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Qu’est ce que le Contrat Civique ?
| Ouvrons les yeux | Le salariat a fait son temps | L’extension de la démocratie à l’économie | Envisager d’autres finalités que l’argent | Les moyens existent | Et le financement ? | La distribution | La dictature du marché capitaliste | En conclusion |
Le problème majeur de notre époque est celui du chômage, de l’exclusion et de la misère qui en découlent. Ce qu’on appelle la crise est en fait une mutation, qui apparaît d’abord à propos de l’emploi : notre société est tellement bâtie autour du travail que l’éducation n’a plus pour but de former des hommes, mais des travailleurs, que c’est l’emploi qui définit la condition sociale, que l’absence d’emploi est perçue non pas comme une libération, mais comme une exclusion, et même que toute activité qui ne s’exerce pas dans le cadre d’un emploi, donc "rentable", est traitée avec mépris comme "marginale". C’est donc une mutation de toute la société qui est en cours, et la question qu’on doit se poser est : s’agit-il d’une catastrophe fatale ou sommes-nous capables de piloter cette mutation pour qu’elle débouche sur une société humainement plus épanouissante ?
Fatalité ? Ce qui est fatal, c’est, chez tous les êtres vivants, la nécessité de se procurer de quoi vivre. Mais l’homme, et c’est ce qui le distingue des autres animaux, s’est évertué, depuis des millénaires, à se débarrasser le mieux possible de cette obligation et, de génération en génération, il a su accumuler savoir, savoir faire et même savoir faire faire. Et voila que cette progression, très lente au début, s’est considérablement accélérée, au point qu’en quelques décennies il vient de mettre au point les moyens qui lui permettent aujourd’hui de faire produire ce dont il a besoin sur commande, par la nature et par des automates ! Il a trouvé comment assurer sa survie sans consacrer à cela toute sa vie. Une telle mutation dans sa façon d’assurer ses besoins vitaux transforme évidemment son mode de vie et nous assistons à un bouleversement aussi grand que celui qui s’est produit au néolithique, mais infiniment plus rapide. Comment s’étonner, par conséquent, que l’adaptation à de tels changements ne se fasse pas toute seule ? L’homme a acquis les connaissances nécessaires pour conjurer la fatalité, mais ce qu’il n’a pas encore réussi, c’est à s’y adapter.
Comment piloter l’adaptation ? L’attitude la plus générale relève effectivement de l’incapacité politique. Elle consiste à s’accrocher au passé, à refuser de voir l’importance du changement, voire à le nier. C’est en fermant les yeux qu’on s’obstine encore à parler de crise et faire croire qu’on va trouver le moyen de créer de nouveaux emplois pour revenir à la situation antérieure qui assurait à tous un plein revenu. Sans voir que cette fuite en avant implique une croissance irréaliste et perverse. Car la croissance n’a jamais cessé, la production mondiale vient encore d’être multipliée par 2,5 entre 1960 et 1990, mais parallèlement le nombre d’heures de travail salarié ne cesse de diminuer (il est passé en France de 40 à 35 milliards, entre 1973 et 1994), de sorte que la croissance s’accompagne maintenant d’un chômage également croissant ce qui, dans le système économique en vigueur, engendre l’exclusion.
Si le système était parfaitement libéral, tous ceux qui ne peuvent plus trouver à se vendre sur le marché du travail seraient éliminés. Mais des luttes sociales opiniâtres ont forcé nos institutions à prendre des mesures pour éviter pareille catastrophe, et c’est ainsi que l’Etat, dans notre système de marché amendé, organise une certaine redistribution. Mais la redistribution ne satisfait personne, ni ceux à qui on reprend une part de ce qu’ils ont gagné, ni ceux qui se sentent assistés alors qu’ils tiennent à montrer qu’ils sont tout aussi capables que ceux qui ont un emploi. En plus, la redistribution a atteint ses limites : le fossé qui sépare un petit nombre de riches, de plus en plus riches, et une masse de pauvres, de plus en plus misérables, ne cesse de s’élargir, et cela dans le monde entier. Et dans le même temps, la pression de la compétitivité s’exerce pour restreindre la redistribution et mettre fin à ce qu’on appelle l’état-Providence.
Les programmes politiques qui se proclament pourtant "progressistes" s’obstinent à rêver de créations d’emplois : c’est l’absurdité de l’emploi pour l’emploi, alors qu’il faut se rendre à l’évidence : les entreprises ne peuvent payer que les emplois dont elles ont besoin. Et leur productivité est telle qu’elles en auront de moin en moins besoin.
Partager l’emploi qui reste ? Oui, bien sûr. Mais pas comme on partage la misère, en continuant à penser que toute richesse ne peut venir que d’un emploi. C’est tout aussi absurde à notre époque où on produit de plus en plus, même avec de moins en moins de labeur humain.
Par contre, nous sentons bien qu’il existe une infinité d’activités
utiles, et même nécessaires, mais le système capitaliste ne peut les financer que par redistribution donc, indirectement, grâce aux emplois de production, et c’est de moins en moins possible.
Il faut bien faire la différence : l’emploi qui disparaît, c’est l’emploi marchand, celui qui contribue à la production de richesses qui, en se vendant, payent (remboursent) l’emploi.
Lorsque le travail de tous était nécessaire à la production, le salaire assurait, plus ou moins équitablement, mais automatiquement, l’équilibre entre production et consommation.
Depuis que la production n’a plus besoin du travail de tous, c’est cet équilibre emploi/revenus qui est rompu, le pouvoir d’achat des richesses qui sont produites n’est plus distribué par le système capitaliste entre tous les consommateurs qui en ont besoin.
Le salariat, après avoir duré quelque deux siècles depuis le début de l’ère industrielle, a donc fait son temps. Et il est maintenant urgent de changer les règles du jeu. Il nous faut un projet social pour adapter notre société aux moyens dont nous disposons aujourd’hui.
Celui proposé par Jacques Duboin sous le nom d’économie distributive a paru à beaucoup, dans les années 50, en avance sur son temps. Mais aujourd’hui, les faits ont démontré la pertinence des analyses et des propositions distributistes. Et d’autres exigences sont apparues : d’une part, la centralisation des décisions fait peur, depuis l’expérience soviétique, d’autre part le développement de la bulle spéculative a montré l’impuissance des gouvernements, mêmes démocratiques, face à la finance internationale, et enfin la mondialisation de l’économie a suscité, par réaction, le développement d’économies locales, à l’échelle humaine. Tout cela a fait naître, ou a révélé, le besoin d’étendre la démocratie à l’économie. Le contrat civique, en économie distributive, répond à ces divers objectifs.
Mettons tout à plat. Le problème n’est pas de produire plus. On sait faire, sur commande, et on pourrait produire bien plus, sans résoudre la "crise" de l’emploi. On produit même souvent trop, des choses inutiles, des choses nuisibles, et au mépris de toute considération écologique, toujours pour cause de rentabilité, car on ne produit qu’en considération des seuls besoins solvables. Le problème se situe maintenant au niveau de l’accès à cette production, donc à la distribution du pouvoir d’achat.
C’est l’échange d’un travail contre un pouvoir d’achat qui est à repenser. Non seulement pour les raisons indiquées plus haut, mais pour bien d’autres : la part du travail humain a beaucoup diminué dans la réalisation la production, mais en outre la part de chacun
y est de plus en plus floue : l’essentiel se fait maintenant en amont, ce n’est plus le travail présent qui compte, c’est celui de la conception, de l’information, de l’organisation et ces nouvelles méthodes sont le fruit d’un progrès général anonyme et commun. Comment prétendre évaluer la part de chacun dans une production devenue aussi collective ? Et en outre, il faut reconnaitre et même stimuler toute activité utile qui ne rentre pas dans le champ de celles qui sont qualifiées de rentables.
Par quoi remplacer le salariat pour répondre à ces divers objectifs ?
Par le contrat civique.
Quelques exemples :
L’enseignement initial n’aura plus pour objectif de rendre un jeune "employable", mais de lui montrer toutes les possibilités qui s’ouvrent devant lui. Assuré d’un revenu suffisant pour vivre décemment, ce jeune pourra poursuivre cette formation jusqu’à trouver sa voie, et même, éventuellement, faire plusieurs essais, faire des voyages, avant de s’intègrer, par exemple à temps plein, pendant plusieurs années, dans une entreprise. Tel pourra décider, même jeune, de s’engager à mi-temps dans une entreprise, et de consacrer le reste de son temps à entreprendre une nouvelle formation pour se réorienter, à participer à la gestion d’une association ou de sa commune ou encore à s’occuper d’un parent. Tel autre, après quelques années dans une entreprise, ou dans un service public, ou dans un travail de production artisanale, pourra prendre une année sabbatique pour cultiver son jardin. Ou pour déménager, bâtir sa maison, s’initier à l’apiculture avant de se transformer en producteur de miel et même conseiller en apiculture. Tel autre, en faisant valoir son expérience acquise, pourra demander les moyens de prodiguer ses conseils de son domicile. Tel autre, inspiré, voudra du temps pour écrire un livre ou un opéra, pour mener à bien une recherche, ou suivre l’entrainement intensif d’un sport, ou pour se consacrer à la vie politique, ou bien il demandera les moyens d’exploiter un brevet, etc. etc.
En économie de marché capitaliste, par contre, la démocratie n’existe pas ! Quelles sont, par exemple, les structures "démocratiques" qui ont décidé du type de développement qui a conduit des populations entières à abandonner leurs cultures vivrières et ne devoir leur survie qu’à la culture de la drogue ? Et comment se prennent dans nos pays industrialisés les décisions de financer ou non aussi bien les emplois productifs que les activités utiles mais non rentables, aussi bien la recherche appliquée que la recherche théorique ou culturelle, ou encore le tiers secteur associatif qui n’est pas "compétitif" mais qui correspond à un besoin de convivialité ?
Il n’y a pas d’argent pour rendre leur dignité à tous les exclus du système productiviste, mais les paradis fiscaux permettent aux multinationales de soustraire aux états des sommes plus importantes que les budgets nationaux. Il n’y a pas de fonds qui permette, par exemple, aux intermittents du spectacle, d’avoir une vie décente, mais on en trouve pour construire en des temps records un gigantesque stade pour en faire le cadre d’une compétition. La santé est réputée entraîner des dépenses insupportables à la société, mais les spéculateurs peuvent gagner des milliards instantanément, sans même avoir les fonds qu’ils engagent ! Est-ce que tous ces choix ont fait l’objet d’un débat ?
Dans le système capitaliste, mis à part les moyens illégaux comme le vol ou la violence, il n’y a que deux moyens pour corriger ces excès et ces absurdités.
L’un est officiel, institutionnel, c’est la redistribution, pour financer certains besoins insolvables à l’aide de taxes payées par ceux qui ont encore un emploi. Mais la limite en est atteinte, et la taxe Tobin, qui aurait permis de taxer (à 1 pour mille !) les fortunes bâties en spéculant sur les taux de change, n’a jamais été acceptée, tant elle est contraire à l’esprit même du capitalisme.
L’autre est marginal, c’est l’organisation spontanée et à initiative individuelle, comme les systèmes d’échanges locaux, qui ne disposent que de leurs propres moyens, donc très limités. Et c’est une goutte d’eau dans la mer, qui ne peut ni empêcher les grosses catastrophes, ni gérer l’ensemble de l’économie, ni venir à bout des maffias. On peut, peut-être, espérer que ces gouttes d’eau vont faire de grandes rivières, que des communes, puis des villes, et de plus en plus, vont prendre l’initiative de créer leurs monnaies locales, se doter d’une banque propre puis gérer, en marge de l’ensemble de la société, leurs productions selon leurs propres critères. Mais on peut aussi douter que ceci aille bien loin, quand on voit qu’il y a des tentatives pour récupérer ces efforts par les tenants du libéralisme, qui en profitent pour dire, en substance :
Bien sûr, l’économie distributive bouleverse nos habitudes. C’est une façon nouvelle de raisonner et de vivre ensemble.
Mais si jusqu’à maintenant la compétition était naturelle, si elle était inculquée dès l’enfance, c’est parce que notre système économique a été conçu à une époque où les biens produits étaient rares, c’était donc la course pour être le mieux servi. On est amené à penser et à agir autrement quand on est devant un buffet bien garni et assuré qu’il sera regarni sur commande. Puisque la grande relève de la main d’oeuvre humaine par la science, d’abord par la machine et maintenant par l’information, permet d’assurer la production des richesses, c’est l’occasion de nous débarrasser au maximum de ces tâches matérielles, et de nous libérer pour d’autres activités.
Inventons donc d’autres relations sociales pour, premièrement, que la production soit assurée en utilisant au maximum les technologies les plus performantes, et, deuxièmement, qu’elle soit distribuée entre tous, en satisfaisant autant que possible leurs besoins selon leurs souhaits. Osons remettre en question les idées toutes faites pour chercher ensemble comment oganiser notre société, non plus dans un esprit de compétition où chacun cherche à être celui qui bat ou même élimine tous les autres pour décrocher le morceau, mais, dans un esprit de coopération, cherchons comment nous organiser pour que, justement, chacun puisse s’épanouir en profitant le plus possible de ce patrimoine de connaissances dont les générations précédentes, tacitement associées, ont su nous faire tous cohéritiers !