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   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
 
 
 
 
 
AED La Grande Relève Articles > N° 1064 - avril 2006

 

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N° 1064 - avril 2006

Au fil des jours   (Afficher article seul)

Le comportement de notre gouvernement a trois caractéristiques : incohérence, précipitation et mépris.

De bonnes questions sur une banderole   (Afficher article seul)

Créer de nouveaux emplois, mais où et pour quoi faire ?

Liberté ou plein emploi ?   (Afficher article seul)

Jean-Pierre Mon signale un groupe de réflexion d’économistes et de sociologues allemands, qui vont tout à fait dans le sens de l’économie de partage que nous proposons.

Robotisation accélérée   (Afficher article seul)

Le salaire n’est que l’esclavage prolongé   (Afficher article seul)

La liberté peut-elle exister dans une société où le sort du plus grand nombre dépend de l’enrichissement d’un petit nombre, interrogeait Jacques Duboin.

Et pourtant !   (Afficher article seul)

Et Caroline Eckert demande pourquoi, pour réaliser des projets utiles à la société, dans l’un des pays les plus riches du monde, il faut compter sur des volontaires qui acceptent d’être mal payés.

Demandez le programme ! - 1.   (Afficher article seul)

Dans la perspective des Présidentielles, François Châtel commence par dresser un bilan qui discrédite le système actuel.

Tirer la leçon de Proudhon ?   (Afficher article seul)

Selon J. Langlois, il faudrait gérer la protection sociale directement par les salariés et les chômeurs, sans faire appel à des cotisations patronales : Marie-Louise Duboin doute que ce soit la bonne solution.

L’espérance trahie   (Afficher article seul)

CNE, CPE, TPE, etc, sous ces sigles Gérard-Henri Brissé décèle le profond malaise de notre société.

L’énergie éolienne : perspectives et problèmes   (Afficher article seul)

Jacques Hamon expose les perspectives offertes par cette source d’énergie, mais aussi les problèmes qu’elle soulève.

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Chronique

Au fil des jours

Incohérence, précipitation, mépris,
ces trois mots résument le comportement du gouvernement de notre république
2 avril 2006

Ce sont d’abord les mésaventures du Clemenceau “désamianté”, voguant, tiré par des remorqueurs, d’abord en Méditerranée, d’Espagne en Grèce, puis rapatrié à Toulon, en repartant précipitamment et sous haute protection pour échapper à Green-Peace, avant de se faire bloquer à l’entrée du canal de Suez, qu’il finit par traverser après avoir convaincu les autorités égyptiennes de son innocuité et en payant le prix fort. Parvenu dans l’océan Indien, il s’approche du port où il doit être démantelé. On découvre alors seulement que les Indiens ne sont pas d’accord et le Clemenceau repart, mais cette-fois-ci en faisant un beau détour par le cap de Bonne Espérance ( !), et finir, peut-être, à Brest.

Entre-temps, on aura appris qu’il n’était pas aussi désamianté qu’on le disait.

*

Ignorant le résultat du référendum du 29 mai 2005, le gouvernement poursuit implacablement la mise en œuvre de la politique de compétitivité de l’Union européenne. Pas assez vite au gré des autorités de Bruxelles qui « dénoncent l’insuffisance des réformes du premier ministre français » [1]. La Commission note que « le manque d’objectifs quantifiés, d’évaluations d’impacts et d’informations plus détaillées sur les conditions de mise en œuvre de certaines mesures limite le caractère prospectif et opérationnel du programme », que « les mesures présentées en matière de finances publiques ne permettront pas de ramener le déficit sous la barre des 3% [...], qu’un effort accru d’assainissement budgétaire semble indispensable pour garantir la viabilité des finances publiques à long terme » ; même diagnostic en matière de retraites et de santé. Par contre, en matière d’emploi, la Commission se réjouit de la création des contrats nouvelle embauche (CNE), regrettant pourtant que « les aspects liés à l’investissement dans le capital humain ne soient pas abordés de manière explicite » et souligne que « le développement d’une stratégie globale pour l’emploi des seniors reste un défi pour la France [...] et que « les efforts pour assurer la consultation des acteurs concernés auraient pu être intensifiés ».

Cette dernière remarque de la Commission a été considérée comme inopportune par le Premier ministre. Oubliant ses engagements de concertation, tant avec les partenaires sociaux (malgré une loi de mai 2004), qu’avec les parlementaires de sa propre majorité, qu’il a mis devant le fait accompli, il a précipité l’examen de son CPE par l’Assemblée nationale en utilisant le projet de loi sur l’égalité des chances, précédemment adopté par le Conseil des ministres et il n’a pas hésité à recourir à l’article 49-3 de la Constitution pour raccourcir les débats... Comptant sur “l’effet vacances” pour démobiliser les étudiants, il espérait contrer du même coup les syndicats... Il a déclaré à ce propos : « Notre électorat ne comprendrait pas que nous retirions ce projet », chose surprenante de la part d’un chef de gouvernement : prend-il ses décisions au bénéfice de son seul électorat ou bien de tous les Français concernés ?

Le chef de l’État, lui, a déclaré que la loi ayant été votée il faut l’appliquer, ce qui est dans l’ordre des choses. Mais alors que penser de la décision de ramener à 35 % part de l’État dans le capital de Gaz de France, sachant qu’une loi votée en août 2004 garantissait qu’elle ne passerait pas au dessous de 70 % ? Cette mesure est destinée à permettre le mariage de GDF avec Suez, afin de contrer l’offre publique d’achat lancée sur ce groupe privé par une société privée italienne, OPA qualifiée d’agression contre la France par le gouvernement, qui déclare agir ainsi par patriotisme économique. Mais c’est tellement incohérent avec les traités signés et basés au contraire sur la “concurrence libre et non faussée”, que les autres pays de l’Union européenne se mobilisent contre lui à Bruxelles, dénoncent le nationalisme industriel de la France, l’accusent de « protectionisme démagogique » et de « construire des lignes Maginot politiques ».

Cette fusion nous a valu aussi quelques révélations, telle que : « la fusion GDF-Suez donnerait naissance à un grand électro-gazier européen ». Mais n’existait-il pas, il y a peu, un grand groupe électro-gazier qui s’appelait EDF-GDF et qui a été démantelé précisément au nom de la libre concurrence ?

*

Un enseignant-chercheur en biologie moléculaire, Christian Velot, faisait partie de la délégation qui est allée au Sénat écouter les débats sur le projet de loi autorisant les OGM. Ayant du mal à s’en remettre il témoigne : « Des 331 sénateurs que compte le Sénat, seuls 49 étaient présents à l’ouverture de la séance et il n’en restait plus que 35 une demi-heure après. Brouhaha incroyable. Personne ou presque n’écoute l’intervenant qui lit son discours. Pas un seul sénateur n’avait le projet de loi sous les yeux. Raffarin et ses potes ont passé leur temps de présence (environ 30 minutes) à causer entre eux et à se marrer, certains tournant carrément le dos à l’intervenant. D’autres remplissaient des dossiers, regardaient leur agenda ou comparaient des photos. Mais, à la fin de chaque intervention, et uniquement lorsqu’il s’agissait d’un intervenant de leur groupe, ils applaudissaient comme des automates. Les âneries de ceux qui défendaient le texte étaient à la hauteur de leur méconnaissance du dossier... Quant à ceux qui étaient censés intervenir contre le texte, ils n’avaient probablement pas lu le projet de loi ou n’avaient pas vraiment envie de s’y opposer ».

Pauvre démocratie !

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[1] Le Monde, 25/01/2006.

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De bonnes questions sur une banderole

par M.-L. DUBOIN
2 avril 2006

Une banderole, mais noyée parmi tant d’autres dans les manifestations contre le CPE, pointait sur la cause profonde de la maladie dont souffre notre société au XXIème siècle : le travail.

À commencer par les jeunes qui, pour s’installer dans la vie, ont besoin de compter sur un revenu régulier, tout dépend du travail car, en plus du salaire, il apporte l’assurance de la sécurité sociale et d’une retraite, elles-mêmes financées par des cotisations calculées sur les salaires.

Tout le monde attend donc tout du travail. Et il n’y a plus de salut, dans notre système économique actuel, que dans la création d’emplois...

Mais pour quoi faire ? Pour quoi faire de plus, pour quoi faire de nouveau, et dans quel secteur, sachant que pour que ces emplois puissent être rémunérés il faut qu’ils soient “rentables“, ce qui élimine toute production ou service qui serait utile... à ceux qui n’ont pas les moyens de les payer ??

Le drame est bien là. Les seuls débouchés se situent maintenant dans la production de gadgets ou dans l’offre de services de conseils, de démarchages, de publicité, de “marketing” pour permettre aux grosses entreprises de gagner des parts de marché au détriment des autres.

Et puis ? Où mène cette fuite en avant qui se poursuit, en gros, depuis une vingtaine d’années ? Il ne reste déjà plus beaucoup de paradis naturels à bétonner, juste encore quelques plages de sable fin, peut-être, mais les résidences hôtels de grand luxe vont bientôt y être trop serrés...

Il serait temps de comprendre quelle alternative offre l’économie de partage que nous proposons depuis des décennies.

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Actualité

Et justement, quelques économistes et sociologues allemands ont fondé un groupe de réflexion qui va précisément dans le sens de l’économie de partage que nous défendons. Qu’on en juge par cette traduction de ce qu’ils publient sur http://www.freiheitstattvollbeschaeftigung.de/français.htm

Liberté ou plein emploi ?

par J.-P. MON
2 avril 2006

« Nous constatons que :

• Fonder la participation à la prospérité sur le rendement du travail est valable tant que la prospérité est générée essentiellement par le travail des hommes et des femmes, mais comme aujourd’hui le travail des humains est de plus en plus remplacé par des “machines”, si l’on maintient l’idée d’une distribution exclusive des revenus par le travail, cela mène soit vers un chômage croissant soit vers des revenus qui baissent ;

• La richesse d’un pays est la richesse de tous ses citoyens puisqu’elle résulte des efforts de tous, y compris des efforts des générations précédentes, la notion de justice implique donc de faire participer tous les citoyens à cette richesse.

• La prospérité est le résultat d’innovations réussies qui augmentent la productivité, favorisent la création de richesses, permettent d’automatiser les processus de fabrication et d’économiser la main-d’œuvre. Le chômage n’est donc pas un symptôme de pauvreté mais l’expression de la productivité et de la richesse d‘un pays.

• Renoncer à l’innovation, c’est renoncer à la prospérité et donc à la liberté d’effectuer un travail non rentable, car la liberté du citoyen est aussi la libération d’un travail qui peut être effectué par des machines programmables.

• Forcer les chômeurs à travailler exprime de la méfiance envers eux et restreint leurs libertés de citoyens.

• Le maintien de l’objectif du plein emploi pénalise les chômeurs et les entrepreneurs pour leur productivité.

• Le maintien de l’objectif du plein emploi oblige les citoyens à effectuer des tâches qui peuvent être automatisées, car un travail automatisable est un travail remplaçable, et un travail remplaçable ne peut être créateur de sens. Le maintien de l’objectif du plein emploi va donc de pair avec un nombre croissant de citoyens confrontés à une perte de sens professionnel.

• Le maintien de l’objectif de plein emploi engendre un gaspillage du temps de vie des citoyens car il est lié à des travaux abrutissants et indignes. Ce temps contraint ne peut pas être utilisé pour des activités ayant du sens, la dignité de l’homme n’est pas respectée.

• Si la dignité et l’intégrité de l’homme ne sont plus les objectifs prioritaires de la décision politique, alors les fondements de la société sont bouleversés. »

En conséquence, ce groupe propose l’instauration d’un revenu de base inconditionnel pour tous les citoyens : « Ainsi :

• les familles pourront se consacrer à l’éducation de leurs enfants sans se soucier d’avoir à trouver un revenu ;

• la sérénité obtenue par la sécurité du revenu favorisera l’innovation dans tous les domaines parce que ces innovations ne dépendront plus d’un écoulement sur un marché ;

• les entreprises se renforceront parce qu’elles pourront automatiser sans se soucier de licenciements et compter sur des collaborateurs performants et travaillant volontairement ;

• l’économie nationale prospérera parce que les industries et les secteurs économiques non rentables n’auront plus besoin d’être subventionnés ;

• la bureaucratie diminuera de façon significative, notamment par la réduction du nombre des allocations qui existent actuellement.

Un revenu de base inconditionnel pour tous renforce donc la responsabilité et la liberté des citoyens. »

Ajoutons à l’intention de nos amis allemands : encore faut-il que ce revenu de base soit suffisamment élevé pour subvenir aux besoins essentiels.

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Robotisation accélérée

2 avril 2006

Comme le décrit Paris-Obs (9-15/3/2006) la RATP, la SNCF, la Poste, les banques, les compagnies d’assurances ... remplacent leurs guichets par des automates multifonctions. Dans les supermarchés on teste des “robots caissières”, machines à encaisser en libre-service où les clients “bipent” eux-mêmes les codes barres des produits qu’ils achètent, ils les posent sur un tapis roulant, règlent avec leur carte et emballent le tout dans des sacs. Dans les banques, les guichetiers laissent leur place à des automates capables d’effectuer 70% des opérations courantes : retrait d’argent, relevés de comptes, établissement de RIB, dépôts de chèques et d’espèces, virements, commandes de chéquiers... Évolution normale : peut-on se plaindre que des tâches répétitives soient effectuées par des machines ? Mais qu’on cesse alors de nous bassiner avec le “retour au plein emploi” car il est bien évident que cette automatisation se traduira par de nombreuses suppressions de postes dans le secteur des services, comme cela s’est déjà produit dans les secteurs primaire et secondaire. Si, dans les exemples cités, encore en voie d’expérimentation, les effets sont pour à présent minimes (400 postes de guichetiers ou de télévendeurs supprimés à la SNCF en 2005 et 500 en 2006), les syndicats craignent des suppressions massives de postes dans les toutes prochaines années : 4.500 à la RATP, 20.000 dans la grande distribution, ...).

Bref, le plein emploi pour tous n’est ni pour demain, ni pour après demain. Et dire que le patronat, les politiques, la plupart des économistes souhaitent que la durée du travail augmente, que l’âge de départ à la retraite soit retardé, que l’on maintienne le plus possible les “seniors” dans l’emploi ! Ils marchent sur la tête !

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Une page d’anthologie

Le texte suivant est la reproduction de la lettre ouverte intitulée Réflexions d’un Français moyen, N° 127, publiée en février 1969 :

Le salaire n’est que l’esclavage prolongé

par J. DUBOIN
2 avril 2006

Chateaubriand l’a dit, bien qu’il fut loin d’être un économiste. Or, il avait raison, car il est facile de prouver que sa formule est vraie.

On prétend que la guerre est aussi ancienne que la culture humaine, et que l’esclavage est aussi ancien que la guerre. Ce n’est pas tout à fait vrai, l’orgueilleux guerrier ayant pris d’abord l’habitude d’immoler le vaincu. C’est lorsqu’il considéra le travail comme déshonorant, qu’il fit du vaincu son esclave afin qu’il travaille pour lui. Sous cet angle, l’esclavage fut un tout petit progrès...

Il n’en reste pas moins que l’homme, pendant des millénaires, fut considéré comme la propriété d’un autre homme. Si l’esclave a des enfants, ils appartiennent à son maître, comme les veaux appartiennent au propriétaire de la vache. L’esclave n’est donc plus un être humain mais une chose, et cela à toutes les époques, chez tous les peuples, et sous tous les gouvernements.

Dès les premiers jours de la république, on amenait à Rome pour y vendre comme esclaves, non seulement les prisonniers de guerre, mais encore la jeunesse des différents pays subjugués par Rome. Hommes, femmes, enfants étaient exposés sur un marché, où on les faisait courir, sauter, comme des bêtes. On les palpait comme on palpe poulets, oies, dindes. Déguisés en gladiateurs, on les enfermait dans un cirque en compagnie de bêtes fauves. Comme l’a remarqué Voltaire, les Évangiles ne mettent dans la bouche du Christ aucune parole condamnant l’esclavage. Il n’en est rien dit dans le Nouveau Testament, ni dans les écrits des apôtres, ni dans ceux des pères de l’Église. Les esclaves constituaient vraiment une seconde espèce humaine. Quand les esclaves se révoltent sous les ordres de Spartacus, les légions les écrasent.

L’esclavage fut long à disparaître. Qui n’a pas entendu parler de la “Traite des Noirs” qui s’organisa peu de temps après la découverte de l’Amérique ? L’Antiquité n’a fourni aucun exemple d’un esclavage aussi abominable. Quand les premiers Européens eurent éliminé ou parqué les Indiens dont l’Amérique du Nord était peuplée, ils eurent besoin de main-d’œuvre. Or, presqu’au même moment, les Portugais s’emparaient de la côte occidentale d’Afrique. Ils s’empressèrent de faire main-basse sur tous les Noirs qu’ils rencontraient et les expédiaient comme du bétail outre Atlantique. Les descendants de ces malheureux constituent aujourd’hui le péril noir, aussi dangereux pour les États-Unis que le problème des jeunes.

Comment les esclaves se sont-ils transformés en prolétaires ? L’évolution fut lente, la voici résumée : Rappelons d’abord que Servius Tullius, sixième roi de Rome (578-535 avant Jésus-Christ) divisa les Romains en six classes selon l’importance de leur revenu. Il appela “prolétaires” les citoyens qui composaient la dernière classe, donc la plus nombreuse et la plus pauvre. On ne trouvait au-dessous que la multitude des esclaves. Or, les esclaves finirent par s’élever à la dignité de prolétaires. Il vint en effet un moment où l’antique constitution romaine rompit ses liens de fer. L’esclavage se mua en servage, ce qui signifie que l’esclave fut attaché à la glèbe et devint “colon” ; il fait désormais partie du fonds de terre sur lequel il travaille. Si donc on vend le fonds de terre, on vend par la même occasion le colon. Or, le servage fut introduit en occident par la conquête des légions.

Il est sûr que le christianisme joua un rôle dans cette transformation, et même l’invasion des Barbares, ce qui étonnera peut-être le lecteur. Mais qu’il se rappelle que les Grecs et les Romains appelaient Barbares toutes les nations étrangères. Et que pour les Grecs, les Romains étaient, eux aussi, des Barbares. N’en rougissons pas, Guizot et Michelet ayant prouvé qu’ils apportaient, du fond de leurs forêts, presque tous les éléments de la société moderne...

En définitive, l’élément décisif de la transformation de l’esclavage en prolétariat est indiscutablement le progrès qu’accomplirent les techniques de la production des richesses. Jusqu’alors l’humanité n’avait disposé que de pauvres outils bien rudimentaires, lorsqu’un fait social, inconnu de toute l’Antiquité, surgit brusquement. Faute d’un terme plus expressif pour le définir, disons que ce fut l’embryon de l’industrie... Dès lors, les événements se précipitent : les communes s’affranchissent, les corporations d’arts et métiers, les jurandes et les maîtrises apparaissent, et, petit à petit, presque insensiblement, le serf fait la conquête de la liberté !

Le régime féodal se disloquera trois siècles plus tard, du fait encore de nouveaux progrès techniques. Alors naquit le prolétariat moderne, la classe la plus nombreuse et la plus pauvre...

Le prolétaire est égal en droits à tous les autres citoyens, mais... à la différence des autres citoyens, il n’est plus du tout sùr d’avoir tous les jours du pain. Du fait de sa naissance, il ne possède ni la propriété d’un fonds de terre, ni d’un capital quelconque capable d’assurer son existence et celle des siens. Il n’a pour vivre que son salaire ! C’est ce salaire qui doit satisfaire ses besoins et ceux de sa famille. Tout lien avec les classes riches a disparu. En revanche, il est indépendant... grand bien lui fasse !

Il est indépendant à condition de vendre le travail de ses bras ou de son cerveau. À qui ? À celui qui a besoin du travail de ces bras ou de ce cerveau. Et qui peut en avoir besoin ? Celui auquel ces bras ou ce cerveau permettront de gagner de l’argent ! Est-il admissible qu’un homme du XXème siècle ne puisse vivre qu’à condition d’en enrichir un autre ? Quels que soient sa bonne volonté, sa moralité, son dévouement, cet autre le congédiera dès qu’il lui coûtera plus qu’il ne lui rapporte, ou dès qu’une machine le remplacera avantageusement.

En sorte que le salarié n’est qu’un élément du prix de revient de son employeur.

Que devient le prolétaire licencié ? L’employeur n’en a cure, ce n’est pas son affaire. Ajoutons que s’il en faisait son affaire, il se ruinerait infailliblement... C’est notre système économique qui le veut.

Après des années d’un dur combat, les prolétaires obtinrent finalement une allocation de chômage, mais inférieure au salaire qu’ils perdent, en attendant de retrouver le patron qui gagnera de l’argent en achetant le travail de leurs bras ou de leur cerveau...

De tout cela, concluons que nous vivons encore dans une caricature de civilisation, car, dans les rapports humains qu’exige la production moderne, le prolétariat est aussi désuet que le seraient l’esclavage ou la servitude féodale.

Tant que la société portera dans ses flancs des millions d’hommes auxquels les institutions promettent une égalité de droits qu’elle ne leur donne pas, son existence sera aussi précaire que celle du prolétaire. Oui, vive la liberté ! Tout le monde est d’accord ! Mais peut-elle exister dans une société où le sort du plus grand nombre dépend de l’enrichissement du plus petit nombre ?

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Nos fidèles lecteurs se souviennent du colloque “Monnaies et Solidarités”qui fut organisé à Mulhouse en Novembre dernier, nous en avons rapporté quelques extraits et commentaires dans la GR 1061 de janvier.

Caroline Eckert y assistait, elle y a pris des contacts et les a prolongés, ce qui lui permet d’ajouter à ces réflexions sur le salariat et l’activité, un complément sur ce qu’est aujourd’hui le volontariat.

Et pourtant !

par C. ECKERT
2 avril 2006

Lorsque Marie-Louise Duboin présente l’économie distributive lors de conférences, elle suscite toujours de vives réactions parmi son auditoire. L’évocation du revenu social, en particulier, déclenche immanquablement une intervention du type « mais si chacun percevait un revenu, indépendamment de son travail, personne ne voudrait rien faire ».

Or des millions de personnes, pour ne parler que de la France, exercent toutes sortes d’activités sans aucune contrepartie financière. Des milliers d’associations ne doivent leur existence qu’au travail de bénévoles. Certes, beaucoup d’entre elles (clubs de tennis ou de broderie, associations de parents d’élèves, par exemple) ne servent que leurs adhérents, de sorte que l’activité de ces derniers peut sembler intéressée. Cependant elles ont aussi un rôle de formation et d’information pour les nouveaux adhérents, ce qui leur donne tout de même une ouverture vers l’extérieur. Et puis il y a aussi de nombreuses associations (aide aux plus démunis, protection de l’environnement, etc.) dont cette ouverture aux autres et l’ancrage dans la société sont leur raison d’être.

La mainmise de la société de marché allant grandissant, les inégalités augmentent et un grand nombre de besoins ne sont plus satisfaits. C’est ainsi que sont apparues maintes associations caritatives et structures (crèches parentales ...) destinées à pallier les dysfonctionnements de la société. Elles exercent en général leurs activités grâce au travail conjoint de salariés et de bénévoles. Les uns sont rémunérés selon les critères habituels (niveau d’études, ancienneté ...), tandis que les autres ne sont pas rémunérés du tout.

A mi-chemin entre le salariat et le bénévolat il existe un autre statut, le volontariat. C’est à l’occasion du colloque “Monnaies et solidarités” qui s’est tenu à Mulhouse en novembre dernier qu’il m’a été donné d’en apprendre un peu plus à ce propos. C’est en effet une équipe de l’association Unis-Cité [1] qui a permis le bon déroulement de ce colloque. Imaginez un groupe de six jeunes d’une vingtaine d’années, composé de Aude, Faty, Guillaume, Julie, Magali et Marvin, encadré par Basile. Imaginez maintenant qu’ils vous accueillent en vous remettant le programme du colloque, qu’ils se chargent de faire les photocopies lorsque des personnes veulent échanger des documents, qu’ils déplacent les chaises ici ou là en fonction du nombre de participants aux différents ateliers, qu’ils donnent le bras à ceux qui ont des difficultés à se déplacer, qu’ils veillent à ce que tout soit prêt à temps lorsque l’on part en visite, qu’ils rappellent l’heure à ceux qui ont un train à prendre, et de multiples autres choses, tout cela en participant eux-mêmes, et activement, aux ateliers. Imaginez enfin que tout cela se passe dans la bonne humeur, qu’ils sont souriants et donnent l’impression de prendre plaisir à ce qu’ils font. Et ce n’était pas qu’une impression, ils m’ont confirmé qu’ils remplissaient leurs missions avec plaisir.

C’est ce qui m’a donné envie d’en savoir plus. Après avoir bavardé avec l’un ou l’autre pendant le colloque, je suis allée les rencontrer au siège de l’association, un soir, après nos journées de travail respectives. Ils étaient là tous les six, ainsi que Basile, le coordinateur de l’équipe, et Lilla Merabet, la directrice. Ils m’ont d’abord expliqué la différence entre le bénévolat et le volontariat. Un bénévole « donne de son temps pour une cause en fonction de ses disponibilités », c’est-à-dire souvent occasionnellement ou irrégulièrement. Un volontaire, au contraire, se consacre à plein temps à la cause qu’il a choisie. En échange le volontaire reçoit une indemnité, appelée bourse de subsistance, qui doit lui permettre de subvenir à ses besoins. Depuis la loi sur le « Service civil de cohésion sociale et de solidarité », les volontaires bénéficient d’une protection sociale, notamment la prise en charge par la Sécurité sociale. Cependant plusieurs raisons empêchent toute comparaison entre cette bourse et un salaire. Elle est la même quel que soit le niveau d’études, seule la moitié du temps effectué est pris en compte pour la retraite, les jours d’absence sont déduits et son montant est faible, quoique non imposable. Selon Basile, elle « donne aux volontaires les moyens financiers de se consacrer aux autres ». En entendant cela, il m’a semblé qu’il s’agissait d’une sorte de préfiguration de ce que pourrait être le revenu social. De même, la nécessité d’honorer ses engagements, avec des horaires définis, et de respecter les objectifs fixés ne sont pas sans rappeler le contrat civique proposé par Marie-Louise Duboin.

À Unis-Cité les volontaires travaillent en équipe, ce qui ne signifie par forcément qu’ils interviennent toujours tous ensemble, mais dans le cadre de la même structure et avec une « communauté d’objectif et une communauté d’action ». L’antenne de Strasbourg existe depuis trois ans et comprend deux équipes constituées de six volontaires et d’un coordinateur. Les équipes sont formées en veillant à ce que les volontaires viennent d’horizons divers (origine géographique et sociale, niveau d’études, garçons et filles, ...). Pour les deux promotions de cette année, il a fallu choisir parmi 80 personnes réellement intéressées sur 120 demandes initiales. Leur période de volontariat a commencé en octobre 2005. Depuis, l’équipe que j’ai rencontrée a déjà plusieurs actions à son actif. Ils ont assuré le bon déroulement de deux colloques, dont celui de Mulhouse, et participé à la collecte annuelle de la Banque Alimentaire. Ils ont aussi participé à la réfection des entrées et cages d’escaliers de plusieurs immeubles, dans un quartier dit défavorisé de Strasbourg, en définissant le choix des peintures avec les habitants, puis en réalisant les travaux. Deux actions concernent un autre quartier faisant partie d’une zone urbaine sensible. D’une part ils emmènent des enfants de toutes religions à la découverte des lieux de culte des différentes confessions et, d’autre part, ils réalisent un court-métrage avec des jeunes sur un sujet choisi par ces derniers, en les aidant à éviter les clichés et à ne pas tenter de reproduire ce qu’ils ont l’habitude de voir à la télévision. Un jour par semaine ils rendent visite, en binôme, à des personnes âgées qui souffrent de la solitude. Enfin, ils apportent leur aide à la communauté Emmaüs pendant trois semaines avec pour objectif de « s’immerger dans la vie des compagnons » (partage des diverses tâches, mais aussi des repas).

S’engager dans une telle démarche ne vient pas du hasard. Pour certains d’entre eux cela résulte d’un blocage rencontré pendant leur parcours. Pour d’autres, il s’agit plutôt du « besoin de faire une pause » afin de réfléchir et de faire le point sur la suite de leurs études. Pour tous, cela représente une entrée dans la vie active en douceur et la possibilité de se trouver confronté à diverses formes d’organisation du travail. De plus, les volontaires doivent structurer leur cheminement personnel et développer un projet. Ils bénéficient pour cela de l’aide d’accompagnateurs. Ceux-ci sont en premier lieu les coordinateurs, qui les suivent au quotidien et avec lesquels ils ont un entretien individuel toutes les six semaines, mais aussi les parrains, bénévoles extérieurs à la structure et venant de tous horizons, qu’ils rencontrent au moins une fois par mois. Et, avant de revenir à d’autres types de statuts, leur période de volontariat s’achèvera en juin par un stage d’un mois, soit dans une structure du domaine vers lequel ils ont choisi de s’orienter, soit dans une activité qui leur sera utile pour la suite de leur parcours.

Si certaines orientations varient d’une antenne à l’autre, surtout celles liées à l’accompagnement des volontaires, les grandes lignes sont communes à toutes, et elles sont actuellement au nombre de dix (Grenoble, Lens, Lille, Lyon, Marseille, Nantes, Paris où se trouve le siège, Saint-Etienne, Strasbourg et Toulon). « Les jeunes volontaires sont réunis en équipes pour réaliser des projets utiles à la société » dit la plaquette de présentation de Unis-Cité.

*

Il ne reste donc au reste de la population qu’à refléchir sur les raisons qui font que, dans l’un des pays les plus riches du monde, on soit obligé de compter sur des volontaires pour « réaliser des projets utiles à la société ».

Ceci tout en continuant à vanter les soit-disant vertus de l’économie de marché et du libéralisme, bien sûr. Il apparaîtra peut-être alors que les objectifs de rentabilité financière immédiate et d’utilité sociale des projets sont contradictoires et que la mise en place d’un revenu social permettrait de favoriser le second.

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[1] www.unis-cite.org

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Réflexion

Demandez le programme ! - 1.

par F. CHÂTEL
2 avril 2006

Il est permis de souhaiter, en vue des prochaines élections, l’émergence puis l’évolution d’une prise de conscience générale sur la nécessité de remettre en question l’espace politique de notre pays. Il faudrait qu’elle concerne aussi et surtout les méfaits du système économique en vigueur et qu’elle se traduise par une volonté mondiale de construire un nouveau programme économique. Ces souhaits ne vont-ils être que des rêves ? Certains événements, certains mouvements contestataires semblent montrer que l’utopie sort du virtuel, que sa silhouette commence à faire de l’ombre sur les certitudes actuelles. Ils sont de plus en plus nombreux, ceux et celles qui répondent à la définition de “l’homme révolté” d’Albert Camus. Ils veulent signifier : « les choses ont trop duré ; jusque-là oui, au-delà non... »

Ce qui discrédite le système actuel

Internes ou externes à la société, nombreux sont les problèmes qui confirment le bon droit de leur prise de position :

• le chômage, la précarité du travail, le stress, la compétition, la constatation de ne plus rien contrôler ;

• le démantèlement des services publics, les écarts outranciers des revenus et des niveaux de vie ;

• la pression de la politique européenne et celle de la mondialisation financière sur les orientations politiques et économiques ;

D’autres commencent à éveiller les consciences :

• le réchauffement climatique, dont la réalité s’affirme chaque jour davantage alors que ses conséquences commencent à se manifester ;

• l’épidémie de maladies dites “modernes” comme les cancers, le diabète, les maladies auto-immunes, les allergies, qui touchent désormais aussi la jeunesse ;

• l’obstination à maintenir une agriculture basée sur la chimie, responsable pourtant de l’empoisonnement des sols, de l’eau, de l’air et de nos aliments ;

• l’obstination à conserver les élevages intensifs, pourtant néfastes à l’environnement en raison des pollutions engendrées, néfastes pour la santé en raison des maladies et des produits nocifs ingérés, néfastes pour les pays émergents tenus à la monoculture céréalière, pourtant destructrice des sols mais qui nourrit le bétail occidental, et néfastes également, ne l’oublions pas, pour des milliards d’animaux dont l’existence est un enfer ;

• la grande disparité mondiale entre la richesse du Nord et la misère du Sud, qui provoque une émigration sauvage, des guerres, des holocaustes, des situations sociales et sanitaires intolérables.

Certes, la montée protestataire contre les méfaits d’une idéologie destructrice sur le système économique est réelle. Mais leur énumération, ci-dessus, devrait faire réagir l’ensemble de l’humanité. Or l’école de l’endoctrinement et de l’endormissement s’avère puissante. Et quand le doute, les frustrations et le sentiment d’insécurité s’installent dans les esprits, la secte intéressée sait proposer des remèdes tels que l’asservissement au productivisme et à la consommation, l’abêtissement, le conformisme.

Le mécontentement existe et il se manifeste de façon souvent désordonnée ou violente. Les réactions sont diverses, peu structurées ou coordonnées, faute d’un programme substitutif au capitalisme, établi par l’ensemble des mouvements contestataires.

Nombreux, parmi ceux-ci, se laissent séduire par la tentative de récupération des privilégiés de l’idéologie prônant le développement durable. Ils misent aveuglément sur la science et la technique pour les sortir du mauvais pas ou au moins protéger leurs privilèges. Peut-être, mais toutes les interrogations et les réserves sont permises tant qu’elles seront les complices du néo-libéralisme. Ils prétendent l’humaniser par des lois et par des mesures dans le but de protéger l’environnement. Autant tenter de civiliser un renard dans un poulailler !

Trop de déséquilibres et de méfaits suffisent à discréditer cette idéologie et à motiver son élimination. Elle ne fait que maintenir l’humanité dans une adolescence nombriliste et déraisonnable qui l’a menée à revêtir le triste statut de plus grand parasite de la Terre et de sa propre espèce.

Et les générations futures ?

En maintenant ce système, quels cadeaux l’humanité présente se propose-t-elle d’offrir aux futures générations ?

•Une prolifération d’objets les plus divers... dont la plupart ne sert qu’à nous infantiliser et nous rendre esclaves et irresponsables ;

• des monceaux de médicaments mis à leur disposition... pour lutter contre les maladies créées par la pollution et l’empoisonnement de l’alimentation ;

• un allongement de l’espérance de vie... pour se trouver davantage soumis au travail précaire ;

• la disparition de toute éducation familiale, remplacée par celles de l’école et de l’entreprise ne faisant qu’une ;

• une déculturation et une infantilisation... qui empêchent le développement de l’esprit critique et de l’action citoyenne ;

• la généralisation de règles éducatives soi-disant naturelles, comme la loi du plus fort ou l’incapacité génétique des pauvres à “réussir” ;

• l’exhortation à l’individualisme, au culte du Moi, à la compétition, à confondre vie en société avec exploitation des besoins d’autrui pour son propre compte ;

• un clivage social outrancier, indécent, dans lequel le sort des plus démunis ne dépend que de la charité ;

• un État républicain qui livre les services publics au pouvoir de l’argent et qui ne sera bientôt plus représenté que par l’armée, la police et la justice, signifiant ainsi une injonction à se soumettre à l’ordre capitaliste établi et considéré comme la panacée de l’ordre humain ;

• un environnement saccagé, la beauté bafouée ou confinée derrière les clôtures de parcs à entrée payante ;

• un assouvissement psychique à “l’Avoir” et l’ignorance d’une vie basée sur la culture de “l’Etre” ;

• le chantage moyens de vivre contre travail, alors qu’il n’y a pas d’emploi pour tout le monde. Devoir vendre des heures de sa vie au profit d’actionnaires et en fonction de l’information professionnelle que restitue la mémoire ;

• et aussi le chantage mérite contre niveau social. En principe, la soumission et le dévouement à l’entreprise se traduisent par le pouvoir d’atteindre un niveau social gratifiant dans l’échelle de la dominance. Il est vrai que plus le boulet est pesant, plus il est en métal précieux.

J’oublie certainement d’autres semblables cadeaux aux générations futures, mais cette énumération suffit pour vouloir destituer le despote et son idéologie.

Et j’ai gardé le plus énorme pour la fin :

La violence perdure

S’il est vrai que la violence a, plus ou moins, accompagné l’humanité tout au long de son Histoire, est-ce que le premier objectif d’un programme de progrès humain ne devrait pas être de l’éliminer ?

Les horreurs des guerres mondiales et de tous les conflits, non moins ignobles, du siècle dernier, auraient dù inciter tous les gouvernements et toutes instances religieuses à bannir toute arme de la surface de la Terre ! Les holocaustes et autres exterminations auraient dù faire l’objet de campagnes médiatiques et de mobilisations officielles non-violentes contre toutes les sortes de racisme ! Comment une civilisation qui, après cela, exerce et prône la violence sous toutes ses formes peut-elle perdurer, que cette violence soit armée ou mentale, qu’elle s’exerce par l’exclusion, la compétition, la non-assistance à personne en danger ou l’exploitation ?

Atteindre l’âge adulte, pour un individu, c’est chercher à évoluer dans les domaines de la responsabilité, de la solidarité, de la connaissance, de l’expression de soi dans l’échange avec les autres, bref, de la sagesse. De même notre espèce, qui prétend vouloir progresser, ne le fera qu’en se donnant pour objectif d’améliorer son humanisme et sa compassion. Qu’attendons-nous pour inviter les générations futures à développer un tel objectif, dès lors que l’abondance matérielle et alimentaire est dans nos moyens présents et que nous avons des machines pour la maintenir ?

Le fleuron de notre “civilisation” se trouve outre-atlantique, d’où part la croisade qui prétend répandre la démocratie et la paix... avec le plus grand stock d’armes du monde, dont elle fait le commerce honteux. Comment pareille hypocrisie peut-elle encore trouver quelque assentiment ?

Vouloir se protéger de la nature est tout à fait légitime, à la manière d’un adolescent vis à vis de sa mère. Mais la respecter reste primordial. En garder la cruauté et en éliminer la beauté n’est pas un choix judicieux. En infligeant aux animaux tant de souffrances, sous diverses formes, on ne se montre pas supérieur à eux. Est-ce pour prouver qu’on a la faculté de dire “Non” qu’imiter la cruauté des autres espèces qui, à leur décharge, ne possèdent pas cette faculté ?

À l’étape de son évolution où se situe le monde occidental, en avance sur les pays qui en sont encore à tenter d’échapper à la misère, il lui incombe de se poser la question : la nature du “bonheur” atteint et la cohésion sociale actuelle correspondent-elles à son objectif ?

Dans l’affirmative, la route est libre.

Mais sinon, une sérieuse remise en question est nécessaire.

à suivre...

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Lectures

Tirer la leçon de Proudhon ?

par M.-L. DUBOIN
2 avril 2006

Dans une collection au titre ambitieux de Savoir penser l’essentiel les éditions lyonnaises Chronique sociale ont publié l’an dernier Agir avec Proudhon de Jacques Langlois, ancien cadre de l’EDF-GDF.

L’admiration que l’auteur voue à son maître domine nettement les deux premières parties, qui sont consacrées à la vie, la pensée et l’œuvre de Proudhon. La présentation en est assez scolaire, avec résumés aux fins de chapitre et glossaire des “concepts-clef proudhoniens“, mais c’est pour mieux préparer la suite. Et celle-ci, le dernier tiers du livre, annonce un vrai désir d’innovation en proposant d’adapter certaines idées de Proudhon à notre temps. On lira donc avec intérêt comment il imagine les bases d’un régime politique plus démocratique afin de “réorganiser la société” en passant par la création de contre-institutions et de contre-structures. Pour promouvoir “une attitude collective” et un “esprit de solidarité et de coopération”, il faut, dit-il pour commencer, empêcher l’État d’édicter des règles qui encouragent l’individualisme. Et puis éduquer, former, orienter chacun dans le cadre d’associations diverses, ce que les partis qui se disent de gauche devraient encourager. Il entre alors dans les détails de structures à installer pour instituer une double représentation, territoriale et corporative. Et sur ce dernier point, il précise « à partir des métiers », ce qui suggère que cet ancien militant CFDT n’a pas bien mesuré la révolution du travail au cours du siècle dernier, ce qui fait craindre que ses propositions ne soient que l’extension d’une organisation pensée au XIXème siècle, non adaptée aux activités du XXIème.

Sur la laïcité et le respect de règles communes, on apprécie la vision de J.Langlois. Sur la formation, ensuite, il dit lui-même n’actualiser « qu’à la marge » l’approche proudhonienne. Et sur la protection sociale, ses innovations sont encore plus pauvres : faire gérer les institutions de protection sociale « directement par les salariés et [...] notamment par les chômeurs ». Le chômage a donc de l’avenir... Affirmant que le niveau de rémunération doit « permettre à chaque salarié de s’assurer » dans une mutuelle, il déclare qu’on ne fera pas appel à des cotisations patronales « parce que construire une contre-société ne saurait introduire le loup dans la bergerie » ... la société démocratique et conviviale qu’il annonçait se révèle être définitivement à deux vitesses, deux mondes distincts et bien séparés.

Notre auteur ayant eu le bon sens, trop peu partagé, de constater, dans l’introduction à ses propositions, que « la finance est devenue folle et ne repose plus sur quoi que ce soit de réel », on s’attendait à quelque proposition courageuse au chapitre sur la finance. Celui-ci est introduit par ce constat qui commence de façon réaliste : « le moyen essentiel du développement des forces productives est la monnaie de crédit qui finance les investissements et facilite la demande, notamment pour les biens coûteux de longue durée. » mais se poursuit par :« Mais est l’objet d’un vol permanent au profit de l’État et de la bancocratie ». Oui, au profit de l’État, on a bien lu ! À quel aveuglement sa phobie de l’État mène notre proudhonien pour qu’il ignore, comme tant de ses semblables il est vrai, que l’État se refuse à lui-même le privilège qu’il accorde aux banques, au point qu’il oblige les contribuables à verser une rente au privé !!

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L’espérance trahie

par G.-H. BRISSÉ
29 avril 2006

On m’aurait dit, il y a quelques mois, que le CPE n’était autre qu’un Conseiller Principal d’Enseignement, je n’y aurais rien trouvé à redire. Que ce sigle se soit mué en Contrat de Première Embauche, voilà qui reflète bien la confusion des genres et le défaut d’imagination de nos dirigeants. Par l’exercice artificiel d’un énarque statisticien, conseiller du Premier ministre, ce qui n’était conçu à l’origine que comme une variante de contrat de travail a focalisé tous les ressentiments à l’égard d’une conception retorse de l’organisation de la société...

CPE, CNE, TPE, et tutti quanti, voilà bien la traduction la plus visible de l’inquiétude des jeunes et du corps social tout entier, précipités en permanence par une poignée d’énarques dans je ne sais quel labyrinthe de l’incertitude du lendemain, de la précarisation des temps où nous vivons, alors que les progrès des techniques et des capacités productives nous offrent de quoi accroître le bien-être croissant de tous les citoyens !

Hier, le baccalauréat ouvrait les portes de l’Université, et aussi l’accès à certains métiers. Aujourd’hui, il s’est déprécié, et tout en conservant les faux semblants du concours général, il se réduit à un simple sas d’accès à des études plus longues et qui n’en finissent pas !

Qu’offre-t-on à la jeunesse ?

Quelqu’un a déclaré, au grand dam du corps enseignant, que l’Éducation Nationale ressemblait à un mammouth, qu’il convenait de “dégraisser”. Que n’a-t-on pas encore instauré un vaste ministère de la promotion sociale, chargé de prendre en mains l’intégration sociale et professionnelle de nos jeunes, et bien sûr, des adultes ?

Si l’on pose le principe de la formation continue, on doit repenser le travail et la formation professionnelle en termes d’activités. Il est nécessaire d’intégrer le tout dans un profil de vie, qui mène corrélativement en termes de revenus et d’activités, jusqu’à la retraite effective, c’est-à-dire le moment où la société nous offre un repos bien mérité.

Mais pour ce faire, le baccalauréat doit être repensé comme un aboutissement par un contrôle continu des connaissances, un socle sur lequel s’articule le choix librement consenti d’une activité conçue au départ comme un examen de passage, par étapes, vers la condition d’adulte responsable, apte à s’adapter à des environnements multiples.

L’Éducation nationale doit être replacée dans sa vocation première, qui est de donner “des clartés de tout”, comme on disait au Siècle des Lumières, apporter certes des connaissances mais aussi le goût des connaissances, l’aptitude à appréhender, à analyser, pour mieux comprendre ensuite le monde où nous vivons, s’y adapter et éventuellement le transformer.

La vocation de l’Éducation Nationale n’est pas de préparer des individus à se vendre sur le marché du travail, mais bien plutôt à devenir une personne libre et responsable, à bâtir sa personnalité dans un environnement évolutif et dans une société aussi solidaire que possible.

Qu’offre-t-on à la jeunesse aujourd’hui ? Un enseignement théorique dont elle n’aura que faire toute sa vie [...] un parcours théorique de cinq, six, sept ans, qui débouche dans les dédales de l’ANPE, des classes surchargées qui ne devraient comporter qu’une quinzaine d’élèves suivis par deux enseignants et animateur. Le rôle d’un professeur est de dispenser, un savoir, avec le meilleur talent possible, il n’est pas d’organiser la discipline.

Que va trouver le jeune à l’issue de ce parcours long et compliqué et d’une orientation mal conçue ou imposée ? - Une kyrielle de CDD, de contrats en intérim, mais aucune perspective d’avenir, pas même au sein de la fonction publique, qui, vouée au démantèlement, part en quenouille. On lui dit que c’est pour son bien, qu’il faut en passer par là pour se forger une expérience. Alors s’installe un sentiment de désespérance, surmonté à coups de drogue, de trafics d’argent facile, ou de ces multiples faux fuyants qu’offrent des trafiquants en quête de profits illicites.

À cette précarisation débilitante, il fallait un surcroît de sécurisation, au niveau des revenus comme à l’échelle des perspectives d’activités valorisantes. C’est tout le contraire qui est fait : on tente d’adapter le code du travail à la flexibilité du marché qui exige une main d’œuvre malléable et immédiatement disponible, dans le temps et dans l’espace, embauchable et jetable à tout moment, au gré des fluctuations des commandes. Peu importe le sort des travailleurs, pourvu qu’ils répondent présents pour abonder aux meilleurs profits !

En offrant au patronat la possibilité d’accroître le temps de la période d’essai, ce contrat renouvelable à l’infini et qui comporte un risque certain de substitution à des CDI, offre toute latitude de licenciement, n’importe où et sous un quelconque prétexte. Ce faisant, les politiques au pouvoir n’ont fait qu’accroître le sentiment latent d’instabilité, déjà installé avec le CNE destiné aux adultes.

Pour en sortir

Les gouvernements successifs n’ont fait qu’empiler depuis une trentaine d’années des dispositifs légaux sensés favoriser l’insertion professionnelle des “demandeurs d’emplois”, saucissonnés en jeunes, adultes et seniors. Quelque 24 milliards d’euros furent dispensés aux entreprises pour financer les “emplois aidés”, avec, c’est le moins qu’on puisse dire (voir Le Monde du 28 janvier), un effet contrasté.

Au final, le personnel de l’ANPE, celui des ASSEDIC, les patrons et responsables des ressources humaines, tout le monde se perd dans la quarantaine de variantes de contrats de travail “aidés”, aussi inefficaces les unes que les autres, même si quelques résultats positifs sont mis en avant.

Quel incroyable gâchis de compétences, de moyens et d’engagements financiers !

Et ce n’est pas en multipliant les entretiens périodiques avec les demandeurs d’emploi, au prix d’une charge de travail démentielle, que l’on résoudra le problème posé par une croissance économique atone, la prétendue inadéquation entre une offre dont personne ne veut et une demande incertaine, a fortiori si l’on n’a rien à proposer et si l’entretien ne débouche pas sur de réelles perspectives d’emploi ou de formations gratifiantes ou de garanties d’évolutions positives à la clef.

Si j’ai cité CNE, CPE et TPE, c’est bien parce que la multiplication mécanique et l’invocation incantatoire de ces sigles dans un univers où tout évolue très vite, où les modes éducatifs ont nécessairement un impact sur l’évolution de l’emploi, font surgir un malaise plus global de notre société, et a fortiori de nos élites formées dans le même moule et apparemment inaptes à l’appréhender et à la réformer dans la globalité.

Quel “patriotisme économique” ?

Nos politiciens, lorsqu’ils acquièrent une certaine dose de pouvoir, se vautrent dans des formulations d’un autre temps, telles que “patriotisme économique”. Celui-ci n’a ni queue ni tête dans un environnement où le pouvoir réel appartient à de grands groupes financiers internationaux dont la préoccupation première est d’accroître leurs profits, en termes de puissance et d’influence. C’est à qui va avaler l’autre pour mieux le digérer. C’est ainsi que les fonds de pension américains, pour ne citer que cet exemple, sont propriétaires à 70% de nos parcs foncier et immobilier. Allez ensuite, au vu de ce constat, évoquer un quelconque “patriotisme économique” ? Lorsque l’État brade son patrimoine, une part appréciable en est, à coup sûr, rachetée par le capital étranger. Cette tendance n’est pas spécifique à la France : récemment, le Congrès américain s’est élevé contre le rachat, orchestré avec la bénédiction du Président, du trafic commercial de six grands ports américains par des émirats arabes ! Et bien entendu, on ne souffle mot de l’acquisition d’intérêts étrangers par des capitaux français.

Dans ce contexte d’affrontements féroces, l’État, qui est confronté à un surendettement croissant, vend les bijoux de famille pour renflouer son budget ; ce faisant, il perd chaque jour un peu plus de pouvoir en cèdant ses leviers de commande et d’intervention. Et la défense de l’intérêt général, qui constitue pourtant sa mission régalienne, s’effiloche au profit d’intérêts particuliers.

Et on laisse partir en quenouille, au profit d’une spéculation stérile, les actions publiques en faveur de la recherche, de l’innovation, de la santé, du logement, du pouvoir d’achat des citoyens. On permet à une entreprise comme GDF, qui fait de somptueux profits en accroissant son capital privé, d’augmenter ses tarifs de quelque 20% sur un an. Le gagnant est évidemment l’actionnaire ; et le grand perdant est l’usager qui ne trouvera pas dans son salaire ou sa pension de retraite le revenu complémentaire pour faire face à de telles dépenses.

La jungle des textes officiels

À défaut de pouvoir intervenir sur le terrain, les pouvoirs publics multiplient les décrets, les textes de lois, sans compter les organismes ou commissions inopérants. Dans son rapport annuel, le Conseil d’État a attiré une fois de plus l’attention des citoyens sur la complexité du droit. Rendu public le 15 mars dernier, ce document livre des chiffres ahurissants : aux 9.000 lois et 10.000 décrets recensés en l’an 2000, sont venus s’ajouter 70 lois, 50 ordonnances et 15.000 décrets par an ! Le code du travail ne comporte pas moins de 2.000 pages, le code général des impôts plus de 3.500 ; et plus de 10% de ces codes sont modifiés chaque année !

Même les experts les plus compétents et les plus qualifiés ne s’y reconnaissent plus, alors, a fortiori, les modestes citoyens sont plus victimes que bénéficiaires de ce maquis juridique. Et dans un État de droit, c’est un comble !

Ce constat s’ajoute au malaise de la jeunesse, il devient donc réellement urgent de modifier les règles du jeu. En rétablissant l’autorité de l’État sur des bases saines et solides. En intégrant la République Française à une Confédération des Peuples Européens, avec un pouvoir central plus soucieux de subsidiarité que de super-puissance à vocation ultra-libérale.

Au risque de nous répéter, nous ne réitérerons pas nos thèses sur les manières de surmonter la crise actuelle, en particulier celle qui est posée par le problème du chômage. Mais nous sommes convaincus qu’aussi longtemps qu’elles ne seront pas prises en considération, la situation ne fera que s’aggraver.

Conclusion

Comme l’écrit l’éditorialiste Hervé Chabaud [1] : « Il manque un grand projet pour la France auquel les jeunes adhéreraient parce qu’ils se sentiraient concernés ».

Ce grand projet, nous l’avons énoncé. Il n’a toujours pas reçu un début d’application. Parce qu’il bouscule trop d’habitudes acquises, des intérêts puissants, il est mis au rancart par les puissants du jour ou du moins ceux qui se croient encore tels. Jusqu’au jour où les évènements le rendront incontournable !

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[1] le 19 mars dans l’Union de Reims, dont voici l’adresse pour des lecteurs qui nous l’ont demandée : 5 rue de Talleyrand, 58083 Reims cedex.

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L’énergie éolienne : perspectives et problèmes

par J. HAMON
30 avril 2006

Les énergies fossiles conventionnelles auront une fin relativement proche et leur utilisation contribue à une dramatique dérive climatique. Les centrales nucléaires de troisième génération produisent des déchets très radioactifs à vie longue dont la sécurisation durable pose problème ; celles de quatrième génération sont plus prometteuses, mais leur faisabilité industrielle reste à établir. Passer le plus rapidement possible aux nouvelles énergies renouvelables devient ainsi essentiel, tant pour des raisons économiques qu’environnementales. Parmi les nombreuses nouvelles énergies renouvelables crédibles, trois seulement ont à court et moyen terme un potentiel notable en France, les biocarburants, le solaire thermique et l’énergie éolienne.

Le potentiel national de production des biocarburants est modeste, ce qui devrait limiter ceux se substituant à l’essence et au gazole à des besoins prioritaires, navires de pêche et de commerce, liaisons aériennes essentielles, véhicules et aéronefs de la sécurité civile et, probablement, scies portables des chantiers forestiers. Pour limiter les frais de transport, les biocarburants solides (bois, plaquettes et granulés de bois, autres dérivés végétaux) seront probablement utilisés à proximité de leurs lieux de production.

Le solaire thermique est exploitable et rentable sur l’ensemble du territoire national, métropolitain comme outre-mer, mais il ne produit que de la chaleur, plus dans les Dom-Tom qu’en métropole et, dans cette dernière, plus dans le sud et en été que dans le nord et en hiver. En dépit de ces limitations, son utilisation devrait être obligatoire pour réduire nos importations de produits pétroliers, en attendant la disparition économique, ou environnementale, de ces derniers.

L’énergie éolienne, sauf cas très particuliers, n’a vocation qu’à produire de l’électricité. Une telle production est essentielle car l’électricité, outre ses utilisations conventionnelles, va être indispensable pour alimenter, directement ou indirectement, nos moyens de transport terrestres non-prioritaires. Tout un chacun apprécie les aérogénérateurs, à condition qu’ils soient ailleurs. Ils dénaturent les paysages, hachent menu les petits oiseaux, n’ont aucun avenir économique, par leurs socles massifs et leurs conduites électriques enterrées réduisent la capacité de production agricole et contaminent durablement l’environnement. Ces aérogénérateurs ont par ailleurs presque toutes les qualités, ils produisent de l’énergie à proximité des consommateurs, hors toute centralisation, et permettent d’éviter la construction, ou même la maintenance, de centaines de milliers de pylônes de lignes électriques à haute et très haute tension. Tant ces critiques que ces louanges sont contestables.

Les aérogénérateurs craignent les turbulences et leur axe doit donc être situé bien au dessus du sol ou du niveau de la mer ; les modèles les plus performants ont de longues pales, ce qui implique des mâts de 60 mètres et plus. La pollution du paysage est inévitable, mais elle est moindre avec peu d’aérogénérateurs très puissants qu’avec une multitude d’aérogénérateurs peu puissants. Il y a donc des choix techniques et politiques à faire, dont le nucléaire ou l’éolien, ou les deux.

Aucune des études entreprises à ce jour ne justifie la crainte de destruction massive des oiseaux, mais les migrateurs sont plus affectés que les sédentaires.

Chaque mât éolien nécessite une base enterrée, importante sur terre, considérable en mer, des liaisons électriques sécurisées et, sur terre, des voies d’accès et de service. Chaque implantation doit donc être conçue pour une grande durée, pas pour 25 ans, mais peut être pour des siècles. La priorité doit donc être donnée aux terres non cultivées, ou non régulièrement labourées.

L’indépendance énergétique éolienne locale et la disparition des pylônes à haute et très haute tension sont des leurres. Le potentiel éolien français est d’autant plus localisé que le rendement des aérogénérateurs varie avec le cube de la vitesse du vent, et que les violentes rafales imposent la mise en drapeau des éoliennes, par mesure de sécurité. Moins de 20% du territoire métropolitain est favorable à l’exploitation éolienne, généralement loin des principaux centres de consommation. Parfois loin de ces zones favorables existent ici et là des lignes de crêtes, ou des vallées créant un effet de Venturi, permettant une bonne exploitation locale de l’énergie éolienne.

L’énergie éolienne est fluctuante. Dans les bons gisements de vent, la puissance effective excède rarement 30% de la puissance installée. Que faire le reste du temps pour assurer la fourniture électrique aux consommateurs ? La solution d’épaulement en vogue fait appel à des centrales à gaz à cycle combiné, faciles à construire et peu coûteuses. Outre l’électricité, ces centrales fournissent le chauffage aux collectivités voisines, mais à contre temps : l’été, lorsque le vent faiblit et que nul n’a besoin de chauffage, et pas l’hiver alors que le vent est bon. Les centrales à gaz à cycle combiné produisent des gaz à effet de serre, plus d’aérogénérateurs correspondent à plus d’émissions de gaz à effet de serre.

Les centrales à gaz pourraient être remplacées par des centrales à granulés de bois, dont la mise en route et l’arrêt peuvent s’effectuer assez rapidement, et qui ont l’avantage d’utiliser une source d’énergie renouvelable, mais on revient là au potentiel limité de production des biocarburants. Par ailleurs on peut se demander si la simple combustion du bois est préférable à sa pyrolyse, susceptible de produire des molécules nobles venant remplacer celles de la pétrochimie.

Si l’aérogénération doit devenir autonome, elle doit assurer une production électrique de base par mauvais vent grâce à une surproduction par bon vent, dont l’excédent est stocké en acceptant une perte au stockage puis au relargage d’au moins 60%... Les implications économiques et environnementales d’une telle situation sont notables. En France métropolitaine, trois gisements de vent sont dignes d’intérêt. Le meilleur, de taille fort réduite, permet aux aérogénérateurs de fonctionner presque au niveau de la puissance installée 45% du temps : après stockage et relargage, la production effective moyenne étant de l’ordre de 25% de la puissance installée. Les deux autres gisements, bien plus étendus, assurent respectivement des fonctionnements proches de la puissance installée 30% et 20% du temps, avec des productions effectives moyennes de l’ordre de 15% et l0% de la puissance installée. Ailleurs, l’implantation d’aérogénérateurs ne serait que politique et ornementale. Les notes couramment publiées dans la presse à propos des fermes à éoliennes ne mentionnent que la puissance installée, et sont ainsi sans signification énergétique.

Une fois installés, les aérogénérateurs ne nécessitent que de modestes travaux d’entretien, mais l’investissement au départ paraît être de l’ordre d’un million d’euros par mégawatt installé, auxquels il faut ajouter les frais de location du terrain, ceux de mise du courant aux normes industrielles nationales, le coût du raccordement au réseau, et les redevances fiscales diverses. La durée de vie moyenne des parties mobiles semble être de 20 à 30 ans. Dans les cas de figure précités, si l’on ne tient pas compte du loyer des sommes investies au départ, le coût moyen du kilowatt heure provenant d’éoliennes terrestres serait respectivement, sur 25 ans, d’environ 2,2 - 3,5 et 5 centimes d’euro. Ce coût moyen serait sensiblement plus élevé pour des éoliennes marines, du fait d’investissements de départ plus importants et d’une durée de vie moyenne plus brève. In fine, l’économie de l’électricité éolienne dépendra énormément du système de financement retenu ; un financement public ou para-public, avec un loyer de l’argent modéré, rendrait l’énergie éolienne rentable dans les trois zones précitées ; un financement par des fonds spéculatifs demandant des rendements de 10 à 15% l’an exclurait sa mise en œuvre, même dans le meilleur gisement de vent. Le coût du stockage chimique ou mécanique, puis du relargage de l’énergie électrique excédentaire par bon vent n’a pas été pris en compte, faute de données.

Pour être complet il faut mentionner qu’une des hypothétiques filières d’énergie nucléaire de quatrième génération est conçue pour produire aussi de l’hydrogène, par cracking thermique de l’eau. Si elle venait à maturité, dans quelques décennies, il ne serait plus nécessaire de stocker l’énergie électrique d’origine éolienne ; par mauvais vent l’électricité d’appoint proviendrait de piles à combustible industrielles alimentées à l’hydrogène. Dans un tel contexte de relance de l’énergie nucléaire, on peut toutefois se demander si l’électricité éolienne a un avenir.

Le coût du kwh éolien variant considérablement en fonction du lieu d’implantation des aérogénérateurs, une modulation du prix d’achat serait indispensable, et une péréquation du prix de vente s’imposerait. Notre réseau de transport d’électricité, quitte à suggérer à quelques gros consommateurs des délestages ponctuels en situation de crise, assure à tous une fourniture essentielle d’énergie électrique, à partir d’une centaine de centres de production.

Dans le contexte d’une indépendance énergétique souhaitée, et de l’impératif opérationnel d’éviter des interférences entre aérogénérateurs d’un même ensemble, l’énergie électrique éolienne proviendra de plusieurs dizaines de milliers d’ensembles faisant chacun face à des conditions anémométriques différentes, répartis sur quelques dizaines de milliers de km2, tant sur terre qu’en mer.

Gérer harmonieusement un tel apport, ses surproductions ponctuelles et ses inévitables lacunes ne paraît possible qu’avec un dispositif national informatisé ayant plein pouvoir sur la production de toutes les autres sources nationales d’énergie électrique, en étroite liaison avec les autres réseaux de l’Union européenne.

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