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   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
 
 
 
 
 
AED La Grande Relève Articles > N° 907 bis - HS janvier 1992

 

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N° 907 bis - HS janvier 1992

Présentation des thèses de l’économie distributive

1) L’économie distributive   (Afficher article seul)

2) Les transitions vers l’économie distributive   (Afficher article seul)

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L’économie distributive

janvier 1992

Ce qu’on appelle la crise

C’est la grande crise de 1929 qui amena Jacques DUBOIN (1878-1976) à expliquer la nature du changement de civilisation [1] qui s’amorçait alors, et à conclure à la nécessité de ce qu’il définit ensuite sous le nom d’économie distributive. La simple lecture des titres de ses ouvrages suffirait à retracer l’histoire de cette pensée.

Ce qui se révèlait en même temps que l’effondrement de la Bourse, c’est le drame décrit par “Kou, l’ahuri, ou la misère dans l’abondance” (1935) [2] : d’un côté, surproductions, débouchés saturés, matières premières gaspillées ; de l’autre, malnutrition, famine, misère morale et chômage. Or les économistes prétendaient qu’il s’agissait d’un déséquilibre momentané entre l’offre et la demande, d’une de ces crises conjoncturelles, “cycliques”, qui se produisent quand on a produit trop, ou trop vite, mais que la loi du marché finit toujours par résorber. Bien au contraire, démontre J. Duboin dans une “lettre à tout le monde” (1938) [3], c’est une crise structurelle, un tournant sans équivalent dans l’Histoire, car s’il y en eut de semblables (au néolithique par exemple) celui que nous vivons est infiniment plus radical, plus général et plus rapide. “La grande révolution qui vient” (1934), c’est “la grande relève de l’homme par la machine ” (1932). Alors que de tout temps, l’homme pouvait gagner son pain à la sueur de son front, voici que des machines automatisées sont capables de produire à sa place, et qu’il ne trouve donc plus à vendre sa force de travail contre un salaire. Et comme celui qui ne peut acheter ruine celui qui voudrait vendre, l’équilibre est rompu : c’est “ce qu’on appelle la crise ” (1934). Il en est ainsi dès qu’il devient possible de produire de plus en plus avec de moins en moins de main-d’œuvre, car cette substitution de l’homme par la science ne peut que se développer dès lors qu’elle est économiquement rentable. Plus précisément, disons que l’ére de l’abondance succède à l’ére de la rareté à partir du moment où la production et l’emploi correspondant cessent de varier dans le même sens, cet évènement capital n’ayant évidemment pas lieu en même temps et partout. Les statistiques montrent que cette définition place le passage aux environs de 1917 pour les Etats-Unis. Pour les pays européens les plus industrialisés, il se situe dix, vingt ans plus tard. Certains ne l’ont franchi que plusieurs années après la seconde guerre mondiale. Mais la majorité des autres pays n’a pas encore, à l’heure actuelle, sauté le pas.

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Les contradictions de notre temps

Ce changement est si rapide et si profond que nous sommes pris au dépourvu, comme l’apprenti sorcier. Nous sommes “en route vers l’abondance” (1935), mais faute d’en prendre conscience, ou par peur de l’inconnu, “nous faisons fausse route (1931)” en nous accrochant à nos habitudes économiques et financières, au point de les confondre avec des lois naturelles, immuables, quand elles s’avèrent dépassées : “Résoudre la crise, dans l’esprit hélas ! de la majorité des hommes, consiste à revenir aux conditions d’autrefois ” [4] et cet attachement insensé explique les contradictions de notre temps aux conséquences catastrophiques sur tous les plans, économique, écologique, social.

Les Etats industrialisés recensaient alors 30 millions de chômeurs, ce qui représente, avec les personnes à leur charge, plus de cent millions de personnes exclues du marché. Cependant, et à seule fin d’en maintenir les cours, on entreprit systématiquement et légalement de détruire des denrées ou de les rendre impropres à la consommation, au mépris des besoins insolvables et sans le moindre souci écologique du gâchis que constituent de telles destructions.

A l’époque où, d’après les statistiques de la SDN, une somme équivalant à 110 milliards de fois le montant du salaire minimum français était consacrée à des commandes d’armements, la France ne trouvait pas les moyens d’assurer la retraite de ses vieux travailleurs.

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“Ecolos” avant la lettre

J.Duboin entreprend alors une vaste campagne. Il se révolte non seulement sur le plan moral, écœuré qu’on détruise des biens quand des gens, à côté, manquent de tout, mais aussi sur le plan écologique, devant le gâchis que ces destructions représentent, et enfin sur le plan purement économique car son expérience de financier, de banquier, de Secrétaire d’Etat au Trésor lui permet d’affirmer que toutes ces absurdités ont une cause commune et qu’il serait possible d’y mettre fin, pourvu qu’on acceptât d’évoluer. Il fonde alors, avec quelques amis dont Emile Servan-Schreiber, une association qui reçoit le nom de Droit au Travail et au Progrès Social qui devient vite le Mouvement Français pour l’Abondance. Il crée également un mensuel, La Grande Relève des Hommes par la Science et pendant des années, tant en France qu’à l’étranger, donne d’innombrables conférences suivies de débats publics. D’autres associations se créent parallèlement, tel le Mouvement Belge pour l’Abondance.

Tous dénoncent l’absurdité criminelle dont les Etats atteints par la récession se rendent coupables en décidant d’intervenir sur le marché pour “l’assainir”, obligeant ainsi les contribuables à payer collectivement ce qu’ils ne peuvent plus acheter, tandis qu’un nombre croissant “d’économiquement faibles” pour cause de chômage se trouvent exclus du marché. Le Brésil est cité, par exemple, parce qu’il brûla à l’époque six millions de tonnes de café. Le Président Roosevelt, qui fit verser aux fermiers américains de fortes indemnités pour qu’ils laissent en friches leurs terres cultivables. En ce qui concerne la France, Duboin et ses amis dressent, au fur et à mesure, la liste des lois et décrets votés par les députés et par les sénateurs pour “lutter contre l’abondance” [5]. Ils intentent même, sans résultat, un procès contre l’Etat pour préjudices causés aux consommateurs par ces destructions et entraves à la production.

J.Duboin a beau expliquer que la grande relève est une véritable “libération” (1937) qui est à la portée des pays développés, puisqu’ils détiennent les moyens matériels de s’affranchir des contraintes du travail de production pour se consacrer désormais et de plus en plus à des activités épanouissantes, librement choisies. Mais il faut pour celà que la machine y soit mise au service de l’homme, au lieu de l’exclure, il faut adapter les mécanismes de l’économie aux possibilités de notre temps. Il faut, en un mot, maitriser l’économie et non plus se laisser dominer par ses soi-disant “lois”, quand celles-ci se révèlent obsolètes. Il n’est pas mieux compris quand il explique que la croissance du nombre d’exclus favorise la montée du fascisme qui ne règlera rien, de même quand il prévient que la course aux armements ne permet de relancer l’économie et de créer des emplois qu’au prix d’une échéance redoutable.

Ce qu’il écrivait il y a plus de cinquante ans est impressionnant d’actualité...

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Un répit momentané

Peine perdue. Ces avertissements, pourtant repris par des milliers d’adhérents, n’arrivent pas à empêcher cette destruction encore plus radicale : la seconde guerre mondiale, qui transforme les millions de chômeurs en millions de soldats, puis fait encore plus de millions de morts. Financiers, politiciens et économistes trouvent alors, miraculeusement, les moyens de financer et les armements, et les soldats. Les destructions et les reconstructions qui suivent assainissent les marchés et restaurent les profits. La crise est oubliée.

J.Duboin et les “abondancistes” comme on les appelle, ont encore plus de mal à se faire comprendre pendant “les trente glorieuses”. Ils affirment pourtant sans se lasser que “la crise” n’est que provisoirement masquée, mais pas résolue. Bien au contraire, car la guerre a encore fait faire un si prodigieux bond en avant à tous les processus de production que la grande relève des travailleurs est plus que jamais en route.

Avec quelle rapidité et quelle ampleur le développement des sciences leur a donné raison ! Les nouvelles connaissances, stimulées pendant la guerre, sont à l’origine d’une explosion de nouvelles technologies qui déferlent depuis : automatique, cybernétique, électronique, robotique, aéronautique, informatique, biotechnologies etc, etc. Laissons à d’autres le soin de les décrire. Ce qui nous importe ici, c’est de souligner que ce qu’on appelle à nouveau “la crise” entraine à nouveau les mêmes erreurs dénoncées par “les duboinistes”. Mais comme les développements se font à un rythme exponentiel, les conséquences en sont exponentiellement plus catastrophiques. Espérons que c’est le risque encouru qui amènera enfin une prise de conscience et la volonté de réaliser les réformes structurelles radicales qui s’imposent de toute urgence.

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L’analyse distributiste.

On ne saurait exposer en quelques pages, sans omettre certains aspects essentiels, une thèse économique qui fit l’objet de plusieurs volumes. Tentons cependant cette gageure.

Le système capitaliste, qui gouverne actuellement notre beau monde (et y a suscité, reconnaissons-le, de prodigieux développements) est basé sur l’échange marchand, dans lequel l’équilibre entre production et consommation est supposé s’établir toujours, spontanément, automatiquement, en vertu de la loi de l’offre et de la demande. Et cet équilibre s’étend tout aussi naturellement à l’ensemble de l’économie depuis qu’un économiste classique, en énonçant les principes du libéralisme économique, a affirmé que l’offre crée la demande : c’est la loi des débouchés. Il suffit pour celà, mais c’est une règle absolue, de laisser faire, de ne jamais intervenir, d’aucune manière : “laissez faire, laissez passer.”

Au cours de l’ére de la rareté, ce système, que Duboin appelait le système des prix-salaires-profits, pouvait générer un certain équilibre : les prix étant effectivement fixés par la loi de l’offre et de la demande, c’est-à-dire en fonction de leur rareté, chacun pouvait acquérir son pouvoir d’achat, soit sous forme de salaire, en vendant son travail, soit sous forme de profit, en vendant le fruit de son travail.

Ce n’est évidemment plus possible dans un pays entré dans l’ère de l’abondance. Un nombre croissant de gens se trouvent dans l’impossibilité de se placer sur le marché du travail et n’ont par conséquent plus de source de pouvoir d’achat. Et comme c’est autant de clients qui disparaissent, la machine économique est irrémédiablement enrayée par d’innombrables réactions en chaine.

La meilleure preuve que c’est le principe même de l’échange marchand qui ne peut plus fonctionner correctement, c’est que tous les gouvernements des pays atteints se sont empressés d’enfreindre la règle fondamentale du libre échange en intervenant pour “assainir les marchés”. D’ailleurs les corporations les plus attachées par principe au système libéral sont les premières à demander de telles interventions et la diplomatie internationale se confond souvent avec les démarches de membres de gouvernements transformés en représentants-placiers !

En effet, dans ce système, il faut vendre, et vendre le plus cher possible. Or, lorsqu’il devient abondant, un produit perd de sa valeur marchande. Alors pour maintenir le profit, on cherche à en maintenir la rareté et c’est la lutte entre “rareté et abondance” (1944). Après le répit apporté par la Seconde Guerre Mondiale, cette lutte s’est encore développée et officiellement organisée au niveau européen : c’est le principe même de la PAC, cette politique agricole commune dont on s’aperçoit aujourd’hui qu’elle nous a coûté des sommes astronomiques, sans avoir résolu le problème : la production agricole continue à créer des “surplus”, c’est-à-dire plus que les besoins solvables, tandis que n’a cessé de croitre le nombre des agriculteurs acculés à la faillite. Dans le même temps le nombre d’exclus qui n’ont rien à manger amène Coluche à créer les restos du cœur. Ce soutien des plus forts au détriment des plus faibles est encore renforcé par les aides publiques : la PAC les accorde aux agriculteurs non pas à titre individuel, mais au prorata de leurs capacités de production. La même politique a mené au même échec aux Etat-Unis où c’est maintenant 24 millions de gens qui vivent de la soupe populaire. Le Texas offre une multitude d’exemples. Cette obstination à vouloir maintenir à tout prix un système devenu catastrophique s’est manifestée d’abord dans le secteur agricole, parce que c’est le premier a être atteint par l’évolution rapide des technologies : la mécanisation entraina l’exode rural. Puis quand l’industrie chimique mit au point engrais et insecticides, fabricants et marchands eurent vite fait de séduire les agriculteurs par la perspective de bien meilleurs rendements. Ce nouveau glissement de l’emploi du secteur primaire vers le secondaire s’accompagna de dommages écologiques dont on commence à prendre conscience. Maintenant, ce sont les biotechnologies qui sont prêtes à opèrer une nouvelle coupe sombre dans l’emploi agricole. Les conséquences en seront dramatiques si les derniers agriculteurs cessent d’entretenir la terre parce qu’elle n’est plus “rentable”.

Après les mines et la sidérurgie, vint le tour du secteur industriel où les nouvelles technologies remplacèrent le bras de l’homme par un automate, lui-même commandé, géré, surveillé par des microprocesseurs. Avec le taylorisme disparut l’asservissement de l’homme à la machine.

Libération ? Hélas, non, parce qu’on veut toujours que s’applique le principe : “Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front” ! On aboutit ainsi à cette conclusion stupide : “il faut créer des emplois”, sans le moindre souci de leur utilité. L’emploi pour l’emploi !

Toutes les victimes de “dégraissages pour cause économique” se retournent donc vers le tertiaire...où l’informatique a très rapidement permis d’automatiser bien des tâches : la comptabilité, la gestion des stocks, du courrier, du routage sont l’objet de logiciels désormais très faciles à utiliser et “rentables”, même dans les plus petites entreprises. C’est autant d’emplois nécessaires en moins, et les nouveaux moyens de télécommunication vont encore en supprimer.

Que faire ? Une idée s’impose : puisque le nombre de clients diminue, il faut créer des services pour aller à leur recherche. Alors nait une jungle où la lutte est de tous les instants, où tous les coups sont bons pourvu qu’ils permettent de supplanter l’autre, où tous les moyens sont mobilisés à cette seule fin. Malheur au perdant car dans cette guerre sans merci, le vaincu est condamné, laissé comme mort : exclu. Il faut être un battant : dans un cours de gestion ou de marketing, on vous forme au combat et on vous dresse à considérer que l’objectif, c’est la vente ; la cible, le client ; la récompense, l’argent. Ainsi, dans ce système dit libéral, les jeunes et tous ceux qui ont fait l’objet d’un “dégraissage pour cause économique” n’ont pas d’autre perspective que de monter sur ce ring qu’on appelle pudiquement la compétitivité. Comment s’étonner qu’ils n’éprouvent pas tous un enthousiasme délirant ?

Révolte des jeunes sans espoir, ravages de la drogue et des sectes ? Au lieu de les déplorer, mieux vaut attaquer le mal à sa racine : c’est-à-dire au système qui, en faisant passer la rentabilité avant toute autre considération, a tant écrasé l’homme qu’il l’a l’oublié. Le lecteur trouvera seul mille exemples à l’appui de cette analyse, dans tous les domaines. Je n’en évoquerai que quelques uns.

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Pollution morale

Première conséquence, un gigantesque développement des métiers de la publicité. Mais ils génèrent la “société de consommation” et infligent, avec les moyens considérables dont ils disposent, une insupportable tentation à ceux qui n’y ont pas accès. Il ne faut pas chercher plus loin la cause de bien des délinquences.

D’autre part, comme dans le système un individu dont le porte-monnaie est vide n’existe pas, on cherche à susciter de nouveaux besoins et on crée du superflu pour ceux qui ont déjà le nécessaire. L’économie est ainsi véritablement dévoyée, mise au service des clients les plus riches.

La détresse du tiers-monde est à mettre à ce chapitre : les pays riches ont asservi les pays pauvres, dévoyé leurs cultures en leur faisant miroiter des profits. Que pourtant ils n’ont pas eus, car l’abondance de leurs exportations en a fait chuter les cours, fixés, d’ailleurs, par les pays riches. Et comme la pauvreté, et l’ignorance qui l’accompagne, engendrent la démographie galopante... Encore une réaction en chaine. Dans le même ordre d’idée, André Gorz, dans son dernier livre [6] , souligne un autre aspect de cette recherche absurde de l’emploi pour l’emploi : augmenter les revenus des pauvres entraine essentiellement une demande de produits de grande série, dont la fabrication n’est plus créatrice d’emplois. Au contraire, augmenter les revenus des riches fait augmenter la consommation de produits de luxe dont le contenu en travail humain est beaucoup plus élevé. Dans ce système, le fossé ne peut désormais que se creuser.

Enfin on utilisera les ressources de la technologie pour mettre au point des appareils destinés à être vite remplacés et la mode incitera à les renouveler le plus souvent possible : le système pousse au gâchis. Inutile de mentionner que le souci de l’environnement est en général perçu comme une contrainte qui, en augmentant les prix de revient, diminue le profit escompté. Citons par exemple avec quelle violence les transporteurs routiers défendent “leur emploi” : or plus leurs camions sont gros, plus ils sont dangereux, mais plus ils leur rapportent. Il est vrai aussi que la pollution semble source de nouvelles activités, pour en combattre les effets, rentables tant qu’elles ne sont pas automatisées.

Tout ceci ne suffit pas à “fournir du travail ” à tous ceux qui en cherchent. D’autres emplois ont donc été inventés, dont la pollution envahit les cerveaux, plus sournoisement que les phosphates n’infiltrent la nappe phréatique. Je pense à ces “tour operators”, à ces conseillers, ces intermédiaires et animateurs en tout genre, qui, sous prétexte de les aider à profiter de leurs loisirs, privent leurs clients de leur autonomie, leur font perdre tout esprit d’initiative, voire tout libre arbitre et finalement tout jugement personnel. Ils en font des assistés, mais qui paient pour l’être. Les jeux télévisés et autres lotos sont encore des moyens de tirer profit des loisirs ou des rêves d’un public captif. Il s’agit là d’une nouvelle drogue, moins rapidement mortelle que la cocaïne, mais qui fait aussi de terribles ravages dans un système où tous les moyens sont bons pourvu qu’ils rapportent.

Bien sûr, ces trésors d’ingéniosité ont aussi des effets positifs, ils sont source d’innovations, de créations séduisantes, ils stimulent l’imagination et accélèrent certaines découvertes. Mais à quel prix ?

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Et les emplois utiles ?

Car tandis que tant de moyens, tant d’efforts et tant d’ingéniosité, sont ainsi déployés, l’éducation des enfants, l’enseignement général, et les services de santé manifestent des besoins criants. Ce sont des milliers et des milliers d’emplois qui y sont nécessaires, et qui le seront toujours, car ces tâches essentielles doivent être considérées comme primordiales. Il en est de même pour la recherche scientifique qui recrute de plus en plus difficilement des chercheurs, alors qu’elle est susceptible d’offrir à tous les niveaux des tâches épanouissantes : la participation à des fouilles archéologiques ou à des recherches historiques sont des activités quasiment à la portée de tous, il n’est qu’à voir l’engouement récent d’une foule de gens partis à la recherche de leur généalogie. “Pourquoi manquons-nous de crédits ?”(1961) pour rémunérer ces emplois ? Parce que ces emplois ne sont pas rentables. Pourquoi est-il possible de trouver des crédits pour monter un Disney Land gigantesque et pas pour entretenir les universités ? Parce qu’elles ne rapportent pas d’argent .

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Le nœud gordien

Nous abordons là l’essentiel. Il faut absolument avoir “les yeux ouverts”(1955) sur la création monétaire pour comprendre comment sont générés tous ces mécanismes qui produisent aujourd’hui les effets complexes aux conséquences catastrophiques que nous venons de décrire.

Pour investir dans une entreprise il faut s’adresser à une banque qui exige l’assurance que l’entreprise sera en mesure de la rembourser avec intérêts et dans un délai limité. Si elle a cette assurance, ou une caution équivalente, la banque crée l’argent nécessaire, sous forme de crédits. Evidemment, quelle garantie offrir à une banque pour l’inciter à créer l’argent nécessaire à payer des soins à des malades sans le sou ? Quelle assurance de cette sorte peut-on donner pour investir dans des recherches “fondamentales”, c’est-à-dire dont la retombée économique n’est jamais immédiate, ni même garantie ? Seules les entreprises lucratives peuvent trouver un financement dans le système, quelle que soit, d’ailleurs, leur utilité sociale .

La création monétaire est le comble des aberrations engendrées par le système. Elle a cessé d’être le droit régalien du pouvoir politique, et ne résulte donc pas, au moins pour l’essentiel, de décisions résultant d’un débat où différents point de vue pourraient être pris en considération. Les banques privées ont en effet reçu le privilège exorbitant de créer, sous forme de crédits, des sommes dont le montant atteint plusieurs fois celui des dépôts qui leur sont confiés. Alors, comble des combles, elles effectuent ces créations monétaires ex nihilo avec pour seul objectif celui de toucher des intérêts au moment du remboursement des crédits qu’elles autorisent. Dès qu’on sait celà, on peut expliquer ce qui précède. Même l’Etat est amené à leur emprunter contre intérêt !

Les dérèglementations initiées par Reagan au début des années 80 ont encore élargi ces privilèges en même temps qu’ils ont permis les transactions boursières les plus invraisemblables, au point que des fortunes se fabriquent et se détruisent instantanément, sans relation aucune avec d’effectives activités économiques.

Deux chiffres seulement pour montrer que la monnaie-casino est une incongruité, une énormité, dans tous les sens du terme : les flux monétaires entre les 7 pays les plus riches du monde s’élèvent en moyenne, à l’heure actuelle, à 420 milliards de dollars par jour, alors que le commerce international ne correspond qu’à 12,4 milliards ; les transactions monétaires concernent donc à 34 fois plus des spéculations que des échanges économiques réels.

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Renverser la vapeur

En conclusion, “l’économie distributive s’impose” (1950) par réaction contre les vices et carences succintement décrits ci-dessus. “L’économie politique de l’abondance” (1951) est à inventer à partir de quelques évidences :

Quand un pays est sorti de l’ère de la rareté, il n’est plus possible d’exiger de tous les individus qu’ils parviennent à vendre leur travail, ou les fruits de leur travail, pour avoir accès à des productions que des machines automatisées sont désormais en mesure de fabriquer pour eux. D’autre part le critère de rentabilité n’y est plus le seul à prendre en considération pour investir. Pour y parvenir, la création monétaire ne doit pas dépendre d’intérêts privés. C’est en étant gagée sur la production qu’elle pourra être soumise aux besoins économiques dont la définition relève du débat démocratique.

“L’économie distributive de l’abondance” (1945) pose a priori les principes suivants :

Tout être humain a droit à la vie, il le tient de la nature et doit donc avoir sa part des richesses du monde. Tout être humain vivant est l’héritier d’un immense patrimoine culturel, œuvre collective poursuivie pendant des siècles par une foule innombrable de chercheurs et de travailleurs, tacitement associés pour l’amélioration de la condition humaine. Il est donc l’usufruitier de ce patrimoine.

Les droits politiques ne suffisent plus à assurer la liberté de l’Homme, car la plus essentielle est celle de l’esprit, or n’a l’esprit libre que celui dont l’existence matérielle est assurée. Les droits du citoyen doivent donc se compléter de ses droits économiques, concrétisés par un revenu social, dont chaque individu bénéficiera du berceau au tombeau.

Le revenu social libèrera la femme, aucune loi naturelle ne la condamnant à dépendre économiquement de l’homme.

En contre-partie de ce revenu social, le citoyen accomplira un service social au cours duquel il fournira sa part de travail que réclame l’appareil de production et d’administration .

Jacques DUBOIN
extraits d’un article publié dans “la Grande Relève“ le 19 Avril 1958.

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L’équilibre

Essentiellement l’activité économique assume deux tâches : la production de biens et leur distribution, c’est-à-dire leur mise à la disposition des consommateurs qui en ont besoin. Gérer l’économie, c’est rechercher l’équilibre entre ces tâches, l’excès de production étant un gâchis, son insuffisance entrainant un manque. Comme le transfert entre production et consommation est mesuré par la monnaie, qui permet de chiffrer la valeur des biens, c’est finalement sur trois éléments que porte la gestion macroéconomique : production, distribution, finance. Sur lesquels faut-il agir, et comment, pour obtenir, non pas l’équilibre parfait et définitif, soyons réalistes, mais s’en approcher au mieux ?

La production ne pose plus de problème théorique, en ce sens qu’on posséde maintenant le savoir-faire qui permet de l’assurer à volonté. Donc, quand un pays est sorti de l’ère de la rareté, la production y est en mesure de suivre, de s’adapter aux besoins reconnus. Pour “demain ou le socialisme de l’abondance” (1940) c’est donc le problème de la distribution qui est à résoudre et celui de la monnaie afin qu’elle permette de gérer cette distribution.


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Nos propositions

1. Un revenu individuel garanti

Partant du principe énoncé que tout citoyen a droit à sa part, et de la volonté que tout ce qui est matériellement possible et humainement souhaitable doit être financièrement possible, on distribuera à chacun un revenu de consommation qui sera versé périodiquement à son compte personnel, dont la valeur sera définie pour la période et ne sera pas transmissible contre intérêt. Ainsi tous les citoyens, devenant des clients solvables, exprimeront leur choix par leurs achats et l’économie pourra être gérée de façon à en tenir compte.

Il s’agit donc d’une économie de marché, mais sans exclusion et ramenée à l’échelle des individus.

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2. Une monnaie de gestion, gagée sur la production

Une saine gestion de l’économie passe par une monnaie saine, ce qui n’est pas le cas de la monnaie actuelle, proie, à l’échelle mondiale, des spéculateurs de la Bourse-casino. Pour y parvenir, une réforme indispensable est donc celle de la monnaie. Celle-ci doit cesser d’être une monnaie-promesse, gagée sur rien de concret et dont la valeur est elle-même objet de spéculation ( “Comment ferait-on pour mesurer des longueurs si la valeur du mètre était fluctuante ?” demandait J.Duboin ). Comme il n’est plus possible de gager la monnaie sur l’or, dont la quantité ne suffirait plus pour garantir tous les transferts économiques, nous proposons qu’elle soit gagée désormais sur la réalité, c’est-à-dire sur la production disponible. Il s’agit donc d’une monnaie de consommation, non circulante, servant à payer les achats de biens et de services, et qui disparait lors de l’achat. Cette nature éphémère n’est pas une nouveauté, puisque c’est déjà le cas des crédits que créent couramment les banques et qui sont détruits lors de leur remboursement. Mais, contrairement aux crédits bancaires, la monnaie “distributive” que nous proposons n’a pas à être remboursée et elle ne donne pas lieu à versements d’intérêts.

Son émission doit donc suivre la production, ce qui signifie que le montant total de la quantité de monnaie émise pour une période donnée doit être calculée de façon à distribuer au total le pouvoir d’achat correspondant à la production disponible, pendant la période considérée et au prix défini lors de l’engagement de cette production. Par production disponible, on entend que tous les investissements nécessaires à cette production et aux services publics auront été créés avant ce calcul, en fonction des possibilités et des besoins de la production engagée. Ceci signifie aussi que le revenu ainsi assuré à tout citoyen ne sera grevé ensuite d’aucun impôt, taxe ou prélèvement d’aucune sorte.

Les banques sont rôdées à résoudre le type de calculs que représente cette gestion. Les transactions boursières, les jeux actuels de la monnaie-casino, ont suscité la mise au point de logiciels extrêmement complexes mais qui fonctionnent en temps réel, traitant quantités de données issues du monde entier. Les banques ont donc les moyens d’assumer une gestion similaire en économie distributive, mais de façon objective, et non plus dans leur seul intérêt. Elles auront à s’appuyer sur des statistiques régulièrement mises à jour, selon des normes politiquement établies. Enfin le développement de la monétique vient à point pour leur faciliter la tenue des comptes ouverts à tous les citoyens. Ainsi l’informatique apporte-t-elle les moyens de ne laisser à la monnaie que son rôle d’instrument de comptabilité et de supprimer.la possibilité de spéculer sur l’étalon monétaire.

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3. Un contrat civique pour tous

Alors que le pilotage de l’économie est trop souvent opéré “à courte vue”, la prospective en matière économique nous parait essentielle et la monnaie distributive en fera une obligation. D’autre part, il nous parait important de développer au maximum les initiatives et la responsabilité individuelle. Ce sont ces deux objectifs, entre autres, qui sont à l’origine de notre proposition de contrat civique [7], proposition d’ailleurs applicable tout de suite, sans attendre la réforme de la monnaie.

Bien des tâches sont encore nécessaires et le seront toujours, quel que soit le développement futur des technologies. Il s’agit non seulement de les partager au mieux, mais aussi de faire en sorte qu’elles soient correctement exécutées, ce qui implique une certaine motivation. Ce besoin de motivation est généralement invoqué contre l’“égalité économique” (1938), au moins pendant la période du service social . Nous pensons qu’il faut pour celà que l’offre de service vienne des citoyens sous la forme d’un contrat qui serait demandé à chacun et dans lequel il définirait à la fois ce qu’il propose de faire, l’investissement nécessaire et le revenu “d’émulation” [8] qu’il en attend.

Et les tâches indispensables qui ne feront l’objet d’aucune proposition ? Il faudra avoir recours au marché et sans doute les mettre aux enchères, en offrant des contrats très rémunérateurs puisqu’ils seront considérés comme des corvées. Ou bien qu’ils soient accomplis pendant un service civil obligatoire, dont la durée ne pourra que décroitre dès lors qu’il sera de l’intérêt de tous de favoriser par leurs innovations, leur automatisation ou leur amélioration.

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Une dynamique évolutive

Il n’est pas question d’entrer dans les détails puisqu’iI s’agit, en fait, d’impulser une dynamique afin que les vivants soient à même d’améliorer leurs propres conditions de vie.

Cette perspective a fait rêver beaucoup de distributistes. Des suggestions sont proposées et les détails (vie de l’entreprise, héritages, échanges internationaux, etc) abordés dans “les affranchis de l’an 2000 ” [9] .

Mais c’est, à notre avis, et après mûres réflexions, la seule façon pour que la grande relève soit une libération permettant l’épanouissement de tous les êtres humains.

Pour que les jeunes retrouvent
l’envie de vivre et de créer,
dans un monde où la compétitivité
fera enfin place
à la convivialité.
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[1] Ces expressions en italiques sont celles de J.Duboin

[2] Les passages en caractères gras suivis d’une date entre parenthèses sont les titres d’ouvrages publiés par J.Duboin, et la date de leur première édition.

[3] ouvrage qui reprend une sélection d’articles publiés régulièrement dans le journal l’Œuvre au cours des années 30

[4] extraits de “Le fascisme ne résout pas la crise”“, article de l’Œuvre, du 8 Janvier 1937

[5] du blé (24-12-34 et 27-9-38), du vin (30-7-35 et 17-6-38), du poisson (21-11-35), de l’ensemble des récoltes (30-10-35), de l’électricité (30-10-35), des chaussures (23-3-36), de la viande (24-4-36), du sucre (27-8-37), des bananes produites dans nos colonies (31-12-38)...

[6] “Capitalisme, Socialisme,Ecologie” éd. Galilée. 1991

[7] voir La grande Relève, de Juin, Septembre et Décembre 1991

[8] terme introduit par Maurice Laudrain

[9] Roman d’économie-fiction de M-L Duboin, publié en 1984 aux éditions Syros.

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Les transitions vers l’économie distributive

janvier 1992

Comme en témoigne l’expérience actuelle des pays de l’Est, le passage brutal d’un système économique à un autre, fondamentalement différent, peut avoir des conséquences sociales tragiques. Lorsque l’opinion n’a pas été préparée, des réactions divergentes, irraisonnées, risquent de s’opposer et de mener à des luttes stupides et d’autant plus dangereuses que notre monde détient désormais des armes épouvantables. C’est cette préparation des esprits que notre mensuel La Grande Relève s’est donné pour tâche. Tâche qui s’accompagne d’une réflexion en commun avec ses lecteurs sur les modes de transition.

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L’évolution

L’économie distributive s’impose. Non seulement par sa logique, mais aussi dans les faits. Il suffit, pour s’en convaincre de dresser l’inventaire de toutes les allocations versées sans contre-partie d’un travail. Quel chemin parcouru depuis le début du siècle où la seule idée d’un repos hebdomadaire faisait scandale (on disait que les ouvriers passeraient tous leurs dimanches au bistrot). Les premiers congés payés (d’une semaine par an, on en est à cinq) furent accordés en 1936. Il y a une quinzaine d’années, V.Giscard d’Estaing écrivait à l’un de nous que la population n’admettait pas la dissociation revenus-travail “même si les allocations chômage revenaient à celà”. Aujourd’hui on peut lire dans le projet du PS que “évoquer la dissociation entre revenu et travail, c’est d’abord faire le constat d’une évolution qui a commencé au début du siècle.”

Un premier obstacle a donc été franchi. Comme le résume A. Prime : “La redistribution (près de 50% des revenus ) aura été une étape intermédiaire, une sorte de préhistoire de la distribution telle que nous la préconisons” [1].

Ces allocations sont versées dans des conditions bien définies, et seules quelques unes d’entre elles ne dépendent pas du montant d’une prime d’assurance ou du revenu touché par ailleurs (certaines allocations familiales, les remboursements de soins médicaux). La plupart ont pour but de compenser des handicaps, c’est-à-dire de corriger certaines inégalités : allocations aux adultes handicapés, aux parents isolés, aux veuves, ou pour garde d’enfants à domicile, pour logement aux personnes âgées, aux infirmes, aux jeunes travailleurs, et aux chômeurs, primes de déménagement, allocations parentales d’éducation, de rentrée scolaire, de soutien familial, pour jeunes enfants, enfin aides diverses : médicale, ménagère à domicile, aux personnes âgées, aide sociale pour les personnes aux ressources insuffisantes. Citons enfin des bons de transport gratuits, les indemnités pour recherche d’emploi. La liste est très longue, tant les inégalités à rattraper sont nombreuses. C’est dans le même souci de corriger les inégalités de revenu que la plupart des restaurants d’entreprise ont établi des tarifs différenciés.

Sous la pression du besoin d’un nombre croissant d’exclus, quelques pays développés ont instauré une sorte d’impôt négatif, tendant à compléter les revenus quand ceux-ci sont trop insuffisants. C’est ainsi qu’a été instauré en France le revenu minimum d’insertion, versé pendant une durée limitée et contre l’assurance d’un effort en vue de la recherche d’un emploi. Pour recevoir ce minimum vital, il faut en faire la demande, c’est-à-dire entreprendre une démarche, difficile et en général ressentie comme humiliante, puisqu’il faut apporter la preuve qu’on est dans le besoin.

C’est pour épargner toute discrimination qu’a été proposée l’allocation universelle, objectif de l’association européenne Basic Income European Network. Elle n’entraine aucune démarche humiliante à ceux qui n’ont rien, permet éventuellement à ceux qui s’en contentent de vivre en végétant, sans travailler, et à ceux qui travaillent, d’être éventuellement plus exigeants sur leurs conditions de travail. Enfin puisque cette allocation s’ajoute aux autres revenus, l’impôt sur les revenus vient compenser ce qu’il pourrait y avoir d’injuste à verser quelque chose à ceux qui n’en ont pas besoin. La même idée est aussi présentée sous le nom de revenu de base, ou de revenu d’existence.

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REdistribution

Toutes ces allocations versées par des caisses publiques ont en commun d’être alimentées par des prélèvements, impôts et taxes. Il s’agit donc, même dans le cas de l’allocation universelle, d’une REdistribution, organisée légalement. Comme elles sont insuffisantes, d’autres redistributions sont nécessaires, qui relèvent de la générosité, individuelle ou collectivement organisée par des entreprises charitables : secours populaire, secours catholique, armée du salut, pélerins d’Emmaus, asiles de nuit, restos du cœur, etc. Dans tous les cas c’est donc “Pierre déshabillé pour habiller Paul” alors que l’économie distributive, nous l’avons expliqué précédemment, consiste à produire pour les besoins de Pierre et pour ceux de Paul.

La question se pose donc : dans quelle mesure une allocation universelle, en assurant un revenu social minimum à tous, peut elle être considérée comme une transition vers l’économie distributive ? Nous avons lancé une enquête à ce propos en Novembre 1990 [2].

Sur le principe même, un revenu de base pour tous, les réponses favorables, nombreuses, ont souligné que c’est une manière de faire comprendre que chacun a droit à l’héritage commun, “admettre qu’il existe d’autres raisons d’avoir un revenu que le travail, le jeu ou le trafic en tout genre...L’individu aurait une expression plus libre...le sentiment d’exister, de faire partie d’une société...D’autres se poseraient des questions sur cette manne qui tombe du ciel...”. Selon les uns, il faut secourir les plus pauvres, mais selon les autres “un revenu pour tous serait l’aube d’une autre hiérarchie des valeurs, ce serait une grande première : la reconnaissance des Droits Economiques du Citoyen”. “Mais , souligne un lecteur, il faut qu’une prise de conscience suive, de notre dépendance à la société, de notre rattachement à elle, de notre responsabilité vis-à-vis d’elle. C’est très difficile dans le monde d’aujourd’hui où tout nous fait croire qu’on ne s’en sort qu’individuellement au détriment des autres et en particulier des plus faibles, ou de la collectivité, ou de l’Etat...”. Un autre est violent : “passer du RMI au revenu de base implique de prendre davantage aux uns...ce dont ils ont spolié les autres, disons la masse, par le biais du profit”. D’autres lecteurs sont contre et leur opinion est exprimée par : “Supposons, fait extraordinaire, que l’Etat accepte cette idée et que l’économie la supporte moyennant quelques aménagements, vous fonctionnez dans le cadre de l’économie libérale et capitaliste, vous conservez toutes les inégalités existantes et tous les mécanismes qui permettent l’enrichissement à outrance et la spéculation...”.

Plus généralement, les lecteurs opposés au principe d’une allocation universelle par redistribution expliquent que c’est une façon de colmater des brèches mais pas de renflouer le navire, un moyen de faire perdurer un système qui a cessé d’être bénéfique. En Janvier 1986, l’éditorial de la Grande Relève précisait en ce sens : “Elle n’est l’amorce d’une société distributive, au même titre que l’étaient déjà les allocations diverses qu’elle se propose de remplacer, que dans la mesure où tous ces reversements obligatoires constituent la preuve qu’il n’est plus possible...au XXe siècle, de laisser fonctionner librement les lois du libéralisme” [3]. Le libéralisme économique a vécu, comme le dit le Président de l’Aérospatiale, H.Martre : “Qu’on ne vienne pas nous seriner les lois du libéralisme économique : ceux qui pratiquent le commerce mondial savent que celui-ci n’existe pas” [4].

Notre enquête portait sur une autre question, essentielle : comment financer une allocation universelle dans le système actuel et à combien se monterait-elle ? L’accord rencontré sur le principe s’est alors révélé en quelque sorte contredit par la difficulté de trouver un financement par REdistribution. Certains lecteurs s’y sont a priori refusés, estimant que cette estimation ne peut pas être faite à l’échelon d’un seul pays, ou parce qu’ils pensent qu’un tel financement doit résulter d’économies qu’ils suggèrent (réduction des gaspillages, taxes sur les revenus clandestins ou abusifs, transferts de tous les budgets de publicité ) mais qu’ils ne sont pas en mesure d’évaluer. D’autres expliquent que les solutions suggérées dans le questionnaire (taxes sur les entreprises et en particulier sur les bénéfices supplémentaires entrainés par l’intervention de robots ) auraient le triple inconvénient de freiner le progrès technique, d’entraver la compétitivité des entreprises et d’être, en fin de compte, inefficaces car ces taxes seraient immédiatement compensées par une augmentation des prix : “L’augmentation de l’imposition des entreprises est toujours payée par les consommateurs...ce serait reprendre d’une main ce qu’on aurait donné de l’autre.”

La conclusion la plus généralement tirée par nos lecteurs de leurs réflexions à propos de notre questionnaire est la nécessité d’une autre monnaie : “une monnaie interne”, “une monnaie sociale”, “il faut instaurer une monnaie de consommation”. Il faut d’abord s’affranchir de la monnaie de spéculation, cette monnaie-casino qui fait passer le bénéfice d’un petit nombre avant l’intérêt général.

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Une économie alternative en parallèle

Nombreux sont les distributistes qui ont suggéré des transitions en proposant que deux types d’économie coexistent. Par exemple, il y a dix ans, en Janvier 1982, le cinéaste André Hunebelle développait dans nos colonnes [5], un plan de transition proposé dès 1938 par un député, Gaston Bergery. Selon ce plan, à l’intérieur de l’économie de marché serait officiellement créée une économie parallèle, autonome, de type distributif, strictement réservée aux chômeurs (soit à 10 % de la population), qui les mettrait à même de créer pour leur usage exclusif et celui de leurs familles, les biens de consommation qui leur sont nécessaires, qu’ils se distribueraient par l’intermédiaire d’une monnaie de consommation, également réservée à cet usage. André Hunebelle expliquait qu’une telle économie parallèle ne porterait en rien préjudice à l’autre. Et comme le progrès technique amène toujours les entreprises à “dégraisser ”, cet embryon d’économie distributive ne pourrait que se développer.

En Novembre 1984, la Grande Relève présentait la proposition d’André Liaume [6], consistant à admettre deux secteurs de production de biens et services, celui de la compétition internationale et “celui de la convivialité sociale, organisation économique interne, autonome, dotée d’un système monétaire spécifique, sans autre rapport avec le premier qu’une jonction au sommet de l’Etat, intégrant, au fur et à mesure de leur “dégagement” du premier secteur, les exclus de la production compétitive, dans un colossal effort de formation, de culture, de protection de la nature et du patrimoine national, et de tout ce qu’il n’est pas possible d’entreprendre dans l’autre. Extraordinaire champ d’action, fondé sur les structures abandonnées par le secteur de la compétition, au fur et à mesure de sa modernisation. Ce deuxième secteur s’organisera dans son autonomie monétaire autour de deux principes : 1° La collectivité nationale, gérant le secteur, assure à tout individu y entrant, un revenu social ; 2° Le droit au travail, inscrit dans la constitution,...entraine pour chaque intéressé reconnu apte, le “devoir du travail”...assorti d’une allocation s’ajoutant au revenu social.”

Ces propopositions d’économies parallèles présentent l’inconvénient d’institutionnaliser deux classes dans la société. On peut définir ces classes comme celle de l’avoir et celle de l’être, on peut rêver que chacun sera libre de choisir sa classe, il n’empêche que ceux de la première classe estimeront que c’est leur travail qui fait vivre l’autre, peuplée de bons à rien.

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La monnaie verte

Pour être indépendantes, les économies parallèles doivent avoir des monnaies indépendantes. Guy Denizeau propose à cette fin la création d’une monnaie verte [7]. Il suggère qu’au lieu de consacrer des sommes astronomiques à subventionner les agriculteurs pour qu’ils produisent moins, l’Etat crée périodiquement, et avec une durée de validité limitée, une monnaie gagée sur les surplus et versée aux chômeurs. Ceux-ci ne pourront s’en servir que pour acheter les surplus désignés par une étiquette verte. Les banques transformeront en monnaie normale la monnaie verte qui leur sera remise par les commerçants vendant ces “produits verts”. R. Marlin la défend en ces termes : “La monnaie verte est bien le prototype de la future monnaie distributive. Elle en possède déjà les caractéristiques essentielles : elle s’éteint à l’achat...elle est gagée sur une production (excédentaire dans ce régime) et elle permet bien l’orientation de la création de biens (le vrai “marché” distributif). En dehors de son action d’aide humanitaire, elle fera prendre à tous la mesure du scandale énorme de la faim dans l’abondance” [8]. Comme la monnaie verte rentre ensuite dans le circuit, il y a un risque d’inflation monétaire, sauf si les sommes ainsi créées remplacent celles qui sont aujourd’hui consacrées à faire disparaitre les excédents.

H.Muller [9] suggèrait, en Mai 1990, que cette monnaie de consommation gagée sur les excédents soit matérialisée par une “carte à puce” pour en faciliter la gestion. Cette monnaie, parallèle, non transférable, neutre, s’annulant à l’achat, valable sur un marché parallèle réservé à des consommateurs marginaux, permettrait à la fois d’écouler toutes quantités d’excédents voués à la destruction, de remettre des chômeurs au travail contre un salaire complémentaire s’ajoutant à leur indemnités, enfin de procurer aux collectivités un appoint de ressources pour financer, sans appel aux contribuables, un ensemble de prestations utiles, dénuées de rentabilité, allégeant de surcroit leur budget social.

Toutes ces mesures de transition proposées s’attachent à réparer les dégâts du chômage et de la surproduction agricole. Les deux suivantes consistent à les prévenir.

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Une politique de réduction de la durée du travail

Celle qui vise à prévenir les dégâts du chômage a été proposée par André Gorz dans ses plus récents ouvrages [10]. Il décrit en ces termes sa proposition d’une politique délibérée de la réduction de la durée du travail : “Il s’agit de gouverner un développement en cours en choisissant par avance des fins que nous entendons lui faire servir. La politique, c’est cet ensemble de choix, ou alors elle n’est rien... mais elle n’aura de portée réelle que si, dès l’échéance à laquelle la RDT entrera en vigueur, syndicats, associations d’usagers et de consommateurs participent de plein droit, à tous les niveaux, à l’élaboration des prévisions, des programmes et des orientations prioritaires” [11].

Ce projet a le mérite de concerner tous les secteurs de l’emploi en même temps, ce qui nous semble un premier point très important. C’est d’autre part la façon la plus rationnelle et la plus sûre d’éviter les dégâts du chômage pendant toute la période de transition. L’inévitable diminution du nombre d’emplois rentables n’est plus la déchéance du chômage et l’exclusion, mais devient perspective d’activités choisies et possibilité d’épanouissement personnel. C’est la préparation indispensable d’un réel partage des tâches tel qu’il doit être dans une économie distributive. Mais comme cette politique suppose, bien entendu, que la réduction de la durée du travail s’accomplit sans baisse du salaire, elle ne dispense pas des réformes monétaires.

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Commencer par le primaire.

Nous l’avons montré, c’est le secteur primaire, l’agriculture en particulier, qui fut le premier touché par la grande relève des hommes par la machine. Il est donc logique de penser que l’entrée de ce secteur en entier dans l’économie distributive soit la prochaine étape possible de la transition. C’est ce qui était proposé en Mai 1989 [12] : “N’est-il pas évident que c’est par ce secteur qu’il faut commencer d’appliquer la solution qui s’impose d’elle-même, l’économie distributive. Toutes ces subventions, allocations et autres dépenses que font les contribuables, malgré eux, pour geler ou détruire, ne seraient-elles pas mieux utilisées en proposant aux agriculteurs en faillite à cause de la chute des prix agricoles un contrat simple : un revenu individuel, décent, assuré, contre l’engagement de prendre la terre en charge ? Celà aurait en outre l’avantage de sauver notre environnement rural...et comme les changements prévisibles des conditions de travail vont bientôt permettre de mettre fin à la concentration des villes, le rôle de la population agricole doit devenir aussi celui d’aménager aux citadins actuels un autre cadre de vie”.

Nous montrions dans le même numéro, l’avantage de cette proposition sur le plan humain en étudiant le cas particulier, décrit à l’époque par le journal Ouest France, d’un couple de paysans tellement endettés qu’ils étaient au désespoir [13].

Un calcul simple [14] montre que le versement d’une telle allocation mensuelle pour entretien de la terre à toute la population agricole ne coûterait pas au budget de l’Etat : en prenant les données publiées pour 1988 on s’aperçoit qu’en divisant le montant des dépenses de l’Etat bénéficiant à l’agriculture par le nombre de personnes vivant ou travaillant sur les exploitations agricoles (chef d’exploitation et membres de sa famille) on trouve plus de 3.500 francs par mois.

Dans notre proposition figure donc l’idée d’un contrat proposé par un agriculteur à la société, c’est-à-dire l’Etat ou une collectivité locale. Ceci nous est apparu d’autant plus important qu’il faut prévenir tout amalgame qui pourrait être fait entre cette proposition et ce qui se passait dans le bloc de l’Est lorsque l’Etat autoritaire, qui se confondait avec le Parti, unique et tout-puissant, décidait de tout et pour tous. Les agriculteurs, qui touchaient tous un minimum vital, n’avaient qu’à obéir aux ordres d’une bureaucratie inaccessible. Les récoltes qu’ils produisaient dans ces conditions étaient expédiées sans qu’ils sachent où, ils n’avaient aucune responsabilité, aucun contact avec les consommateurs, ni aucune occasion de faire valoir leur point de vue pour éventuellement proposer une quelconque amélioration. La seule initiative qu’ils prenaient alors était le plus souvent de tricher en prélevant une partie de leurs produits pour essayer de les vendre au marché noir, ce qui était possible, le pays n’étant pas sorti de l’ére de la rareté.

C’est pour éviter cet écueil que la proposition de contrat doit venir de l’agriculteur. C’est à lui d’en prendre l’initiative. A lui d’étudier le marché, de connaitre son terrain et les besoins de son environnement. A lui d’évaluer les investissements nécessaires. A lui enfin d’en déduire le revenu qu’il peut demander en s’engageant à fournir à telles échéances, telles quantités et telles prestations. Bien entendu, la communauté concernée par sa production (commerçants et consommateurs locaux, autres agriculteurs, autorités connaissant les demandes venant d’autres régions, transporteurs etc...) devra donner son avis sur les termes du contrat (qui pourra faire l’objet de révisions) et demandera compte des résultats.

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Le contrat civique

Le plus gros obstacle que rencontrent nos propositions malgré leur nécessité, est la lenteur qu’il faut aux mentalités, en général, pour évoluer. Elles n’arrivent pas à suivre les moyens à leur disposition ! Alors, dans le même ordre d’idée que ces contrats d’entretien du territoire, et dans le souci de préparation à l’économie distributive, nous avons proposé en Juin 1991 l’introduction du contrat civique [15], dont nous espérons beaucoup. D’abord parce qu’il pourrait être introduit dans le système actuel sans grands bouleversements, et en même temps que d’autres mesures. Ensuite parce qu’il vise à stimuler les responsabilités et les initiatives individuelles, indépendamment et donc au delà de la seule considération de rentabilité, et qu’il permettra ainsi de recenser et d’évaluer les besoins réels. Enfin et par conséquent, parce qu’il prépare les esprits à l’économie distributive en mettant en évidence les transformations fondamentales qui sont nécessaires, en particulier sur le plan des financements, pour remettre l’économie au service des besoins de tous.

Il s’agit d’un accord que propose de conclure un individu, ou un groupe d’individus, avec le reste de la société, représentée par la commune, une collectivité locale, la région ou l’Etat, suivant l’importance du contrat. Ces citoyens offrent de prendre en charge un travail quel qu’il soit, pendant une durée déterminée et dans des conditions qu’ils définissent eux-mêmes, et ils fixent les revenus qu’ils demandent pour remplir leur contrat. Il peut donc s’agir aussi bien de la création d’une entreprise que de l’organisation d’un certain type d’aides individuelles, de la mise au point d’un brevet que de l’entretien d’espaces verts ou d’un cours d’eau. Si le contrat est accepté, la société leur assure les moyens demandés (investissements et revenus) puis en contrôle la réalisation. Un tel contrat doit être à durée limitée. Lors d’une demande de renouvellement un rapport sur les contrats précédemment remplis par les proposants servira de référence.

Dans le système actuel, ceci nous parait un moyen de stimuler tous les demandeurs d’emploi. De les amener à se poser eux-mêmes la question de ce qu’ils se sentent envie et capables de faire, de chercher en quoi ils pourraient être utiles aux autres, de recenser les besoins qui se manifestent autour d’eux. Ce recensement mettra du même coup en évidence tout ce que le système libéral n’est pas capable de financer parce que ce n’est pas rentable alors que le besoin s’en manifeste. On peut espérer enfin que l’expression de ces besoins fera pression sur les pouvoir publics et les amènera à chercher les moyens financiers nécessaires.

Le débat que nous avons engagé [16] sur le contrat civique porte, entre autres, sur la constitution des instances qui devront juger ces contrats et trouver les moyens demandés. Sur la définition et la composition de ces organismes de décision, qui doivent permettre la croissance de la complexité des activités. Pour éviter la bureaucratie ou la formation de “lobbies”, il faut sans doute qu’ils soient mixtes et composés suivant le principe de subsidiarité, qu’ils soient constitués de spécialistes, de professionnels de la gestion (astreints à une certaine mobilité), d’élus locaux ou régionaux, et largement ouverts (un tiers de leur effectif ?) à n’importe quel citoyen se sentant concerné, par exemple au titre de consommateur. Il est essentiel qu’une très large publication des propositions de contrats soit faite. On peut envisager qu’un tel contrat soit formulé à titre de mise à jour par tous les actifs, donc en quelque sorte a posteriori et automatiquement entériné, ce qui contribuerait à la transparence, qui nous parait nécessaire, de toutes les activités économiques. Mais ceci soulève la question de la levée du voile qui protège certaines rémunérations...font-elles ou non partie de la gestion économique de l’ensemble la société humaine ? Le débat est très ouvert et mène loin.

Le contrat civique nous parait une transition vers l’économie distributive par plusieurs aspects : priorité aux besoins et aux initiatives exprimés par les citoyens eux-mêmes, importance attribuée à des organismes représentant toute la population dans la prise de décision sur les investissements à favoriser. En économie distributive, le financement des activités économiques sera décidé à partir des besoins et des aspirations exprimées et évaluées par ces contrats, qui fixeront en même temps le revenu “social” ou “de citoyenneté”.

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en conclusion

Après la première étape dejà franchie grâce à toutes les allocations qui permettent de subvenir à des besoins manifestes, l’allocation universelle minimale (ou revenu d’existence, ou de base ) par redistribution est aux yeux des distributistes la preuve flagrante qu’il n’est plus humainement possible de laisser fonctionner les lois du libéralisme économique. C’est aussi la reconnaissance d’un Droit de l’Homme : le droit économique, celui de recevoir sa part d’un héritage collectif de savoir-faire préparé par toutes les générations précédentes, tacitement unies pour améliorer la condition humaine. Mais c’est aussi un moyen de colmater des brèches, tout en permettant de perdurer à un système générateur d’abus devenus intolérables.

Le principe d’économies fonctionnant en parallèle est séduisant a priori, bien qu’en scindant la société, il soit source de discriminations et conflits. Mais le danger principal de ce moyen de transition est sa non viabilité. Nous voyons mal, en effet, comment les deux économies pourraient se développer indépendamment, la plus violente et la plus impitoyable n’écrasant pas la plus conviviale, tant que le pouvoir financier continuera d’échapper, pour l’essentiel, au pouvoir politique. Une information toute récente apporte un exemple : les pourvoyeurs de drogue d’Amérique du Sud viennent de décider d’investir 250 milliards de dollars (blanchis bien sûr), c’est-à-dire plus que le budget annuel de la France, pour envahir l’Europe de leurs produits ! Alors rêver d’une économie raisonnable qui se maintiendrait à côté, c’est, à notre sens, un peu comme une famille de petits poissons qui déciderait de vivre en eau claire au milieu des flots tumultueux d’un de nos fleuves pollués.

Cet exemple confirme que pour maitriser l’économie, la soustraire à la spéculation et à toutes les absurdités qu’entraine maintenant le système libéral, il est indispensable que l’Etat, c’est à dire le pouvoir résultant du débat politique, retrouve le droit légitime, indûment cédé aux banques, de créer les crédits nécessaires aux activités économiques. Il faut une monnaie de consommation, gagée sur la production et s’annulant quand elle a permis à la production de parvenir à son consommateur, pour véritablement gérer l’économie, pour la mettre au service de tous et ménager un avenir à la vie sur notre planète.

La condition des agriculteurs et celle de l’agriculture nous semblent mûres pour que l’économie distributive soit installée dans tout le secteur agricole. Mais si les mentalités n’y sont pas encore prêtes, c’est à cette préparation qu’il faut d’abord s’appliquer.

Dans cet esprit, c’est une politique raisonnée, concertée, de la réduction de la durée du travail et de l’instauration du contrat civique qui feront avancer les choses dans le sens d’un véritable progrès humain.

“Certains de nos contemporains ne comprendront jamais que le monde a changé : ils resteraient immobiles sous les décombres de l’univers. D’autres, ignorants ou indifférents, s’imaginent avoir le choix du régime économique qui leur plait. Si vous leur parlez d’économie distributive, ils vous considèrent comme un révolté, un anarchiste, un révolutionnaire. Les plus futés vous prennent pour un visionnaire ou pour un inventeur, c’est-à-dire pour un fou, car c’est un très grand tort d’avoir trop tôt raison.
Jacques DUBOIN
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[1] “Contre-pouvoir socio-écologique”, A.Prime, GR N° 906.

[2] GR N° 894.

[3] GR N° 841.

[4] Le Monde, 5 Octobre 1991.

[5] “Une économie de chômage”, A. Hunebelle, GR N° 796.

[6] “L’économie face au non-emploi”, A. Liaume, GR N° 828.

[7] “Le franc vert”, R. Marlin, GR N° 869 et “La monnaie verte”, G. Denizeau, GR N°880.

[8] “L’étape décisive”, R.Marlin, GR N°907.

[9] “Financer les TUC en monnaie de consommation”, H. Muller, GR.N°889.

[10] en particulier dans “Capitalisme, Socialisme, Ecologie”, par André Gorz, éd. Galilée, 1991.

[11] “La gauche, c’est par où ? ”, M-L Duboin, GR N° 905.

[12] “Par où commencer ?”, M-L Duboin, GR N°878.

[13] “un cas qui fait réfléchir”, GR N°878.

[14] par J-P Mon, GR N° 908.

[15] “Le contrat civique”, M-L Duboin, GR N° 901.

[16] “La fin du secret ?”, M-L Duboin et “Questionnaire 1991”, GR N°906.

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