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   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
 
 
 
 
 
AED La Grande Relève Articles > N° 1041 - mars 2004

 

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N° 1041 - mars 2004

Voter  ?
— Oui, mais sans illusions :

Le problème du chômage est insoluble avec le système monétaire actuel

TROIS
PROPOSITIONS
INNOVANTES

à débattre

La tentation de mars   (Afficher article seul)

Pourquoi imaginer une autre société ?   (Afficher article seul)

Quelle économie souhaitons-nous ?   (Afficher article seul)

Maîtrise, licence ou licenciements ?   (Afficher article seul)

Petit commentaire sur les feuilles accompagnant nos déclarations d’impôts.

Libération   (Afficher article seul)

Voici les conclusions de notre étude sur la monnaie, publiée dans nos numéros 1027 à 1038 et qui amènent au développement des trois propositions suivantes :

- Revenir au droit Régalien,
- Fixer objectivement la masse monétaire,
- Séparer la gestion des biens de celle des gens.

Lettre à un ami   (Afficher article seul)

Nouvelle économie, finances : II – L’Europe à deux ?   (Afficher article seul)

^


Éditorial

La tentation de mars

par J.-P. MON, M.-L. DUBOIN
mars 2004

La tentation est grande de jeter l’éponge en refusant d’accomplir son devoir de citoyen ou en mettant un bulletin nul dans l’urne, sous prétexte que celle-ci n’offre aucun espoir.

La tentation est grande, et encore plus dangereuse de se laisser séduire par les sirènes de l’extrême droite. Ayant compris le système élaboré par les professionnels de la politique qui se sont placés à la limite de la légalité, et parfois au-delà, pour assurer leur réélection, on peut croire tout résoudre en reprenant le refrain “Tous pourris !” lancé naguère par le plus dangereux d’entre eux. D’autant plus que l’opinion vient d’être légitimement choquée, puisque ces pratiques viennent de faire l’objet d’une nouvelle condamnation, de voir que c’est au tribunal que s’en prend le gouvernement en lui reprochant d’avoir osé appliquer à l’un des responsables de sa majorité (« le meilleur d’entre nous » dit de lui le Président de la République), les lois qu’il avait lui-même fait voter quand il était premier ministre ! Surtout que, dans le même temps, il restait indifférent au nouveau cri d’alarme de l’abbé Pierre, qui, 50 ans après son premier appel, constatait que dans notre pays, dont la richesse n’a jamais cessé de croître en ce demi-siècle, le nombre de sans-logis, le nombre de pauvres, et surtout le nombre d’enfants pauvres, n’a cessé d’augmenter. On a pu ainsi constater que ceux qui nous gouvernent ont bien d’autres préoccupations que d’écouter celui qui dénonce encore et toujours “la misère dans l’abondance”…

Mais ne pas voter, c’est se montrer tout aussi indifférent et irresponsable, c’est accepter le pire et s’y soumettre. Quant au vote “sanction”, l’expérience d’avril 2001 en a montré les dangers : au lieu de faire comprendre au gouvernement “J’os’pas” qu’il n’était pas allé assez loin, c’est dans la direction opposée qu’il a permis d’aller beaucoup plus vite et beaucoup plus loin.

Le mécontentement est si général qu’on voit bien que les élections régionales auront une portée nationale. Mais une majorité de Français est désemparée, assommée, écœurée, désespérée au point de se demander : que faire ? La seule réponse courageuse est évidemment : réfléchir, juger, et voter de façon non plus négative, mais la plus positive possible. Mais sur quels critères juger ? Les professionnels de la politique ont beaucoup de moyen pour séduire. Combien de gogos ont voté naguère pour le FN-MNF sans même se douter qu’ils acceptaient ainsi de réduire encore plus l’État-providence, de démanteler tous les services publics, et en plus de supprimer le smic et de favoriser le capital financier, de supprimer les impôts payés par les plus riches (impôts sur les droits de succession après l’impôt sur le revenu) et d’augmenter la TVA, de suspendre toute subvention à la culture et de recréer le délit d’opinion en commençant par le contrôle des livres autorisés comme à la bibliothèque de Vitrolles ? Combien vont encore voter pour l’extrême droite sans même comprendre que son programme économique est encore pire que celui du gouvernement Raffarin, avec en plus, pour élargir son audience dans les catégories populaires, la promesse de conserver des avantages sociaux pour les “seuls Français de souche”, ce qui, sous couvert de “préférence nationale, rend les immigrés (ceux qui sont pauvres) responsables de tous les maux de notre société, ajoutant ainsi la xénophobie et la haine raciale au “chacun pour soi et que seul le meilleur gagne” du néolibéralisme actuel, et avec une répression policière encore pire que celle de Sarkozy ?

*

S’il existe une clé pour juger d’un programme, c’est d’abord de se rappeler que la politique revient toujours à décider du partage des richesses, et que c’est l’État qui a le pouvoir d’organiser la solidarité. Vouloir moins d’État, c’est vouloir moins de solidarité. La question essentielle est donc de voir si un programme recherche un mieux pour tous ou seulement pour une classe, pas celle des plus pauvres. Propose-t-il des mesures de solidarité ou se prépare-t-il à conforter la société à plusieurs vitesses ? Va-t-il organiser la coopération ou bien une politique de classe, opposant des catégories les unes aux autres : les fonctionnaires aux salariés du privé, les bons Français à tous les étrangers qui ne viennent que pour les priver d’emplois rémunérateurs, les artisans aux artistes “parasites qui ne créent pas de vraies valeurs”, les patrons qui créent des emplois aux syndicats qui se cramponnent à des avantages injustifiés. Il est vrai que “décoder” les belles déclarations demande parfois du flair ou de l’expérience, car on se rappelle que Chirac a séduit en proposant de “réduire la fracture sociale”, puis choisi un gouvernement qui s’applique au contraire, avec méthode, rapidité et détermination, à élargir cette fracture, et qui déclare organiser la concertation mais agit sans en tenir compte. Les lois récentes modifiant les retraites en sont un exemple. Pour maintenir le régime de solidarité, il fallait, mais il n’y avait pas urgence, revenir sur la dérive du partage entre les salaires et les profits, la part des premiers ayant en vingt ans, baissé de 10 % dans le PIB (soit 850 milliards de francs par an) au bénéfice des seconds. Le gouvernement précédent n’a pas osé prendre une mesure radicale allant en ce sens, il a préféré attendre, discuter, convaincre. Le gouvernement actuel a d’emblée, toujours repoussé toutes les suggestions allant vers ce rééquilibrage tout en affirmant haut et fort deux énormes mensonges : d’une part qu’il y avait urgence, d’autre part que son intention était de maintenir la solidarité, et il a fait semblant d’organiser un large débat. Puis il a légiféré comme il avait décidé et il n’est qu’à voir aujourd’hui la publicité des compagnies d’assurance pour comprendre, si on n’avait pas eu les yeux ouverts plus tôt, qu’il s’agissait bel et bien de développer la capitalisation. Un scénario semblable est en route pour permettre aux société privées de faire des bénéfices sur tous les services publics qui peuvent être rentables, laissant les autres se dégrader de plus belle, mais en jurant que leur souci est de les “moderniser”. On le voit maintenant pour la santé : les décrets seront pris en juillet sans débat, rendant inutile tout semblant de concertation. Puis viendra le tour de l’énergie (EDF, GDF), de la poste, des transports ferroviaires, de la recherche, plus tard de l’éducation nationale, etc.

Pour ne pas se laisser leurrer, il faut chercher la solidarité, chercher l’humain dans la motivation des programmes, et faire le tri entre ambition personnelle et sincérité.

Et puis, en votant, ne pas considèrer seulement son propre intérêt, oubliant le sort des plus pauvres. Car peut-on reprocher aux professionnels de la politique de ne penser qu’à leur carrière, si soi-même on ne pense qu’à soi en votant ?

Agir en bon citoyen demande certainement du courage, et, du coup, nos politiciens parient sur l’égoïsme de leurs électeurs : quand, à la veille d’une élection, le parti au pouvoir annonce qu’il va allèger de trois milliards d’euros les rentrées fiscales dues par certaines entreprises (en plus des vingt autres milliards d’allégement de charges et en plus des baisses précédentes d’impôt sur le revenu), on voit bien que son but est à plaire à sa clientèle aux frais de la “France d’en bas”, puisque tous ces milliards qui n’iront pas dans les caisses de l’État sont des milliards en moins pour l’aide sociale, pour les vieux, pour les malades, pour les services publics, pour la culture, l’éducation et la recherche, au mépris de l’avenir.

Il est illusoire de compter se rattraper ensuite en versant à quelque téléthon. La charité peut de moins en moins faire face à la détresse qui augmente. Encourager cette politique ou amener encore pire, c’est favoriser l’explosion d’une révolution violente, d’autant plus que la répression policière s’organise. Mais ce n’est pas avec des mesures sarkosyennes qu’on peut venir à bout de l’insécurité sociale, surtout quand on l’accroît. Il ne sera bientôt plus possible de critiquer de telles méthodes.

Mieux vaudrait en prendre conscience que prétendre que droite et gauche c’est la même chose !

*

Leurs politiques ont des objectifs diamétralement opposés, mais ils ont en commun de n’avoir pas de solution aux multiples problèmes que pose aujourd’hui le chômage dans nos sociétés.

Si l’électeur essaie tour à tour la gauche, puis la droite, sans jamais être satisfait, si tel une mouche piégée dans un verre retourné, il se cogne en tous sens, puis perd espoir en ne trouvant pas d’issue, c’est qu’aucun parti ne propose de soulever le verre.

Parce que tous ne cherchent de solution que dans le système. Or dans ce système, il n’y en a pas. Aucune de leurs tentatives n’est viable, la situation de l’emploi leur échappe, toutes les vieilles recettes sont périmées. Et aucun parti n’ose voir plus loin. Peur de ne pas être pris au sérieux, d’être qualifié d’utopiste, de ne pas “être un parti de gouvernement” ? Ou bien parce qu’aucun ne s’est aperçu que la révolution, la vraie, la grande relève, a déjà eu lieu : celle des moyens de production. Ils ne voient pas que l’automatique, la génétique, la robotique, l’informatique, la communication, la miniaturisation, etc. modifient de fond en comble la société.

Le problème dont découlent tous les autres, c’est que la production des biens de première nécessité, qui est aujourd’hui entre les mains d’une minorité, ne procure plus assez de salaires pour faire vivre une majorité croissante d’êtres humains. Cette impossibilté est évidente quand on fait le tour du problème, comme le propose Patric Kruissel dans les pages qui suivent.

On a tellement oublié que le rôle de l’économie c’est de produire de quoi vivre, et non de rapporter de l’argent, qu’on a fini par trouver naturel que ce soit le système financier qui tienne les rênes de l’économie et qui décide quoi produire, où, comment, en quelles quantité, avec qui, pour qui, etc. Alors tout le monde lui obéit quand il impose ses deux impératifs que sont la compétition et la croissance. Et il les présente comme indiscutables, inévitables, incontournables. La droite est à son service et elle en profite. La gauche au gouvernement s’est contentée de faire pour le mieux avec les moyens qu’elle avait, elle a joué le jeu sans oser en discuter les règles. Elle s’est laissée enfermer dans les vieux schémas au lieu de chercher comment en adapter de nouveaux à la situation nouvelle. Du coup la seule issue qu’elle imagine, éperdûment, c’est toujours de créer des emplois, des emplois, toujours des emplois. Mais pour quoi faire ? Pour produire des gadgets pour les gogos et du luxe pour la minorité de plus en plus riche ? Et à quel prix pour les salariés et pour l’environnement ? Même à l’extrême gauche, il semble toujours impensable d’envisager un partage des richesses, qui sont produites avec de moins en moins de main d’œuvre, sans passer par un salaire “proportionnel” au travail humain fourni. Ce qui n’a plus de sens.

Seuls, les écologistes se méfient de la croissance dont ils voient les conséquences, mais ils n’arrivent pas à se mettre d’accord pour proposer un système qui permettrait un meilleur partage sans imposer la croissance.

Il faut que cesse ce dialogue de sourds. Il coûte très cher, en capital humain, bien sûr. D’autant que la force armée ne peut pas éternellement contenir l’explosion d’une violente révolte, et alors, qui sait où elle mènera ? L’opinion ne peut pas continuer à se boucher les yeux, à décréter a priori que remettre en question l’obligation de croissance serait condamner la civilisation, alors que visiblement c’est au contraire la croissante infinie qui la condamne ! Pourquoi serait-ce un rêve d’illuminés qu’imaginer que la coopération puisse remplacer la rivalité ? Non seulement le contraire se démontre mais une foule d’exemples en témoignent.

Nous voulons croire, devant l’extrême gravité de la situation, que l’opinion fera entendre raison aux professionnels de la politique, mal conseillés par les économistes ayant reçu la bonne parole (et qui y croient encore). C’est dans cet esprit que nous publions ce numéro un peu spécial. Après avoir analysé le système actuel, comment il fonctionne, quels sont ses mécanismes et sur quels principes il a été construit, ce qui a constitué le dossier sur la monnaie que nous avons publié l’an dernier, nous tirons nos propres conclusions. Bien entendu, les économistes patentés n’admettront pas que de simples citoyens puissent se permettre un regard critique sur leur domaine réservé. Mais nous croyons nécessaire de passer outre en présentant trois propositions qui permettraient de revenir sur les impératifs de concurrence et de croissance.

Nous ne faisons que suggérer des orientations, car nous estimons que c’est ensuite aux citoyens de décider eux-mêmes comment s’organiser.

Mais pour cela, il faut qu’ils en aient la possibilité, et c’est le but de ces propositions.

^


Le problème du chômage

Le manque de revenus décents quand on ne trouve pas à vendre son travail a des conséquences désastreuses dans tous les domaines. Or il n’existe dans l’économie actuelle que deux solutions pour supprimer le chômage : la croissance et la réduction du temps de travail. Mais la croissance ne réussit plus, depuis bientôt trente ans, à enrayer le fléau, alors qu’elle génère des perturbations écologiques irréversibles et qu’elle n’améliore plus le bien-être général. Quant à la RTT, elle crée peu d’emplois, et lorsqu’elle est généralisée, elle provoque des tensions sur le marché du travail et ne répond pas forcément aux souhaits individuels.

Patric Kruissel en conclut qu’il faut sortir de ce système et imaginer d’autres bases à la société afin que les modes de production s’orientent progressivement vers une économie, non plus au service des puissances financières, mais plus respectueuse des Droits de l’Homme, plus équilibrée entre le Nord et le Sud et moins agressive pour notre environnement.

Pourquoi imaginer une autre société ?

par P. KRUISSEL
mars 2004

Conséquences du chômage

La principale conséquence du chômage dans un ménage est la perte de revenu (allant de 25 % jusqu’aux minima sociaux pour les personnes en fin de droits). Le chômage génère une exclusion multidimensionnelle (sociale, politique, économique…). Cette exclusion a très souvent des conséquences dramatiques sur l’éducation des enfants (alimentation, habillement, confort, espace habitable, prévoyance santé, soutien scolaire, loisirs, sport, culture, vacances…). Le surendettement aboutit, dès la suspension de paiement, au déclenchement des procédures de recouvrement (rappel, intervention des huissiers de justice, saisies diverses).

Le chômeur bénéficie d’un espace temps dont rêvent tous les actifs, mais ne profite pas de ce loisir pour tisser des liens sociaux et se renferme, au contraire, dans un isolement relationnel. Chez les chômeurs, les décès par maladies cardio-vasculaires et rénales augmentent de 50 % et le risque de décès par suicide double.

En plus des conséquences néfastes au niveau individuel, de nombreuses études montrent la corrélation entre chômage et délinquance, donnée que les pouvoirs publics ne peuvent ignorer. Si, face aux achoppements de la recherche d’un premier emploi, des moyens illégaux d’argent facile se présentent, notamment le trafic de drogue, il est fatal que certains basculent dans la délinquance.

La plupart des personnes arrêtées et condamnées à l’emprisonnement pour vols ou violences sont issues des milieux touchés par la pauvreté et le chômage. Un million de chômeurs supplémentaires sur 5 ans entraînent 50.000 morts supplémentaires, 60.000 cas de maladies mentales, 14.000 condamnations pénales. D’après Brenner [1], 10 % de chômage supplémentaire entraine une hausse de 1,3 % du taux de mortalité attribuable aux cirrhoses, de 4 % du taux d’arrestations, de 6 % du nombre d’incarcérations, de 3,4 % du nombre de crimes économiques, de 0,8 % du nombre de crimes violents (1,9 % chez les jeunes). Le chômage génère indéniablement du stress à l’intérieur même des entreprises, surtout celles soumises à la concurrence internationale et au risque de délocalisation. Les employeurs eux-mêmes se servent du chômage pour augmenter la pression sur les salariés (refus de hausses de salaire, accélération des cadences…). L’OIT signale que le coût des problèmes de santé mentale liés au travail, dont le stress, représente 3 % du PIB. Enfin ces désordres sociaux créent un sentiment d’insécurité, une perte d’identité et un refuge vers des solutions parfois peu adaptées (votes extrémistes, intégrisme religieux, dérives sectaires, mépris des valeurs citoyennes).

Coûts économiques du chômage

La facture officielle se monte à 70 milliards d’euros (cotisations URSSAF, ASSEDIC et caisses de retraite, perte fiscale pour l’Etat et les collectivités locales…) à laquelle il faut ajouter une grande partie du coût des minima sociaux et du coût des allégements de charges patronales. Les coûts économiques du chômage représentent 6 % du PIB. Une étude canadienne [2] donne une fourchette comprise entre 5 et 12 % du PIB.

Coûts externes du chômage

Aux coûts économiques, il faut ajouter les effets externes provoqués par les conséquences sociales du chômage. Jacques Nikonoff évalue le coût global du chômage à 13 % du PIB, chiffre contestable en l’absence d’études sérieuses des pouvoirs publics. On peut cependant certifier que la réduction du chômage permettrait de faire des économies non négligeables dans un certain nombre de domaines :

• Forces de police et de gendarmerie en manque d’effectifs. La baisse de la délinquance n’est-elle pas une solution efficace à ce problème ?

• Tribunaux croulant sous les dossiers. Là encore la baisse de délinquance liée au chômage ne serait-elle pas une aubaine pour soulager l’administration judiciaire et remédier à sa lenteur ?

• Surpeuplement carcéral. Le gouvernement a choisi de construire de nouvelles prisons. S’attaquer aux causes de la criminalité n’est-ce pas une meilleure solution ?

Causes du chômage

Par définition, la productivité est la quantité de production fabriquée par unité de temps. La production étant confondue avec la consommation C, prise au sens large du terme, c’est-à-dire le PIB, elle est donc le produit de la productivité P par le temps de travail T, soit C=P x T.

Or, de 1946 à nos jours,
le PIB a été multiplié par 9,5,
soit une augmentation de 850 %,
le temps de travail a été multiplié par 0,9,
soit une diminution de 10 %,
la productivité a été multipliée par 10,5,
soit une augmentation de 950 %,
la population française a été multipliée par 1,46,
soit une augmentation de 46 %,
la production par habitant a été multipliée par 6,5,
soit une augmentation de 550 %.

La baisse du temps de travail de 10 % est la résultante de deux paramètres : la population active a augmenté de 26 % et la durée annuelle du travail a diminué de 28 %.

On trouvera dans le tableau ci-contre des chiffres de 1946 et de 2002 pour comparaison.

De 1946 à 1975, la progression moyenne annuelle de la productivité horaire a été très forte (5,5 %) mais la croissance a permis de limiter la montée du chômage. Par contre, depuis 1975, la productivité a ralenti (2,6 % en moyenne) et la croissance a été, la plupart du temps, plus faible, donc le nombre de créations d’emplois a diminué et le chômage s’est développé.

*

Trois solutions à ce problème : ne plus générer de gains de productivité, favoriser la croissance, réduire le temps de travail :

Première solution : Ne plus générer de gains de productivité, car à consommation stable, le chômage n’augmenterait pas. Remplacer le tracteur par la bêche, l’ordinateur par la gomme et le crayon, les moyens de transport moderne par le cheval, cet ensemble de moyens permettrait de réduire considérablement les gains de productivité et de donner du travail à tout le monde. Mais c’est absurde ! On n’arrête pas le progrès ! Le facteur productivité, paramètre intangible, a un taux de progression annuelle de 2,5 %. Cela signifie, que chaque année, on a le choix entre : à temps de travail fixe, augmenter la consommation de 2,5 %, ou à niveau de consommation fixe, diminuer le temps de travail de 2,5 %. La situation intermédiaire de partage des gains de productivité entre croissance et RTT est bien sûr possible. Les chiffres cités ci-dessus montrent clairement que notre civilisation a privilégié la production par habitant au détriment de la réduction du temps de travail.

Deuxième solution : Favoriser la croissance. Pour contenir l’augmentation du chômage, il faut un taux de croissance minimum de 3 %. Si ce taux était maintenu, notre production serait multipliée par 19 en un siècle, par 370 en 2 siècles et par 7.100 en 3 siècles. Or depuis 1946, fait sans précédent dans l’histoire de l’humanité, le taux moyen annuel de croissance a été de 4,5 % (soit une production multipliée par 82 en un siècle). Mais la croissance conduit-elle à un développement durable ? L’énormité des chiffres suffit à admettre que, non seulement notre développement n’est pas durable, mais que notre niveau de consommation actuel n’est même pas exportable à l’ensemble des pays de la planète ! Si chaque habitant y avait notre niveau de vie, nous rejetterions dans l’atmosphère une quantité de gaz à effet de serre 4 fois supérieure (10 fois pour les USA) à ce que la nature est capable d’absorber. Effet de serre, consommations d’énergie et de matières premières… ne va-t-on pas dans le mur en continuant sur cette lancée ? Si des mesures sérieuses ne sont pas prises pour inciter nos concitoyens à consommer moins d’énergies non renouvelables, notamment en utilisant des moyens de transport plus respectueux de l’environnement, les injonctions prises par nos gouvernants, face aux catastrophes naturelles (canicule, désertification, pluies diluviennes, inondations) risquent d’être fortement liberticides. Cet écolo-fascisme imposé par les autorités nous fera regretter notre imparfaite démocratie. Au rythme où nous gaspillons les carburants fossilisés, en 200 ans nous aurons consommé ce que la nature a fabriqué en plusieurs millions d’années. Au nom de quel droit est-ce que les compagnies pétrolières extraient, transforment et vendent toute cette énergie en si peu de temps ? Comment expliquerons-nous à nos descendants une telle exploitation abusive des ressources énergétiques ?

en 1946 en 2002
population active occupée 18,9 millions 23,8 millions
âge d’entrée dans la vie active 16 ans 25 ans
âge de cessation d’activité 66 ans 58,5 ans
Taux d’emploi des femmes 20 % 45 %
Durée annuelle moyenne du travail 2.100 heures 1.510 heures
Durée hebdomadaire du travail 43 heures 37 heures
Nombre de semaines de congé payé 25
Taux de salariés à temps partiel 5 % 15 %
taux de chômage 2 % 9 %

Développement des pays du Tiers-Monde

Les 225 plus grosses fortunes du monde représentent l’équivalent du revenu annuel des 2,5 milliards de personnes les plus pauvres de la planète. Il suffirait de leur en prélever 4 % pour donner à toute la population du globe l’accès aux besoins de base (nourriture, eau potable, éducation, santé). Seulement 0,17 % de la richesse des pays de l’OCDE, soit 17 centimes sur chaque centaine d’Euros dépensée, permettait de sortir le monde de la misère. Personne ne nous fera croire que l’objectif est inaccessible !

A titre de comparaison, voici quelques montants en milliards de dollars :

Spéculation sur les taux de change monétaires : 1.800 par jour
Dépenses d’armement dans le monde : 840 en une année
Dépenses de publicité dans les pays riches : 400 en une année
Consommation de stupéfiants : 400 en une année
Les 225 plus grosses fortunes : 1.000
La dette des pays en “voie de développement” : 2.500
L’aide à ces pays : 50

*

La misère n’est pas une fatalité, et l’égalité est loin d’être en marche. En 1960, les 20 % de la population mondiale des pays riches avaient un revenu 30 fois supérieur à celui des 20 % les plus pauvres, en 1995 leur revenu était 82 fois supérieur. Pays en voie de développement ? Le vocable est peut-être à revoir. Tant que de telles inégalités subsisteront, tant que les droits de l’Homme ne seront pas instaurés de façon homogène au niveau de la planète, nous ne pourrons juguler l’immigration clandestine. Le sujet devient d’autant plus crucial qu’au problème d’écart de richesse s’ajoute la pression démographique. Notre niveau sanitaire et éducatif a permis une relative stabilisation de notre population, ce qui est loin d’être le cas dans les pays pauvres.

Tant que seront maintenus des écarts de salaire exorbitants entre pays riches et pays pauvres, les entreprises continueront à transporter les matières premières vers les pays à faible coût de main-d’œuvre et les produits finis vers les pays dans lesquels la population est solvable. Les gains financiers de telles opérations permettent largement de rentabiliser les coûts de transport, même si elles induisent des coûts sociaux qui sont à la charge de la collectivité (consommation d’énergie, bruit, congestion, pollutions, misères…).

Croissance et progrès sont-ils liés ?

Quand on utilise le PIB comme indice de performance économique, on oublie de spécifier que cette agrégation comporte deux sortes de coûts : ceux dont l’effet est positif sur le bien-être (production alimentaire, amélioration de l’habitat, éducation, prévention sanitaire…) et ceux dont l’effet est négatif sur le bien-être (pollutions diverses, destruction de ressources, coûts sociaux…). De sorte que supprimer les causes des conflits armés dans le monde serait un progrès considérable pour l’humanité, …mais une véritable catastrophe économique dans notre système : des dizaines de millions de salariés dépendant de ce commerce se retrouveraient sans travail. Pour préserver l’emploi, l’économie maintient des activités inutiles ou nuisibles au bien-être collectif (la publicité par exemple), mais délaisse des activités indispensables à la collectivité sous prétexte qu’il n’y a pas de profit à la clé.

Le PIB mesure, certes, un flux de dépenses, mais il n’est pas un indicateur de satisfaction, de bien-être, voire de bonheur, notion par nature subjective. Efficace sur le plan de la croissance, le marché profite plus à l’économie qu’à l’écologie, plus aux actionnaires qu’aux salariés, plus à la création de richesse qu’à sa distribution.

Aux États-Unis, il existe un Indicateur de Progrès Véritable (GPI), qui a été cautionné par plus de 400 économistes ; il montre que pendant la période 1950-1975 l’augmentation du PIB a évolué parallèlement au progrés “véritable”, mais que, depuis, l’augmentation du niveau de consommation l’a globalement fait chuter :

1950-1975 1975-2000
PIB + 60 % + 70 %
GPI + 60 % - 16 %

Ce constat aurait dû inciter, depuis 1975, à utiliser la productivité pour développer les loisirs (réduction du temps de travail de 45 %) et le temps consacré au bénévolat. Vivre ainsi avec moins de croissance, pour plus de bien-être aurait eu un effet positif sur le GPI, mais malgré (ou à cause de) la croissance économique, cet indicateur témoigne d’une régression.

*

Troisième et dernière solution : la réduction du temps de travail. Il y a deux façons de réduire le temps de travail, diminuer le nombre de travailleurs ou bien pour chacun d’eux, diminuer la quantité d’heures travaillées. A chacune de ces 2 solutions, correspondent de nombreuses adaptations possibles.

• Première façon : diminuer le nombre de travailleurs actifs. En renvoyant les immigrés dans leur pays ou les femmes au foyer, c’est une solution simpliste défendue par des extrémistes, dont le racisme reçoit, hélas, quelque écho d’un point de vue électoral, mais qui est à rejeter d’un point de vue humain.

En abaissant l’âge de la retraite, c’était la revendication légitime d’une classe d’âge qui a subi une vie active longue et pénible. Aujourd’hui, l’amélioration des conditions de travail et l’allongement de l’espérance de vie changent les données du problème, mais la volonté du gouvernement de financer les retraites par l’allongement de la durée de cotisation, sans modifier les autres paramètres économiques (taux de cotisation, mode de financement…) aura des conséquences désastreuses sur le taux de chômage. Si les entreprises se décident à considérer les sexagénaires comme une source d’expérience, et non plus comme une charge salariale, des personnes de 60 ans et plus vont continuer à travailler, en freinant du même coup l’entrée des jeunes sur le marché du travail. Rappelons que l’âge moyen effectif de cessation d’activité est en France inférieur à 60 ans.

En augmentant la scolarité, ce qui a permis de réduire le taux d’analphabétisme, d’améliorer le niveau de compétences professionnelles et de culture générale. Aujourd’hui, la poursuite des études sert à reculer l’étape d’entrée dans la vie active. Avec un taux de chômage double de celui de la population active, les jeunes subissent de plein fouet l’aggravation du chômage.

En mettant 10 % des actifs au chômage, c’est le choix actuel, ignoble pour les victimes et dispendieux pour la société.

La baisse de la population active n’est donc pas la solution au problème. Reste la dernière solution.

• Deuxième façon : baisser la durée annuelle de travail des actifs. C’était l’objectif de la loi des 35 heures en France, faisons-en le bilan. Par rapport aux 39 heures, les 35 heures représentent une réduction de 10 % du temps de travail, taux équivalent au taux de chômage. Quels sont les effets sur les créations d’emplois et sur le chômage ? Toute réduction du temps de travail s’accompagne de gains de productivité non négligeables, pour plusieurs raisons : les salariés travaillant moins, sont moins fatigués, moins souvent absents, plus productifs ; et les entreprises profitent de cette réduction pour aménager le temps de travail (réduction de pauses, augmentation de l’utilisation des équipements…). Ce n’est plus seulement la RTT, mais l’ARTT (aménagement et réduction du temps de travail).

Le Conseil Economique et Social a chiffré les gains de productivité liés à une RTT :
• Un salarié à 50 % produit comme 0,64 salarié
• Un salarié à 60 % produit comme 0,77 salarié
• Un salarié à 70 % produit comme 0,87 salarié
• Un salarié à 80 % produit comme 0,92 salarié
• Un salarié à 90 % produit comme 0,96 salarié (cas du passage aux 35 heures).

Plus la réduction du temps de travail est faible, plus elle génère de gains de productivité, et donc plus le nombre d’emplois créés est réduit. Le cabinet de Martine Aubry avait estimé que le passage aux 35 heures aurait créé un million d’emplois, soit 4 % de la population active. En réalité la DARES les estime à 370.000, auxquels on peut ajouter 100.000 emplois préservés (limitation de certains plans sociaux).

Pourquoi cet écart ? Deux explications : soit l’estimation a été sensiblement surévaluée, soit seuls 55 % des salariés ont bénéficié des 35 heures.

Quel a été l’impact sur le chômage de cette création de 370.000 emplois ? En période de croissance économique les entreprises augmentent le nombre d’heures de travail et la productivité avant d’embaucher, ce qui génère une production supplémentaire. En période de récession, le nombre réel de chômeurs est sous-estimé parce que certaines personnes découragées ne sont plus comptabilisées. Dans un contexte de croissance, ces personnes, en retournant sur le marché du travail, réintègrent la population active. Ainsi selon la loi dite d’Okun, la création des 370.000 emplois génère une baisse du chômage de 185.000 (soit 2 fois moins). Il reste encore 2 millions et demi de chômeurs. Pour enrayer le chômage, compte tenu des gains de productivité générés, il faudrait que chaque salarié travaille à mi-temps, ce qui pourrait entrainer la création de 5 à 6 millions d’emplois.

*

En conclusion, aucun des deux seuls paramètres à notre disposition pour résoudre le chômage n’offre d’espoir :

La croissance économique
• ne génère pas suffisamment d’emplois,
• s’avère désastreuse d’un point de vue écologique et menace le développement des générations futures,
• n’assure pas le bien-être social de la population actuelle.

La réduction du temps de travail • est peu créatrice d’emplois (une baisse du temps de travail de 10 % pour 55 % des salariés a induit, en France, une baisse du chômage équivalente à 0,7 % de la population active),
• génère des tensions sur le marché du travail, créant localement des pénuries de main-d’œuvre,
• généralisée, elle ne correspond pas forcément aux souhaits individuels des citoyens (certains veulent travailler moins, d’autres préfèrent gagner plus).

*

Comme le montrent les statistiques du G8, les pays où l’on travaille le moins affichent les taux de chômage les plus importants. Mais l’analyse des chiffres bruts devrait être complétée par un indice de la qualité des emplois créés. Dans les pays anglo-saxons les emplois créés ont fortement augmenté la précarité de la population active. Le stress dans les entreprises japonaises a atteint un sommet inquiétant. Aux Etats-Unis, le taux d’incarcération est huit fois plus fort qu’en France (8 prisonniers pour mille habitants). De deux maux il faut choisir le moindre, et il est sans doute préférable d’indemniser un chômeur que de supporter les conséquences socio-économiques de son incarcération.

Doit-on en déduire que notre société doit se complaire, comme elle le fait depuis trois décennies, avec un taux de chômage désastreux d’un point de vue économique, incompréhensible d’un point de vue social et intolérable d’un point de vue humain ?

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[1] Brenner : « Estimating the effects of Economic Change on National Health and Social Well-Being », 1984.

[2] Marcel Bédard : « Les coûts économiques et sociaux du chômage » juin 1996.

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DOSSIER : Le chômage

Les gains de productivité ont transformé l’économie, qui a muté d’une économie de rareté à une économie d’abondance, d’une économie dans laquelle l’agriculture était dominante à une économie de services. En 1830, 64 % des travailleurs étaient des paysans, aujourd’hui ils sont moins de 5 % de la population active, et pourtant la communauté européenne impose des quotas, et stocke, aux frais du contribuable, les surplus d’une agriculture hyper-productiviste. Plus de 70 % des salariés travaillent déjà dans le tertiaire.

Il est donc temps de tenir compte d’une telle mutation en posant la question :

Quelle économie souhaitons-nous ?

par P. KRUISSEL
mars 2004

L’économie que nous voulons doit être conforme à la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. Nous n’acceptons pas que la persistance d’un taux de chômage structurel soit un prétexte pour la bafouer, comme c’est le cas depuis des décennies. Rappelons-en quelques extraits :

Article 3 Tout individu a droit à la vie…

Article 23 Toute personne a droit au travail, au libre choix de son travail, à des conditions équitables et satisfaisantes de travail et à la protection contre le chômage… Quiconque travaille a droit à une rémunération équitable et satisfaisante lui assurant ainsi qu’à sa famille une existence conforme à la dignité humaine et complétée, s’il y a lieu, par tous autres moyens de protection sociale…

Article 25 Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux… elle a droit à la sécurité en cas de chômage, de maladie, d’invalidité, de veuvage, de vieillesse…

Article 29 L’individu a des devoirs envers la communauté dans laquelle seul le libre et plein développement de sa personnalité est possible…

Grâce à notre technologie, nous serions capables de satisfaire les besoins vitaux de l’ensemble des habitants de la planète. Dans les pays industrialisés, nous allons bien au-delà. Selon l’INSEE la répartition du budget des ménages montre que les besoins physiologiques (nourriture, logement, habillement et santé) sont satisfaits avec environ la moitié du budget d’un ménage type (avec des disparités importantes). Notre économie est largement en capacité de satisfaire ces besoins de base cités par la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme.

Pour que chacun puisse en bénéficier, il y a deux solutions :

• Soit on donne à chaque citoyen le revenu nécessaire, qu’il travaille ou non, et nous dérivons vers une société d’assistance. Certains se contenteront de ce revenu sans participer à l’effort collectif, d’autres participeront et auront un revenu et un statut social conséquent. Même si cette solution a l’avantage, par rapport à la situation actuelle, de sortir de la misère bon nombre d’exclus, elle mène à une société duale, qui n’est sans doute pas souhaitable.

• Soit on considère que « Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux… » article 25 et que « L’individu a des devoirs envers la communauté », article 29, car les besoins physiologiques de tous nécessitent une participation collective la plus large possible. Alors le travail n’est pas un droit mais un devoir. La richesse est à mettre à l’actif de notre société (colonne recettes), mais les moyens d’y parvenir (travail, énergie, matières premières…) sont à mettre à son passif (colonnes dépenses). Si la moitié des heures de travail est nécessaire pour satisfaire nos besoins de base et l’autre moitié pour des besoins moins indispensables, il est logique que tout citoyen participe à cette première moitié de labeur, et que la seconde reste au bon vouloir de chacun. On peut se passer d’une résidence secondaire, de vacances, de voiture, … mais on ne peut pas vivre sans nourriture ni soins médicaux ; le logement est également un bien indispensable à une vie digne. Si on répartit 50 % des heures travaillées sur l’ensemble des citoyens valides de 16 à 65 ans (42 millions de personnes), on obtient un temps de travail annuel de 430 heures, soit une journée de travail par semaine. Ce temps de travail laisse aux salariés le loisir d’avoir un contrat de 3 ou 4 jours par semaine avec une entreprise, pour obtenir un complément de revenu, il permet aux étudiants de poursuivre sereinement leurs études aussi longtemps qu’ils le souhaitent, aux artistes de vivre pleinement leur passion sans le souci d’obtenir un travail alimentaire. Il permet à chaque citoyen d’avoir le loisir nécessaire pour s’investir bénévolement dans des tâches vitales que l’Etat accomplit de façon très imparfaite et très coûteuse pour le contribuable (aide aux personnes âgées, assistance aux handicapés, soutien scolaire…).

Mais il faut savoir ce qu’on veut : une économie au service de l’être humain ou bien une économie au service du capital ?

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Maîtrise, licence ou licenciements ?

par P. VINCENT
mars 2004

S’il est vrai que le gouvernement maîtrise les dépenses, alors c’est moi qui ne maîtrise plus le sens des mots.

Dans son commentaire annuel accompagnant les feuilles de déclaration de revenus et nous assurant du bon emploi qui sera fait de nos impôts, le Ministère de l’Économie et des Finances déclare d’une part que « les dépenses sont maîtrisées » et annonce d’autre part 345 milliards d’euros de dépenses pour 290 milliards d’euros de recettes, soit un déficit de 55 milliards d’euros. C’est-à-dire un excédent stupéfiant d’environ 19% des dépenses sur les recettes (ou d’un déficit d’environ 16% des recettes par rapport aux dépenses).

Est-ce à dire que si l’on a su maîtriser l’augmentation des dépenses, on n’a pas su aussi bien maîtriser la baisse des recettes ?

J’avoue que j’aurais eu besoin d’explications, mais ni Francis Mer, ni Alain Lambert, pourtant assez habiles en démonstrations sophistiquées, ne semblent avoir daigné apporter leur contribution à ce tract plutôt maladroit émanant de leurs Services et ils se sont l’un et l’autre prudemment abstenus d’y apposer leur signature, contrairement à ce qui s’était fait autrefois. Plus de culte de la personnalité dans ce ministère, après tout, on pourrait s’en réjouir !

Les membres du Medef et les tenants de la Droite libérale auraient quant à eux de quoi s’émerveiller et se réjouir en voyant que, malgré ces chiffres, mais sur injonction de l’Élysée, le gouvernement persévère à alléger leurs impôts et leurs charges. Suivra-t-il aussi leur conseil, pour faire des économie, de diminuer drastiquement le nombre des fonctionnaires ? On apprend dans ce même document que les fonctionnaires civils de l’État coûtent 100 milliards d’euros par an. Pour équilibrer le budget, c’est-à-dire dégager 55 milliards d’euros d’économies, il faudrait donc réduire leur nombre de plus de moitié. On ne pourrait alors plus guère conserver que ceux aujourd’hui prioritaires dans la politique du Gouvernement, c’est-à-dire les personnes des ministères de l’intérieur et de la justice. Serait-ce suffisant pour la bonne administration du pays ?

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Propositions

Libération

par M.-L. DUBOIN
mars 2004

Croissance et compétitivité o-bli-gées…

On se souvient du surnom, TINA, attribué à Mrs Thatcher pour son refus d’envisager tout autre mesure que les réformes libérales qu’elle initia au début des années 1980 : quels que soient les arguments qui lui étaient présentés, elle répondait « There is no alternative » (= Il n’y a pas d’alternative) soit, en prenant les seules initiales, TINA. C’est ainsi que les chemins de fer britanniques, par exemple, furent privatisés et que maintenant les Anglais se demandent après chaque accident ferroviaire s’il n’existe vraiment pas de plus sûrs moyens de gérer les transports en commun que de faire passer le profit avant la sécurité… !

L’organisation économique des sociétés humaines n’a pourtant rien d’immuable. Les dénationalisations et le démantèlement des services publics que l’idéologie néolibérale impose sous prétexte de garantir la prospérité, sont l’exact opposé des nationalisations et de l’État-providence qui furent élaborés dans le même but à l’issue de la seconde guerre mondiale ! Affirmer l’obligation d’organiser l’économie de telle ou telle façon, en vertu d’une loi qui serait éternelle, n’est pas un argument, mais la méthode couramment employée par certains pouvoirs politiques pour imposer l’orientation qu’ils ont choisie.

Deux obligations péremptoires sont ainsi affirmées. La première est la croissance : un simple ralentissement de croissance est une catastrophe économique. La seconde est la compétitivité, ou concurrence, mots qui, dévoyés de leur sens de “courir ensemble” désignent maintenant une rivalité générale qui dégénère en guerre économique permanente.

N’étant pas spécialistes, laissons les économistes, les sociologues, les moralistes, les historiens débattre des fondements et des origines de ces impératifs idéologiques.

Par contre, il n’est pas nécessaire d’être économiste pour constater le résultat. La croissance sans limite est insoutenable, ses conséquences sont déjà telles que c’est l’équilibre biologique de la planète qui est compromis. Ce que n’entrevoyaient que quelques esprits lucides il y a quelques décennies, apparaît aujourd’hui à l’évidence : on ne peut plus continuer cette course aveugle. “Aucun arbre ne peut monter jusqu’au ciel” !

Quant à la compétitivité, elle débouche sur un profond déséquilibre social. Cette obligation d’être LE meilleur déshérite les perdants trop peu combatifs… ou qui n’ont pas eu la chance de naître parmi les élites. À force de favoriser “les bons” au détriment de tous les autres, le formidable progrès des connaissances et de leurs applications technologiques a été mis au service d’une infime minorité, tandis que, d’après le rapport du PNUD en 2002, près de 840 millions d’êtres humains souffrent de malnutrition, n’ayant même pas un lopin de terre à cultiver de leurs mains pour survivre.

Les deux pièges de la monnaie capitaliste

Alors que les effets catastrophiques de ces impératifs de croissance et de concurrence sont de plus en plus évidents, on continue à les prétendre incontournables avec des arguments aussi creux que : “c’est dans la nature des choses” ou “l’homme est un loup pour l’homme”, sans percevoir à quel point ces deux pièges dans lesquels se perd notre civilisation, sont contenus dans les mécanismes de la monnaie, qui ne sont évidemment pas des lois de la nature.

En effet :

• L’obligation de croissance est contenue dans le mode de création de la monnaie actuelle : il faut qu’un investissement rapporte plus qu’il n’a coûté pour que puissent être payés les intérêts du crédit ou les “retours sur investissement”.

• Le creusement du fossé entre les riches et les pauvres est contenu dans le choix des clients auxquels des crédits sont ouverts, parce qu’un organisme de crédit, pour éviter d’être mis en faillite, exige des garanties, une hypothèque, une assurance. On ne prête donc qu’aux riches et par l’effet “boule de neige” de la capitalisation, seuls les riches ont ainsi les moyens de s’enrichir.

Alors que l’opinion est en train, peu à peu, de prendre conscience des dangers de la croissance à tout prix et s’indigne de voir que cette exploitation des richesses ne réduit pas, bien au contraire, la misère en ce monde, force est de constater que les mécanismes monétaires sont tellement mal connus que leur relation avec ce productivisme et avec cet individualisme n’est généralement pas dénoncée. À croire qu’elle n’est même pas perçue.

Ce lien se manifeste pourtant. Par exemple par la réaction du public contre l’argent en cas de crise économique : c’est bien en créant leur propre monnaie que des minorités cherchent alors à survivre. Les expériences qui furent lancées pour réagir à la grande crise des années 1930, telles que celles de la monnaie fondante de Gesell, ou des cercles WIR, de même que celles qui naissent un peu partout depuis le tournant libéral des années 1980, par exemple en Argentine depuis 2002, sont bien des manifestations de rejet de la monnaie officielle. Mais ces monnaies parallèles, parce qu’elles sont à usage local, restreint, marginal, ne peuvent, au mieux, qu’épargner, mais seulement pour les associations qui les utilisent, certains des effets néfastes qu’ils constatent.

Et, d’autre part, comment ne pas s’apercevoir qu’on retrouve partout l’argent comme mobile quand on déplore de grandes catastrophes humaines comme l’affaire du sang contaminé, ou des désastres écologiques des marées noires et des dégazages en mer, quand on prend conscience des effets de la marchandisation des services publics et du brevetage du vivant, ou quand on découvre le pouvoir et le rôle des fonds de pension, de la spéculation monétaire et des paradis fiscaux sur les choix économiques, etc ? L’argent est le dénominateur commun de tous ces comportements inhumains, il est bel et bien à l’origine commune de ces catastrophes qui n’ont rien de naturel.

Ceci devrait amener à comprendre que chercher à réparer, quand c’est possible, les effets de ces mécanismes, ne résout rien, puisqu’ils se renouvellent indéfiniment, voire s’amplifient, tant que demeure leur cause commune.

Même si ce n’est pas simple, c’est supprimer cette cause qui est devenu inévitable, parce que c’est la condition absolument nécessaire pour donner à la société d’autres bases que celles qui sont en train de la détruire.

Une telle reconstruction passe par une nouvelle transformation de la monnaie. Il faut en effet que sa création n’impose plus paiement d’intérêts, pour ne plus rendre la croissance obligatoire.

Et il faut que cette création tienne compte d’autres critères que la rentabilité financière pour qu’il soit enfin possible de produire, dans le respect les Droits de l’Homme et de son environnement, des biens et des services qui soient accessibles à tous, sans exclusion.

Aucun coup d’État ne devrait, cette fois, être nécessaire pour réaliser cette réforme puisque, à l’inverse des précédentes, elle vise à faire passer l’intérêt général avant l’intérêt de quelques uns.

Mais il est urgent d’y réfléchir, et c’est dans ce but que nous formulons les trois propositions suivantes.

Première proposition :
Revenir au droit régalien

À l’évidence, la monnaie immatérielle correspond à l’état actuel de la technologie alors que la monnaie-marchandise appartient au passé. Il serait donc absurde de vouloir refuser la monnaie virtuelle en rêvant au retour des louis d’or. L’informatique existe, elle est pratique, admettons donc, sans nous y attarder, que la monnaie de demain sera sous forme scripturale, comme elle l’est presque totalement aujourd’hui, et que les cartes à puce et les transactions par internet vont encore se développer.

Mais il faut prendre conscience du danger que présente cette forme moderne de la monnaie du seul fait qu’elle est naturellement, matériellement, illimitée !

Sa création est si facile qu’avoir abandonné le droit de créer la monnaie à des entreprises privées ayant leur propre intérêt pour objectif, apparaît comme une aberration, la source évidente de multiples abus dont les conséquences sont imprévisibles, incalculables. On a vu que lorsque des orfèvres signèrent plus de reçus qu’ils n’avaient d’or dans leurs caves, leur seule limite fut… la peur que leurs clients s’aperçoivent qu’ils avaient exagéré ! Méthode peu efficace, puisque plusieurs paniques ont marqué l’Histoire. On se souvient aussi que lorsque trop de banquiers ont suivi l’exemple des orfèvres, c’est parce qu’ils se sont aperçu que cela leur faisait du tort que certains d’entre eux ont intrigué pour en obtenir le monopole. Et l’histoire des Banques centrales montre que c’est encore pour éviter des abus, des paniques ou des faillites qu’elles ont reçu un certain pouvoir, non pour fixer une limite à la masse monétaire, mais seulement pour tenter, par l’intermédiaire de leurs taux d’escompte, d’accélérer ou de ralentir la croissance de cette masse, espérant que ces variations auraient, à terme, une influence sur l’économie. Et depuis que ces taux n’obéissent plus qu’aux marchés, on ne compte plus le nombre de crises monétaires ruinant les populations… On voit bien que le pouvoir politique ne doit pas se contenter d’imaginer des digues pour éviter des abus ou en colmater les conséquences, mais qu’il lui appartient de déterminer la masse monétaire nécessaire.

Ce n’est pas sans raison que le “droit de battre monnaie” était, par excellence, une des prérogatives du souverain et qu’il ait fait partie, sous la monarchie, des “droits régaliens” avec ceux de lever l’impôt, de commander la police et l’armée, de rendre la justice, de déclarer une guerre ou d’en signer la fin. Pourquoi l’un de ces droits du Prince a-t-il fait exception quand le peuple a conquis la souveraineté ? On ne comprend pas que les démocraties aient abandonné à quelques nouveaux privilégiés l’un de ces droits essentiels qui décident de la vie d’une nation. Le droit de créer monnaie est trop important pour qu’il puisse être dissocié des autres attributs qui permettent de décider pour tous en leur nom.

Il doit être réintégré au pouvoir politique parce qu’une société évoluée, telle qu’on peut la concevoir au XXI ème siècle, doit être en mesure de décider des besoins qu’elle va satisfaire, en fonction des moyens dont elle peut disposer, en respectant les droits des êtres humains, vivants et à venir. Dans une telle perspective, le choix si essentiel de l’orientation générale de l’économie est une décision politique fondamentale, et elle ne peut donc pas être abandonnée, réservée, à des intérêts privés.

La société est aujourd’hui au service de la finance, qui dicte sa politique aux gouvernements. Remettre aux pouvoirs publics la responsabilité de toute création monétaire, c’est renverser les rôles : les choix économiques devenant des choix politiques, la finance est subordonnée au politique.

Mais ceci ne suffit pas. Car si dans une vraie démocratie, confier l’économie au pouvoir politique serait la confier au peuple, il faut prendre garde que toute société, même au XXIème siècle, n’est pas assurée d’être démocratique et de le rester. Pour remettre l’économie au service de tous et l’y maintenir, il faut établir des règles qui empêchent tout abus de la part des responsables du pouvoir d’émission, et pour cela, imposer à la masse monétaire une limite concrète, objective.

Deuxième proposition :
Fixer objectivement la masse monétaire

Une telle limite naturelle résulte tout simplement de deux des caractéristiques de la monnaie : elle est un droit de tirage sur les richesses produites et une reconnaissance de dette commune, puisque la loi fait obligation de l’accepter en paiement.

De ces deux faits découle la règle suivante : les représentants d’une population qui, en ayant le monopole de la création de sa monnaie, s’engagent en son nom, ne peuvent émettre que la masse monétaire équivalente aux richesses que cette population produit et met en vente.

La création monétaire étant ainsi un engagement à produire, toute nouvelle production entraîne automatiquement la création de son équivalent en monnaie. Et, inversement, lorsqu’un produit parvient à son consommateur, la monnaie qui a servi à l’acheter a rempli son rôle et n’a plus ensuite de raison d’exister, elle est donc annulée au moment de la vente.

En d’autres termes, la monnaie devient un flux parallèle et équivalent à celui des richesses produites afin d’être vendues.

Cette équivalence implique que le prix d’un bien ou d’un service mis en vente soit évalué au moment où est pris l’engagement de sa production, et non plus dévoilé après, quand il a déjà été produit.

Comme ceci bouleverser les habitudes, le réflexe sera probablement de croire, mais un peu vite, qu’il est question de supprimer le marché. Rassurons ceux qui pensent que ses mérites sont irremplaçables, il ne s’agit pas du tout de supprimer “le marché”, mais, bien au contraire, de lui restituer ses vertus [1], à savoir de permettre qu’un prix de vente résulte vraiment d’un débat entre producteurs-vendeurs et consommateurs-acheteurs. Or ce n’est que si cette évaluation démocratique a lieu en amont, donc avant qu’il soit trop tard, qu’il est possible de discuter des modes de production, de les encourager ou de les proscrire.

Précisons, si besoin, que cette équivalence entre flux monétaire et flux des produits offerts à la vente est le principe de base. Qu’il ne s’agit pas de fixer chaque prix avec une précision parfaite et un à un, parce qu’on sait bien que des marges d’erreur et des aléas sont toujours à prévoir, par exemple pour la production agricole. Disons que les estimations préalables prévoieront des marges et qu’elles donneront lieu aux ajustements mathématiques nécessaires par des calculs analogues à ceux qui sont faits aujourd’hui sur ordinateurs pour afficher de façon continue, en permanence, les cours de toutes les Bourse et de tous les marchés financiers du monde actuel.

Par rapport à la situation actuelle, la monnaie conserve donc son rôle d’unité de compte et de moyen de paiement différé. Elle reste un pouvoir d’achat, mais qui ne sert qu’une fois, il est périmé quand il a servi, comme un titre de transport ou un timbre, mais il laisse à son titulaire la possibilité de l’utiliser pour n’importe quel achat de son choix. Par contre, cette réforme cesse de faire de la monnaie un facteur d’enrichissement, donc de domination, et une obligation de croissance, dès lors qu’une ouverture de crédits n’implique plus versement d’intérêts.

Assainie sur ces bases, la monnaie devient le moyen de répartir entre tous les consommateurs les biens et les services que produit l’économie d’un pays, ou d’une région.

La logique d’accumulation, de capitalisation, fait place à une logique de distribution, de répartition.

Cette réforme, bien plus simple et plus objective que celles qui ont jalonné l’Histoire, conduit ainsi à un retournement de situation : à la loi de la jungle financière, elle subsitue un contrôle social de la production ; les décisions économico-financières sont enfin soumises à la réflexion et au débat politique, éclairé au besoin par des enquêtes objectivement menées. Mais tant qu’un tel débat préalable ne permettra pas de considérer d’autres aspects que la rentabilité, les avertissements d’experts et les cris d’alerte contre les dangers du productivisme actuel pourront indéfiniment se multiplier, ils resteront des vœux pieux.

En ce qui concerne le commerce international, si la monnaie d’un pays [2] est ainsi la manifestation comptable de ce que ses résidents s’engagent à y produire (en utilisant leur patrimoine commun de connaissances pour faire fructifier les richesses de leur sol et de leur sous-sol), les relations commerciales entre deux régions ne sont rien d’autre que des contrats de troc entre leurs deux populations. Il n’y a plus de dette financière internationale les échanges internationaux de marchandises sont alors à somme nulle. Il va de soi que ces contrats peuvent inclure des délais, que leur équité et leur exécution peuvent être soumises à un contrôle supranational. L’important est que cette transformation des bases du commerce extérieur permette aux populations de retrouver le droit de disposer d’elles-mêmes, celui d’assurer en priorité leur propre suffisance vitale, de “vivre au pays” et de s’y épanouir en développant leur culture.

Notre troisième proposition est inspirée par ce que nous avons observé à propos de la notion de valeur :

Troisième proposition :
Séparer la gestion des biens de celle des gens

Nous avons rappelé que lorsque les économistes parlent de valeur, il s’agit de valeur d’échange et que celle-ci est, de fait, le prix de vente d’une marchandise. Outre que ce prix, tel qu’il est fixé aujourd’hui, ne résulte nullement d’un débat comme le prétend l’économie classique, mais plutôt de la loi du plus fort, financièrement parlant, cette façon de comparer à l’étalon unique qu’est la monnaie ce qui est mesurable et ce qui ne l’est pas, conduit à considérer le travail humain comme une marchandise, comme une matière première parmi d’autres, et finalement l’être humain comme un objet remplaçable, jusqu’à traiter des employés “comme des kleenex” en cas de “licenciement économique”.

D’autre part, un tant soit peu de lucidité permet de voir que la production devient de plus en plus une œuvre collective et intellectuelle, et qu’elle fait déjà de moins en moins appel à de la main d’œuvre, qui est (à la rigueur) mesurable en temps de travail, et de plus en plus à une participation humaine impondérable, liée à la personnalité, à la culture, à l’expérience, à l’imagination et à la créativité, qualités par essence non mesurables. De sorte que prétendre pouvoir estimer la participation individuelle afin de l’acheter à un “juste prix”, le “salaire”, devient une absurdité, voire une escroquerie.

Pour éviter pareille aberration, il faut séparer la gestion des gens de celle des biens. Ne plus mélanger dans une même comptabilité l’être et l’avoir, c’est ramener l’économie à sa place naturelle, celle de l’intendance. N’oublions pas que le rôle d’une entreprise de production est de transformer des matières premières pour mettre à la dispositions des gens les objets dont ils ont besoin, et que ce n’est pas de fournir du travail, ce n’est pas de créer des emplois pour justifier des revenus. Le fait que la transformation de la matière nécessite une intervention humaine n’oblige pas à traiter “une ressource humaine” comme une matière première, et c’est en séparant la comptabilité des matières de celle des humains que cette distinction redeviendra possible et qu’on se rappelera que travail et emplois ne sont pas des buts, mais des moyens. Alors seulement le revenu reçu par un être humain ne sera plus le prix auquel il se vend à une entreprise. On ne parlera plus de salaire, de prix de la sueur, mais de revenus individuels, fondés sur les besoins personnels et dont le but sera de fournir à chacun les moyens de développer ses qualités propres pour exercer au mieux les activités par lesquelles il assume sa participation à la société. Alors cette contribution pourra parfaitement ne pas être mesurable et produire de la qualité, même pour le long terme. Et même s’il faut pour cela que le revenu soit versé par l’ensemble de la société et pendant toute la vie, et non plus, comme aujourd’hui, par les entreprises à ceux qu’elles emploient, et seulement pendant la durée de cet emploi.

Dans l’économie actuelle, la monnaie de profit est utilisée pour “marchandiser” le domaine de l’immatériel. En empiètant ce domaine de liberté, la finance le soumet au profit et en contrôle ou en réserve l’accès. L’Accord Général sur le Commerce des Services, l’AGCS, est en train d’installer cette appropriation de tout un patrimoine commun de l’humanité, fait de connaissances lentement élaborées au cours de l’Histoire. L’art et une certaine culture sont déjà standardisés, il ne sera bientôt plus possible aux agriculteurs de renouveler leurs récoltes, comme ils l’ont fait pendant tant de générations, sans acheter de nouvelles semences à Monsanto. À quand l’obligation d’acheter le droit d’avoir sa propre progéniture ? La réforme que nous proposons permet de rendre impossible cette appropriation, en faisant de la monnaie l’instrument de la seule gestion du réel. De séparer ce qui est naturellement du domaine de l’économie, qui est mesurable et qui doit être compté, “économisé” parce que rare, d’avec ce qui est du domaine du non mesurable, de l’immatériel, de la connaissance, de ce qu’on donne sans s’en défaire, dont l’abondance, la croissance, n’entraîne aucun danger et dont l’usage, loin de devoir être limité s’il n’est pas utilisé pour nuire, doit pouvoir être diffusé sans compter gratuitement.

Ces deux domaines ne sont évidemment pas indépendants, le lien entre eux est l’Homme qui vit dans le domaine du réel et doit pouvoir s’épanouir librement dans le domaine de l’immatériel qui lui est propre. Mais dans la mesure où l’économie produit des biens et non pas des profits financiers, où la monnaie est un flux qui se consume en même temps que les biens produits, il devient possible de gérer objectivement l’économie. Alors les gens peuvent se grouper en un réseau de coopératives de toutes tailles et y prendre ensemble les décisions qui les concernent directement, puisqu’il s’agit d’abord de décider de ce qu’ils veulent produire pour consommer et dans quelles conditions, ce qui définit en même temps leur activité et la masse monétaire totale dont ils disposent. Il leur appartient ensuite de faire, dans le budget ainsi fixé, la part destinée à payer les moyens matériels de production, celle nécessaire à faire fonctionner les services publics et celle constituant leurs revenus personnels.

Les débats sont ainsi largement ouverts au public et portent sur des critères d’intérêt général. C’est donc une extension de la démocratie à l’économie qui est proposée, permettant à tout résident de participer, sinon toujours directement, au moins par délégation, à ces prises de décisions qui sont à la fois sociales et économiques.

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[1] Alors même qu’au contraire, c’est la financiarisation de l’économie qui a eu pour conséquences de réserver les vertus du marché aux seuls professionnels des “Marchés” (Bourses des valeurs et autres marchés des changes, des matières premières, des dérivés, etc.) et de les supprimer pour le reste du monde, qui se voit offrir des marchandises à des prix fixés au préalable par les vendeurs : on ne les discute pas, c’est “à prendre ou à laisser”.

[2] ou d’une région, ou d’un groupe de régions dont les résidents décident de coopérer.

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Lettre à un ami

par R. POQUET
mars 2004

Cher Gaby,

Ton enthousiasme au téléphone m’a fait chaud au cœur : tu venais de lire la série de trois articles consacrés à Karl Marx et Jacques Duboin [1] et ce détour par l’histoire t’avait réconforté et donné des raisons d’espérer. Tu avais également pris plaisir à retrouver dans l’article “Les Sublimes” [2] l’essentiel de nos conversations sur la place de l’artiste dans la société.

Comme bon nombre de nos concitoyens, tu ressens cette sourde menace qui pèse sur nos sociétés [3] et cette destruction de l’intérieur des valeurs sur lesquelles elles étaient jusqu’ici fondées. Cette sensation est d’autant plus douloureuse que ta vie, tout entière dévouée à la création artistique, a consisté à éviter l’ornière des conventions et des renoncements. Comme René Char, ton poète de prédilection, tu as toujours souhaité être “du bond” et non “du festin, son épilogue”. Aussi aimerais-je te convaincre que « la difficulté n’est pas de comprendre les idées nouvelles, elle est d’échapper aux idées anciennes qui ont poussé leurs ramifications dans tous les recoins de l’esprit des personnes ayant reçu la même formation que la plupart d’entre nous » [4] et « qu’à partir d’un certain point, l’importance des idées reçues est extrêmement relative et qu’en fin de compte “l’affaire” est une affaire de vie et de mort et non de nuances à faire prévaloir au sein d’une civilisation dont le naufrage risque de ne pas laisser de trace sur l’océan de la destinée… » [5].

Oui, nous sommes au bord d’un naufrage dont les signes avant-coureurs sont de plus en plus visibles. Le plus effrayant d’entre eux est sans aucun doute l’irréversible “érosion du travail” : près de cinq millions de personnes, dans notre pays, ont perdu ou ne cessent de perdre leur emploi. Dans l’un de tes précédents courriers, c’est toi-même qui m’as signalé qu’en septembre 1995 cinq cents hommes politiques, ainsi que leaders économiques et scientifiques de premier plan, réunis sous l’égide de la Fondation Gorbatchev, ont estimé que « dans le siècle à venir, deux dixièmes de la population active suffiraient à maintenir l’activité de l’économie mondiale » [6]. Tu te souviens sans doute qu’en 1967 le Premier ministre Pompidou redoutait une révolution si jamais les chômeurs atteignaient le nombre de cinq cent mille ! Les conséquences en sont, elles aussi, hélas, bien visibles : un accroissement sensible de la pauvreté que plus aucun gouvernement ne parvient à endiguer (cinquante ans après son premier appel, l’abbé Pierre repart à la case zéro) et un creusement sans précédent des inégalités. Et, face à cette situation, des hypermarchés qui proposent en moyenne 50.000 références tant est grande la recherche incessante des “innovations”, nouveaux produits dopés à coup de centaines de millions d’euros de publicité : ces dix dernières années, les rayons de ces géants de la distribution ont accueilli 70% de produits supplémentaires !

Le bateau est en pleine surchauffe et navigue sur une mer d’endettements (Etat et particuliers). La concurrence est farouche et les faillites n’épargnent, pour l’instant, que les grosses entreprises (remontée du CAC 40 et du Nasdaq). Aux Etats-Unis (8,3 millions de chômeurs recensés !), alors que les grosses firmes bénéficient d’une reprise économique étonnante, seuls 112.000 emplois nouveaux ont été créés en janvier dernier alors que les arrivées sur le marché du travail sont estimées à 130.000 par mois ; explication : les gains de productivité permettent aux entreprises de produire plus avec moins de salariés, ce qui provoque “une croissance sans emplois”. Bref, l’implosion est proche. Nous nous retrouvons au bord d’un gouffre dans la situation suivante : dans quelques secondes, un tireur fou va nous abattre d’une balle dans le dos, mais nous hésitons à sauter car la distance qui nous sépare de la rivière bleue et calme est assez grande. Et quand “l’affaire”, pour reprendre le terme de René Char, est une affaire de vie et de mort ? Alors « enfonce-toi dans l’inconnu qui creuse, oblige-toi à tournoyer… » Sautons, mais les yeux ouverts.

La rupture du lien qui unit l’emploi au revenu (mesure dont nous avons déjà abondamment parlé [7]) provoquerait des vagues certaines dans la rivière d’accueil. Le retour au calme ne s’opèrerait qu’à certaines conditions :

• l’adoption, par paliers, de monnaies-tests non thésaurisables et non spéculatives qui s’annulent dès le premier achat [8] afin de parvenir, le plus rapidement possible, à l’instauration d’une seule monnaie de ce genre, condition sine qua non à la disparition de l’oppression financière que nous connaissons actuellement.

• en conséquence, un pouvoir politique démocratique qui reprend définitivement le pas sur l’économie et la régule en adoptant des indicateurs de richesse qui prennent en compte les dimensions écologiques et anthropologiques [9].

• la mise en place de dispositifs destinés à favoriser la recherche créatrice et l’innovation.

• le remplacement de la concurrence et de la compétitivité par l’émulation.

• la conception et l’élaboration de projets aptes à dynamiser les activités de tout un chacun et de donner un sens à leur vie.

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Le moment est venu, cher Gaby, de définir une conception renouvelée de l’activité humaine et d’aborder le délicat problème des revenus – deux notions qui te préoccupent au plus haut point.

Tu reconnais aisément que cette activité humaine est, de nos jours, absorbée prioritairement par le développement inconsidéré de la marchandise. Si nous parvenons à remettre l’économie à sa juste place, la motivation ne pourra plus être la recherche du profit par l’entremise de l’objet fabriqué, mais celle de tous les moyens propres à favoriser l’accomplissement de la personne humaine. Dans cette perspective, la notion de projet prend tout son sens, d’autant plus qu’elle est déjà mise en application dans l’entreprise [10]. Et qu’elle l’est, depuis toujours, dans le monde artistique. Tu connais, mieux que personne, le fonctionnement d’un théâtre. Quelle que soit sa dimension (compagnie dramatique ou théâtre national), le fonctionnement est sensiblement le même. Le directeur de cette institution a l’assurance de recevoir des tutelles (Etat, région, ville, département… selon le cas) une enveloppe financière, renouvelable chaque année, afin de mener à bien le projet artistique qu’il a lui-même élaboré et pour lequel il a été retenu. Cette enveloppe sert à payer les frais de fonctionnement de l’entreprise (salaires du personnel, charges, publicité, entretien…) ainsi que les frais artistiques liés à la création et à la diffusion. La garantie du revenu pour tout un chacun (personnel permanent et, pour le temps de chaque création, artistes engagés) ne précède-t-elle pas, dans le temps, le travail administratif et le travail artistique demandés afin de satisfaire le public de ce théâtre ? En quoi ce qui est possible pour un théâtre ne le serait-il pas pour les autres structures et pour les autres acteurs de la société ? Les professions libérales ? Parlons-en. Prenons le cas d’un médecin généraliste. L’individualisme qui préside à l’accomplissement des actes médicaux a de moins en moins de raison d’être : submergés par des demandes (autant psychologiques que médicales) auxquelles ils ne parviennent plus à faire face, des médecins de plus en plus nombreux sont amenés à se regrouper. Leur projet ne consisterait-il pas à exercer sur un territoire donné et à s’entraider ? Ce qui s’impose actuellement pour les services de nuit et les périodes de vacances ne pourrait-il être étendu à l’année entière ? Quant à leurs revenus, ils émargeraient, comme tous les autres revenus, à la richesse nationale globale, ce qui entraînerait la gratuité des actes médicaux…

Il me reste, cher Gaby, à répondre à trois questions :

1. Qui décide du montant des revenus ?—Des commissions paritaires, sous couvert des pouvoirs élus.

2. Qui les distribue ? —Les barêmes qui précisent le montant de base des revenus ayant été établis (l’innovation et les résultats entraînant l’attribution de compléments), la distribution des revenus devient un acte purement technique que les progrès de l’informatique rendent élémentaire.

3. Un certain dirigisme est-il à craindre ? — Tout projet étayé humainement est gage d’entraide et de créativité. Tout revenu garanti est gage de liberté.

L’Histoire nous apprend que les régimes totalitaires n’ont jamais eu de relation directe avec les structures économiques et financières d’un pays.

En ce début du XXI ème siècle, la question fondamentale qui nous hante est la suivante : quelles sont nos chances d’accéder à une société qui “produise de l’humain” et non plus seulement de la marchandise ? Tu reconnaîtras qu’elles sont bien minces, même si de ci de là la résistance s’organise. Encore faut-il mener les bonnes analyses et étudier les meilleures voies pour y parvenir. Car la destination, nous la connaissons. Elle nous est indiquée par le témoignage d’un authentique compagnon de René Char dans la Résistance : « Il est parfaitement détaché de l’argent et de tous les accessoires de notre société technicienne et consommatrice. Il est installé dans l’essentiel qui est la vie de l’esprit et du cœur, le mystère humain. Ses richesses sont les herbes, les oiseaux, le ciel, le vent, les animaux, les arbres parce qu’il les visite de tout son corps ou de ses mains et qu’il les fertilise de son esprit, ce sont aussi les échanges fraternels avec ceux qu’il aime » [11].

Bien à toi.

Roland.
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[1] Voir GR 1036, 1037 et 1038.

[2] GR 1031.

[3] « Si je sors, j’ai l’impression de ne voir que des destins tragiques, fracassés, je vois ça sur les visages des passants, des amis, comme des spectres. On vit un truc de dingue. Ne trouvant plus de sève, on devient comme des plantes folles. Au lieu d’être un chêne, on est du lierre ou des ronces dont on adopte les stratégies de survie » Jean-Louis Murat, compositeur- interprète.

[4] John Maynard Keynes : Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie. 1936.

[5] René Char. Feuillets d’Hypnos 1943-1944.

[6] Le piège de la mondialisation H.P.Martin et H. Schumann. éd. Solin-Actes Sud. 1997.

[7] GR 1036, 1037 et 1038.

[8] Voir ci-dessus, p. 11 et relire les articles de M-L Duboin dans GR 1034 et 1035,et de C Eckert, dans GR 1040.

[9] Patrick Viveret. Reconsidérer la richesse, éd. de l’Aube.

[10] citons Les Sublimes, GR 1031 : « l’essentiel des activités créatives se coule aujourd’hui soit dans des organisations par projets, soit dans des formes mixtes greffant sur une organisation permanente une multitude de liens contractuels… ». Bien entendu, les projets que nous évoquons n’ont rien à voir avec les projets d’entreprise mis en place actuellement par le gouvernement.

[11] René Char. éd. La Pleiade. G.L.Roux témoigne de l’homme René Char.

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L’Europe

Le rejet du projet de constitution européenne est une occasion pour remettre à l’ordre du jour la stratégie monétaire de l’union européenne. C’est à cette réflexion que Paul Vila s’est attelé en commençant par rappeler les propositions de Douglas et Duboin, passées sous silence pendant les années 30, quand la crise était plus simple, et qui lui paraissent toujours incontournables. Il aborde ici les problémes de structures posés par le noyau dur de l’Europe que constituent l’Allemagne et la France.

Nouvelle économie, finances : II – L’Europe à deux ?

par P. VILA
mars 2004

L’initiative de convention européenne n’a pas beaucoup d’autre vertu que de réveiller les consciences françaises. Depuis l’automne 2003 les réflexions sur l’Europe se multiplient et montrent la légèreté des “porte-paroles” médiatiques, et le manque de réalisme chez les penseurs français de nos supports culturels. Politologues et “historiens”, braqués sur l’avenir philosophique de l’Union sont en mal de modèle, contaminés qu’ils sont par la présente misère mentale de nos partis, eux-mêmes paralysés par l’échéance du printemps 2004 : à force de s ‘être moqués du peuple, les “grands chefs” se sentent en danger. Et nos guignols français sont obsédés par l’illusoire société de l’image.

Il m’a paru logique de lancer le débat, comme j’ai cherché à le faire dans la GR 1040, à la lumière des modèles qualitatifs de l’entre-deux guerres, quand des crises plus simples frappaient majoritairement la scène européenne. Je voudrais maintenant aborder deux thèmes peu traités, même par les nouveaux économistes tels ceux d’Alternatives Économiques. En commençant par les problèmes d’échelle : régionalisation et démocratie, gestion bancaire et État-Nation, Confédération d’Europe à géométrie adaptée selon problèmes et cultures. Ils mènent à des réflexions sur l’impôt, panacée très limitée, et sur la simplification apportée au budget par l’allocation universelle. Mais comment appliquer ce dividende ? Quelle stratégie pour faire accepter le distributisme en Europe ?

France-Allemagne contre Bruxelles

Le premier problème auquel se heurte la convention européenne c’est le retard hexagonal à rendre efficace notre administration publique. Notre système fatigué est en mal de structures cohérentes avec, d’une part, le besoin de proximité et, d’autre part, d’efficacité républicaine : une cohésion peut-elle renaître dans un pays où on n’aperçoit plus les réalisations, mais seulement les promesses non tenues ? Ce n’est pas tant “trop d’État” qui pèse, mais un système à la fois trop rigide et trop lâche… Et en cela, les petits et moyens entrepreneurs semblent représenter, depuis les années 1980, un atout et un exemple humain.

Mais il reste à l’État français le devoir de déconcentrer et décentraliser son appareil. Nos grands secteurs industriels restent dépassés par la vitesse d’évolution mondialisée de concurrents extérieurs qui utilisent l’informatique dans la gestion, et la simulation pour l’aide à la décision. Cette arme “lourde” pour nos décideurs est en même temps le champ d’une coopération entre la génération sortante, qui est expérimentée, et la génération entrante, qui est outillée. On devrait y gagner : le déblocage des liaisons hiérarchiques pour le citoyen, et, pour tous, un sentiment de responsabilité.

Du côté allemand, l’explosion du carcan pyramidal hérité de Bismark et exploité par Hitler n’avait pas détruit en 1945 l’encadrement juridico-administratif de fonctionnaires organisateurs, et la soumission au plan Marshall a rendu respectables beaucoup d’ex-héros nazis. La “petite Amérique” des Länder de l’Ouest a bien fonctionné sur deux générations, celles du Deutsch Mark triomphant, de la reconquête commerciale et des caisses d’épargne populaires. De 1960 à 1990, l’Allemagne de l’Ouest a attiré les plus libres des Allemands de l’Est. Dans la réunification en 1991, au lieu de mettre tous les germains en paix et en prospérité, le chancelier Kohl a engagé un processus de re-socialisation très douloureux de part et d’autre. Les deux morceaux n’avaient plus les mêmes valeurs d’urgence, ni la même confiance dans leurs Länder respectifs, et la structure à Berlin marche encore mal. D’où une querelle d’Allemands sur la philosophie de la nouvelle gross Republik, entre les valeurs ultimes d’une “élite” néo-bourgeoise familiale, avec costumes et église de village, faite d’actionnaires des grosses firmes mondialisantes, et les masses déstabilisées par l’insécurité d’emploi. Cette pyramide à deux étages déstructure l’ex-“Nation” allemande… Le parti social-démocrate n’est pas en phase sur tout son programme avec les Verts de base, et ceux-ci essaient de rassembler les vrais innovateurs et les pauvres des cités. Un réveil socialiste à Berlin-Est a semblé conforter G. Schröder fin 2003. Inversement on voit l’ex-rouge Dani Cohn-Bendit se rallier à la doxa Bruxelloise du gros capital, et entrer dans le schéma de V.G.Estaing (pour gagner du temps ?)… au lieu de penser les réformes complémentaires.

Depuis trois ans, des deux côtés du Rhin, la colère du peuple se manifeste dans la rue et aux élections, elle profite aux ramasse-contestation néo-nazis, aux paras en retraite de Mlle Le Pen et au pas plus sérieux mais surdoué Besancenot. Les retards de structure contribuent à envenimer ce que le manque de réelle socialisation produit de part et d’autre. Le niveau de vie du peuple étant bradé, pas de discrimination positive d’égalité et de justice contre les groupes minoritaires. Côté français, quelques jeunes citoyens “arabo-musulmans” font la leçon de l’affranchi à un maître jacobin corrompu.

De part et d’autre les politiciens essaient de jouer sur ces menaces pour faire tenir tranquilles le Deutsch et le Gaulois moyens. Mais leur principal devoir, celui de clarifier les enjeux et de distribuer le crédit, est réduit à des vœux, à des discours, surtout avant chaque élection…

La priorité des combats partisans est un double frein à la réforme, aussi bien des États vers une Union cohérente, que des partis nationaux vers une refondation des structures essentielles.

Le manque de rigueur en politique sociale à la tête de l’État se pare d’une rigueur financière à Bercy, qui fait de nos représentants internationaux les serfs d’un consensus d’experts en modèles globaux. La simulation des gros ordinateurs tourne encore avec les moyennes productivistes des années 90, tout en reconnaissant qu’une mesure d’allègement du FMI ne peut porter de fruit qu’après environ dix ans, si les décideurs locaux appliquent vertueusement le plan. Les copies restent à revoir alors que les Américains vont se ressaisir.

D’où l’important dilemme de Nice 2002 et Genève 2003 à propos de l’Union. Nos diplomates prétendent qu’on va fédérer une demi-douzaine d’États pour donner l’exemple aux trente autres… Mais rien qu’à elles deux, la France et l’Allemagne sont au cœur de la désunion européenne ! Elles devraient d’abord se soutenir mutuellement dans leurs réformes respectives ! Mais au lieu de réfléchir au problème fondamental du crédit réel des sociétés-nations, on fuit en avant pour grossir la fédération, avec un schéma d’Occident uni contre la menace des extrême-orientaux déjà concurrentiels… Et revoilà la vieille proposition bancaire, hostile à toute équité, au nom du profit maximum, le secret mépris des cultures et des subtilités de l’adaptation au réel des horizons et des terroirs ! La réalité naturelle est réduite à un jeu de cours monétaires boursiers que l’on se résigne à voir dominer l’espèce…Alors je suggère de renverser la proposition, et de mettre à profit l’échec momentané des accords en vue d’un gros bloc à 36, pour schématiser l’adaptation réciproque des deux pays, France et Allemagne.

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