Recherche
Plan du site
   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
 
 
 
 
 
AED La Grande Relève Articles N° 1041 - mars 2004 > Libération

 

Le site est passé à sa troisième version.

N'hésitez-pas à nous transmettre vos commentaires !
Merci de mettre à jour vos liens.

Si vous n'êtes pas transferé automatiquement dans 7 secondes, svp cliquez ici

Propositions

Libération

par M.-L. DUBOIN
mars 2004

Croissance et compétitivité o-bli-gées…

On se souvient du surnom, TINA, attribué à Mrs Thatcher pour son refus d’envisager tout autre mesure que les réformes libérales qu’elle initia au début des années 1980 : quels que soient les arguments qui lui étaient présentés, elle répondait « There is no alternative » (= Il n’y a pas d’alternative) soit, en prenant les seules initiales, TINA. C’est ainsi que les chemins de fer britanniques, par exemple, furent privatisés et que maintenant les Anglais se demandent après chaque accident ferroviaire s’il n’existe vraiment pas de plus sûrs moyens de gérer les transports en commun que de faire passer le profit avant la sécurité… !

L’organisation économique des sociétés humaines n’a pourtant rien d’immuable. Les dénationalisations et le démantèlement des services publics que l’idéologie néolibérale impose sous prétexte de garantir la prospérité, sont l’exact opposé des nationalisations et de l’État-providence qui furent élaborés dans le même but à l’issue de la seconde guerre mondiale ! Affirmer l’obligation d’organiser l’économie de telle ou telle façon, en vertu d’une loi qui serait éternelle, n’est pas un argument, mais la méthode couramment employée par certains pouvoirs politiques pour imposer l’orientation qu’ils ont choisie.

Deux obligations péremptoires sont ainsi affirmées. La première est la croissance : un simple ralentissement de croissance est une catastrophe économique. La seconde est la compétitivité, ou concurrence, mots qui, dévoyés de leur sens de “courir ensemble” désignent maintenant une rivalité générale qui dégénère en guerre économique permanente.

N’étant pas spécialistes, laissons les économistes, les sociologues, les moralistes, les historiens débattre des fondements et des origines de ces impératifs idéologiques.

Par contre, il n’est pas nécessaire d’être économiste pour constater le résultat. La croissance sans limite est insoutenable, ses conséquences sont déjà telles que c’est l’équilibre biologique de la planète qui est compromis. Ce que n’entrevoyaient que quelques esprits lucides il y a quelques décennies, apparaît aujourd’hui à l’évidence : on ne peut plus continuer cette course aveugle. “Aucun arbre ne peut monter jusqu’au ciel” !

Quant à la compétitivité, elle débouche sur un profond déséquilibre social. Cette obligation d’être LE meilleur déshérite les perdants trop peu combatifs… ou qui n’ont pas eu la chance de naître parmi les élites. À force de favoriser “les bons” au détriment de tous les autres, le formidable progrès des connaissances et de leurs applications technologiques a été mis au service d’une infime minorité, tandis que, d’après le rapport du PNUD en 2002, près de 840 millions d’êtres humains souffrent de malnutrition, n’ayant même pas un lopin de terre à cultiver de leurs mains pour survivre.

Les deux pièges de la monnaie capitaliste

Alors que les effets catastrophiques de ces impératifs de croissance et de concurrence sont de plus en plus évidents, on continue à les prétendre incontournables avec des arguments aussi creux que : “c’est dans la nature des choses” ou “l’homme est un loup pour l’homme”, sans percevoir à quel point ces deux pièges dans lesquels se perd notre civilisation, sont contenus dans les mécanismes de la monnaie, qui ne sont évidemment pas des lois de la nature.

En effet :

• L’obligation de croissance est contenue dans le mode de création de la monnaie actuelle : il faut qu’un investissement rapporte plus qu’il n’a coûté pour que puissent être payés les intérêts du crédit ou les “retours sur investissement”.

• Le creusement du fossé entre les riches et les pauvres est contenu dans le choix des clients auxquels des crédits sont ouverts, parce qu’un organisme de crédit, pour éviter d’être mis en faillite, exige des garanties, une hypothèque, une assurance. On ne prête donc qu’aux riches et par l’effet “boule de neige” de la capitalisation, seuls les riches ont ainsi les moyens de s’enrichir.

Alors que l’opinion est en train, peu à peu, de prendre conscience des dangers de la croissance à tout prix et s’indigne de voir que cette exploitation des richesses ne réduit pas, bien au contraire, la misère en ce monde, force est de constater que les mécanismes monétaires sont tellement mal connus que leur relation avec ce productivisme et avec cet individualisme n’est généralement pas dénoncée. À croire qu’elle n’est même pas perçue.

Ce lien se manifeste pourtant. Par exemple par la réaction du public contre l’argent en cas de crise économique : c’est bien en créant leur propre monnaie que des minorités cherchent alors à survivre. Les expériences qui furent lancées pour réagir à la grande crise des années 1930, telles que celles de la monnaie fondante de Gesell, ou des cercles WIR, de même que celles qui naissent un peu partout depuis le tournant libéral des années 1980, par exemple en Argentine depuis 2002, sont bien des manifestations de rejet de la monnaie officielle. Mais ces monnaies parallèles, parce qu’elles sont à usage local, restreint, marginal, ne peuvent, au mieux, qu’épargner, mais seulement pour les associations qui les utilisent, certains des effets néfastes qu’ils constatent.

Et, d’autre part, comment ne pas s’apercevoir qu’on retrouve partout l’argent comme mobile quand on déplore de grandes catastrophes humaines comme l’affaire du sang contaminé, ou des désastres écologiques des marées noires et des dégazages en mer, quand on prend conscience des effets de la marchandisation des services publics et du brevetage du vivant, ou quand on découvre le pouvoir et le rôle des fonds de pension, de la spéculation monétaire et des paradis fiscaux sur les choix économiques, etc ? L’argent est le dénominateur commun de tous ces comportements inhumains, il est bel et bien à l’origine commune de ces catastrophes qui n’ont rien de naturel.

Ceci devrait amener à comprendre que chercher à réparer, quand c’est possible, les effets de ces mécanismes, ne résout rien, puisqu’ils se renouvellent indéfiniment, voire s’amplifient, tant que demeure leur cause commune.

Même si ce n’est pas simple, c’est supprimer cette cause qui est devenu inévitable, parce que c’est la condition absolument nécessaire pour donner à la société d’autres bases que celles qui sont en train de la détruire.

Une telle reconstruction passe par une nouvelle transformation de la monnaie. Il faut en effet que sa création n’impose plus paiement d’intérêts, pour ne plus rendre la croissance obligatoire.

Et il faut que cette création tienne compte d’autres critères que la rentabilité financière pour qu’il soit enfin possible de produire, dans le respect les Droits de l’Homme et de son environnement, des biens et des services qui soient accessibles à tous, sans exclusion.

Aucun coup d’État ne devrait, cette fois, être nécessaire pour réaliser cette réforme puisque, à l’inverse des précédentes, elle vise à faire passer l’intérêt général avant l’intérêt de quelques uns.

Mais il est urgent d’y réfléchir, et c’est dans ce but que nous formulons les trois propositions suivantes.

Première proposition :
Revenir au droit régalien

À l’évidence, la monnaie immatérielle correspond à l’état actuel de la technologie alors que la monnaie-marchandise appartient au passé. Il serait donc absurde de vouloir refuser la monnaie virtuelle en rêvant au retour des louis d’or. L’informatique existe, elle est pratique, admettons donc, sans nous y attarder, que la monnaie de demain sera sous forme scripturale, comme elle l’est presque totalement aujourd’hui, et que les cartes à puce et les transactions par internet vont encore se développer.

Mais il faut prendre conscience du danger que présente cette forme moderne de la monnaie du seul fait qu’elle est naturellement, matériellement, illimitée !

Sa création est si facile qu’avoir abandonné le droit de créer la monnaie à des entreprises privées ayant leur propre intérêt pour objectif, apparaît comme une aberration, la source évidente de multiples abus dont les conséquences sont imprévisibles, incalculables. On a vu que lorsque des orfèvres signèrent plus de reçus qu’ils n’avaient d’or dans leurs caves, leur seule limite fut… la peur que leurs clients s’aperçoivent qu’ils avaient exagéré ! Méthode peu efficace, puisque plusieurs paniques ont marqué l’Histoire. On se souvient aussi que lorsque trop de banquiers ont suivi l’exemple des orfèvres, c’est parce qu’ils se sont aperçu que cela leur faisait du tort que certains d’entre eux ont intrigué pour en obtenir le monopole. Et l’histoire des Banques centrales montre que c’est encore pour éviter des abus, des paniques ou des faillites qu’elles ont reçu un certain pouvoir, non pour fixer une limite à la masse monétaire, mais seulement pour tenter, par l’intermédiaire de leurs taux d’escompte, d’accélérer ou de ralentir la croissance de cette masse, espérant que ces variations auraient, à terme, une influence sur l’économie. Et depuis que ces taux n’obéissent plus qu’aux marchés, on ne compte plus le nombre de crises monétaires ruinant les populations… On voit bien que le pouvoir politique ne doit pas se contenter d’imaginer des digues pour éviter des abus ou en colmater les conséquences, mais qu’il lui appartient de déterminer la masse monétaire nécessaire.

Ce n’est pas sans raison que le “droit de battre monnaie” était, par excellence, une des prérogatives du souverain et qu’il ait fait partie, sous la monarchie, des “droits régaliens” avec ceux de lever l’impôt, de commander la police et l’armée, de rendre la justice, de déclarer une guerre ou d’en signer la fin. Pourquoi l’un de ces droits du Prince a-t-il fait exception quand le peuple a conquis la souveraineté ? On ne comprend pas que les démocraties aient abandonné à quelques nouveaux privilégiés l’un de ces droits essentiels qui décident de la vie d’une nation. Le droit de créer monnaie est trop important pour qu’il puisse être dissocié des autres attributs qui permettent de décider pour tous en leur nom.

Il doit être réintégré au pouvoir politique parce qu’une société évoluée, telle qu’on peut la concevoir au XXI ème siècle, doit être en mesure de décider des besoins qu’elle va satisfaire, en fonction des moyens dont elle peut disposer, en respectant les droits des êtres humains, vivants et à venir. Dans une telle perspective, le choix si essentiel de l’orientation générale de l’économie est une décision politique fondamentale, et elle ne peut donc pas être abandonnée, réservée, à des intérêts privés.

La société est aujourd’hui au service de la finance, qui dicte sa politique aux gouvernements. Remettre aux pouvoirs publics la responsabilité de toute création monétaire, c’est renverser les rôles : les choix économiques devenant des choix politiques, la finance est subordonnée au politique.

Mais ceci ne suffit pas. Car si dans une vraie démocratie, confier l’économie au pouvoir politique serait la confier au peuple, il faut prendre garde que toute société, même au XXIème siècle, n’est pas assurée d’être démocratique et de le rester. Pour remettre l’économie au service de tous et l’y maintenir, il faut établir des règles qui empêchent tout abus de la part des responsables du pouvoir d’émission, et pour cela, imposer à la masse monétaire une limite concrète, objective.

Deuxième proposition :
Fixer objectivement la masse monétaire

Une telle limite naturelle résulte tout simplement de deux des caractéristiques de la monnaie : elle est un droit de tirage sur les richesses produites et une reconnaissance de dette commune, puisque la loi fait obligation de l’accepter en paiement.

De ces deux faits découle la règle suivante : les représentants d’une population qui, en ayant le monopole de la création de sa monnaie, s’engagent en son nom, ne peuvent émettre que la masse monétaire équivalente aux richesses que cette population produit et met en vente.

La création monétaire étant ainsi un engagement à produire, toute nouvelle production entraîne automatiquement la création de son équivalent en monnaie. Et, inversement, lorsqu’un produit parvient à son consommateur, la monnaie qui a servi à l’acheter a rempli son rôle et n’a plus ensuite de raison d’exister, elle est donc annulée au moment de la vente.

En d’autres termes, la monnaie devient un flux parallèle et équivalent à celui des richesses produites afin d’être vendues.

Cette équivalence implique que le prix d’un bien ou d’un service mis en vente soit évalué au moment où est pris l’engagement de sa production, et non plus dévoilé après, quand il a déjà été produit.

Comme ceci bouleverser les habitudes, le réflexe sera probablement de croire, mais un peu vite, qu’il est question de supprimer le marché. Rassurons ceux qui pensent que ses mérites sont irremplaçables, il ne s’agit pas du tout de supprimer “le marché”, mais, bien au contraire, de lui restituer ses vertus [1], à savoir de permettre qu’un prix de vente résulte vraiment d’un débat entre producteurs-vendeurs et consommateurs-acheteurs. Or ce n’est que si cette évaluation démocratique a lieu en amont, donc avant qu’il soit trop tard, qu’il est possible de discuter des modes de production, de les encourager ou de les proscrire.

Précisons, si besoin, que cette équivalence entre flux monétaire et flux des produits offerts à la vente est le principe de base. Qu’il ne s’agit pas de fixer chaque prix avec une précision parfaite et un à un, parce qu’on sait bien que des marges d’erreur et des aléas sont toujours à prévoir, par exemple pour la production agricole. Disons que les estimations préalables prévoieront des marges et qu’elles donneront lieu aux ajustements mathématiques nécessaires par des calculs analogues à ceux qui sont faits aujourd’hui sur ordinateurs pour afficher de façon continue, en permanence, les cours de toutes les Bourse et de tous les marchés financiers du monde actuel.

Par rapport à la situation actuelle, la monnaie conserve donc son rôle d’unité de compte et de moyen de paiement différé. Elle reste un pouvoir d’achat, mais qui ne sert qu’une fois, il est périmé quand il a servi, comme un titre de transport ou un timbre, mais il laisse à son titulaire la possibilité de l’utiliser pour n’importe quel achat de son choix. Par contre, cette réforme cesse de faire de la monnaie un facteur d’enrichissement, donc de domination, et une obligation de croissance, dès lors qu’une ouverture de crédits n’implique plus versement d’intérêts.

Assainie sur ces bases, la monnaie devient le moyen de répartir entre tous les consommateurs les biens et les services que produit l’économie d’un pays, ou d’une région.

La logique d’accumulation, de capitalisation, fait place à une logique de distribution, de répartition.

Cette réforme, bien plus simple et plus objective que celles qui ont jalonné l’Histoire, conduit ainsi à un retournement de situation : à la loi de la jungle financière, elle subsitue un contrôle social de la production ; les décisions économico-financières sont enfin soumises à la réflexion et au débat politique, éclairé au besoin par des enquêtes objectivement menées. Mais tant qu’un tel débat préalable ne permettra pas de considérer d’autres aspects que la rentabilité, les avertissements d’experts et les cris d’alerte contre les dangers du productivisme actuel pourront indéfiniment se multiplier, ils resteront des vœux pieux.

En ce qui concerne le commerce international, si la monnaie d’un pays [2] est ainsi la manifestation comptable de ce que ses résidents s’engagent à y produire (en utilisant leur patrimoine commun de connaissances pour faire fructifier les richesses de leur sol et de leur sous-sol), les relations commerciales entre deux régions ne sont rien d’autre que des contrats de troc entre leurs deux populations. Il n’y a plus de dette financière internationale les échanges internationaux de marchandises sont alors à somme nulle. Il va de soi que ces contrats peuvent inclure des délais, que leur équité et leur exécution peuvent être soumises à un contrôle supranational. L’important est que cette transformation des bases du commerce extérieur permette aux populations de retrouver le droit de disposer d’elles-mêmes, celui d’assurer en priorité leur propre suffisance vitale, de “vivre au pays” et de s’y épanouir en développant leur culture.

Notre troisième proposition est inspirée par ce que nous avons observé à propos de la notion de valeur :

Troisième proposition :
Séparer la gestion des biens de celle des gens

Nous avons rappelé que lorsque les économistes parlent de valeur, il s’agit de valeur d’échange et que celle-ci est, de fait, le prix de vente d’une marchandise. Outre que ce prix, tel qu’il est fixé aujourd’hui, ne résulte nullement d’un débat comme le prétend l’économie classique, mais plutôt de la loi du plus fort, financièrement parlant, cette façon de comparer à l’étalon unique qu’est la monnaie ce qui est mesurable et ce qui ne l’est pas, conduit à considérer le travail humain comme une marchandise, comme une matière première parmi d’autres, et finalement l’être humain comme un objet remplaçable, jusqu’à traiter des employés “comme des kleenex” en cas de “licenciement économique”.

D’autre part, un tant soit peu de lucidité permet de voir que la production devient de plus en plus une œuvre collective et intellectuelle, et qu’elle fait déjà de moins en moins appel à de la main d’œuvre, qui est (à la rigueur) mesurable en temps de travail, et de plus en plus à une participation humaine impondérable, liée à la personnalité, à la culture, à l’expérience, à l’imagination et à la créativité, qualités par essence non mesurables. De sorte que prétendre pouvoir estimer la participation individuelle afin de l’acheter à un “juste prix”, le “salaire”, devient une absurdité, voire une escroquerie.

Pour éviter pareille aberration, il faut séparer la gestion des gens de celle des biens. Ne plus mélanger dans une même comptabilité l’être et l’avoir, c’est ramener l’économie à sa place naturelle, celle de l’intendance. N’oublions pas que le rôle d’une entreprise de production est de transformer des matières premières pour mettre à la dispositions des gens les objets dont ils ont besoin, et que ce n’est pas de fournir du travail, ce n’est pas de créer des emplois pour justifier des revenus. Le fait que la transformation de la matière nécessite une intervention humaine n’oblige pas à traiter “une ressource humaine” comme une matière première, et c’est en séparant la comptabilité des matières de celle des humains que cette distinction redeviendra possible et qu’on se rappelera que travail et emplois ne sont pas des buts, mais des moyens. Alors seulement le revenu reçu par un être humain ne sera plus le prix auquel il se vend à une entreprise. On ne parlera plus de salaire, de prix de la sueur, mais de revenus individuels, fondés sur les besoins personnels et dont le but sera de fournir à chacun les moyens de développer ses qualités propres pour exercer au mieux les activités par lesquelles il assume sa participation à la société. Alors cette contribution pourra parfaitement ne pas être mesurable et produire de la qualité, même pour le long terme. Et même s’il faut pour cela que le revenu soit versé par l’ensemble de la société et pendant toute la vie, et non plus, comme aujourd’hui, par les entreprises à ceux qu’elles emploient, et seulement pendant la durée de cet emploi.

Dans l’économie actuelle, la monnaie de profit est utilisée pour “marchandiser” le domaine de l’immatériel. En empiètant ce domaine de liberté, la finance le soumet au profit et en contrôle ou en réserve l’accès. L’Accord Général sur le Commerce des Services, l’AGCS, est en train d’installer cette appropriation de tout un patrimoine commun de l’humanité, fait de connaissances lentement élaborées au cours de l’Histoire. L’art et une certaine culture sont déjà standardisés, il ne sera bientôt plus possible aux agriculteurs de renouveler leurs récoltes, comme ils l’ont fait pendant tant de générations, sans acheter de nouvelles semences à Monsanto. À quand l’obligation d’acheter le droit d’avoir sa propre progéniture ? La réforme que nous proposons permet de rendre impossible cette appropriation, en faisant de la monnaie l’instrument de la seule gestion du réel. De séparer ce qui est naturellement du domaine de l’économie, qui est mesurable et qui doit être compté, “économisé” parce que rare, d’avec ce qui est du domaine du non mesurable, de l’immatériel, de la connaissance, de ce qu’on donne sans s’en défaire, dont l’abondance, la croissance, n’entraîne aucun danger et dont l’usage, loin de devoir être limité s’il n’est pas utilisé pour nuire, doit pouvoir être diffusé sans compter gratuitement.

Ces deux domaines ne sont évidemment pas indépendants, le lien entre eux est l’Homme qui vit dans le domaine du réel et doit pouvoir s’épanouir librement dans le domaine de l’immatériel qui lui est propre. Mais dans la mesure où l’économie produit des biens et non pas des profits financiers, où la monnaie est un flux qui se consume en même temps que les biens produits, il devient possible de gérer objectivement l’économie. Alors les gens peuvent se grouper en un réseau de coopératives de toutes tailles et y prendre ensemble les décisions qui les concernent directement, puisqu’il s’agit d’abord de décider de ce qu’ils veulent produire pour consommer et dans quelles conditions, ce qui définit en même temps leur activité et la masse monétaire totale dont ils disposent. Il leur appartient ensuite de faire, dans le budget ainsi fixé, la part destinée à payer les moyens matériels de production, celle nécessaire à faire fonctionner les services publics et celle constituant leurs revenus personnels.

Les débats sont ainsi largement ouverts au public et portent sur des critères d’intérêt général. C’est donc une extension de la démocratie à l’économie qui est proposée, permettant à tout résident de participer, sinon toujours directement, au moins par délégation, à ces prises de décisions qui sont à la fois sociales et économiques.

---------

[1] Alors même qu’au contraire, c’est la financiarisation de l’économie qui a eu pour conséquences de réserver les vertus du marché aux seuls professionnels des “Marchés” (Bourses des valeurs et autres marchés des changes, des matières premières, des dérivés, etc.) et de les supprimer pour le reste du monde, qui se voit offrir des marchandises à des prix fixés au préalable par les vendeurs : on ne les discute pas, c’est “à prendre ou à laisser”.

[2] ou d’une région, ou d’un groupe de régions dont les résidents décident de coopérer.

^

e-mail