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   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
 
 
 
 
 
AED La Grande Relève Articles > N° 1035 - août-septembre 2003

 

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N° 1035 - août-septembre 2003

Espoir quand même …   (Afficher article seul)

Jean-Pierre MON se penche sur l’avenir socio-économique de l’Union Européenne, sans illusions sur la politique des gouvernements ou des syndicats, mais en gardant espoir dans les associations et mouvements de citoyens.

La Poste demain   (Afficher article seul)

Au fil des jours   (Afficher article seul)

Marie-Louise DUBOIN fait le tour des mesures de réformes en suspens en France.

Stock-options   (Afficher article seul)

Monéo, ou le culot des banques   (Afficher article seul)

Étude de la monnaie : VI. les monnaies parallèles   (Afficher article seul)

2 - Monnaies locales
2.2 - Après les "Trente glorieuses".
2.3 - Monnaies associées à des projets humanistes

De quoi réfléchir pendant les vacances

Planète en danger : Stop à l’AGCS !   (Afficher article seul)

La GRANDE RELEVE rappelle les dangers de l’Accord Général sur le commerce des services et invite à se mobiliser pour y mettre fin :
ACTION CITOYENNE :
Pétition à signer : Stop à l’AGCS

Et la géothermie ?   (Afficher article seul)

Roland POQUET rappelle certains projets oubliés

Le premier marché Plus   (Afficher article seul)

Caroline ECKERT raconte les débuts de l’expérience de monnaie distributive à Mulhouse

Pétrole …    (Afficher article seul)

Rémy MOURIN met en vers le guerre des Américains en Irak.

Silence des médias   (Afficher article seul)

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Éditorial

Espoir quand même …

par J.-P. MON
août 2004

Pauvre Europe

Bon prince, je n’ironiserai pas sur le fait que la présidence de l’Union européenne vient d’incomber au Premier ministre italien Sylvio Berlusconi que G. Bush vient de recevoir, honneur insigne, dans son ranch du Texas ; ni sur la très probable nomination à la tête de la Banque centrale européenne de l’actuel gouverneur de la Banque de France, Jean-Claude Trichet, dont la rigueur fit merveille lorsqu’il était en charge du Trésor au Ministère des finances à l’époque où le Crédit lyonnais, banque alors nationalisée, se livrait à des acquisitions tout azimut, pour le moins hasardeuses.

Je n’insisterai pas non plus sur l’accueil au sein de l’Union européenne de pays de l’Est qui s’empressent, dès leur admission, d‘acheter du matériel militaire aux États-Unis et qui s’alignent sans vergogne sur leur politique étrangère (voir la guerre d’Irak). Je crains fort qu’ils ne soient que de nouveaux chevaux de Troie appelés à empêcher la constitution d’une véritable entité politique européenne et à ne faire de l’Union qu’une zone de libre échange.

C’est aux perspectives socio-économique de l’Union que je vais m’intéresser.

Une croissance anémique

Selon la Commission européenne, la croissance dans la zone euro, “anémique” depuis trois ans, ne devrait pas dépasser 0,7% en 2003, (en avril, Bruxelles lui prévoyait encore un taux de 1%). Pour le Commissaire européen aux affaires économiques, Pedro Solbes, des risques importants pèsent sur la reprise car « la fin de la guerre en Irak n’a pas été accompagnée d’une reprise significative de la confiance des consommateurs et des entreprises », bien que la Banque centrale européenne (BCE) ait abaissé, début juin, son taux d’intérêt à « un niveau historiquement bas », ce qui va « renforcer la consommation ». Il ne faut pas non plus mettre en cause “l’euro fort” car « l’appréciation de la monnaie unique par rapport au dollar a été, au total, bénéfique à la croissance même si elle pèse sur les exportations » [1]. La baisse des exportations et la forte progression des importations auraient cependant fait reculer d’un demi point le taux de la croissance européenne [2]. (Vous aurez noté que c’est plutôt confus : on ne sait finalement pas si “l’euro fort” a été bénéfique ou non). Tout cela n’améliore pas les perspectives du “marché du travail” puisque le taux de chômage, resté stable en mai par rapport à avril, à 8,8% de la population active, devrait passer à 9,18% au début de 2004. Alors que faire pour remédier à ces faiblesses et diminuer notre retard sur les États-Unis ? Tout simplement suivre les recommandations de Pedro Solbes en procédant à des réformes structurelles qui doivent tendre à « supprimer les barrières en matière d’emploi et à accroître la productivité » [1]. Pour produire quoi ? Pour quels consommateurs ? Mystère, l’essentiel c’est la croissance, la croissance pour la croissance. Et les recettes pour relancer cette croissance ? Rien que du très classique, très libéral et … très inefficace ! On serait tenté de dire tant mieux… si dans le système actuel, cela ne faisait pas tant de dégâts sociaux.

Locomotives en panne

Pourtant, ces recettes ce sont celles que, dociles et sans grande imagination, se proposent de suivre la France et l’Allemagne, locomotives de l’Union européenne, comme les médias ont l’habitude de les qualifier. Mais des locomotives en panne depuis pas mal de temps. Même attelées et tirant dans le même sens, elles sont incapables de faire avancer quoi que ce soit. On nous dit en effet que les politiques des deux pays sont coordonnées, bien que l’on ait, d’un côté, un gouvernement de droite et, de l’autre, un gouvernement dit “social-démocrate”, ce qui, en principe, devrait faire quelques différences. Mais non, malgré leurs déficits budgétaires, les deux persistent dans leurs baisses d’impôts sur le revenu (en Allemagne 10% en 2004, soit avec un an d’avance sur les prévisions initiales ; en France, « ce qui sera possible, mais c’est absolument nécessaire ! » [3]). L’argument est le même des deux côtés du Rhin : il faut baisser les impôts pour soutenir la consommation, redonner confiance aux entreprises et relancer l’indispensable croissance… pour créer des emplois ! L’expérience montre pourtant que ça ne marche pas (voir encadré ci-contre, page précédente), mais qu’importe, puisque la théorie économique l’affirme !

À cela il faut ajouter des réformes structurelles : réforme des retraites et, plus généralement, de la protection sociale, des systèmes de santé avec, notamment, une réduction des prestations remboursées, assouplissement des règles de licenciements, réduction de la durée de perception des allocations de chômage, démantèlement du secteur public, etc. Le tout sous les encouragements des organisations patronales et la division des syndicats.

Syndicats en miettes

En Allemagne, alors que les syndicats (bien plus puissants qu’en France) tentaient de cristalliser l’opposition aux réformes du chancelier Schröder, l’IGMetall, un des syndicats les plus importants du pays et qui regroupe les travailleurs de la métallurgie et de l’électronique, a dû arrêter la grève qu’il avait lancée pour obtenir l’extension de la semaine des 35 heures aux métallos de l’Est, lesquels travaillent 38 heures en moyenne pour des salaires inférieurs à ceux de l’Ouest où les 35 heures sont en vigueur depuis 1995.

Le mouvement avait pourtant bien commencé : des milliers de salariés bloquaient les usines est-allemandes et certains sites de l’Ouest étaient paralysés par la grève, enrayant notamment la production de Volkswagen et de BMW. Le Chancelier est intervenu lui-même au bout de quelques jours de conflit pour désamorcer une éventuelle escalade, qui risquait de perturber les espoirs de relance économique. Sociaux-démocrates, en général, les syndicalistes n’ont pas osé s’opposer à un chef de gouvernement social-démocrate. Histoire connue. Inutile de dire qu’au sein de l’IGMetall l’harmonie est loin de régner : la stratégie du vice-président Jürgens Peters, instigateur de la grève et pressenti pour prendre la direction du syndicat à l’automne, est maintenant vivement contestée.

D’autant plus que le syndicat est divisé sur les réformes annoncées par Schröder, que Peters qualifie de démantèlement de l’État-providence. Le désarroi syndical est tel qu’un responsable de la Confédération des syndicats allemands n’a pas craint de déclarer qu’ « avec cet échec, les syndicats perdent de la crédibilité en tant que contre-pouvoir capable de proposer de réelles alternatives ».

En France, il y a quelques années, le gouvernement et le Medef avaient eu l’habileté de faire accepter le principe suivant lequel pour qu’un accord soit validé, il suffisait qu’il soit signé par un seul des syndicats électoralement majoritaires. Syndicat “réformiste” et auto-proclamé “moderne”, bien sûr, la CFDT s’est engouffrée dans cette brèche ouverte dans le principe de l’accord majoritaire. Du déjà vu lors des grandes grèves de décembre 1995 lorsque Nicole Notat était secrétaire générale de la CFDT. Son successeur, François Chérèque a rejoué le morceau avec les retraites et le statut des intermittents.

Quelle aubaine pour le gouvernement ! Il n’a pas manqué de proclamer haut et fort que ces réformes avaient fait l’objet de longues négociations avec les partenaires sociaux ! Chirac en a fait le leit-motiv de son entretien télévisé du 14 juillet. La France “d’en bas” est rassurée… De son coté, la CGT veut se transformer en « syndicat acteur du progrès social » ( ???) et se flatte de n’avoir jamais signé autant d’accords dans les branches et dans les entreprises qu’en 2002. FO s’est un peu trop rapidement engagé sur la voie de la grève générale avec SUD, mais n’a pas été suivie. Et certains leur reprochent d’avoir adopté à l’égard du gouvernement un ton qui rappelle celui de la CGT à la fin des années 1970 : « soumission au libéralisme économique, entreprise de démolition tous azimuts, remise en cause des garanties sociales fondamentales du contrat républicain de 1945… » [4]

N’est-ce pas, pourtant, ce qui caractérise l’action du gouvernement actuel ? Le capitalisme ne s’est pas amendé depuis cette époque.

Bref, ce n’est pas encore demain que le mouvement syndical, en France ou en Allemagne, présentera un large front uni, seul capable de mettre en échec la régression sociale mise en œuvre par leurs gouvernements.

Et si on essayait autre chose ?

Autre chose, c’est d’abord assurer à tous un revenu garanti de la naissance à la mort, dissocié de l’emploi. En France, ce débat est tabou dans les partis politiques ou les syndicats. Seul, à ma connaissance, le petit courant Utopia du Parti socialiste a fait des propositions allant dans ce sens [5], mais sa motion n’a recueilli qu’un pourcentage dérisoire de suffrages lors du dernier congrès ! Le débat organisé en janvier 2002 par le Parti communiste sur l’allocation universelle est resté sans suite [6]. Quant aux Verts (lorsqu’ils existaient encore), qui a priori auraient dû être les plus intéressés, ils se sont lancés dans le type de discussions byzantines dont ils ont le secret.

Des raisons d’espérer existent pourtant.

Il faut les chercher dans les nombreuses associations ou réseaux qui se font jour un peu partout dans le monde avec une grande diversité de propositions et de types d’actions.

Parmi eux, je citerai le réseau BIEN [7] à la création duquel nous avons participé en 1986 et dont le congrès qui s’est tenu en septembre 2002 à Genève [8] au Bureau International du Travail nous a montré que de nombreux pays au Nord comme au Sud débattaient intensément de l’instauration d’un revenu garanti.

Tout récemment, son bulletin de juillet témoignait de l’intense foisonnement d’initiatives qui se manifeste un peu partout dans le monde en faveur de l’instauration d’un revenu garanti.

Citons notamment :
• la création en Autriche d’un réseau pour l’instauration d’un revenu de base et la cohésion sociale ;
• la tenue à Barcelone d’une conférence organisée par le parti socialiste de Catalogne sur le revenu de base, à laquelle ont participé plusieurs membres du parti socialiste ouvrier espagnol ;
• des débats à Buenos Aires sur le revenu de citoyenneté ;
• l’annonce du troisième congrès du Réseau américain pour l’instauration d’un revenu de base garanti (USBIG) qui se tiendra à Washington en février 2004 ;
• la proposition du président Lula appuyé par 27 gouverneurs d’États d’instituer au Brésil un revenu minimum destiné à assurer la subsistance des familles à bas revenus ;
• la déclaration du Premier ministre Irlandais jugeant possible l’instauration d’un revenu de base.
• Sans parler des propositions qualifiées “d’utopiques” qui commencent à se faire jour [9] sur la distribution à tous les citoyens Irakiens d’un revenu basé sur les recettes tirées des ventes du pétrole, comme cela existe déjà en Alaska.

Alors… Bonnes vacances !

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[1] Le Monde, 04/07/2003.

[2] Note de conjoncture de la Société générale, juin 2003.

[3] Entretien télévisé de J. Chirac le 14 juillet (TF1, France2).

[4] Le Monde, 15/07/2003.

[5] Il proposait de « remettre en cause la place prépondérante du travail pour libérer le temps et déconnecter ses droits de l’activité de production… »

[6] GR 1019, mars 2002.

[7] BIEN = Basic Income European Network = Réseau européen pour l’instauration d’un revenu de base.

[8] GR 1025, octobre 2002.

[9] Warren Viet, “A Fund Could Spread Iraq’s Oil Wealth to Its Citizens”, The Los Angeles Times, 01/05/2003 ; Guy Standing (BIT & BIEN), The Financial Times ; Scott E. Pardee (Middlebury College, Vermont), The Washington Post ; Steve Shafarman (Citizen Policies Institute & USBIG), The Progress Report ; Eduardo Suplicy, Folha de São Paulo, 12/06/2003 ; George Ward (ancien coodinateur de l’Assistance humanitaire en Irak), The New York Times, 13/06/2003.

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Le billet de Paul

La Poste demain

par P. VINCENT
août 2003

Scène futuriste vue ce jour, 7 Juillet, devant le bureau de poste parisien de la rue Desnouettes dans le XVème :

Installé à une petite table avec une casquette jaune sur la tête (c’est la même couleur pour La Poste et pour le vainqueur du Tour, cela tombe bien), un « préposé » faisant le camelot pour fourguer aux passants des timbres commémoratifs du centenaire du Tour, et même des maillots de coureurs cyclistes. Et ce n’était pas un intermittent du spectacle, mais un sympathique guichetier auquel j’ai affaire habituellement et qui malheureusement ne peut pas toujours me rendre les services plus terre à terre que j’attends de La Poste : ce n’est pas de sa faute si les têtes pensantes de son Administration en voie d’être privatisée préfèrent s’entraîner déjà à la concurrence avec les Grands Magasins.

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Chronique

Au fil des jours

par M.-L. DUBOIN
août 2003

Retraites

Le gouvernement a fait passer sa réforme des retraites, méprisant les impressionnantes manifestations d’un vaste mécontentement. Puisqu’il a tous les pouvoirs, la fracture sociale n’est pas son souci. Mais cette loi ne résout pas, bien au contraire, le problème essentiel, qui est celui du chômage, dont le taux a déjà fortement augmenté, et que l’INSEE prévoit encore à la hausse.

Mais on va s’apercevoir, à terme, qu’obliger les salariés à travailler deux ans de plus pour avoir droit à la retraire à taux plein, c’est faire plus d’un million de chômeurs de plus, chômeurs qui, évidemment, ne cotiseront pas. Donc non seulement le niveau des retraites va baisser, mais aussi celui de l’indemnité des chômeurs.

Intermittents

Le public ignore en général à peu près tout des conditions de travail des intermittents, qui temoignent de l’incapacité majeure de notre système économique à s’adapter à notre temps (nous l’avons souvent expliqué [1]). À leur propos, le Président de la République a déclaré, en fêtant le 14 Juillet, que c’est au Medef et non pas au gouvernement de règler leur problème.

Mais beaucoup de commerçants commencent à s’apercevoir que la culture faisait aussi marcher leurs affaires.

Sécurité

Il paraît que les mesures récentes à l’initiative du Ministre de l’Intérieur ont fait miracle contre l’insécurité permanente dans laquelle nous vivions tous. Tant mieux, si c’est vrai.

Mais il n’empêche que depuis l’arrestation à grand spectacle d’Yvan Colonna, les attentats se multiplient. Les interventions de police et leur brutalité ont de quoi inquièter, et celles vis à vis des centres d’accueil de Toulouse, Lille, Bourg-en-Bresse, ont été dénoncées. L’entourage de M.Sarkozy a eu beau déclarer au Figaro (14 Juin) qu’il s’agirait “d’un loupé” de la PAF (police aux frontières), la méthode employée est telle qu’elle a incité le mouvement Emmaüs, fondé par l’abbé Pierre, qui n’a évidemment jamais demandé leurs papiers aux personnes qu’il prend sous son aile, à réagir pour que ses pratiques d’accueil ne soient pas remise en cause et à « demander publiquement sa mise en examen comme personne morale si des pratiques d’accueil […] devaient conduire à des mises en cause personnelles (de présidents, d’amis ou de responsables) devant la justice. » Dans le même temps, le nombre de personnes détenues dans les prisons surpeuplées est si alarmant (le 1er Juillet 60.693 personnes étaient détenues dans 48.600 places) qu’un avocat décrit ainsi la situation « Aujourd’hui, n’importe qui peut être mis en détention. Nous avons une politique pénale à l’américaine, sans en avoir les moyens. On va droit dans le mur. » Ce 20 Juillet, en Corrèze, il fallait voir les forces de police déployées pour éviter à Bernadette et Jacques Chirac, allant écouter Johnny Halliday, d’être témoins d’éventuelles manifestations d’intermittents du spectacle. On comprend pourquoi l’âge de la retraite, pour les policiers, a été maintenu à 55 ans.

Salaires scandaleux

Le “parachute en or” de J-M Messier, une indemnité égale à un peu plus de 1.867 années au Smic en remerciement d’avoir si mal géré Vivendi, et les millions qu’il a réalisés, juste à temps, par hasard, avec ses stock options, ont fait mauvais effet. Des stock-options, pourtant, on ne parlait plus. Et tout en affirmant à grand fracas que la modération salariale (pour les autres) est imposée par la compétition et qu’elle est le gage incontournable de la croissance, les grands patrons français ne se sont pas privés d’en user et même d’en abuser. Au point que, de ce côté-ci de l’Atlantique, c’est la France qui est maintenant championne des stock-options, elle devance largement, en la matière, la Grande-Bretagne pourtant réputée pour son libéralisme.

Mais voilà que les États-Unis viennent de découvrir, avec le scandale d’Enron [2], les abus auxquels ce procédé peut mener : les dirigeants d’entreprises, soumis à la dictature du marché boursier, craignent de se voir vite remerciés si la cote de leur entreprise venait à baisser et ils cherchent, par tous les moyens, y compris la fraude, à en gonfler la valeur boursière. Présentés naguère comme favorisant le “dynamisme entrepreneurial”, les stock-options sont devenus, Outre-Atlantique, un “révélateur de cupidité” et la commisssion de contrôle de Wall Street a durci les règles de transparence. En France, Le Journal des finances a révélé qu’en un an la rémunération des patrons des entreprises cotées au CAC 40 était passée en moyenne de 1,8 à 2,07 millions d’euros, alors que leurs entreprises avaient subi de grosses pertes. Du coup, des députés ont entrepris de s’informer sur le droit des sociétés.

« Bourse : le thermomètre de l’industrie, mais si mal placé qu’il l’empêche de marcher. »
Auguste Detoeuf.

Mais quel culot, s’indigne le Président du Medef, qui venait d’encourager les réformes de Raffarin, tout en ajoutant qu’elles n’allaient encore pas assez vite à son gré. Ernest-Antoine Seillière, qui a touché l’an dernier 1,37 millions d’euros pour être le PDG de Wendel Investissement, estime qu’il n’appartient pas au pouvoir politique de statuer sur la rémunération… des patrons. (Il a donc raison de dire que les Français sont hostiles à la modernisation !) Craignant que dans la situation actuelle, les “rémunérations scandaleuses” découvertes risquent d’exacerber les tensions sociales, un député UMP, Pascal Clément, a conseillé au patronat « Si vous ne voulez pas de législation, il faut mettre de l’ordre » et le Président de la Commission des finances de l’Assemblée a conclu : « La situation est perçue comme moralement innacceptable. On nous promet une rentrée sociale agitée, on est obligé de faire quelque chose. »

En attendant, d’autres réformes, tous azimuts, vont bon train. Parmi elles, la diminution du taux de rémunération des livrets A risque d’être mal reçue par leurs 46 millions de titulaires à revenus en général modestes.

Mais c’est la dernière fois, une autre réforme abandonne aux marchés le soin d’en décider, c’est un nouvel abandon politique qui la fera passer sans avoir à en rendre compte.

Ces dernières séances parlementaires d’avant la trève d’été sont très chargées. Même si les élus ne sont qu’une dizaine dans l’hémicycle, c’est le bon moment, car leurs électeurs sont en vacances. Ils estiment qu’ils ont bien gagné ce droit de se “vider” : les conditions de travail sont généralement devenues terriblement stressantes, il faut être efficace à 100% de son temps d’activité (et même plus !) parce que la compétition est telle que la plus légère défaillance peut servir de prétexte à vous retirer un poste que tant d’autres seraient heureux d’occuper. Échapper quelque temps à une pression si épuisante est nécessaire pour être en mesure de la supporter, à nouveau, après la rentrée. Ils auront alors tout le temps pour découvrir, petit à petit, les conséquences des réformes mises en route.

Mais qu’ils se rassurent, le gouvernement prend toutes sortes de précautions en préparant sa “réforme” de la santé, afin d’éviter qu’il y ait des manifestations massives comme celles qui tentèrent de discuter celle des retraites. Nous aurons donc le temps d’en reparler.

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[1] “Tous intermittents”, par J-P Mon, dans GR 962 (janvier 1997) ; “Impertinences d’intermittents” par G.Monnet et R.Poquet, dans GR 987 (avril 1999) ; “Les sublimes” par R.Poquet dans GR 1031 (avril 2003).

[2] Voir “Un cas d’école”, par J-P Mon, dans GR 1018 (février 2002).

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Stock-options

août 2003

On se souvient que les “stock options” ont été inventées aux États-Unis à la suite des déréglementations financières : celles-ci ont incité les entreprises cotées à se financer à la Bourse plutôt qu’auprès des banques (mais qu’on se rassure, celles-ci se sont vite adaptées), de sorte que les dirigeants se sont vus sous la coupe des actionnaires. D’où l’idée de les rendre actionnaires eux-mêmes en leur attribuant, en complément de leur salaire, des actions de leur entreprise, réalisables plus tard à des prix très avantageux. Lorsque les hautes technologies apparurent comme le salut de la “nouvelle économie“, ce fut aussi le moyen pour les entreprises du secteur de permettre à des “jeunes pousses” de payer des salaires seulement “raisonnables” à leurs meilleurs éléments contre quelques “stock-options”.

Dominique Strauss-Kahn, Ministre des finances dit de gauche, fut séduit par ce procédé qu’il trouva “moderne”, et il décida de l’encourager par de généreuses mesures ficales.

La Droite n’est évidemment pas revenue sur une mesure aussi libérale.

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Monéo, ou le culot des banques

août 2003

Le principe du porte-monnaie électronique peut en faire quelque chose de très pratique et de très sûr. Mais pas dans une société capitaliste, comme le prouve le culot avec lequel certaines banques tentent d’en tirer profit :

D’abord, les banques françaises entendent faire payer l’usage du porte-monnaie électronique à leurs clients. Alors que cet usage est gratuit dans la plupart des pays européens où il est pratiqué (Espagne, Suisse, Norvège, Pays-Bas, Autriche), celles qui en diffusent la marque Monéo en Ile de France depuis novembre dernier, le facturent entre 5 et 12 euros. Certaines le proposent gratuitement lorsqu’il est lié à une carte bancaire, mais ce n’est qu’un attrape-nigauds, car l’offre gratuite se transforme vite en service payant. Les banques ont ainsi trouvé le moyen de vous taxer chaque fois que vous irez acheter votre baguette ou votre quotidien…

Elles en tirent en plus une autre source de revenus. Sans le porte-monnaie électronique, elles sont tenues de servir à leurs clients les espèces dont ils ont besoin pour régler leurs petits achats. Avec le porte-monnaie électronique elles gardent ces espèces (il s’agirait de quelques milliards d’euros) sur leurs comptes et les font fructifier.

Enfin la puce des cartes Monéo a été choisie relativement bon marché afin de réduire le coût de cet investissement. Elle est ainsi beaucoup moins sûre que celle des cartes bancaires, et le rechargement frauduleux en est plus facile, donc plus courant. Or en cas de fraude, le titulaire de la carte Monéo doit payer les 275 euros de la franchise fixée par Monéo, plus les sommes perdues (jusqu’à 100 euros), et plus encore 275 euros de franchise si la puce Monéo était sur une carte bancaire.

Comme l’Union des consommateurs Que choisir, nous vous invitons, si votre banque vous “informe” de la mise en place de la fonction Monéo sur votre carte bancaire, à lui répondre en la mettant en demeure de supprimer totalement cette fonction, ainsi que toute mention y afférant. Vous pouvez ajouter que vous êtes indigné par ce procédé qui consiste à installer sur votre carte une fonction que vous n’avez jamais demandée, ce qui est une modification arbitraire de votre contrat “carte bancaire” et qui peut vous être préjudiciable.

(d’après l’information transmise par M.G, de Limoges)

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Dossier (Étude de la monnaie IXe)

Étude de la monnaie : VI. les monnaies parallèles

par M.-L. DUBOIN
août 2003
2. APRÈS LES “TRENTES GLORIEUSES”

Les systèmes d’échanges locaux

Frappé par le nombre de personnes qui ne peuvent pas participer à la vie économique et sociale parce qu’ils manquent d’argent, Michael Linton crée avec quelques amis, en 1982, le premier système d’échange locaux, en anglais Local Exchange Trading Systems (LETS) à Vancouver (Canada). Il sera imité d’abord en Australie, puis en Nouvelle Zélande et au Royaume-Uni, etc. En France, le premier système d’échanges local (SEL) a été créé en Ariège en 1994.

Il s’agit de comptabiliser les transactions que font entre eux les membres d’un SEL, portant aussi bien sur des travaux ménagers que sur des réparations, des gardes d’enfants ou des cours. Offres et demandes sont récensées dans un catalogue auquel tous les membres d’un SEL ont accès. La comptabilité se fait dans une monnaie imaginaire, chaque SEL a la sienne, dont la valeur unitaire, parfois liée à la monnaie légale mais le plus souvent au temps passé, fait l’objet d’un accord mutuel. Si Aurélie souhaite repeindre sa cuisine alors que Pierre offre de faire des travaux de peinture, elle lui confie le travail et ils conviennent entre eux que Pierre y consacrera, par exemple, 10 heures. Si leur monnaie a pour unité de compte la minute, quand la cuisine sera repeinte, le SEL devra retrancher 600 unités du compte d’Aurélie et augmenter d’autant celui de Pierre. Il appartiendra alors à Aurélie de fournir un travail à un membre du SEL, pas forcément Pierre, et celui-ci aura droit à une aide de 10 heures de la part d’un membre du SEL. L’heure est comptabilisée sans tenir compte du niveau social ou professionnel de la personne qui rend le service. Rien ne garantit que le travail sera bien fait. Aucun recours n’est possible. Les membres sont invités à limiter leur endettement, mais un compte déficitaire n’est pas pénalisé d’un intérêt.

Le gros problème, crucial pour certains SEL, est celui de leur comptabilité : elle s’avère très lourde, ce qui contraint leurs responsables à un travail répétitif. Or les travaux effectués dans un SEL sont par principe occasionnels, sinon il s’agirait de travail illégal, “au noir”. Ils ont donc à choisir entre convertir la tâche de comptabilité en travail salarié, donc déclaré, ou inventer des systèmes moins lourds à gérer… Dans certains SEL, une grande partie des échanges n’est pas comptabilisée, le système se dissout alors dans la bande de copains, mais perd aussi sa capacité d’accueillir régulièrement de nouveaux adhérents “en nombre", à la différence des SEL qui “comptent”.

Les banques du temps.

Inventée par Paul Glover, l’Ithaca-hour ou time-dollar est une monnaie locale née du refus des 30.000 habitants de la ville d’Ithaca (État de New-York) de se voir soumis aux effets de décisions prises de loin par de grands groupes ne se souciant guère de la survie des petites localités. Le but est de réorganiser localement l’économie marchande, de créer des emplois locaux et de faire circuler localement les revenus de sa population. Des communautés se sont formées pour bénéficier de ces time-dollars qui est une monnaie non imposable. Celui qui reçoit ainsi un service signe un certificat à celui qui le lui rend, l’ensemble de ces certificats est géré par une Time Bank (banque de temps) qui centralise les offres et les demandes de temps.

Sur le même principe, des banques de temps ont été créées en Italie, à Bologne en 1991, par un groupe de femmes désireuses de valoriser leurs activités au quotidien. Comptabilisant les heures de ces volontaires, ces banques du temps italiennes organisent leurs emplois du temps en fonction des offres, des demandes et des compétences. Elles ont des liens très forts avec les administrations locales, qui sont même souvent à leur origine et qui leur fournissent finances et locaux.

Autres monnaies locales

Les exemples de monnaies parallèles locales sont trop nombreux pour être tous cités, depuis le tabac et les cartes à jouer qui remplaçaient la monnaie légale chez les colonisateurs aux Etats-Unis, jusqu’à ces deux exemples cités dans la presse au début de 1999 :
•« Au Brésil, la municipalité de Braga a décidé de payer ses employés en imprimant ses propres bank-notes. Baptisés “Bonus”, les billets peuvent servir à payer les impôts locaux et ils sont acceptés dans les magasins de la ville. »
•« En Russie, dans la région de Novossibirsk, une entreprise imprime sa propre monnaie. Plus de 800.000 billets d’une valeur faciale d’un rouble ont été édités, puis distribués aux employés. Cette émission a permis de payer trois mois de salaire en retard… ces billets sont également acceptés par les autorités locales en paiement des impôts locaux, les municipalités payant alors leurs fonctionnaires avec ces billets. »

Mais le plus important est l’exemple de l’Argentine, ce pays qui est en “crise économique” alors que ses richesses naturelles sont immenses.

Le troc en Amérique latine : les creditos

En fait, les Argentins se retrouvent sans pouvoir d’achat parce que leurs avoirs en monnaie légale ont été confisqués sur leurs comptes en banque. Un très grand nombre d’entre eux ne survivent que grâce à un système de troc qu’heureusement, ils avaient organisé avant.

En 1995, à Bernal, banlieue de Buenos Aires, des voisins échangent les surplus de leurs potagers. Ils redécouvrent le troc. D’abord local, le système devient régional, puis national. En trois ans des milliers d’Argentins (qui ne bénéficient ni d’assurance chômage, ni d’allocations familiales, ni d’un équivalent du RMI) adhèrent à des clubs de troc. À la fois producteurs et consommateurs, ils reçoivent alors de leur club un certain nombre de “créditos”, monnaie locale qui leur permet d’échanger productions et services au sein du club. On a estimé à plus de 500 millions de dollars les échanges effectués en 1999. Ces clubs de tailles diverses (de quelques dizaines d’adhérents à plus de mille) se sont rassemblés en réseaux (Red de Trueque), ou “nœuds” étendus à toute l’Argentine et même à des pays voisins (Uruguay, Brésil, Nicaragua, Pérou,…). Ce ne sont pas des structures fermées : les gens peuvent passer d’un nœud à un autre. Au début, ils étaient issus de la classe moyenne, mais celle-ci s’est muée en une classe de nouveaux pauvres. Avec l’extension de la crise, et pour en amortir sur eux les effets, c’est plus de 6 millions d’Argentins qui auraient participé en 2002 aux activités d’environ 8.000 nœuds.

Deux grands réseaux coexistent : le Réseau de troc solidaire (RTS) qui regroupe dix sept provinces et le Réseau global de troc (RGT) qui compte le plus grand nombre d’adhérents. Les pouvoirs publics ont dû tenir compte de l’importance de ces réseaux, si bien qu’en 2000 le troc a été déclaré d’intérêt national par le gouvernement. Outre certains commerces de nombreuses municipalités acceptent maintenant des règlements en créditos.

Au départ, un club émet un certain volume de monnaie “alternative” et la répartit équitablement entre ses membres pour faire des échanges. Si ces échanges se multiplient au point que les membres estiment qu’ils ont besoin de plus de monnaie, ils votent une augmentation, par exemple de 10 unités par membre ; mais un contrôle attentif s’est avéré nécessaire pour éviter la dévaluation de l’unité monétaire.

Les pouvoirs publics, en particulier ceux de la ville de Buenos Aires, ont accepté d’appuyer ce système à condition que sa monnaie ne soit pas convertible en monnaie légale. Mais on s’est aperçu que les participants avaient du mal à ne pas confondre la monnaie des “nodos” avec la monnaie légale et il faut insister pour qu’ils fassent la différence. Enfin, pour éviter les inconvénients des contrefaçons, il est recommandé que les grands échanges entre clubs se fassent en produits sans l’aide de monnaies.

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La multiplication des monnaies locales ne va pas sans inconvénient : elle facilite la falsification massive des billets par des réseaux mafieux, et en émettre inconsidérément conduit à une inflation galopante, comme celle que connaît l’économie classique ! Citons Heloisa Primavera, Professeur d’administration publique à l’Université de Buenos Aires : elle dénonce une “falsification de principe” car l’inflation que connaît le Réseau Global de Troc « est le résultat de la sur-émission de créditos dans ce réseau qui provoque une sur-liquidité sur le marché » ; elle reproche au RGT de « détruire la dynamique économique et sociale du troc en inondant le pays de ses billets afin de créer un réseau national centralisé, à la monnaie incontournable. Le résultat est fâcheux : la monnaie est déconnectée de l’économie réelle. Comme un certain peso… La juste correspondance entre niveau de production et volume de créditos en circulation est rompue, le crédito perd alors de sa valeur et surtout la confiance des usagers [1] ». C’est pourquoi elle mène campagne auprès des maires pour qu’ils n’acceptent pas n’importe quelle monnaie locale. Pour elle, l’urgence est de consolider le potentiel alternatif du troc « qui doit devenir le terrain d’une économie de l’abondance où le jeu n’est plus gagne/perd, comme dans le capitalisme, mais gagne/gagne, grâce à un partage efficace des richesses […] Le troc est pour la première fois, un chemin pour sortir les pauvres de l’exclusion sans faire la guerre, sans prendre les armes […] C’est un phénomène d’avant-garde et pas de régression[…] Nous sommes à un point de sortie du paragdime de la rareté pour entrer dans celui de l’abondance. Il n’y a pas de rareté. Elle est artificielle. » [2]

Toutes ces monnaies locales sont nées quasi spontanément, dans l’urgence, et lorsqu’un inconvénient se révéle, elles tentent de le surmonter, localement, de façon pragmatique. Elles n’ont donc pas l’ambition d’apporter une solution aux grands problèmes sociaux liés à la façon de gérer l’économie, leur conception n’ayant rien d’universel, et c’est bien le sens des conclusions qu’Héloïsa Primavera tire de sa propre expérience en Argentine. En mettant l’accent sur le fait que le capitalisme correspond à une économie de rareté mais se révèle incapable de partager les richesses aujourd’hui que nous entrons dans l’ère de l’abondance (on sait tout produire, même le pire), elle témoigne de la nécessité de concevoir d’autres changements que des essais de monnaies parallèles locales. C’est la monnaie légale qui doit être transformée, mais comme partie intégrante d’un projet véritablement humaniste, réfléchi et débattu avant d’être appliqué à une tout autre échelle. Avant d’exposer nos propositions pour répondre à cet objectif, évoquons deux initiatives qui vont dans la même direction :

3. LES MONNAIES ASSOCIEES À DES PROJETS VÉRITABLEMENT HUMANISTES

Le dividende social

Au début des années 1930, les propositions du Major écossais C.H.Douglas avaient une portée plus universelle, humaniste. Mettant l’arbitraire de la création monétaire par les banques à l’origine du manque de pouvoir d’achat des populations pauvres, d’ailleurs condamnées au chômage par le machinisme, il fit remarquer que la véritable richesse d’un pays n’est pas celle qu’indique son système financier mais bien ses possibilités réelles de produire : ses terres, ses mines, ses routes, etc. Ce patrimoine étant commun à tous les citoyens d’un pays, il estimait légitime que chacun d’eux en touche régulièrement le dividende, sous la forme d’une somme versée annuellement par un organisme national de crédit émettant pour cela une nouvelle monnaie. Actuellement encore appliqué en Alaska, ce principe vaut à tous les habitants de cet État de recevoir chaque année un dividende (1.540 $ en 2002) gagé sur le pétrole du sous-sol.

Le projet SOL

Le projet d’une monnaie solidaire, le SOL, exposé au cours de la rencontre internationale “Reconsidérons la richesse” à Paris (mars 2002), est conçu pour favoriser une société solidaire ayant l’humain et non plus le profit pour objectif. Concrètement,
• un citoyen recevrait des SOLs soit en achetant certains biens et services de l’économie sociale et solidaire (ESS = mutuelles, coopératives, par exemple), soit en ayant un comportement civique en s’impliquant dans la vie sociale (alphabétisation par des bénévoles, par exemple).
• Ces SOLs permettraient d’acheter des biens et services de l’ESS (commerce équitable, assurances, ou même placements financiers), d’accéder à des biens collectifs (par exemple aux équipements sportifs d’une commune) et culturels, ou encore de soutenir des initiatives locales ou de grandes causes communautaires.

Nos lecteurs disposent maintenant, en neuf doubles pages (depuis le numéro GR 1027 de décembre 2002) d’une vue d’ensemble de l’évolution et des transformations successives de la monnaie, des définitions essentielles, d’un bref rappel des grandes théories monétaires, des fonctions de la monnaie légale actuelle, des diverses monnaies parallèles (leur création, leur forme et leur fonction) et, enfin, de ces deux projets de société (dividende social et projet SOL) liés à l’usage de la monnaie. Il leur est facile de réunir ces neuf feuilles en un petit fascicule à emporter en vacances, à relire tranquillement et à faire lire autour d’eux.

On a compris que la monnaie est une création humaine et qu’elle a déjà subi de nombreuses modifications, mais que celles-ci ont souvent été imposées sans débat et dans l’intérêt de certains, mais rarement de tous.

Innovons ensemble : réfléchissons à une nouvelle transformation, mais préparée celle-ci. Et avec un objectif clair : que la monnaie devienne l’instrument, le moyen de remettre l’économie au service des gens (et non plus le contraire comme souvent aujourd’hui) et que l’éradication de la misère s’effectue dans le respect des droits de l’homme, des générations futures et de l’environnement naturel.

Nous proposons donc à nos lecteurs de se servir de cette étude pour se poser quelques questions, à débattre éventuellement avec leur entourage cet été : quelles sont les qualités de la monnaie légale qu’il faut conserver, quels sont ses défauts qu’il importe de supprimer, et, pour celà, quels devraient être le mode de création monétaire et ses objectifs, et quelles devraient être les fonctions de la monnaie légale pour qu’elle soit le meilleur outil de liens économiques de la société du XXI ème siècle ?

Après la trêve du mois d’août, dans notre numéro 1036 daté d’octobre, nous reviendrons sur ces questions pour éventuellement publier les réflexions et les suggestions que nous aurons reçues et nous commencerons l’exposé de notre réponse, pour en débattre ensuite.

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[1] dans Témoignage Chrétien, N° 3030, 03/10/2002.

[2] au cours de la Rencontre internationale “Reconsidérons la richesse”, Paris, 1-2 /03/2002. (Nous avons souligné ces termes parce que la correspondance de cette analyse avec celle de Jacques Duboin est frapppante … !)

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Planète en danger : Stop à l’AGCS !

août 2003

À moins de profonds changements dans le système économique global, la Terre, en proie à l’effet de serre, deviendra bientôt inhabitable. Or la compétition internationale exacerbée par les accords de “libre-échange” ne tolère plus de frein à la pollution et au pillage des ressources. Au lendemain de son élection, en porte-parole des compagnies pétrolières, G.W. Bush dénonçait le protocole de Kyoto sur la réduction des gaz à effet de serre. Pour accaparer les ressources du globe, les pays puissants n’hésitent pas à recourir à des guerres meurtrières, comme en Irak.

Mais ces guerres du pétrole en cachent une autre, juridico-commerciale cette fois. L’Organisation mondiale du commerce [1] (OMC), en guise de réglementation du commerce international, programme la privatisation des biens communs de l’humanité : l’eau, y compris des nappes phréatiques, les ressources naturelles, l’énergie et la biodiversité… Ce scénario avance masqué à travers le plus complexe des accords de l’OMC, l’Accord général sur le commerce des services [2] (AGCS). Accord sans précédent, l’AGCS fonctionne comme une bombe juridique à fragmentation. En révision à Genève depuis février 2000, il concerne tous les services, privés ET publics, à l’exception des services tels que police, justice, armée, diplomatie. Les négociations qui se déroulent à huis clos entrent dans une phase critique en vue de les boucler d’ici fin 2004. Un grand marchandage s’organise, sous forme “de demandes et d’offres de libéralisation de services”. Depuis plusieurs années l’Union européenne fait pression pour obtenir, via l’AGCS, l’ouverture à la concurrence de tous les secteurs dits d’environnement : les déchets solides dangereux, la protection du climat, des paysages et de la biodiversité, la gestion durable des forêts, la recherche-développement, la distribution, la purification et même le captage de l’eau.

Soif de profits

L’eau, qui nous relie tous, est un don de la nature. Sans elle il ne peut y avoir de vie sur Terre. La crise de l’eau (qui est de plus en plus polluée dans le Nord et qui manque cruellement dans nombre de pays du Sud) constitue un drame écologique et humain incommensurable. Mais pour les transnationales du secteur (Vivendi et Suez-Lyonnaise en tête), cette crise de l’eau est avant tout une opportunité d’affaires.

Fer de lance de l’offensive juridique pour la privatisation de l’eau, l’Union européenne a formulé des demandes “d’engagements” à 72 pays. Or, selon les règles draconiennes de l’AGCS, ces engagements sont irréversibles, sauf à payer des compensations financières aux opérateurs “lésés” (article 21).

De plus, pour les secteurs engagés, le cahier des charges (obligations de desserte, prix accessibles, critères de qualité/potabilité) échappera aux autorités nationales ou régionales (art.6-4). Avec la libéralisation du “captage de l’eau” une ultime étape serait franchie. Les pays n’auraient plus le droit de fixer de limites aux volumes que les firmes pourraient extraire de leurs nappes phréatiques. Les grands travaux de détournement qui pompent les réserves en eau de pays non solvables, comme celles du Lesotho, pour les vendre à la “clientèle” d’Afrique du Sud, se multiplieraient. Déjà, des banques (privées) de l’eau vendent au plus offrant des réserves souterraines dont la valeur augmentera à mesure que la ressource se raréfiera.

Les États-Unis, dans ce marchandage planétaire, exigent la libéralisation de toute la filière de l’énergie : prospection, extraction, production, transfert, consommation et gestion pour tous les combustibles et produits énergétiques. Ils réclament la mise sur le marché des données géologiques des sous-sols des pays, et prônent l’application du principe de “neutralité technologique” qui interdirait de discriminer entre les sources énergétiques, nucléaire ou solaire.

Services de l’environnement contre services de l’énergie, à travers le grand troc de l’AGCS, à l’insu des parlements et des populations, se joue la privatisation même des entrailles de la terre.

Si les lobbies d’affaires remportaient la partie, les biens indispensables à la survie passeraient sous la juridiction de l’OMC. Alors, les politiques de préservation des ressources et des écosystèmes, les mesures pour enrayer les pollutions ou pour combattre l’effet de serre pourraient être condamnées par le tribunal de l’OMC comme autant d’obstacles au commerce.

Les vrais services d’environnement nous sont rendus par la biosphère.

Cycle de l’eau, stabilité du climat, écosystèmes qui se régénèrent, sont et doivent rester des biens communs.

En tant qu’êtres humains solidaires avec les autres membres de notre espèce et vis-à-vis des générations futures, il nous incombe d’exiger et d’obtenir la suspension des négociations de l’AGCS.

Notre mensuel La Grande Relève s’associe pleinement à la campagne Planète en danger : Stop à l’AGCS qui a été lancée par l’Institut pour la Relocalisation de l’Économie, Nature et progrès et L’Écologiste.

Cette campagne est l’affaire de tous et nous invitons vivement tous nos lecteurs à y participer, d’abord en la signant, mais aussi en photocopiant et en diffusant le plus largement possible le texte qui suit . N’hésitez pas à le reproduire et à l’encarter dans des bulletins associatifs.

Retournez par courrier les pétitions signées à :

Campagne Planète en Danger : stop à l’AGCS
IRE, 14, Grand’Rue
30610 Sauve.

C’est à cette adresse que vous pouvez envoyer un don pour couvrir les frais de cette campagne. Cette pétition est en ligne sur deux sites : www.ecologiste.org et www.natureetprogres.org

Planète en Danger : stop à l’AGCS

Pétition diffusée par la revue La Grande Relève

Nous soussignés, considérons que l’Accord général sur le commerce des services, en négociation à l’Organisation mondiale du commerce, constitue une menace pour les biens communs inaliénables de l’humanité (eau, nappes phréatiques, ressources naturelles, biodiversité, énergie sous toutes ses formes, etc.).

Nous dénonçons ses règles irréversibles qui hypothèquent la protection de l’environnement, attentent aux droits essentiels et à la vie-même de milliards d’humains et prennent en otage les générations futures.

En conséquence, nous exigeons la suspension immédiate des tractations de l’Accord général sur le commerce des services et la remise en cause du mandat de négociation du commissaire européen au commerce extérieur.

Nous demandons solennellement au Président de la République d’entreprendre toutes les démarches nécessaires à la réalisation de cet objectif primordial.

Enfin, nous appelons énergiquement à la tenue dans les plus brefs délais d’une Assemblée Extraordinaire des Nations Unies. La priorité sera de déclarer les biens communs indispensables à la vie définitivement en dehors de la juridiction de l’Organisation Mondiale du Commerce, et celle-ci devra être subordonnée au système des Nations-Unies et à ses grands textes fondamentaux.

NOM et ADRESSE

SIGNATURE

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[1] Sur l’OMC, voir par exemple GR 992 (octobre 1999).

[2] Sur l’AGCS, voir par exemple GR 1005 (décembre 2000).

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Énergie et environnement

Et la géothermie ?

par R. POQUET
août 2003

On entend généralement par géothermie la seule exploitation des nappes d’eau chaude. L’électricité géothermique alimente actuellement en énergie 160.000 logements de la région parisienne [1]. Offrent également des possibilités : la région Aquitaine et le couloir rhodanien. En Alsace, à Soultz-les-Forêts, un gisement géothermique s’étend sur 3.000 km2, à cheval sur la frontière franco-allemande ; à partir de ce site, un “pilote” de 5 mégawatts pourrait être construit, pour un coût évalué à 250 ou 300 millions de Francs en 1996 [2].

Selon certains ingénieurs, l’exploitation des nappes d’eau chaude serait cependant une simple goutte d’eau comparée à l’océan des thermies contenues dans le noyau de la terre. Le 24 mai 1975, Henri Muller [3] rappelle qu’il suffit d’aller capter ces thermies dans le “manteau” de la surface du globe : « Commençons par dresser la carte du relief interne de la croûte terrestre de manière à localiser les zones de moindre épaisseur au regard de son relief externe. Poursuivons par des forages de reconnaissance effectués au laser, aux ultras-sons ou par toute autre méthode. Utilisons également les milliers de forages stériles déjà creusés par les compagnies de recherche pétrolière, les puits de mine désaffectés. Alors seulement pourra-t-on émettre un pronostic sur cette source d’énergie assurément considérable... La géothermie consiste, pour l’essentiel, à installer des échangeurs de température à profondeur optimum. Il n’apparaît pas nécessaire de créer d’immenses cavernes de réchauffage ; juste le passage pour une double conduite et un système de pompes ».

Tel le monstre du Loch Ness, la géothermie ainsi conçue resurgit régulièrement dans les publications scientifiques. Selon Nature [4], un géologue du California Institute of Technology (États-Unis), David Stevenson, propose « d’envoyer une sonde miniaturisée, de la taille d’un pamplemousse, vers le centre de la Terre. La sonde serait acheminée au sein d’une grande nappe formée de fer fondu. Sous l’action de la gravité, elle s’enfoncerait vers le noyau de la planète en suivant une faille tectonique. La sonde transmettrait ses découvertes par le biais d’ondes sismiques haute fréquence qui pourraient être détectées à la surface de la Terre. Selon Stevenson, la sonde mettrait une semaine à atteindre le noyau de la planète ».

À ce stade des réflexions et des propositions, il est difficile de dire si cette absence d’intérêt pour ce “Voyage au centre de la Terre” relève de l’hésitation à aborder de front le problème technique que cela représente ou de la volonté de sauvegarder les intérêts des groupes pétroliers et nucléaires. À cet égard, un échange de correspondances entre Henri Muller et certains responsables ou observateurs des problèmes énergétiques est assez instructif :
- le 23/2/1975, dans une lettre manuscrite et en réponse à une interpellation d’Henri Muller, Marcel Boiteux, Directeur général de l’EDF, précise que le nucléaire est « une énergie abondante et à bas prix » qui « l’emporte largement sur les autres solutions actuellement disponibles (solaire, géothermie, etc.) ».
- interpellé à nouveau en 1977, Marcel Boiteux, par lettre datée du 5 juillet, reconnaît que l’énergie nucléaire est « chère, polluante et dangereuse. Mais c’est quand même l’énergie la moins chère, la moins sale et la moins meurtrière dont les hommes aient disposé depuis deux siècles. Elle n’a encore, dans ses usages civils, jamais tué personne » [5]. Et il ajoute à propos de la géothermie : Elle « exige que les roches profondes soient mises en pièces sur quelques km3 pour développer une surface d’échange permettant l’extraction de la chaleur terrestre. Le seul procédé pratique pour y parvenir serait la bombe nucléaire souterraine. Ce ne serait pas gratuit. Et on hésite quand même à déclencher des phénomènes de cette taille dont le contrôle total n’est pas assuré. Ne serait-ce pas tomber de Charybde en Scylla ? ».
- interpellé à son tour, le Ministre de l’Industrie, par lettre du 9/2/1981, sous la signature de son chef de cabinet, répond notamment par ces lignes : « Les potentialités de l’exploitation des roches sèches sont effectivement très grandes, car elles concernent pratiquement toute l’écorce terrestre. Malheureusement cette technique, sur laquelle travaillent plusieurs équipes françaises, est loin de déboucher sur une utilisation rationnelle et économique. Il existe de très grands obstacles au développement de cette technique, le problème de la fracturation artificielle des roches en direction et en volume étant extrêmement difficile à résoudre. Ces considérations techniques vous permettent de mieux apprécier, je pense, à la fois la difficulté qu’il y a au développement de la géothermie, mais aussi la volonté manifestée par le Gouvernement de favoriser au maximum les recherches et réalisations dans ces différents domaines ».
- ayant eu connaissance de cette réponse par Henri Muller, le vulcanologue Haroun Tazieff envoie à celui-ci la mise au point suivante : « Ce que vous écrivait le Ministre de l’Industrie est à la fois vrai (non-rentabilité actuelle des roches sèches) et délibérément faux (efforts gouvernementaux). Les efforts des gouvernements giscardiens étaient uniquement orientés vers le freinage de la géothermie, freinage camouflé sous la poudre aux yeux du “Comité de Géothermie”, du cadre juridique, des aides financières, du chauffage par la géothermie etc. Il est mensonger d’affirmer qu’à Bouillante une centrale de 4750 kW est en cours de montage et que d’importants travaux ont été réalisés à la Réunion et à la Martinique, qu’une importante recherche est en cours dans le Massif Central. Ces mensonges permettaient de retarder le développement - aux dépens du nucléaire - de la géothermie ».

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Quelles conclusions tirer de ces quelques remarques, avis et propositions ?

• 1 – Qu’au fil des siècles, les hommes ont tour à tour développé les énergies apparentes – eau, vent, soleil,… et souterraines – charbon, pétrole, gaz,… avant de révéler d’autres possibilités comme l’énergie électrique et l’énergie nucléaire. Pourquoi s’arrêteraient-ils en si bon chemin ?

• 2 – N’est-il pas étrange que d’énormes moyens humains, techniques et financiers aient été mis au service de l’exploration de la Lune et de Mars, alors qu’une sonde « de la taille d’un pamplemousse » n’a pas encore été envoyée au centre de la Terre ?

• 3 – Cette obstination à recourir à certaines énergies en cours d’épuisement, comme le pétrole, ne coïncide-t–elle pas avec cet acharnement à réaliser des profits à court terme au détriment de toute considération liée au “développement durable” ?

• 4 – Le manque d’intérêt pour ce “voyage au centre de la Terre“ n’a-t-il pas quelque rapport avec le danger que représente pour une économie reposant sur la rareté de l’énergie et des biens et sur la rentabilité de tous les produits, l’apparition d’une énergie abondante dont le prix de revient serait faible, relativement aux autres énergies ?

• 5 – Que l’on y songe ! Plus de transport de pétrole ou de gaz d’un pays à un autre : à demeure sous ses pieds, l’énergie géothermique serait un gage d’indépendance et un facteur de développement pour les pays qui accepteraient d’y souscrire. Autre menace pour le capitalisme mondialisé !

La géothermie ? un dossier qui piétine lamentablement, à l’image d’une économie néo-libérale exclusivement tournée vers une croissance purement économique et toujours aussi peu soucieuse du développement humain. Quant à nos politiques, ils ne sont pas à une contradiction près. Deux avis récents mettent en valeur celle-ci :
- Dans une interview parue dans Femina, à l’occasion de la Semaine du développement durable (2 au 8 juin 2003) Tokia SaIfi, secrétaire d’État au développement durable, affirme : « Il faut que le gouvernement intègre le développement durable dans la prise de décisions aussi bien dans l’agriculture, dans l’énergie, que dans les transports... ».
- Le rapport établi par le Conseil National du Développement durable, qui doit servir de base à une stratégie qui sera dévoilée à l’issue d’un comité interministériel le 3 juin 2003, survole - selon un journaliste du Monde [6]- « l’agriculture, l’énergie et les transports, trois dossiers sensibles ».

Comme on peut le constater, il n’y a plus qu’à tirer l’échelle. Ce qui évite de descendre au centre de la Terre.

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[1] France 2, Informations, 24/05/2003.

[2] Le Monde, 13/09/1996.

[3] Par ses nombreux articles et communications, Henri Muller, ingénieur diplômé de l’École supérieure d’électricité, a beaucoup contribué, depuis près d’un demi-siècle, à la diffusion et à la pénétration d’une “économie communautaire” dans les milieux dits autorisés.

[4] Voir le Nouvel observateur 22-28/05/2003.

[5] Depuis, il y a eu Tchernobyl…

[6] Le Monde, 06/05/2003.

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Expérience

Roger Winterhalter a présenté (GR 1030, mars 2003) le projet de monnaie distributive sur lequel il travaille avec un groupe dans le cadre des activités de la Maison de la Citoyenneté Mondiale inaugurée en 2002 à Mulhouse (voir GR 1021). Cette expérience, « qui ose préfigurer une autre société fondée sur l’abondance et non sur la rareté », a démarré : le premier Marché Plus s’est tenu. Après le temps des simulations, voici donc venu celui de la mise en pratique.

Le premier marché Plus

par C. ECKERT
août 2003

Le groupe Economie Solidaire se réunit une fois par mois à la Maison de la Citoyenneté Mondiale (MCM), depuis une bonne année, généralement le premier mardi du mois à 19 heures [1].

Les préparatifs

Après avoir élaboré le projet, au printemps dernier, le groupe a entamé une période de simulations destinées à s’assurer que, dans l’ensemble, les demandes des membres du groupes correspondent aux propositions de ces mêmes membres. L’adéquation ayant été jugée satisfaisante, le lancement de l’opération est décidé lors de la réunion du mois de mai et la date du premier Marché Plus est fixée au 23 juin. D’ici là chaque participant aura le loisir de se procurer son carnet personnel autocopiant [2] lui permettant d’exprimer les propositions qu’il fera lors du prochain marché, c’est-à-dire pour le mois suivant si la périodicité du Marché Plus est mensuelle.

À titre d’exemple, considérons Monsieur Distri1 qui souhaite proposer des cours de philosophie, des heures de ménage à la MCM et des bons d’achat. Monsieur Distri1 doit donc remplir trois fiches. Sur chacune d’elles il indique son nom, la date et l’objet de la proposition. Les cinq heures de cours de philosophie qu’il inscrit sur la première fiche sont comprises comme cinq heures pour le mois à venir et lui sont comptabilisées 50 Plus, la valeur de base ayant été fixée à 10 Plus de l’heure. Sur la deuxième fiche il note deux heures par semaine, en précisant qu’il s’agit de bénévolat, ce qui représente au total huit heures et lui vaut donc 80 Plus, puisque la valeur horaire est la même qu’il s’agisse de cours ou de ménage. Enfin, sur la troisième fiche, il propose trois bons d’achat, valant 10 Euros chacun, qui lui rapportent un total de 30 Plus, le taux de change étant de 1 Plus pour 1 Euro. Ceci fait, Monsieur Distri1 dépose un exemplaire de chaque fiche dans l’urne prévue à cet effet et garde le double dans son carnet. Chaque participant procède de la même manière avant la date de clôture, fixée une semaine avant le Jour J de façon à permettre l’inventaire de l’ensemble des propositions, l’émission de la quantité de monnaie correspondante et le calcul de sa répartition entre les différents partenaires.

Dans l’intervalle, la « charte pour la mise en place d’une monnaie solidaire et distributive » est achevée. Il y est spécifié, entre autres, que « la monnaie sera distributive et ne donnera pas lieu à versement d’intérêts et à une spéculation quelconque », que « la quantité de monnaie émise doit correspondre à la production, aux marchandises, aux biens, aux services mis à disposition par les participants », que « les partenaires doivent être représentatifs d’un éventail très large (chômeurs, précaires, demandeurs d’asile, ouvriers, cadres, artisans, commerçants… ) », que « la monnaie sera détruite ou restituée à l’émetteur après usage », et que « l’expérimentation devra faire ressortir l’aspect distributif ; la mise en commun, le principe de l’abondance et non de la rareté ; la solidarité, le partage et le lien social qui en découlent ; la préfiguration d’une autre société ».

Le premier Marché Plus

Ce 23 juin, jour du premier Marché Plus, nous sommes une vingtaine de personnes à nous retrouver à 18 heures à la MCM. Après avoir rappelé que « la monnaie n’a d’autre valeur que de permettre des échanges », Roger Winterhalter retrace les motivations de cette expérience de monnaie distributive, ses objectifs et ses modalités de mise en œuvre (voir GR 1030). Il indique que 26 personnes ont fait des propositions mais estime qu’il faudrait être environ 300 pour que cette expérimentation puisse être concluante et propose donc à chacun de convaincre 10 autres personnes d’entrer dans le groupe. Chaque participant prend ensuite un exemplaire de la liste des biens et services disponibles à l’occasion de ce marché, ainsi qu’un exemplaire de la répartition. Roger commente ces deux documents.

La prédominance des offres de services (cours de français, de philosophie, d’économie, d’informatique et de tricot, chambre d’hôte, mise à disposition de vaisselle, d’une voiture, d’une machine à coudre et d’outillage, traduction, ménage, secrétariat, covoiturage, composition de documents, animations artistiques, gardiennage, couture, repassage, rénovation de meubles, bricolage, cuisine, courses et aide à la création d’entreprises) et du bénévolat au sein de la MCM (nettoyage, secrétariat, cours de français pour les demandeurs d’asile, comptabilité et informatique) par rapport aux offres de biens (des gâteaux, un CD, des tickets restaurant et des bons d’achat) résulte de l’absence de producteurs et de commerçants dans le groupe. Il serait souhaitable d’en trouver qui acceptent de participer à l’expérience afin que les partenaires reflètent mieux l’éventail des activités nécessaires au fonctionnement d’une société.

Le total des propositions correspond à un montant de 3.613 Plus. C’est cette somme dont les trois-quarts, soit 2.710 Plus, sont répartis également entre tous les participants.

Puisque ceux-ci sont au nombre de 26 et que le multiple de 26 le plus proche est 26 x 104 = 2.704, chaque participant se voit attribué un revenu de base égal à 104 Plus.

Ceci fait, il reste 3.613 - 2.704 = 909 Plus à répartir.

À cette somme s’ajoutent 500 Plus, valeur conférée aux dix vestes qu’un commerçant a données (elles ont un léger défaut de couleur par endroit) lorsqu’il lui a été proposé de rejoindre le groupe. Cette forme de participation, si elle n’est pas celle souhaitée, est prévue par la charte qui stipule que « les dons à fonds perdus (de commerçants par exemple) sont possibles mais ne sont pas recherchés systématiquement ». Si la valeur des vestes s’ajoute au montant restant à répartir, celle associée au bénévolat effectué à la MCM doit être déduite, car le travail correspondant bénéficie à tout le monde, ce sont des services collectifs. Comme ils ont généré 930 Plus, il reste finalement 909+500-930 = 479 Plus à distribuer au prorata de la valeur des propositions des uns et des autres.

Celles-ci étant comprises entre 35 et 390 Plus, le revenu complémentaire varie de 5 à 52 Plus.

Au final, le revenu total s’échelonne de 109 à 156 Plus, soit moins de 50 % de différence entre le plus élevé et le plus faible, alors que les valeurs des propositions des différents participants varient dans un rapport supérieur à 11.

Il y a donc bien eu émission d’une quantité de monnaie basée sur la production de biens et services, et son mode de répartition en fait bien une monnaie distributive, mais l’égalité des revenus n’est pas encore atteinte.

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Après ces commentaires, la deuxième partie de la réunion est consacrée au marché proprement dit.

Les participants vont retirer les Plus auxquels ils ont droit, puis consultent la liste des propositions et discutent avec leurs partenaires selon les propositions qui ont retenu leur attention. Certains essayent des vestes avant de se décider, ou non, pour l’une d’entre elles, d’autres échangent leurs coordonnées ou conviennent d’un jour avec l’auteur d’une proposition de service qui l’intéresse, d’autres encore échangent leur Plus contre des bons d’achat.

Au sujet des bons d’achat, il faut préciser qu’il existe à Mulhouse un réseau d’une trentaine d’enseignes acceptant les mêmes bons d’achats. Il y en a toutefois également d’autres disponibles au Marché Plus, certains partenaires s’étant procuré des bons d’achat auprès de commerçants spécifiques (magasin de vêtements, producteurs bio au marché, …).

Et après ?

Pendant la deuxième partie de ce premier Marché Plus, tandis que les partenaires commençaient à acquérir des biens ou des services, plusieurs questions concernant leur évaluation sont apparues. C’est ainsi que Mme Distri2, qui avait proposé de mettre sa machine à coudre à disposition, trouvait que compter 10 Plus de l’heure, le même prix que si elle avait proposé de faire de la couture, était un peu beaucoup. De même, la chambre d’hôte a été comptée 100 Plus par jour sur la base de 10 heures à 10 Plus, bien que mettre à disposition un lit pour une nuit ne soit pas vraiment du travail.

D’autres produits sont difficiles à évaluer. Par exemple, le prix d’un gâteau doit-il être fixé par référence à celui pratiqué dans un supermarché, dans une pâtisserie, ou calculé à partir du prix des ingrédients et du temps passé à sa confection ?

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Toutes ces questions, et d’autres encore, seront sans doute l’objet du travail du groupe dans les prochains temps.

Déjà, la charte prévoit que les principes qui y sont « énoncés et acceptés sont appelés à évoluer en fonction de l’expérimentation ».

Des ajustements du mode de fonctionnement pourront être suggérés et testés.

Le prochain Marché Plus se tiendra après l’été, en septembre, après quoi il deviendra mensuel.

Laissons donc cette expérience suivre son chemin quelques mois de manière à avoir le recul nécessaire pour les critiques et les encouragements.

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[1] Maison de la Citoyenneté Mondiale, 20 rue Paul Schutzenberger, 68200 Mulhouse, 03.89.33.97.86, mcm.arso @wanadoo.fr

[2] = ce que l’on écrit sur une page est reproduit sur la page suivante

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Pétrole …

par R. MOURIN
août 2003
Le jeudi vingt mars deux mille trois,
l’ombre d’un B 52,
rapace monstrueux,
se faisant bagagiste
des noirs surplus capitalistes,
glissait, carnassière et sans loi,
mais très évangélique,
sur la bien pensante Amérique.

L’avion est parti tuer Bagdad.
Le “Prime-faussaire” a dit — Croisade !...
Mais, huileuse et tenace, l’ombre
laissera sa trace sombre
sur la grasse bedaine
de la conscience américaine.

Mais... Mais encore une guerre
aide bien les affaires...
La monnaie s’enrichit
aux crimes impunis...
Pour les canons et leurs marchands,
les patries chantent « Allons enfants ! »

Jeunes et naïfs Américains,
en bons républicains,
qui allez tuer pour le drapeau,
ne questionnez pas trop....
Mais à ce « beau travail »,
ajoutez un détail :
Sacrifiez vous un peu !
Avec joie ! C’est le jeu
pour rendre moins visibles,
et cacher à vos mères
vos tâches sanguinaires
aux raisons indicibles.
C’est le « sort le plus beau »,
petits blancs pitoyables,
blacks chômeurs insolvables,
vous serez des “héros” !
C’est comme cela qu’ils nomment
quelques restes d’un homme.
Pensez à ces familles,
dont la fierté sautille !
Aux plaisirs d’autoroute !
Au Dollar sans déroute !
Vous partirez, moins seul,
sous l’étoilé linceul...

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Silence des médias

août 2003

Nos lecteurs se souviennent sans doute de notre numéro GR 1032 qui contenait une information, généralement passée sous silence, à propos des raisons de l’agression menée par G.W. Bush contre l’Irak. Nous les avions informés que nous avons adressé ce numéro, avec une lettre d’accompagnement, aux directeurs de 39 journaux, nationaux et régionaux.

Nous n’avons reçu, en retour, qu’une seule “réponse : celle de Bruno Frappat, directeur de La Croix, qui a eu la politesse d’accuser réception, en disant qu’il transmettait à son secrétariat. Aucun des autres n’a réagi. Et aucun n’a publié l’information, même sans commentaire.

Dans la GR 1033, nous demandions à nos lecteurs de nous dire combien ils pensaient que nous aurions de réponses. Eux non plus n’ont pas été nombreux à s’exprimer, mais tous ceux qui ont réagi pensaient que nous n’aurions même pas un seul accusé de réception… Ils étaient donc bien près de la vérité. L’un d’eux, L.V., de Salon-de-Provence, a même ajouté cette explication à l’attitude des journaux : « Les journaux, vivant de la publicité, ne prennent pas le risque de vider leur gamelle ! » Nous lui offrons l’abonnement au profit d’un tiers. Qu’il nous en donne l’adresse.

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