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   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
 
 
 
 
 
AED La Grande Relève Articles N° 1028 - janvier 2003 > Étude de la monnaie : L’effet multiplicateur de crédit

 

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Dossier (Étude de la monnaie IIe - Suite)

Après avoir rappelé (GR 1027) que pendant des millénaires la monnaie avait été une marchandise, ayant donc une certaine valeur propre, nous avons raconté la naissance du billet de banque, reçu d’une certaine quantité d’or toujours disponible pour le porteur du reçu. Puis que les banquiers se sont permis de signer plus de reçus qu’ils n’avaient d’or en dépôt, fabriquant donc de la fausse monnaie, tellement que le public risquait de perdre confiance. C’est ce qui amena un groupe de banquiers à faire pression sur le souverain pour faire attribuer à leur propre banque le droit exclusif de créer cette monnaie fiduciaire sans valeur propre : la Banque centrale est née pour entériner ce privilège et, depuis quelques décennies, ses billets ont cours légal et forcé.

La troisième forme de monnaie est beaucoup moins évidente, bien qu’elle soit beaucoup plus utilisée : la monnaie scripturale (ou monnaie bancaire) n’est que jeux d’écritures dans la comptabilité des banques et autres établissements de crédit, privés et agréés. Cette monnaie peut être créée ex nihilo et circule comme si elle avait pour origine un dépôt réel. Depuis qu’elle n’a plus de référence, plus de valeur propre ni de gage matériel, la monnaie a donc perdu toute garantie réelle : bâtie sur la confiance de la banque (faillible) qui l’émet dans l’attente du paiement d’intérêts, elle n’est que le transfert d’une promesse.

Nous avons insisté sur le fait que, contrairement à une idée fausse très répandue, les banques ne se contentent pas de prêter à certains de leurs clients ce que d’autres clients leur confient, elles ont le privilège ahurissant de prêter plusieurs fois la même somme, voici comment :

Étude de la monnaie : L’effet multiplicateur de crédit

Agrégats monétaires et endettement intérieur
par M.-L. DUBOIN
janvier 2003

Imaginons que vous fassiez un dépôt de 1.000 euros en billets (crédit de premier niveau qui est émis sous contrôle de la Banque centrale) auprès de votre banque. Non seulement cette banque peut alors disposer de ces 1.000 euros, tout en sachant qu’elle vous les doit (c’est inscrit dans sa comptabilité), mais en plus, du fait de ce dépôt, elle est autorisée à ouvrir, pour un autre client, un crédit d’un montant légèrement inférieur, la différence étant ce qui correspond à la réserve qu’elle doit garder. Si par exemple cette réserve est fixée à 10 pour 100, (soit un “taux de couverture” c = 0,1) votre dépôt de 1.000 euros permet à la banque d’ouvrir 1.000 x (1-0,1) = 900 euros de crédit supplémentaire (ou crédit de second niveau). En dépensant son crédit, cet autre client tire un chèque qui va aboutir à une autre banque, et celle-ci pourra alors ouvrir elle aussi un crédit supplémentaire de 900 moins les 10 pour 100 de réserve, il y a donc possibilité de création de 900 x 0,9 = 810 euros de crédit de troisième niveau et cette banque aura 900 + 810 = 1.710 euros sur son compte de dépôt. Au quatrième niveau de cette chaîne de crédits, une autre banque créera 729 euros, une cinquième 656 euros, etc. Il s’agit d’une série mathématique telle que la somme de tous ces crédits ouverts à partir des 1.000 euros est théoriquement 1/0,1 = 10 fois la somme de départ. Si l’obligation de réserve implique un autre taux de couverture, par exemple c = 20 /100, les banques peuvent multiplier par 5 (facteur multiplicateur 1/0,2 = 5) les crédits qu’elles créent. On comprend que ce système donne aux banques secondaires la possibilité de multiplier par le facteur k = 1/c le montant de la monnaie scripturale en circulation.

Et c’est un pouvoir immense donné sur l’économie aux institutions de crédit. Car les crédits ainsi ouverts en prêtant plusieurs fois plus que le dépôt initial constituent une pseudo-monnaie, la “vraie” (si on peut dire, puisqu’elle est elle-même contre-partie d’une créance) étant la monnaie centrale. Mais dans les faits, et c’est là qu’est toute l’ambiguïté qui dissimule cet énorme pouvoir, pseudo-monnaie ou monnaie centrale alimentent les mêmes comptes à vue, qui permettent de tirer les mêmes chèques, elles se confondent donc à l’usage, de sorte que ces crédits créés, on peut dire ex nihilo, servent bel et bien de monnaie pour leurs clients quand ils tirent des chèques sur leurs comptes à vue, quelle que soit la façon dont ceux-ci ont été provisionnés. Donc tout va bien tant que les clients ont confiance dans ce système bancaire. Mais quand ils viennent tous en même temps retirer “du liquide” soit-disant équivalent à leurs avoirs, c’est l’effondrement du système et la ruine pour tous ses clients. Ceci vient de se produire (fin 2001) en Argentine, et s’était produit en 1998 en Russie, plus tôt en Thaïlande, et en Malaisie, et en Indonésie. Où la prochaine fois ?

Les banques privées ont non seulement le pouvoir de créer l’argent et de le ramener à elles, ce qui leur permet d’acheter ce qu’elles veulent, mais elles ont, du même coup, un droit sur le patrimoine de leurs débiteurs en cas de défaillance. Pour le comprendre, utilisons encore un exemple : vous possédez un terrain et vous avez besoin de 10.000 euros pour construire votre maison dessus ; vous êtes obligé pour cela d’emprunter ces 10.000 euros à votre banque. Celle-ci, pous vous ouvrir ce crédit, ne les prend pas à un autre client. Elle inscrit dans sa comptabilité que vous lui devez 10.000 euros plus tant d’intérêts (ce qui, à terme, peut faire, disons, 18.000 euros), et elle prend une hypothèque sur vos biens. Si, à terme, vous lui payez les 18.000 euros, elle annulera votre dette de 10.000 euros, mais elle encaissera les 8.000 euros d’intérêts. Et si vous ne pouvez pas règler les 18.000 euros, elle est en droit de se payer sur la vente, à laquelle elle vous forcera, de votre terrain ou de votre maison. De sorte que la permission donnée aux banques de créer de la fausse monnaie, pardon, de la pseudo-monnaie, les rend gagnantes dans tous les cas, sauf si elles ont prêté à des clients insolvables.

On comprend tous les efforts, enquêtes, publicités, démarches, souvent en connivence avec des agences immobilières et autres commerçants (qui sont preneurs dans les ventes à crédit organisées, ce qui est le cas par exemple des concessionnaires d’automobiles) qui sont consacrés à la chasse aux clients à qui prêter pour en tirer le maximum, voire pour les… plumer. Mais la lutte contre le surendettement vise à discipliner les clients piègés, pas à réprimer les auteurs de ces pratiques. On comprend aussi pourquoi les sièges des banques sont des bâtiments somptueux… comparez le bureau dans lequel votre banquier vous reçoit pour conclure un crédit, avec le “local” dans lequel vous reçoit l’instituteur de vos enfants pour parler de leur avenir !!

Dans le même ordre d’idées, comment des entreprises comme France Télécom, Vivendi et combien d’autres encore, ont-elles pu acheter tant “d’actifs” au point que leurs entreprises se sont retrouvées endettées de plusieurs dizaines de milliards d’euros… ? Qui peut, non pas gagner des millions, mais s’endetter de tant de milliards ?

Ces quelques exemples laissent entrevoir le rôle joué par le crédit sur l’ensemble de l’économie. Et cet aperçu donne le vertige. On découvre que les organisations bancaires, qui ne produisent rien de tangible, ont, en fait, grâce à cette pseudo-monnaie qu’elles créent de toute pièce (si on peut dire…) le contrôle des destinées des nations et de l’économie mondiale, elles peuvent contrôler les ressources monétaires mondiales, amener les gouvernements à quémander pour en avoir, elles peuvent même les manipuler, et donc faire et défaire des nations entières. Imaginez qu’une de ces banques repère un homme politique suffisamment vénal pour qu’il accepte de lui emprunter de l’argent afin de se constituer une formidable machine à détruire, qu’elle l’incite ensuite à piller tout un continent pour lui rembourser sa dette avant de s’effondrer… il sera temps alors qu’elle prête à ce continent l’argent pour se reconstruire et fasse en sorte que les contribuables lui paient les intérêts…

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Y a-t-il des garde-fous ?

On nous rassurait en expliquant que la Banque de France disposait de deux instruments pour mettre en œuvre sa politique monétaire d’encadrement du crédit : le taux d’escompte et les opérations d’open market. C’est en effet elle qui fixait son taux de réescompte quand elle prêtait aux banques commerciales. Si elle baissait ce taux, elle permettait aux autres banques de faire plus de prêts. Mais si elle augmentait ce taux, elle signifiait aux banques commerciales qu’elles devaient restreindre leurs ouvertures de crédit. Et si celles-ci n’obéissaient pas assez, à son avis, elle les y contraignait en ramassant des espèces grâce à la vente au public (open market) de bons d’état, ce qui avait pour effet d’enlever aux banques secondaires une partie de leurs réserves, donc de les obliger à refuser de nouveaux prêts.

La Banque de France disposait de ces moyens pour encourager ou freiner la création de la monnaie scripturale, mais non pas pour décider pour qui ou pour quoi cette monnaie est créée.

Et l’adoption de l’euro n’y a rien changé d’essentiel.

Il y a ainsi beaucoup plus d’argent qui est dù aux banques que celui qui est en circulation. De sorte que si tous ceux qui ont un crédit dans une banque, particuliers, industriels, commerçants ou État, décidaient de rembourser leurs dettes à leur banque, non seulement tout l’argent disponible serait nécessaire et il n’y en aurait donc plus du tout en circulation, mais, en plus, cela serait loin de suffire, il en manquerait beaucoup plus encore : la dette ne peut jamais être complètement remboursée. Or, comment rembourser quand on n’a pas l’argent nécessaire ?— En empruntant à une banque, à qui il faudra payer des intérêts, etc. C’est un cercle vicieux, une spirale ouverte vers l’infini.

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L’abandon du gage de la monnaie émise par la Banque centrale ayant été suivi par tous les pays, on peut dire que le XXème siécle a été marqué, avec la fin de toute référence de la monnaie à la réalité, par un bouleversement d’habitudes millénaires. Or l’incertitude qui en découle est lourde de conséquences, pourtant pas toujours bien identifiées : tous les pays sont aujourd’hui endettés, la dette nationale des États-Unis, par exemple, dépasse les 5.000 milliards de dollars (soit 70% du produit intérieur brut de cette nation), celle des pays les moins avancés est moindre, mais tout de même de 2.000 milliards de dollars au total, celle de la France est de 80 milliards d’euros, etc. Vous êtes-vous posé la question de savoir à qui est dù tout cet argent ? Vous avez maintenant la réponse : aux banques privées. Il est dù aux banques dites secondaires, lesquelles, on le sait, peuvent s’approprier le capital de leurs clients quand ceux-ci sont incapables de les rembourser… Il serait temps de prendre conscience que le pouvoir abandonné aux banques privées de prêter de l’argent qu’elles n’ont pas, leur permet de contrôler puis de s’approprier l’avoir des nations…

*

Mais le capitalisme ayant développé beaucoup d’autres formes de transactions à partir de la monnaie scripturale, il faut distinguer les moyens de paiement courants de tout ce qui constitue d’autres moyens de disposer d’un capital financier, par exemple un livret d’épargne ou les actions d’une société cotée en Bourse. Ceci a amené à définir les agrégats monétaires, liés à la liquidité d’un moyen de paiement, c’est-à-dire sa disponibilité :

L’agrégat le plus "liquide”, M1, est évidemment la monnaie dite circulante, qui regroupe les pièces, les billets et la monnaie scripturale des comptes à vue.

Le second, M2, est constitué de M1 auquel on ajoute tout le crédit à court terme : sommes inscrites sur livrets ou sur comptes à terme et disponibles en moins de deux ans.

Enfin pour former M3, on ajoute à M2 d’autres titres de créance et des titres du marché monétaire, qui sont de purs crédits.

Et ceci n’est rien comparé à l’endettement intérieur total (EIT), qui regroupe tous les crédits, que ce soit sous forme de prêts bancaires ou d’émission de titres, qu’il s’agisse de crédits aux entreprises, aux administrations publiques ou aux particuliers. En France, alors que la seule monnaie circulante était évaluée à 358 milliards d’euros en 1999, cet EIT était estimé à 2.100 milliards d’euros, soit près de six fois plus que M1, … plus d’une fois et demie le produit intérieur brut !

Les moyens de paiement qui servent aux transactions sur les marchés financiers sont donc d’un montant bien plus considérable que la seule monnaie circulante, qui est pourtant celle qui vient à l’esprit quand on parle de monnaie…

La suite de cet exposé portera sur l’évolution historique de la monnaie et en particulier sur celle de l’étalon-or.

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