grande dépression était due à un manque d’approvisionnement en monnaie légale et leur objectif était d’éviter aux petites et moyennes entreprises d’en subir les conséquences.

Il s’agit donc d’un systèmes d’échange de marchandises entre entreprises, organisé dans un but lucratif par une sorte de chambre de compensation qui prélève une taxe sur chaque échange et se fait aussi payer ses services tels que des informations, des facilités de crédit et même des activités de lobbying auprès des gouvernements afin de défendre les intérêts des entreprises adhérentes. La monnaie de ce cercle de soutien mutuel ne peut être échangée qu’entre les entreprises qui en sont membres.

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Réflexion

Régression

par G.-H. BRISSÉ
juillet 2003

Je vous conterai l’épisode peu banal que vécut récemment ce brave homme retraité qu’est Honoré Dupond. Agé de 72 ans, il doit faire face à une gêne financière momentanée, consécutive à une grosse dépense imprévue. Il répond à une proposition de prêt personnel présentée par une grande maison de vente par correspondance. Les intérêts sont certes un peu élevés, mais au regard de la modicité de la somme proposée, et des formalités réduites, voilà qui suffira bien pour le tirer d’affaire.

Premier acte : en retour du remplissage d’un formulaire sommaire, notre emprunteur reçoit un virement inscrit sur son compte. Il devrait être suivi d’un échéancier de remboursement. En place de quoi l’organisme financier lui impose le remboursement a priori du montant des intérêts du prêt.

Seconde étape : notre homme reçoit un courrier lui annonçant l’attribution d’un numéro de “compte bancaire disponible” et l’envoi d’un carnet de chèques à son nom, assorti d’une avance de fonds complémentaire.

Sans méfiance, notre retraité rédige quelques modestes chèques destinés à des tiers. Mal lui en a pris : l’organisme financier lui signifie que ces chèques sont “sans provision” et qu’il doit en rembourser le montant.

Ce qu’il fait dans les plus brefs délais possibles.

Il n’empêche que notre retraité a la mauvaise surprise de voir son nom figurer sur la liste des interdits de chèques à la Banque de France, alors que son compte est normalement approvisionné. Ce qui lui ôte toute possibilité d’émettre des chèques, ou d’utiliser sa carte de crédit. Qui plus est, l’organisme bancaire a prélevé de confortables intérêts, pénalités et agios ! Notre correspondant téléphone et écrit en vain à cet organisme où, comme par hasard, il n’a jamais affaire au même interlocuteur. Il sollicite l’intervention de la maison mère qui a fait la publicité pour un prêt si “avantageux ”... et qui se révèle comme une belle escroquerie : procédure abusive, tentative d’extorsion de fonds, tout y est.

Le plus grave dans cette affaire est que des organismes publics se font involontairement les complices d’une telle démarche frauduleuse.

Arnaques en tous genres

Ils sont, hélas, de plus en plus nombreux ces flibustiers et autres arnaqueurs, qui proposent des loteries faramineuses où l’on ne gagne jamais, des dons en nature ou des gains en espèces qui ne parviennent jamais à leurs bénéficiaires (si ce n’est quelques comparses) et en l’occurence des comptes en banque qui se révèlent fictifs ou fallacieux mais bien évidemment sources de confortables profits pour leurs initiateurs. La plupart de ces boîtes, véritables hydres transnationales, ont du reste leur siège à l’étranger.

Rien n’est trop beau pour tirer le maximum d’avantages de la détresse humaine, y compris les astrologues et faiseurs de phénomènes paranormaux qui vous offrent à peu de frais des talismans et autres remèdes miracles à tous vos maux ; derrière ces noms se cachent bien souvent des trafics malsains ou l’existence de sectes.

Les organisations de défense des consommateurs laissent faire... ou sont débordées par le phénomène.

En 1956, M. Lavarenne, professeur à la Faculté des Lettres de Clermont-Ferrand, publie [1] un ouvrage fort bien documenté sur le thème : Bon public, est-ce qu’ils t’auront ? dans lequel il dénonce pêle-mêle les dérives d’une certaine publicité, de la propagande, des préjugés et autres partis pris.

De ce point de vue, un autre ouvrage serait à ré-écrire aujourd’hui, en matière d’arnaques, de publicités mensongères : on n’arrête pas le progrès !

Mais le plus intéressant est le chapitre en vingt-quatre pages bien tassées consacré à “la doctrine de l’abondance et de l’économie distributive”. L’auteur rappelle les origines du Mouvement Français pour l’Abondance créé à partir de son premier livre, paru en 1932, par Jacques Duboin : La grande relève des hommes par la machine, suivi d’une douzaine d’ouvrages. Il avait été précédé, si l’on peut ainsi dire, par le romancier Edward Bellamy, lequel avait publié dans Looking Backward (Cent ans après, en français) des thèses qui devaient tant inspirer le distributiste Henri Muller dans son roman d’anticipation L’An 2.000, une révolution sans perdants [2].

« Ce qui frappe l’observation de notre temps, écrit M. Lavarenne, c’est la possibilité que l’homme s’est forgée de créer des richesses de plus en plus abondantes, avec un travail de plus en plus réduit... On voit le paradoxe de la situation actuelle, de plus en plus de biens consommables, mais de moins en moins de consommateurs solvables, puisque la plupart des hommes n’ont comme pouvoir d’achat que celui gagné par leur travail ».

Et de noter encore que « la diminution de leur pouvoir d’achat n’est pas seulement néfaste aux consommateurs, qui ne peuvent plus se procurer le nécessaire. Elle accable en même temps le producteur qui, ne pouvant plus écouler sa production, se voit acculé à la faillite ».

En dépit de toutes les richesses produites, on voit, à côté de l’aisance et du luxe, se maintenir et même se développer la misère. On observe la montée du chômage, l’organisation de la rareté relative des denrées, les primes accordées aux producteurs pour qu’ils limitent leurs productions, les primes accordées aux exportations, etc.

Il est clair que l’analyse qui prévalait en 1956 est tout aussi actuelle aujourd’hui. Lorsque M. Lavarenne écrit que « l’erreur des économistes officiels vient de ce que, quand ils évaluent les quantités que le marché est susceptible d’absorber, ils ne pensent qu’aux quantités qui peuvent être vendues. En d’autres termes, ils ne songent à satisfaire que les besoins solvables. Mais les besoins réels sont autrement étendus. Si tous les pauvres gens qui n’achètent pas faute d’argent, pouvaient se ravitailler, les excédents seraient vite liquidés ».

Jusqu’aux Trente Glorieuses, nous vivions dans l’ère de la rareté, qui était caractérisée par la recherche du profit et le système libre-échangiste. Nous sommes désormais entrés dans l’ère de l’abondance qui tue, en théorie du moins, le profit, parce que plus une marchandise ou un service sont abondants, et moins ils ont de valeur au sens marchand du terme, donc on gagne moins à les produire.

Ce phénomène est amplifié par la révolutionique, qui permet de produire plus au moindre coût.

Évidemment, le bon peuple est tout à fait conscient de ces transformations. Il sait très bien que, quelle que soit l’évolution démographique, il sera toujours possible de produire plus au moindre coût ; il a tout à fait conscience en outre que l’évolution technologique impose d’une part, une nouvelle répartition des tâches, que le travail doit être repensé en termes de formation permanente et d’activités, et que le temps de travail au sens classique du terme est appelé à se réduire, dans le temps comme dans l’espace, au profit des activités de promotion de la personne et des loisirs.

Alors, lorsqu’on vient dire au bon public que, désormais, il lui faudra travailler plus, plus longtemps, pour maintenir un niveau de retraites convenable, alors qu’aujourd’hui, au-delà de 45 ans, il devient illusoire d’espérer un reclassement professionnel, il ne comprend plus. Quand on lui affirme qu’il faut réduire les salaires pour maintenir la concurrence, qu’aucune solution ne peut être trouvée au problème du chômage, en bref, qu’il faut se résoudre à partager une vision de la société qui date des dernières années du XlXème siècle, alors oui, cette fois, le bon public entre en révolution. Jamais nous n’étions allés aussi loin dans la régression sociale !

Nous sommes de ceux qui clamons, qui affirmons qu’il existe des solutions aux problèmes posés par le chômage, par l’octroi à tous de retraites décentes, par une activité choisie à temps réduit bénéfique à l’harmonie sociale. Nous proposons une réelle alternative sur la base de l’introduction dans le circuit monétaire d’une monnaie de consommation non thésaurisable, d’un revenu social garanti, garant d’un droit à la subsistance pour tous, indépendamment des autres revenus et de l’activité de chacun, avec un service social librement choisi et consenti par le contrat civique, pacte anthropolitique.

Mais aussi longtemps que notre économie fonctionnera sur des bases erronées, qu’aucun courage, aucune volonté politique n’affirmera la nécessité de rendre à la monnaie sa fonction véritable de recherche d’une harmonisation authentique entre capacités productives et consommation, dans une économie de besoins, nous ne pourrons qu’observer, hélas, qu’un peu plus de mal-être pour nos compatriotes et de chienlit internationale.

Et notre ami Honoré Dupond peut attendre, longtemps encore, une solution à ses problèmes.


Un régal et pour seulement 3 euros !

Si vous voulez comprendre toute l’économie actuelle, sans le moindre effort, mais en riant parfois aux éclats, n’hésitez pas, et savourez cette réédition d’un livre remarquable de René Passet, qui ajoute l’humour à la compétence.

Pas de meilleure lecture pour les vacances !!

(édition des Mille et une nuits, les petits libres N° 47, avril 2003)
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[1] aux éditions Magnard.

[2] Plon, 1965

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Lettre ouverte

À La Poste

par P. VINCENT
juillet 2003

12 juin 2003

Monsieur le Directeur Général Délégué
Directeur du courrier
44 Bd de Vaugirard
75015 Paris

Objet : Nouveaux tarifs

Monsieur,

J’ai acquis la conviction, en ayant formulé en vain la demande auprès de plusieurs bureaux de poste de diverses tailles, et au vu des réponses qui m’ont été faites, que vous n’aviez pas l’intention de mettre ces nouveaux tarifs à la disposition des clients. J’ai d’ailleurs découvert que certains de vos employés n’en avaient eux-mêmes que de mauvaises photocopies.

J’approuve tous les efforts pour faire des économies, mais je considère que c’en est une pour La Poste si je suis en mesure d’affranchir moi-même un important courrier de poids très varié, vers des destinations hétéroclites, sans lui occasionner aucun frais de main d’œuvre. Je sais qu’aujourd’hui, lorsque l’on demande un timbre, le personnel a mission de vous faire l’article pour essayer de vous vendre de nouveaux services susceptibles d’améliorer le chiffre d’affaires de La Poste, mais avec moi ce serait encore un peu plus de temps perdu. Il vaudrait donc mieux, j’en suis sûr, me donner un tarif, ou éventuellement me le vendre puisque je ne suis plus un usager mais un client. Je ne suis pas à cette dépense près.

C’était une méthode de marketing bien imitée du privé, et sans doute apprise dans les Hautes Ecoles Commerciales, que d’avoir mis en avant la modicité de la hausse du timbre à 0,46 euros, qui passait à 0,50 euros, soit moins de 9%. Malheureusement il est bien le seul de son espèce et pour moi, qui ai déjà souvent remplacé la lettre de moins de 20 grammes par l’e-mail, mais qui, par contre, envoie de nombreux courriers de plus de 20 grammes vers des destinations lointaines, l’augmentation globale se situera plutôt à près de 40 %.

Voyons quelques exemples : Vers l’Union Européenne, pour une lettre entre 20 et 40 g ou entre 80 et 100 g, la hausse est de 43%. Vers les USA, seulement 34% de hausse sur la lettre de moins de 20 g, mais 44% entre 20 et 40 grammes.

Avec de telles méthodes, vous êtes bien partis pour faire des actionnaires heureux.

Recevez, Monsieur, mes meilleures salutations.

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Tribune libre

Pourquoi la Droite néolibérale gagne-t-elle ?

par W. SOUDAN
juillet 2003

La Droite néolibérale est en train de gagner du terrain partout dans le monde. Si elle ne gagne pas les élections politiques, elle gagne quand même sur le terrain de l’économie. L’exemple de l’Angleterre, puis celui de la France d’avant avril 2001 sont parlants. La politique d’un gouvernement tel que celui de Lionel Jospin était quand même différente de celle du gouvernement actuel, directement alignée sur les consignes du Medef. Pourtant, cette politique de gauche, avec ses aspects positifs, ne touchait absolument pas à la logique du système économique mondialisé. Et c’est bien cette logique qui avance toujours, implacablement, avec le succès de la Droite néolibérale. Essayons de démonter cette logique. Selon elle, l’homme (ou la femme, bien sûr) est un objet, jetable après usage. Ce qu’on peut attendre de lui, c’est d’être producteur et/ou consommateur.

• En tant que producteur, l’homme doit coûter le moins cher possible, et la Droite dispose pour celà de toute une panoplie de techniques, depuis celles de l’organisation scientifique, du chantage, du harcèlement et de la manipulation, jusqu’aux délocalisations, voire jusqu’à l’abandon pur et simple, comme à Noyelles-Godault [1]. Les “directeurs des ressources humaines” (DRH) reçoivent des formations adéquates et disposent de consultants expérimentés en ce domaine. Face au libéralisme, le monde ouvrier a longtemps résisté, et le rapport de force lui fut parfois favorable. Les luttes sociales avaient alors permis une réelle évolution des conditions de vie. Mais depuis, les progrès technologiques, les techniques de l’information et la mondialisation financière soutenue par cette idéologie implacable, ont profondément affecté le monde. Bientôt, 20 % de la population active suffiront comme main d’œuvre pour faire tourner l’appareil de production. Donc s’il veut obtenir ou conserver un travail, l’employé doit être corvéable et soumis. La pression qui s’exerce sur lui est telle que la moindre expression de désaccord conduit à son exclusion. Les conditions de travail deviennent de plus en plus stressantes. Sans même parler de ces conditions dans certaines régions du monde telles l’Asie, la Turquie ou les pays de l’est, en France, chez nous, les exemples d’entreprises où aucune législation du travail n’est appliquée sont légions.

• En tant que consommateur, l’homme doit être complètement mis sous influence. Et cette bataille est déjà bien en passe d’être gagnée, principalement avec les jeunes qui sont sous l’emprise du totalitarisme “des marques”. Quel parent oserait obliger son gosse à aller à l’école sans ses baskets et son sac à dos de marque ? La publicité a un impact considérable, et nous nous laissons tous influencer par son pouvoir. Et puis, autre élément de cette société de consommation, il y a les officines de crédit. Elles affirment qu’on peut tout avoir, et tout de suite, que tous nos désirs peuvent trouver immédiatement satisfaction. Ce slogan, qui rapporte, nous embobine… Enfin, au sommet de l’édifice, il y a les temples de la consommation. Responsables, par leurs pratiques, d’une grande partie du chômage, les grandes surfaces sont un lieu de plaisir, le sommet de l’idéal pour les pays pauvres. Nous y allons tous librement, pour acheter… ce qu’on nous impose, et pour remplir, sans modération, ce qu’est devenu le vide de notre société, c’est-à-dire de notre vie.

Bien sûr, pour en arriver là, il a fallu quelques conditions. D’abord que l’homme ait perdu tout sens critique. Il faut que l’homme ne soit pas formé, mais formaté, conditionné. Il faut que soient développés ses envies et ses caprices, car seuls ses envies et ses caprices rapportent de l’argent au système néolibéral. Ce n’est pas difficile, parce que le système dispose pour cela d’un outil miracle, la télévision. Avec ses paillettes et ses bons sentiments, c’est un outil de manipulation et de normalisation infaillible. Résultat : abrutissement garanti. Et puis, comment réagir après une journée de travail épuisante ? Et comme toujours, ce moyen de racolage passif rapporte de sérieux bénéfices à ses actionnaires. Quelle belle logique, non ? Enfin, il y a l’école, dernier lieu où devrait s’organiser la résistance, où la formation à l’esprit critique devrait constituer une des bases de l’enseignement, où l’être devrait avoir une valeur plus importante que l’avoir ou le paraître. Mais l’école est traversée par tous ces conflits dont la société ne l’a pas protégée. Depuis des années, elle est victime de cette idéologie qui réduit l’horizon humain. L’école est prise d’assaut par des enjeux considérables, et elle est trop en souffrance pour pleinement réussir sa mission, devenue trop lourde. D’ailleurs l’école est la prochaine cible de l’AGCS, quand cet “Accord général sur le commerce des services” sera appliqué à l’école, la boucle sera bouclée.

La clé de voûte logique de ce système, pour réaliser son programme, c’est que cela ne marche que si tout est basé sur ce qu’il y a de moins élevé dans l’homme. Nous savons tous que l’axe du Bien ou l’axe du Mal, c’est une bouffonnerie, et que l’homme est capable du meilleur et du pire. Or c’est sur le côté le plus négatif de l’homme que tout ce système repose, c’est sur l’envie d’avoir toujours plus, c’est sur la compétition, sur le besoin d’écraser l’autre, de nier l’autre, sur le besoin de conformité, sur la facilité, le paraître, sur l’individualisme et l’égoïsme. Les promoteurs de ce système savent qu’ils touchent là le compulsif de notre nature, et qu’il suffit d’ouvrir cette porte pour qu’ils puissent faire fortune.

Les tenants de la Droite néolibérale sont sur la voie de la victoire, mais jusqu’où va-t-elle ? Jusqu’au chaos, car ce système ne peut que créer et développer la violence. Ils créent ainsi d’abord la violence et ensuite ils la combattent par la répression quand celle-ci les empêche de faire du bénéfice. Bientôt, en plus, avec les prisons privées, cela rapportera de l’argent… C’est parce que ce système est fermé qu’il mène inexorablement au chaos. Transformant le psychisme des individus, il conduit à une société où domine la violence et où règne la perversité, où disparaît le lien social, où se développe le refuge dans le communautarisme et l’affrontement.

Si nous voulons combattre ce système, c’est une autre cohérence qu’il faut mettre en place. C’est un autre système qu’il faut penser, mais, cette fois, ouvert, basé sur le côté le plus riche de l’homme, sur le mieux qu’il est capable de sortir de lui-même, sur le sens de l’autre, sur la solidarité, sur la démocratie et pas sur cet ersatz de démocratie formelle. Sur les valeurs culturelles, intellectuelles, spirituelles. Permettre à chacun de réaliser l’humain de sa propre humanité.

C’est remettre l’économie à sa place, qui est d’être le moyen de permettre l’épanouissement de l’homme. C’est remettre la société à l’endroit.

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[1] Noyelles-Godault est la commune où était l’usine Métaleurop, qui, après avoir sacrifié l’environnement au nom de l’emploi, a sacrifié l’emploi choisissant la faillite, pour n’avoir rien à nettoyer… Relire sur ce sujet l’article de Roland Poquet dans GR 1030, p.11.

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Dans le courrier de notre précédent numéro, M-L Duboin, pour la rédaction, avait répondu à G. G., de Corenc. Mais celui-ci revient à la charge, voyant dans notre constestation du projet Raffarin de réforme des retraites un réflexe de fonctionnaire, c’est-à-dire d’un de ces privilégiés qui ne cherchent qu’à défendre leurs privilèges. Cette interprétation a choqué Paul Vincent qui, n’ayant jamais été fonctionnaire, a souhaité lui répondre :

Retraites : débat entre deux non fonctionnaires

par P. VINCENT, G. G.
juillet 2003
Je suis effaré, moi aussi, de votre incompréhension au sujet des différences de régime des retraites public/privé. Je cois que les fonctionnaires vivent dans une bulle, leur seule excuse étant de ne pas se rendre compte.

Encore une fois il ne s’agit pas pour le moment de l’E.D., mais de la fracture sociale qui va devenir destructrice.

Etes-vous prêt(s) à compenser sur vos deniers :

— les 15% que nous avons perdus depuis 15 ans parce que nos retraites sont indexées à peine sur les prix au lieu des salaires dans la fonction publique ?

— la différence entre les 12 % de cotisation du privé (sur les salaires pour la CRAM et les complémentaires) et les 7,85 % du public ?

— l’écart dù aux 25 années de référence pour la CRAM et la carrière totale pour les complémentaires au lieu des 6 mois !! dans la fonction publique ?

Quand Balladur nous a volés, êtes-vous descendus dans la rue ? Quand mon voisin (inspecteur de l’EN) devait partir en retraite, je lui ai demandé « Alors, c’est pour bientôt ? », « Non, m’a-t-il répondu, je fais encore 6 mois pour gagner un échelon. » J’en suis resté interloqué.

— Aujourd’hui, son gendre de l’EDF, revient tout bronzé des îles. Il est en retraite depuis 3 mois… à 50 ans !!

Comment voulez-vous que la majorité silencieuse ne soit pas révoltée ?

Vous n’avez pas le droit de vous retrancher derrière les injustices sociales qui privilégient le capital pour taire confortablement les avantages des retraités de la fonction publique, surtout s’ils sont prélevés sur les autres. Vous poussez l’opinion vers des privatisations non souhaitables.

Etes-vous prêts à partager vos avantages en préconisant un transfert de financement depuis vos retraites vers les caisses qui gèrent les nôtres ? Car au moins ce serait de la solidarité et nous pourrions alors être unis et plus forts devant les privilèges du capital.

Les manifs “en commun” (90 % de fonctionnaires) ne sont que de la poudre aux yeux : il faut distinguer le problème général et les différences inacceptables qui font le jeu du MEDEF…

G.G., Corenc.

« Quand Balladur nous a volés, êtes-vous descendus dans la rue ? »

Excellente question, et reproche adressé aux fonctionnaires et aux salariés du secteur public, auquel je souscris entièrement ! Ce fut une grande faute non seulement stratégique, mais d’abord morale, de la part de toutes les grandes centrales syndicales qui sont en principe à vocation généraliste et non corporatiste, et auxquelles on reproche souvent pour cela d’être des syndicats politisés. Si elles avaient quelque influence auprès de tels ou tels partis, leur devoir était de leur faire défendre une politique ne sacrifiant aucune catégorie de travailleurs, qu’ils soient salariés, retraités ou chômeurs, qu’ils soient fonctionnaires, dans le secteur public ou dans le secteur privé. Elles ont en l’occurrence complètement failli à leur devoir en ne mobilisant pas l’ensemble de leurs fédérations pour voler au secours des travailleurs du privé. Même lâcheté aujourd’hui de s’accommoder de la non-délocalisation par l’Education Nationale des médecins, infirmières, conseillers d’orientation, en abandonnant à leur sort tout le petit personnel de service, dont ce sont les manifestations de masse qui ont permis aux catégories précédentes de tirer leur épingle du jeu.

Le syndicat corporatiste qui a bien défendu et continue de bien défendre ses affiliés me semble être le MEDEF.

Le gouvernement actuel est donc mal fondé à reprocher à des corporations, auxquelles il jure qu’elles ne sont pas et ne seront jamais concernées par ses réformes, de se solidariser avec les fonctionnaires menacés à leur tour.

Ses prédécesseurs du même bord se sont d’abord attaqués aux travailleurs du privé parce qu’à l’évidence les moins aptes à se défendre. Ceux-ci pouvaient se sentir particulièrement vulnérables à cause des licenciements qu’ils voyaient pratiquer chaque jour impunément en invoquant des raisons économiques et qu’il eût été facile d’étendre à titre de représailles à tous ceux qui se seraient fait remarquer.

Il est tentant de s’attaquer maintenant aux fonctionnaires en pensant que, comme vous, beaucoup de gens du privé leur garderaient rancune de ne les avoir pas soutenus autrefois et en espérant que les gens des entreprises publiques à statuts spéciaux attendraient bien sagement leur tour d’être les prochaines victimes. C’est peu de temps avant d’avoir lu votre lettre, qu’ayant comme vous réfléchi à ce problème, j’avais soumis à la GR le poème reproduit en page 2 de ce numéro.

Je ne vois pas, pour ma part, d’opposition radicale entre le public et le privé, qui ont l’un et l’autre leurs privilégiés et leurs parias.

Je pourrais me présenter comme un cadre privilégié du privé, ayant réussi à y travailler jusqu’à 67 ans, et avec 42 annuités de cotisation, un exploit jusqu’à aujourd’hui difficile mais qui sera la norme exigée demain. Plus que de la bonne volonté des travailleurs, je doute, pour y parvenir, de la bonne volonté des patrons. J’ai connu en effet beaucoup de mes semblables qui ont galéré pendant plus de dix ans, de licenciements en faillites, avant d’atteindre les 60 ans et les 37 années et demie de cotisations exigés à l’époque. J’en ai même connu quelques-uns qui se sont suicidés avant.

En fait, ce que je considère comme un privilège, c’est surtout d’avoir eu envie de travailler jusqu’à 67 ans alors que depuis longtemps j’aurais pu vivre de ma retraite à taux plein. Mais ce que je faisais me plaisait et je travaillais pour une demi-douzaine de patrons à la fois, ce qui me laissait une certaine latitude pour les choisir ou les quitter, en dehors bien sûr de certains épisodes où ce sont eux qui quelques fois m’ont viré, ou ont fait faillite, ce qui m’est arrivé aussi comme à tous les autres.

Est-il possible que tout le monde soit heureux dans son travail ? La Droite a sa solution : « Créez votre propre entreprise ! » et elle se réjouit de ce que, selon les sondages, ce soit le vœu d’un fort pourcentage de la population. Jean-Pierre Raffarin nous avait même promis la “Société au capital de 1 euro” avec formalités de constitution réduites à 24 heures. Je suis prêt et j’attends, parce que moi j’ai encore envie de m’amuser, même si cela ne me rapporte rien. Mais quelles sont les motivations des plus jeunes ? Ne pas travailler pour un patron et gagner davantage que s’ils travaillaient pour un patron ? Ce serait alors la prise de conscience que c’est en faisant travailler les autres qu’on s’enrichit, un phénomène inquiétant pour la pérennité du système capitaliste et un problème immédiat pour trouver des collaborateurs. Je n’ai jamais ni eu l’envie ni trouvé le temps de bronzer, et un garçon qui trouve cela plus passionnant que le travail qu’il faisait, je le plains sincèrement d’avoir été obligé de travailler jusqu’à 50 ans.

Je plains également cet Inspecteur de l’Éducation Nationale qui retarde de partir en retraite, non pas parce qu’il est heureux dans son travail, mais parce qu’il a envie de gagner un échelon.

J’ai horreur de la gabegie qu’on impute à l’État, que la Cour des Comptes met tous les ans en évidence, et qui n’empêche ni les promotions, ni les légions d’honneur, ni les fructueux allers et retours entre la fonction publique et les conseils d’administration, sans trop de sectarisme entre tous ces gens de la France d’en-haut qui sortent tous des mêmes Écoles. Mais j’ai aussi été témoin de tellement de gaspillages dans de grandes sociétés privées, que jamais je n’ai voulu prendre le risque d’acheter des actions dans celles que je voyais fonctionner de trop près, n’imaginant pas qu’elles puissent gagner de l’argent. Et quand les sociétés privées veulent lutter contre les gaspillages, elles savent pondre des règlements aussi stupides que ceux de l’administration. Je me souviens en particulier, bien que cela remontât à plus de cinquante ans, que je ne pouvais trouver auprès de la gare de Metz un seul hôtel dont les prix soient dans les limites du plafond qui m’était imposé par ma direction commerciale. J’étais donc obligé de me trouver un hôtel loin du centre, ce qui me faisait perdre beaucoup de temps… et ajouter à ma faible note d’hôtel deux fortes notes de taxi.

Il me semble très difficile de juger s’il y a, ou non, équité entre le privé et le public, ce qui est une notion trop vague. Il y a parfois des iniquités plus faciles à observer à l’intérieur même du public et surtout à l’intérieur du privé, où l’échelle des salaires va depuis le SMIC jusqu’à plusieurs centaines de milliers d’euros par mois, soit au sein de plusieurs grosses entreprises des rapports de 1 à plus de 100, c’est-à-dire que certains y gagnent en un mois ce que d’autres mettent plus de 10 ans à gagner.

J’aurais tendance à un peu oublier les “tire-au-flanc” du RMI, du chômage ou des congés de maladie abusifs, je ne sais pas si c’est ce qui nous coûte le plus cher. Et on ne parle jamais d’assistanat quand cela peut porter le nom plus prestigieux de subventions.

Les éventuelles inégalités entre public et privé se régulent assez bien dans notre système capitaliste suivant la loi de l’offre et de la demande en fonction de l’attrait ou de la répulsion que suscitent les différentes situations. On ne voit pas en effet un tel attrait pour la fonction publique que les gens se jettent massivement sur les emplois de fonctionnaires. L’Assistance Publique a du mal à recruter des infirmières et sa toute récente Directrice n’avait accepté de quitter le privé (Altedia, la prestigieuse société de conseil en ressources humaines de Raymond Soubie [1]) qu’après s’être fait ajouter une prime de 85% au salaire que touchait son prédécesseur. C’est une pratique tout à fait courante mais, en général, Bercy commence à tiquer au-delà de 15 à 20%.

Si les fonctionnaires qu’on juge aujourd’hui avantagés se considéraient au contraire désavantagés après les nouvelles mesures qu’on leur prépare, et que les jeunes se tournaient massivement vers le privé, ce serait une catastrophe non seulement pour la fonction publique, mais aussi pour le privé où la lutte pour l’emploi deviendrait encore plus stressante et le nivellement au niveau du SMIC encore plus accentué.

Bien cordialement.

Paul Vincent.

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[1] contradicteur de René Passet dans Le Monde du 9 juin.

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