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AED La Grande Relève Articles > N° 1102 - octobre 2009

 

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N° 1102 - octobre 2009

Au fil des jours   (Afficher article seul)

Jean-Pierre Mon épingle quelques déclarations d’économistes ou de politiciens, qui dénotent un total irréalisme.

Enfin ! !    (Afficher article seul)

Marie-Louise Duboin encourage tous les citoyens, écœurés des pratiques du système financier, à s’associer à la campagne “je change ma banque ou je change de banque” que propose (enfin !) l’association altermondialiste Attac.

Appel à la résistance   (Afficher article seul)

Texte de l’appel qu’ont lancé de courageux résistants connus, tels Stéphane Hessel, Lucile et Raymond Aubrac, pour inciter à l’opposition face aux “réformes” dévastatrices aujourd’hui imposées au service public, dans l’enseignement par exemple.

Cinq, quatre, trois…   (Afficher article seul)

Constatant lui aussi les dégâts que l’idéologie du “gagner toujours plus” entraîne jusque dans l’enseignement, Albert Jacquard apporte, dans son dernier ouvrage paru, ses propres incitations à préparer un monde plus humain.

I. La nature marchandise jusqu’à l’absurde   (Afficher article seul)

Guy Evrard évoque l’absurdité des marchés du gaz carbonique, et bientôt de la biodiversité, comme moyens de combattre la crise écologique.

Quel monde demain ?   (Afficher article seul)

Jacques Hamon, face à la dérive du climat terrestre, dresse un bilan des perspectives qui sont offertes au monde de demain.

La mondialisation, un atout pour l’économie distributive ?   (Afficher article seul)

Planète en solde   (Afficher article seul)

Ana-Grace Avilés apporte son témoignage : les gâchis que dévoilent les soldes la révoltent.

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Chronique

Au fil des jours

par J.-P. MON
31 octobre 2009

Sacrés économistes !

Nous avons souvent ironisé dans ces colonnes, sur la propension des économistes à considérer que lorsque les événements ne coïncident pas avec les prévisions de leur théorie, ce sont les faits qui se trompent, pas cette théorie. Il semble que la “crise“ qu’ils n’avaient pas prévue, ébranle un peu les certitudes de certains d’entre eux. Or « les économistes constituent sans doute la profession qui a le plus d’influence sur les hommes politiques et donc sur nos vies », écrivait récemment [1] Frédéric Lemaître, rédacteur en chef du Monde, qui ajoutait : « Depuis deux siècles, ils tentent de nous convaincre que leur discipline est aussi sérieuse que la physique ou que la chimie ».

Il est rare, en effet, que le doute les effleure. Pas étonnant donc que le très médiatique Pascal Salin, professeur à Paris Dauphine et libéral convaincu, ait, en pleine crise, intitulé son dernier livre L’économie ne ment pas, dans lequel il n’hésite pas à déclarer : « l’économie est une science ; son objet est de distinguer entre les bonnes et les mauvaises politiques » et à asséner ses dix vérités “établies”. Parmi lesquelles on peut mettre en exergue celle-ci : « la création de marchés financiers complexes a conduit à des progrès économiques véritables. Cette sophistication financière a facilité la répartition mondiale des risques, permettant ainsi un plus grand nombre de prises de risques, ce qui amplifie l’innovation ». On a vu ce que ça donnait. Mais cela n’empêche pas le cher professeur de pérorer à tout bout de champ sur les antennes nationales.

Tous les économistes ne sont heureusement pas du même acabit [2], mais on voit et on entend bien moins les autres dans les medias. Il y a même, parmi ces dissidents, un prix Nobel d’économie [3] Maurice Allais, qui déplore que l’économie financière ait négligé la réalité : « une grande partie de la littérature économique contemporaine est progressivement passée sous le contrôle de purs mathématiciens plus préoccupés de théorèmes que de l’analyse du réel » [4].

En fait, il semble que les économistes n’aient pas encore analysé l’importance prise par la finance dans les économies développées. « Est-il logique, demande Frédéric Lemaître, que dans les pays occidentaux, près de la moitié des profits des grandes entreprises mondiales soit aujourd’hui réalisée par des institutions financières qui ne créent pas de richesses, stricto sensu ? »

L’anecdote suivante résume bien la situation : fin 2008, visitant la London School of Economics, la Reine d’Angleterre demanda : « Comment se fait-il que personne n’ait prévu la crise financière ? » Il fallut plus de six mois pour qu’un groupe d’éminents économistes britanniques fasse parvenir la réponse aux services royaux. Mais depuis le mois de juillet dernier, la Reine sait au moins que « l’échec à prévoir la date, l’importance et la gravité de la crise, l’échec à l’endiguer, bien qu’il y ait de nombreuses causes, était surtout un échec de l’imagination collective de nombreuses personnes brillantes, en Angleterre et à l’étranger, à comprendre les risques du système dans son ensemble. »

Laurence Parisot, docteur Faust ?

À un journaliste qui lui demandait « comment le Medef peut-il plaider pour la retraite à 61 ans, voire plus, alors que les entreprises continuent à se débarrasser de leurs seniors ? », la Présidente du patronat français répondit : « C’est la ligne d’horizon qu’il faut changer pour favoriser l’emploi des seniors. Le paradoxe que vous dénoncez n’est qu’apparent : le même homme de 57 ans n’a pas le même âge pour une entreprise, selon qu’il est à 6 mois ou à 6 ans de sa retraite. En repoussant l’âge du départ on rajeunit d’autant les salariés aux yeux des entreprises qui souhaitent investir sur eux » [5].

Qui dit mieux ?

La campagne pour les élections législatives allemandes du 27 septembre a donné lieu entre les divers partis à une surenchère surréaliste en matière de création d’emplois. Il est vrai que le taux de chômage chez nos voisins d’Outre-Rhin n’incite pas à l’optimisme : 3,5 millions de personnes (soit 8,2% de la population active). Et les experts prévoient une forte augmentation de ce taux au cours du mois d’octobre. Les Verts promettent de créer un million d’emplois dans les quatre ans à venir grâce à des investissements dans l’éducation et à la lutte contre le réchauffement climatique. Die Linke (la gauche de la gauche) en annonce deux millions. Et le candidat social-démocrate, M. Steinmeier, actuel Ministre des Affaires étrangères du gouvernement de Mme Angela Merkel, dans le programme qu’il vient de publier (un document de 67 pages intitulé “Le travail de demain, politique pour la prochaine décennie”), propose une série de mesures dont la mise en œuvre permettrait de créer quatre millions d’emplois… d’ici à 2020 et d’atteindre ainsi le plein emploi. Ce sont, dit-il, des « objectifs réalistes », qui donneraient « un nouveau départ à l’économie sociale de marché ».

Je crois me rappeler que l’ancien Chancelier, Gerard Schröder, avait, en son temps, annoncé la création (plus modeste) de quelque deux millions d’emplois et que le résultat n’avait pas été à la hauteur de ses espérances, avec notamment ses emplois à 1€ de l’heure qui avaient fortement détérioré les relations avec les syndicats.

Or quatre millions d’ici 2020, c’est encore plus fou.

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[1] Le Monde, 03/09/2009.

[2] Notamment, ceux qui militent à Attac.

[3] Lors de la création de ses “prix”, Nobel n’avait pas prévu d’en attribuer à l’économie. C’est la Banque de Suède qui a obtenu en 1960 le droit de créer “le prix de la banque de Suède en science économique” qui est vite devenu “le prix Nobel d’économie”.

[4] Économie Politique été 2009.

[5] Le Monde, 05/09/2009.

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Actualités

Enfin ! !

par M.-L. DUBOIN
31 octobre 2009

Cela fait maintenant plus de dix ans que nous militons, au sein de l’association Attac, pour sensibiliser ses adhérents et son conseil scientifique à l’importance de la finance, pour les convaincre de focaliser la réflexion et l’action d’éducation populaire de ce mouvement altermondialiste sur le rôle des banques, sur la nature de la monnaie qu’elles émettent et sur les dangers de la démission des responsables politiques qui laissent ainsi à ces institutions privées le privilège insoutenable de décider de l’avenir économique en fonction de leurs seuls intérêts. Ces dangers, qui étaient décrits dès mars 2007 dans Mais où va l’argent ?, ayant débouché sur une crise sans précédent, l’opinion découvre les vices du système financier… et l’association Attac semble enfin convaincue de l’urgence d’expliquer et d’agir.

La dixième université d’été d’Attac-France, qui s’est tenue en Arles du 21 au 25 août, témoigne de ce changement, qui va enfin bien plus loin que la taxe Tobin (au moment où Kouchner et Barroso semblent en reprendre l’idée).

Le projet “de campagne citoyenne”, en cours d’élaboration au sein d’Attac-France, est intitulé “Je change ma banque … ou je change de banque”.

Constatant que « le système bancaire, qui est au cœur de la crise, continue à défrayer la chronique par des scandales permanents : bonus, paradis fiscaux, pratiques commerciales abusives, … qu’un grand nombre de salariés du secteur bancaire vivent mal cette situation et que les citoyens sont choqués de ces pratiques » il s’agit « d’agir ici et maintenant pour manifester concrètement notre refus du monde tel qu’il va et notre volonté d’alternatives, sans attendre de futurs et hypothétiques changements politiques… » Or « une alliance entre salariés des banques, usagers et associations, pourrait peser fortement sur les directions des banques et sur les pouvoirs publics ». Attac propose pour cela « de travailler à une campagne de mobilisation citoyenne portant l’exigence d’un changement des politiques des banques, en s’appuyant sur les attentes convergentes des salariés des banques, des usagers, des exclus bancaires, des défenseurs de l’environnement, de toute la société civile... pour un système de crédit responsable et solidaire ».

Il ne s’agit donc pas de demander la nationalisation des banques (dont l’effet dépend du gouvernement en place), mais d’obtenir la socialisation du crédit afin que le secteur financier soit enfin considéré et géré pour ce qu’il est : un bien commun indispensable à l’économie et à la société, et que les banques cessent de spéculer dans des paradis fiscaux et judiciaires.

Attac estime que les citoyens, « s’ils cherchent à y travailler ensemble… peuvent se doter d’outils pour exercer une vraie pression sur les directions des banques et les pouvoirs publics ».

Voici comment :

1. Je change ma banque…

• Il faudrait commencer par établir un outil d’évaluation et de comparaison des pratiques des banques opérant en France (une sorte de “top 50” des banques).

On pourrait, de façon pluraliste et participative :

— définir une batterie de critères d’évaluation, si possible objectivés : pratiques commerciales abusives, exclusion bancaire ; salaires, emploi, souffrance au travail ; part des activités spéculatives dans le résultat, part du financement des PME et/ou collectivités territoriales dans l’activité ; filiales dans les paradis fiscaux ; rémunérations des dirigeants et traders ; impact environnemental de l’activité ; soutien à des régimes antidémocratiques (Françafrique, Birmanie…) ;

— établir un classement des banques selon ces critères (avec des pondérations à discuter…) ;

— donner une large publicité à ces indicateurs et au classement qui en résulte ;

— interpeller les directions de chaque banque, avec conjointement les syndicats, les usagers et les associations, en exigeant des progrès rapides et significatifs sur les points noirs de l’établissement.

… 2. ou je change de banque

Pour les usagers qui seraient insatisfaits des réponses de leur banque, on pourrait organiser une migration de comptes vers des banques mieux placées dans le “Top 50” bancaire.

Si des centaines de milliers de clients des banques décidaient d’interpeller leur banquier, et de participer à un mouvement collectif de migration de comptes courants vers une institution solidaire, on obtiendrait au moins trois résultats positifs :

— l’ouverture d’un vaste débat social : comment faire fonctionner le système financier au service de la société, et non le contraire ?

— un exemple encourageant pour d’autres mobilisations concrètes allant dans le sens d’une transformation des rapports sociaux et d’une démocratisation de l’économie ;

— une capacité d’action renforcée pour les organismes de crédit solidaire, qui pourraient démultiplier leurs activités de financement de projets d’économie sociale et solidaire.

Une telle campagne suppose une préparation soignée, un outil d’évaluation crédible avant d’entreprendre une démarche auprès des banques, l’engagement dans la durée de la part des citoyens, etc.

*

Ce projet va tellement dans le sens de ce que nous défendons depuis si longtemps dans ces colonnes, que nous espérons une participation massive de nos lecteurs.

À suivre donc…

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Parmi toutes les “réformes” que notre hyperprésident poursuit contre vents et marées, celles imposées aux enseignants sont parmi les plus lourdes de conséquences, en particulier pour les générations futures. Le témoignage édifiant de l’un de ces derniers, Bastien Cazals, vient d’être publié par les éditions indigène [*] sous le titre « je suis prof et je désobéis ». Son auteur explique qu’en entrant par vocation dans une profession à ses yeux “porteuse de valeurs”, il n’imaginait pas avoir un jour à défendre l’école contre une avalanche de réformes dévastatrices. C’est l’Appel des Résistants aux jeunes générations, signé le 8 mars 2004, entre autres par Stéphane Hessel, Lucie et Raymond Aubrac, qui lui a ouvert les yeux et donné le courage nécessaire à compromettre son propre avenir.

Cet appel, lancé pour le 60 ème anniversaire du programme du CNR de 1944, mérite en effet d’être médité par tous. En voici le texte, pour le diffuser le plus largement possible :

Appel à la résistance

31 octobre 2009

Au moment où nous voyons remis en cause le socle des conquêtes sociales de la Libération, nous, vétérans des mouvements de Résistance et des forces combattantes de la France Libre (1940-1945), appelons les jeunes générations à faire vivre et retransmettre l’héritage de la Résistance et ses idéaux toujours actuels de démocratie économique, sociale et culturelle. Soixante ans plus tard, le nazisme est vaincu, grâce au sacrifice de nos frères et sœurs de la Résistance et des nations unies contre la barbarie fasciste. Mais cette menace n’a pas totalement disparu et notre colère contre l’injustice est toujours intacte.

Nous appelons, en conscience, à célébrer l’actualité de la Résistance, non pas au profit de causes partisanes ou instrumentalisées par un quelconque enjeu de pouvoir, mais pour proposer aux générations qui nous succéderont d’accomplir trois gestes humanistes et profondément politiques au sens vrai du terme, pour que la flamme de la Résistance ne s’éteigne jamais :

• Nous appelons d’abord les éducateurs, les mouvements sociaux, les collectivités publiques, les créateurs, les citoyens, les exploités, les humiliés, à célébrer ensemble l’anniversaire du programme du Conseil national de la Résistance (C.N.R.) adopté dans la clandestinité le 15 mars 1944 : Sécurité sociale et retraites généralisées, contrôle des “féodalités économiques”, droit à la culture et à l’éducation pour tous, presse délivrée de l’argent et de la corruption, lois sociales ouvrières et agricoles, etc.

Comment peut-il manquer aujourd’hui de l’argent pour maintenir et prolonger ces conquêtes sociales, alors que la production de richesses a considérablement augmenté depuis la Libération, période où l’Europe était ruinée ? Les responsables politiques, économiques, intellectuels et l’ensemble de la société ne doivent pas démissionner, ni se laisser impressionner par l’actuelle dictature internationale des marchés financiers qui menace la paix et la démocratie.

• Nous appelons ensuite les mouvements, partis, associations, institutions et syndicats héritiers de la Résistance à dépasser les enjeux sectoriels, et à se consacrer en priorité aux causes politiques des injustices et des conflits sociaux, et non plus seulement à leurs conséquences, à définir ensemble un nouveau “Programme de Résistance” pour notre siècle, sachant que le fascisme se nourrit toujours du racisme, de l’intolérance et de la guerre, qui eux-mêmes se nourrissent des injustices sociales.

• Nous appelons enfin les enfants, les jeunes, les parents, les anciens et les grands-parents, les éducateurs, les autorités publiques, à une véritable insurrection pacifique contre les moyens de communication de masse qui ne proposent comme horizon pour notre jeunesse que la consommation marchande, le mépris des plus faibles et de la culture, l’amnésie généralisée et la compétition à outrance de tous contre tous. Nous n’acceptons pas que les principaux médias soient désormais contrôlés par des intérêts privés, contrairement au programme du Conseil national de la Résistance et aux ordonnances sur la presse de 1944.

Plus que jamais, à ceux qui et celles qui feront le siècle qui commence, nous voulons dire avec affection :

« Créer, c’est résister. Résister, c’est créer »

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[*] prix … 3 euros ! voir le site : www.indigene-editions.fr

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Lectures

Cinq, quatre, trois…

par M.-L. DUBOIN
31 octobre 2009

On ne peut croire ni à une croissance éternelle, ni à pouvoir s’échapper vers une autre planète quand seront épuisées les ressources de la nôtre. C’est impossible. L’humanité s’est mise en danger de mort, et Albert Jacquard, dans son dernier livre Le compte à rebours a-t-il commencé ? [1] montre comment.

Il évalue d’abord le risque nucléaire (entre la puissance de la bombe H et celle des essais américains dans le Pacifique, il y a un facteur mille) : il suffit que dans un seul État possédant l’arme nucléaire le risque d’un accident (une colère d’un dirigeant trop impulsif par exemple) soit de 1 pour 100 par an pour que la probabilité d’un désastre irréversible, tuant toute vie humaine sur la planète, soit de 64 % au cours du siècle et de pratiquement cent pour cent au cours du millénaire.

La probabilité du suicide nucléaire de l’humanité dépend donc surtout du comportement des moins raisonnables. Or cette escalade a été décidée sans la moindre consultation populaire. Alors Albert Jacquard se demande par quelle aberration la première question posée à tout candidat à la Présidence de la République n’est pas : « Renoncez-vous aux armes nucléaires ? » Il évoque ensuite le sujet que Guy Evrard développait récemment dans nos colonnes [2], celui de la démographie, et il aboutit, à propos de ce qu’il appelle la bombe P comme population, à la même conclusion que Guy : alors qu’un milliard d’êtres humains souffrent et meurent de malnutrition, il faut que les pays riches remettent en question leurs habitudes gaspilleuses et dévastatrices.

Alors, avant d’accaparer toutes les richesses, ne fallait-il pas commencer par poser une autre question : « À qui appartient la planète ? »

*

Le polytechnicien généticien Albert Jacquard aborde enfin deux domaines déterminants quant à l’avenir de l’humanité : l’intégrisme économique et l’éducation.

Traitant le premier, il montre « la richesse de la décroissance » par des réflexions de bon sens dénonçant un système qui s’est cru « capable de créer de la richesse simplement en échangeant des signatures sur des papiers ou sur des écrans d’ordinateurs, à la façon dont en famille on joue avec passion au Monopoly ». Mais quand il évoque « la fortune dont dispose l’ensemble des humains », il sous- entend que cette fortune est une réalité, certes mal partagée, mais une vraie richesse. Dans son expression « la fortune de l’ensemble », il mélange sans nuance ce qui est monnaie fiduciaire et ce qui est monnaie bancaire, il cautionne leur assimilation. Il entretient ainsi la confusion, fort malheureuse, généralement faite entre la monnaie légale, publique et garantie, et la monnaie scripturale, qui mène le monde malgré lui, qui ne sort jamais du domaine privé et secret des banques, que certains économistes n’hésitent pas à qualifier de pseudo-monnaie et qu’un “prix Nobel” d’économie, Maurice Allais, dénonce même comme étant émise de façon identique à celle de faux-monnayeurs.

Même ambiguïté lorsque Jacquard écrit que les clients des banques « ont confié leur fortune à des financiers qui l’ont convertie en prêts », car il cautionne ainsi l’idée fausse trop répandue dans le grand public, selon laquelle, en matière de crédit, le rôle des banques ne consiste qu’à prêter aux uns les économies déposées par les autres. C’est ignorer oupasser sous silence le privilège, pourtant ahurissant, abandonné aux banques de pouvoir augmenter à leur gré et dans leur intérêt la masse monétaire de la nation.

Mais ceci n’empêche pas notre auteur de démonter, en quelques phrases claires et limpides, tout l’arbitraire de la notion de valeur, ainsi que la fausse croyance en l’équilibre que le marché est censé apporter. On peut s’étonner, tout de même, qu’il n’ait pas choisi de relever, dans l’Histoire qui en contient tant, d’autres exemples que celui des assignats pour montrer les dangers d’une création monétaire basée sur la spéculation.

Cette ombre est vite oubliée dès qu’on aborde le chapitre consacré à ce que devrait être l’éducation. Ce dernier chapitre ne peut qu’enthousiasmer nos lecteurs, tant par sa critique du système actuel au cœur duquel « ce n’est pas l’élève que l’on découvre, c’est plus souvent l’économiste, quand ce n’est pas le financier », que par son ouverture vers un monde plus humain, dans lequel, rappelle l’auteur, lire, écrire, compter ne sont pas tout, « comme s’il n’était pas tout aussi fondamental de savoir écouter, s’exprimer, questionner, c’est-à-dire en un mot : rencontrer. »

Ah, si seulement nos prétendus “réformateurs” étaient capables de “rencontrer” Albert Jacquard !

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[1] éd. Stock, Les documents, mars 2009, 140 pages, 15 euros

[2] I. GR 1097, avril 2009
II. GR 1098, mai 2009,
III. GR 1099, juin 2009.

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Dossier : la crise écologique

Face à la crise écologique, les puissants de ce monde cherchent des solutions seulement dans le cadre de l’économie de marché, même lorsqu’ils admettent la responsabilité de celle-ci dans les désastres annoncés. Parce qu’ils y voient un moyen de sauver le système dont ils tirent profit et aussi la perspective de nouvelles activités marchandes. Guy Evrard analyse cette approche comme un paroxysme de la fuite en avant, qui confine à l’absurde et rend plus urgent de changer les bases de notre monde. Cette première partie traite du marché du CO2.

I. La nature marchandise jusqu’à l’absurde

par G. ÉVRARD
31 octobre 2009

La crise globale qui étreint la planète est maintenant clairement perçue comme la convergence historique d’une crise économique et sociale et d’une crise écologique. La crise écologique, attribuée elle-même à l’activité des hommes, est-il besoin de le rappeler, c’est : •1. le réchauffement climatique dû aux émissions massives de gaz à effet de serre (gaz carbonique, méthane et oxyde nitreux principalement) ; •2. la réduction de la biodiversité, notre réserve génétique pour les indispensables adaptations futures ; •3. les pollutions en tout genre qui fragilisent les organismes vivants et défigurent notre cadre de vie ; •4. les perturbations majeures du cycle de l’eau ; •5. l’épuisement quasi irréversible de ressources naturelles. Globalement, c’est le déplacement incontrôlé de l’infinité des équilibres de notre biosphère, dont on peut craindre qu’à terme il rende la Terre invivable.

La Terre a toujours été le théâtre de grands bouleversements, mais généralement suffisamment lents pour laisser le temps à de nouveaux équilibres de s’établir. L’activité humaine, en changeant d’échelle depuis le 19ème siècle, avec la révolution industrielle et l’accélération de l’accroissement démographique, est devenue elle-même un puissant facteur de bouleversement. Il est donc de la responsabilité des hommes de maîtriser, puis de réduire leur empreinte.

Chacun sait maintenant que le développement, lorsqu’il est confondu uniquement avec la croissance des biens matériels, pousse à une logique productiviste. Il génère certes des richesses mais se soucie peu de leur répartition équitable entre les peuples et parmi eux, et encore moins de l’épuisement de la planète. Le capitalisme libéral dominant, arc-bouté sur le principe du libre marché, visant d’abord la recherche du profit, engendre la prédation. Reconnaissons que le productivisme installé dans un contexte politique autoritaire n’agit guère autrement.

Acculés à la crise, en l’absence d’autres projets d’organisation de la société et de l’économie qui soient portés par des forces politiques capables de convaincre, les dirigeants actuels continuent de rechercher dans la même économie de marché les recettes susceptibles de corriger les atteintes à l’environnement. C’est sans doute un peu par incapacité à concevoir un autre raisonnement, mais c’est surtout parce que le système en place leur ouvre de nouvelles perspectives de profits, peut-être plus grands encore que par le passé, pour ceux qui sauront maîtriser des techniques plus complexes.

Dans deux articles, nous nous limitons aux deux premiers domaines, pour lesquels des mécanismes sont déjà en place ou à l’étude via une hypothétique régulation par la main invisible : le marché du gaz carbonique (CO2) et le marché de la biodiversité. Nous terminerons cependant par une brève mais révélatrice allusion à la gestion de l’eau, thème sur lequel nous nous proposons de revenir ultérieurement.

Le point de vue de Patrick Viveret

Patrick Viveret, philosophe, économiste, magistrat référendaire à la Cour des comptes, dénonce l’absurdité de la démarche. Dans une préface à la nouvelle édition de son rapport Reconsidérer la richesse, il écrit en 2008 [1] : « C’est la même logique de la démesure qui est à l’origine de la crise écologique (dérèglement climatique et risques majeurs pour l’humanité), de la crise sociale (dont la forme la plus dramatique est la crise alimentaire) et de la crise financière. Et cette démesure se trouve accentuée par une représentation et un mode de calcul de la richesse qui, en sous-évaluant gravement les biens écologiques et sociaux non marchands, a lancé le monde dans la course folle, d’abord du productivisme industriel oublieux des critères économiques, ensuite dans un financement largement excessif par rapport à l’économie réelle [*] [2] ».

Dans un récent entretien pour la revue Terre sauvage, Patrick Viveret [3] déclare aussi : « Qu’est-ce qui compte vraiment dans nos vies ? (…) La définition étymologique de la valeur est la “force de vie”. (…) Toute richesse vient de l’interaction entre les humains et leur rapport au cosmos et à la nature. Donc les domaines fondamentaux sont écologiques et anthropologiques. (…) Quand l’économie prétend tout régenter, qu’elle se pose comme la mère de toutes les disciplines et qu’elle en vient à émettre des propositions, théoriques ou pratiques, qui deviennent contradictoires voire destructrices par rapport à des fondamentaux écologiques ou anthropologiques, je considère que l’économie a tort ».

Il concède néanmoins que donner une valeur économique au vivant « peut constituer un progrès par rapport à un statu quo et, en même temps, participe d’une valeur régressive qui est de croire que, pour qu’un bien ou un lien ait de la valeur, il faut qu’il ait une expression monétaire. (…) Nous sommes passés d’une économie de marché (…) où ce qui avait de la valeur n’avait pas de prix à une société de marché où ce qui n’a pas de prix n’a pas de valeur. Quand on est à ce degré de situation maladive, il est utile, partiellement et avec les plus extrêmes précautions, de sortir, au moins, de l’invisibilité. La nature prodigue des richesses invisibles et subit des destructions invisibles. Si la visibilité commence par une évaluation monétaire, c’est un progrès par rapport à l’invisibilité. Mais ce progrès doit s’accompagner d’un progrès plus large qui remet en question l’approche exclusivement monétaire de l’évaluation. (…) Si la seule manière de reconnaître la valeur de la richesse humaine et de la richesse écologique est la monétarisation, on est entraîné dans une spirale extrêmement préoccupante et sans limite. (…) L’un des éléments fondamentaux d’une théorie de la valeur, c’est d’accepter que, plus on va vers des “valeurs hautes”, plus on va vers le non quantifiable ».

Le marché du gaz carbonique (CO2)

Le Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) [4], prix Nobel de la paix 2007, a été mis en place en 1988 par l’Organisation Météorologique Mondiale (OMM) et le Programme des Nations-Unies pour l’Environnement (PNUE). Le GIEC a pour mission d’évaluer les informations d’ordre scientifique, technique et socio-économique qui sont nécessaires pour mieux comprendre les fondements scientifiques des risques liés au changement climatique d’origine humaine, cerner plus précisément les conséquences possibles de ce changement et envisager d’éventuelles stratégies d’adaptation et d’atténuation. S’appuyant sur 2.500 chercheurs de 130 pays, dont l’ensemble des publications est soumis au consensus, il travaille en réseau et n’a pas vocation à conduire les travaux expérimentaux.

Les prévisions d’élévation de la température à la surface de la Terre reposent sur des modèles mathématiques qui déterminent le forçage radiatif, c’est-à-dire l’accroissement de la fraction de l’énergie solaire qui reste prisonnière à la surface de la Terre et modifie son équilibre thermique, en raison de tel ou tel facteur. Ces modèles sont calés sur les évolutions naturelles passées des teneurs des trois principaux gaz à effet de serre, repérables sur plusieurs centaines de milliers d’années notamment grâce aux carottes de glace prélevées dans l’Antarctique, que l’on compare aux évolutions mesurées depuis le début de l’ère industrielle. S’y ajoutent les observations directes des changements climatiques récents : élévation de la température moyenne, élévation du niveau moyen des mers, réduction des glaciers de montagne et des calottes glaciaires aux pôles, réduction des glaces de mer, déstabilisation du permafrost (ou pergélisol) aux plus hautes latitudes… Les modèles sont également ajustés pour tenir compte de l’évolution prévisible de l’albédo, la partie de l’énergie solaire qui est réfléchie par la surface de la Terre et par l’atmosphère, liée aux modifications de la couverture neigeuse et de la couverture végétale au sol et à la présence d’aérosols dans l’atmosphère.

Le dernier rapport du GIEC [5], publié en 2007, établissait ainsi des prévisions moyennes de l’élévation de température de 1,8°C (1,1 à 2,9°C) pour le scénario le plus favorable à 4,0°C (2,4 à 6,4°C) pour le scénario le plus pessimiste, d’ici à la fin du 21ème siècle. À court terme, une élévation moyenne de 0,2°C par décennie est attendue. L’élévation du niveau des mers se situerait respectivement entre 18 cm et 38 cm dans le scénario favorable et entre 26 cm et 59 cm dans le scénario le plus pessimiste ; cependant, l’estimation ne tient pas compte de la dynamique des glaces, encore mal comprise, mais qui paraît plus active que prévu. Le rapport exprimait qu’il y a 90 chances sur 100 pour que ces évolutions soient d’origine anthropique, c’est-à-dire dues à l’activité humaine.

En mars dernier, une ultime réunion de la communauté scientifique à Copenhague, avant la prochaine conférence des Nations-Unies, en décembre 2009, pour l’après Kyoto, c’est-à-dire l’après 2012, s’appuyant sur les résultats acquis depuis le rapport de 2007, a fait savoir que « (…) le pire des scénarios est en train de se réaliser. Les émissions ont continué d’augmenter fortement et le système climatique évolue d’ores et déjà en dehors des variations naturelles à l’intérieur desquelles nos sociétés et nos économies se sont construites ». Les prévisions du GIEC anticipent maintenant une hausse des températures effectivement comprise entre 1,1°C et 6,4°C et une montée du niveau des océans atteignant entre 75 cm et 1,90 m avant la fin du siècle, par rapport à la période préindustrielle ; toujours sans tenir compte de la dynamique des glaces. De nombreux seuils de rupture se situeraient dans la bande 2°C à 3°C [6].

Et pourtant, en juillet, la réunion au sommet à l’Aquila (Italie) des pays les plus riches et les plus pollueurs (G8), face aux pays émergents (G5), convenant de la nécessité de limiter l’élévation de la température à 2°C, conformément aux injonctions des scientifiques, n’a pu trouver un accord sur des objectifs chiffrés de réduction de l’émission des gaz à effet de serre. Le G8 proposait une diminution globale de 50 % d’ici à 2050, dont celle des pays industrialisés à hauteur de 80 % par rapport à 1990 ou à une année plus récente. Mais parmi ces derniers, seule l’Europe avançait un objectif de -20 %, allant jusqu ‘à 30 % si les autres pays s’y ralliaient, à l’horizon 2020. Finalement, l’absence d’un niveau d’étape convenu entre les pays riches a empêché la conclusion d’un accord pour 2050 avec les pays émergents, qui ne voulaient pas se contenter de promesses à long terme alors qu’eux-mêmes ont des besoins immenses d’énergie [7], [8]. Des promesses précédentes non tenues d’aide au financement de l’agriculture dans les pays pauvres ont évidemment été rappelées [9], [10]. Souhaitons que les autres réunions prévues d’ici à décembre 2009 permettent de parvenir à cet accord nécessairement ambitieux.

Ainsi, on voit bien que la seule évocation de risques imminents pour la survie de l’humanité, avec un consensus scientifique largement fondé, ne suffit pas à engendrer une coopération enthousiaste entre les dirigeants du monde, tant les arrières pensées sont fortes dans une mondialisation organisée exclusivement sur les rapports de force et la compétition économique.

Et, bien sûr, c’est parce qu’il est lui-même imprégné de cette logique que Sir Nicholas Stern, ancien économiste en chef de la Banque mondiale, s’est intéressé, en 2006, à l’évaluation économique des conséquences du réchauffement climatique, à la demande du premier ministre britannique de l’époque, Tony Blair. Ce sont finalement davantage les considérations économiques, plutôt que les questions éthiques et sociales, qui ont convaincu les dirigeants de la planète d’entrer en action.

Le rapport Stern aboutit à cette évidence qu’une action ferme et précoce coûtera beaucoup moins cher que l’inaction [11], [12] !

Sur 10 ans, le coût du changement climatique s’établirait à 5.500 milliards d’euros, pour un PNB [**] mondial annuel estimé à 35.000 milliards de dollars. Pour fixer les idées, le budget de l’État français en 2006 s’élevait à 290 milliards d’euros. Ces dépenses viendraient s’ajouter aux dépenses actuelles, déjà tout à fait insuffisantes pour faire face aux besoins vitaux de l’humanité. Par ailleurs, au-delà des 200 millions de personnes directement touchées, beaucoup plus seraient déstabilisées dans leur mode de vie et de production, avec le risque de générer de véritables guerres entre riches et pauvres. C’est sans doute devant l’incertitude de l’issue de tels conflits, inédits à grande échelle, que réside la véritable crainte des puissants de ce monde.

Le rapport Stern recommandait alors le renouvellement du protocole de Kyoto dès 2007 et préconisait que l’humanité consacre 1% du produit national annuel de la planète, soit près de 275 milliards d’euros, pendant 10 ans, à la réduction de la production des gaz à effet de serre et des autres facteurs de réchauffement. Sinon, le coût indiqué précédemment serait de 5 à 20 fois plus élevé.

Pour fixer les idées encore, 1% du PNB mondial équivaut aux dépenses de publicité dans le monde.

Les dépenses seraient réparties au prorata de l’activité économique de chaque pays, soit de 10 à 15 milliards d’euros pour chacun des grands pays européens pendant 10 ans.

Quatre approches concourantes étaient préconisées [11] :

1• La coopération technique pour développer des technologies faiblement émettrices de CO2.

Mais dans un monde organisé sur la compétition, on voit mal des industries (qui n’hésitent pas à breveter le vivant et le savoir ancestral des peuples encore liés à la nature, ou bien des thérapies contre le virus VIH du sida), décider soudainement de faire profiter la planète entière de leurs découvertes !

2• La lutte contre la déforestation.

La destruction des forêts serait responsable de près de 20% des émissions de gaz à effet de serre et, selon la FAO*, représentait en 2005 environ 13 millions d’hectares par an (plus de 20% de la superficie de la France) [13]. Les principales causes se trouvent ici encore dans l’orientation productiviste imposée par la mondialisation de l’économie capitaliste : l’exploitation non durable et souvent illégale du bois, l’augmentation des surfaces agricoles pour l’élevage et la culture du soja, les plantations de palmiers à huile pour l’industrie agroalimentaire et, plus récemment, le développement des agrocarburants. Comment inverser significativement et durablement cette tendance sans remettre en cause fondamentalement le système économique ?

3• L’aide des pays riches aux pays les plus pauvres.

Nous l’avons évoqué plus haut, il a été rappelé au G8+G5 d’Aquila que moins d’un tiers des 50 milliards de dollars d’aides promis cinq ans plus tôt ont été effectivement affectés [10]. Les émeutes de la faim de 2008, alors que des manœuvres spéculatives de grande ampleur étaient observées sur les céréales à la bourse de Chicago, ont confirmé aux yeux du monde que la situation ne faisait qu’empirer. La FAO estime qu’aujourd’hui 1,2 milliard de personnes souffrent de malnutrition. Dans ce système, la “solidarité”, y compris sur des fonds publics, ne s’exerce que si elle est payée de retour.

4• Les permis d’émission.

Même si l’on est convaincu de l’incapacité totale du système à la moindre tentation vertueuse, on adhère, bien sûr, aux trois recommandations précédentes. Ici, sa perversion se révèle pourtant dans le cheminement tordu qui l’obligerait à faire le bien.

Rappelons brièvement le mécanisme mis en place par la Commission Européenne et qui serait généralisé à la planète, selon le principe, juste, du pollueur payeur : « Les émissions de CO2 sont plafonnées à un certain niveau au-delà duquel les entreprises émettrices sont obligées d’acheter des bons (à polluer) aux entreprises faiblement émettrices, ceci de préférence à l’échelle mondiale. Il s’agit de favoriser la réduction des rejets de gaz à effet de serre en développant les différentes bourses déjà instituées et en créant des passerelles entre elles. Les pays en développement y seraient associés. La fixation d’objectifs ambitieux pour les pays riches pourrait rapporter des dizaines de milliards de dollars par an aux pays en développement, ce qui les aiderait à adopter des modes de production limitant les émissions de CO2 ».

Il se dit déjà que les objectifs fixés initialement étaient insuffisants [14], [15], la tonne de CO2 étant actuellement échangée à 14 euros. Gageons que le lobbying des pollueurs saura convaincre encore à la modération des nouveaux objectifs. Mais pourquoi mettre en place une telle “usine à gaz”, sinon pour continuer ce MonopolyR de l’absurde ? Alors que l’on peut lire aussi ceci dans le rapport Stern : « Le changement climatique est l’échec le plus grand du marché que le monde ait jamais connu et il a une action réciproque sur les autres imperfections du marché » [12]. La fuite en avant touche à son paroxysme. Sommes-nous devenus incapables de raisonner autrement, en fixant simplement des règles de droit ? Comment, alors, accorder le moindre crédit aux recommandations précédentes ?

Quoi qu’il en soit, cette stratégie vise à faire du carbone, ou du CO2, un produit marchand de plus en plus cher afin d’en réduire les émissions et de favoriser le développement de technologies qui ne font pas appel aux énergies fossiles (pétrole, gaz naturel, charbon). Les riches multinationales s’en accommoderont évidemment plus facilement que les PME ou les entreprises des pays en développement. Le dispositif des permis d’émission pour les entreprises fort émettrices de CO2 serait complété, en France à partir de 2010 et probablement ensuite dans les autres pays européens, par une “taxe carbone” appliquée à la fois aux entreprises non assujetties au système précédent et aux particuliers. Cette taxe, basée sur la quantité de CO2 émise tout au long de la fabrication et de l’acheminement d’un produit, serait donc répercutée sur le prix de celui-ci vendu au consommateur. Dans un premier temps, elle porterait seulement sur le chauffage des bâtiments et le transport, mais concernerait donc aussi les familles. Le rapport, remis en juillet 2009, de la commission d’experts présidée par M.Rocard proposait de fixer à 32 euros la tonne de CO2 en 2010 [***], pour atteindre progressivement 100 euros en 2030. Là encore, les riches s’en accommoderont plus facilement que les pauvres, même si une compensation est promise à ces derniers, prélevée sur la collecte.

Certes, la civilisation occidentale s’est développée grâce à la disponibilité énergétique, comme Jean-Marc Jancovici le rappelle avec insistance [16]. Le savant Arrhenius, prix Nobel de chimie 1903, fut sans doute un des premiers à s’émouvoir, dès les années 1920, de notre fringale d’hydrocarbures fossiles et d’autres matières premières [17]. Mais la mondialisation capitaliste a poussé à son comble la gabegie énergétique en multipliant les délocalisations des unités de production vers les pays où la main d’œuvre est la moins coûteuse à l’instant t et en faisant voyager les marchandises souvent au-delà du bon sens. Confondant toujours développement et course au profit. Les populations de nos pays qui se vident de leurs usines payent ainsi déjà un lourd tribu à cette stratégie et l’on vient maintenant leur demander d’en payer les conséquences en leur présentant la facture énergétique de cette aberration économique et sociale. On touche ici précisément à la convergence de la crise économique et sociale et de la crise écologique [18].

Bien sûr, le gaspillage énergétique doit cesser, mais il ne cessera réellement qu’en abandonnant l’économie productiviste. À coup sûr, l’énergie reviendra plus cher dans l’avenir car il faudra la concentrer pour la rendre utilisable dans nos machines. Dommage que les Verts, qui appuient clairement le projet de taxe, en insistant certes sur les mécanismes de redistribution, oublient de remettre en cause la logique économique qui a conduit à la situation actuelle [19]. Comme si la majorité des citoyens avaient eu réellement le choix du mode de chauffage de leur logement. Comme si ils avaient décidé de la politique urbaine et choisi d’aller vivre là où aucun transport collectif n’est assuré pour les conduire à leur travail. Comme si ils se satisfaisaient du cheminement insensé des produits qu’ils consomment. Nombre d’entre eux se battent pour que la politique énergétique de notre pays et de l’Europe ne soit pas ouverte à la course au profit mais demeure un service public dont les grandes orientations seraient soumises au débat public démocratique. À bien y regarder, la taxation du carbone reste donc un outil classique de l’économie de marché capitaliste.

On lira avec intérêt, dans l’article ci-après, les réflexions de Jacques Hamon sur les changements majeurs de nos modes de vie qu’imposera la raréfaction des énergies fossiles à bon marché. Entreprendre les adaptations dès maintenant, en y associant démocratiquement les citoyens, peut éviter le chaos.

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[1] Patrick Viveret, Reconsidérer la richesse, rapport à la demande du gouvernement, éd. de l’Aube, 2002. Préface de la nouvelle édition, l’Aube Poche Essais, 2008.

[*] Selon Bernard Lietaer, ancien directeur de la Banque centrale de Belgique, moins de 5% des échanges quotidiens sur les marchés financiers correspondent à des biens et services réels.

[2] Bernard Lietaer, conférence à Lille Mutation mondiale, crise et innovation monétaire, éd. l’Aube, 2008.

[3] Patrick Viveret passeur de sens, Terre sauvage, n°251, juillet 2009, pp.62-65.

[4] GIEC (en anglais : IPCC = Intergovernmental panel on climate change), http://www.ipcc.ch/languages/french.htm#1

[5] Quatrième rapport du Groupe de travail 1 (aspects scientifiques) du GIEC, 2007, p.1, Résumé à l’attention des décideurs : http://www.ipcc.ch/pdf/assessment-report/ar4 /syr/ar4_syr_fr.pdf

[6] Le plus noir des scénarios climatiques se profile, Laurence Caramel, Le Monde, 14/3/2009.

[7] La conférence de Copenhague s’annonce difficile, Anne Chaon, Les Echos, 10/7/2009.

[8] Copenhague en point de mire, L’environnement pour les Européens, magazine de la Direction générale de l’environnement de la Commission Européenne, n°33, 2009.

[9] Le G8 sous la pression des émergents au deuxième jour du sommet de l’Aquila, Françoise Michel, Les Echos, 9/7/2009.

[10] Solidarité alimentaire : pourquoi le G8 n’est pas à la hauteur, Bruno Odent, L’Humanité, 11/7/2009, p.6.

[11] Le rapport Stern sur le changement climatique Conclusions à retenir pour les pays européens, J-P Baquiast et Chr. Jacquemin, 31/10/2006, http://www.automatesintelligents.com/echanges/2006/nov/rapportstern.html

[12] La “Stern Review” : l’économie du changement climatique. Note de synthèse : http://www.essedive.com/partage/articles//net-impact/stern_shortsummary_french.pdf

[**] FAO = Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture.

[13] La déforestation se poursuit à un rythme alarmant, FAO Salle de Presse, Rome, 14 /11/2005 : http://www.fao.org/newsroom/fr/news/2005/1000127/index.html

[14] Le plan national d’affectation des quotas d’émission (PNAQ) de CO2 et différentes références citées : http://www.developpement-durable.gouv.fr/energie/developp/serre/textes/pnaq.htm

[15] F. Laby, Le système d’échange de quotas d’émissions de CO2 ne devrait pas ruiner la compétitivité en Europe, Actu-Environnement.com, 9/6/2006 : http://www.actu-environnement.com/ae/news/1759.php4

[***] elle sera finalement fixée à 17 euros au 1er janvier 2010

[16] Jean-Marc Jancovici, Sur et sous sol, combien d’énergies pour combien d’hommes ? Conférences de la Cité des Sciences et de l’Industrie, Les ressources de la Terre, 24/3/2009. Voir aussi le site fort documenté de l’auteur : http://www.manicore.com/

[17] Svante Arrhenius, Conférences sur quelques problèmes actuels de la chimie physique et cosmique faites à l’Université de Paris en avril et mai 1922 ; partie 4, Les sources mondiales d’énergie ; Paris, Gauthier-Villars, 1922, p.73 (Bibliothèque Nationale de France, Gallica, web). Lien vers une brève biographie d’Arrhenius : http://gyevrard.club.fr/index.htm

[18] Ecologie et progrès social : deux logiques concurrentes ? Table ronde avec Alain Lipietz (député Vert européen sortant), Alain Obadia (membre du Conseil économique et social, PCF), Laurence Rossignol (vice-présidente du conseil régional de Picardie, PS), L’Humanité des Débats, 20/6/2009.

[19] « Sarkozy doit tenir bon sur la taxe carbone, une mesure révolutionnaire », Cohn-Bendit, Les Echos.fr, 26/7/2009.

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Face à la dérive du climat terrestre :

Depuis avril 2002 [*], nos lecteurs ont la chance d’avoir été sensibilisés par un spécialiste du climat, ancien sous directeur de l’OMS, Jacques hamon, des menaces que l’industrialisation fait peser sur la planète (température de l’atmosphère, niveau de la mer). Faisant le point cette année, dans une conférence faite à Annemasse (texte et références sur notre site internet), il rappelait sur quelles bases scientifiques s’appuie le GIEC pour établir ses pévisions, avant de conclure ceci :

Quel monde demain ?

par J. HAMON
31 octobre 2009

Les derniers rapports du GIEC ont été présentés courant 2007. En bref ils prévoient, pour le présent siècle, une augmentation de la température terrestre moyenne comprise entre 2 et 5° C, et une montée du niveau de la mer de 30 à 40 cm, essentiellement du fait de la dilatation d’une eau de mer plus chaude.

À première vue, rien de bien inquiétant. Il faut toutefois noter que ces rapports sont basés sur une longue comparaison et discussion des conclusions de chaque équipe pour aboutir à un consensus, ce qui tend à gommer les positions extrêmes, et prend du temps. Les rapports 2007 sont ainsi basés sur les données validées de 2005. Par ailleurs l’équilibre thermique entre l’atmosphère et la mer demandant environ mille ans pour s’établir […], une montée de la mer par dilatation thermique de 30 à 40 cm au 21ème siècle se traduirait inéluctablement, in fine, par une montée de 3 à 4 mètres. La présentation de l’augmentation de la température terrestre moyenne ne doit pas faire oublier la distribution spatiale de cette augmentation : faible dans la zone équatoriale, au dessus de la moyenne dans la zone tempérée nord, très importante au niveau de l’arctique, et plus forte sur les terres que sur mer. Une augmentation moyenne de 2 à 5 degrés se traduirait ainsi par plus 3,5 à 7,5 degrés en France, et plus 5 à 10 degrés dans l’arctique.

Des données va !idées récentes incitent au pessimisme. La concentration atmosphérique des gaz à effet de serre augmente bien plus vite qu’escompté. L’albédo terrestre diminue vite du fait de la fonte de la banquise arctique et du raccourcissement des périodes enneigées. La stabilité des inlandsis groenlandais et antarctique est moindre qu’anticipé, non par fonte sur place, mais du fait d’une accélération inattendue de l’écoulement latéral vers la mer, libérant de gigantesques icebergs, qui fondent. La seule disparition d’un dixième de l’inlandsis groenlandais, ou d’un centième de celui de l’antarctique, ferait monter la mer de 70 cm. Pire encore, le permafrost arctique fond plus vite qu’anticipé, libérant du gaz carbonique et du méthane fossiles, et les talus arctiques sous-marins se réchauffent et libèrent du méthane, un cas de figure exclus de toutes les hypothèses de travail. Au cours du présent siècle il devient crédible d’escompter une montée du niveau de la mer de près de 2 mètres, et une augmentation de la température moyenne excédant 5 degrés.

La fin commerciale du pétrole étant proche, celle du gaz naturel devant suivre de peu, et les réserves de charbon commençant à diminuer, les émissions anthropiques de gaz à effet de serre devraient progressivement tendre vers zéro, rétablissant une composition de l’atmosphère proche de celle d’avant l’ère industrielle. C’est exact, mais cela prendra du temps, beaucoup de temps.

Cette réduction des émissions pourrait être accélérée en capturant, puis en séquestrant durablement, le gaz carbonique émis par les grands producteurs : centrales thermiques, cimenteries, usines sidérurgiques, etc ... La technologie de capture existe, mais elle est coûteuse. La séquestration peut se faire dans des aquifères salés profonds, dans des gisements gaziers ou pétroliers en fin d’exploitation, ou dans les profondeurs sous-marines.

Pour des raisons tant politiques que commerciales, les données sur les réserves exploitables de pétrole et de gaz naturel ne sont pas fiables [1], ce qui rend difficile la détermination de l’époque à partir de laquelle la production de ces énergies fossiles essentielles commencera inexorablement à diminuer. Ce qui est certain c’est que les découvertes de nouveaux gisements sont loin de compenser la présente production. D’un point de vue strictement technique, le pétrole sera disponible encore longtemps car on sait le fabriquer à partir du gaz naturel, ou du charbon. D’un autre côté, une partie de ces énergies fossiles carbonées restera sous terre à partir du moment où l’énergie requise par l’extraction dépassera celle que l’on pourrait obtenir du produit extrait.

Des négociations internationales ont été entreprises avec un succès modéré pour réduire les émissions anthropiques de gaz à effet de serre (accords de Kyoto). D’autres sont en cours pour préparer “l’après Kyoto”. Certains pensent que de telles négociations sont sans espoir du fait de l’égoïsme des parties concernées. L’inaction se traduirait par une montée de la mer engloutissant au cours du présent siècle de nombreuses grandes métropoles à travers le monde, et de riches zones agricoles ou touristiques littorales. Le danger vient plutôt de l’inertie de notre biosphère : lorsque le danger deviendra évident pour les décideurs politiques et leurs électeurs, il sera des décennies trop tard pour y remédier.

Une limitation volontaire concertée des énergies fossiles carbonées devrait permettre aux pays les moins développés de rattraper une parie de leur retard socio économique, ce qui ne sera possible qu’au prix de restrictions considérables dans les pays les plus industrialisés. Baser une croissance future sur une société de la connaissance “décarbonée” ne résiste pas à l’analyse car la dématérialisation industrielle consomme aussi beaucoup d’énergie.

D’importantes économies d’énergie sont réalisables à travers le monde sans trop affecter les niveaux de vie des populations concernées, mais un appel massif aux énergies renouvelables n’en sera pas moins indispensable… D’une façon ou d’une autre ces énergies ne sont qu’un sous-produit de l’énergie solaire reçue par la Terre. Des études récentes suggèrent que cette énergie devrait permettre à environ 2 milliards d’êtres humains de mener une existence modeste de façon durable et, à bien plus, de survivre en acceptant un niveau de vie très rudimentaire.

La biomasse et l’énergie hydraulique sont déjà largement exploitées, mais d’abondantes ressources restent disponibles. Les énergies éolienne et photovoltaïque, et le solaire thermique sont de plus en plus sollicités, avec une énorme marge de progrès disponible, mais leur production est aléatoire, alors que le stockage de l’énergie électrique sous une forme chimique ou mécanique est coûteux, avec d’importantes pertes en ligne. La thalasso-énergie et l’énergie géothermique peuvent être localement intéressantes, sans plus.

On a beaucoup parlé d’une civilisation de l’hydrogène mais, comme pour l’électricité, ce n’est qu’un vecteur d’énergie. Avant de pouvoir l’utiliser, il faut le produire, et le bilan production-utilisation est négatif, comme pour l’électricité. Le seul avantage relatif de l’hydrogène est que l’on sait le stocker, mais avec d’inévitables pertes par ce que ce gaz passe à travers presque toutes les enceintes.

Actuellement, notre niveau de vie découle de l’utilisation massive d’énergies fossiles carbonées dont la fourniture de base est quasi-gratuite, ce dont nous ne sommes pas conscients. Passer aux énergies renouvelables imposera de faire le bilan énergétique de toutes les options envisagées, et nous aurons bien des surprises. Faire le plein d’agrocarburant d’une berline familiale, ou nourrir un être humain pendant un an ? Utiliser un cheval de trait pour les travaux des champs, dont la nourriture exigera deux hectares de prairies et de cultures, ou nourrir 40 personnes pendant un an ? Ou disposer de deux bœufs de labour dont les flatulences émettront massivement du méthane (environ 1.000 litres par jour) ?…

Plus nous attendrons pour modifier nos modes de vie et plus la période de transition vers l’inévitable frugalité sera courte et tumultueuse. Nous allons, à mon avis, avoir à passer d’une société urbaine hyperindustrialisée à une société largement rurale et artisanale, tout en continuant heureusement à bénéficier de la majorité des récents acquis scientifiques.

Dans ce qui précède je n’ai pas évoqué le recours à l’énergie nucléaire mais, personnellement, je le crois inévitable pour économiser les énergies fossiles carbonées et sensiblement allonger la période de transition, permettant ainsi un ajustement démographique et social pacifique.

Les échelles de temps étant différentes, les sociétés humaines que nous connaissons feront face à des problèmes de survie, l’espèce humaine disparaîtra peut-être. De son côté, la Terre n’a rien à craindre ; en quelques millénaires elle reviendra à son équilibre ante-Homo sapiens, avec d’entrer dans son prochain cycle glaciaire.

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[*] Voir : GR 1020, GR 1024, GR 1036, GR 1042, GR 1064, GR 1070.

[1] *Voir GR 1036

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La mondialisation, telle que nous la vivons aujourd’hui, s’est faite sous l’impulsion du commerce. François Chatel plaide pour qu’une autre mondialisation, motivée par la conscience que nous sommes tous responsables de notre planète, se fasse sur la base du partage objectif de ses ressources.

La mondialisation, un atout pour l’économie distributive ?

par F. CHÂTEL
31 octobre 2009

La mondialisation est un fait. Les échanges commerciaux se multiplient au-delà des frontières. Les informations, les produits, les hommes… et surtout les capitaux circulent à travers le monde. Des organisations internationales comme l’OMC, le FMI, la Banque mondiale favorisent les investissements financiers, les profits et les marchés en tentant, à leur manière, de résoudre des problèmes économiques au niveau mondial. Il est regrettable que seul l’intérêt commercial impulse cette planétarisation des échanges, car les conséquences s’avèrent désastreuses pour une grande part de l’humanité, et pour l’environnement. Mais cette initiative permet pourtant d’initialiser un processus qui marque les esprits : l’existence d’une mondialisation, quelle qu’elle soit, a fait son chemin, elle est devenue une réalité et, de ce fait, elle pourrait permettre d’ouvrir la voie à une autre, fondée sur d’autres critères et ayant d’autres objectifs. Car il est grand temps de chercher des solutions globales aux problèmes actuels, mais dans l’harmonie, l’équité et la justice dont notre espèce manque tellement aujourd’hui.

L’environnement est malade des abus de l’industrialisation et nos sociétés produisent toujours plus de laissés-pour-compte, de situations précaires, voire catastrophiques. Pour maintenir son niveau de vie surréaliste, l’Occident surexploite 80 % de la population mondiale à son profit, en lui confisquant ses ressources, en lui imposant des réformes structurelles aberrantes et en accaparant sa force de travail. En conséquence, telles des épidémies dévastatrices, la misère et la famine se répandent et produisent des conflits ravageurs. Face à ces constatations, il faut se rendre à l’évidence. Comme le communisme avec son pouvoir étatique, le capitalisme est devenu caduc, il est inadapté aux nouvelles conditions imposées par le milieu et il est impropre à faire valoir des soucis humanistes, à corriger et empêcher des situations néo-colonialistes, esclavagistes et tout autre forme d’hégémonie abusive, voire criminelle.

Des priorités bien plus importantes et plus urgentes que l’enrichissement démentiel de quelques individus, dont l’ego est démesuré, appellent l’avènement d’un nouveau système économique qui permette de résoudre à la fois les graves problèmes environnementaux et ceux de l’humanité : maîtrise de la démographie, éradication de la malnutrition, de la misère, de la mortalité due à des maladies dont les remèdes existent, répartition équitable des ressources, etc…

L’idée maîtresse du capitalisme, fonder la réussite et le rang social sur le pouvoir obtenu et exercé sur l’Avoir, ne peut que réduire l’espace où s’expriment librement l’art, la créativité, l’affectif et la sensibilité. Elle ne réussit qu’à engendrer une course à la consommation, au productivisme responsable de graves pollutions.

Or ceci met en péril non seulement la santé physique, mais aussi la santé mentale, par ce que le développement fallacieux de l’individualisme a pour conséquence des déséquilibres relationnels et la perte de repères sociaux.

Face à la catastrophe écologique annoncée et à l’épuisement prévisible des réserves en énergies fossiles, certains s’accrochent désespérément à la bouée que représente pour eux la techno-science, dans l’espoir de prolonger leur statut de privilégiés en maintenant la suprématie gangrenée de l’Occident. Faudra-t-il couvrir la surface terrestre de panneaux solaires et d’éoliennes, affamer les peuples du Sud pour produire du bio-carburant destiné à nourrir toujours plus de moteurs, exploiter des populations entières pour s’assurer des produits de consommation à bas coûts ?

*

C’est une tout autre globalisation qui s’impose.

Il faut, de façon radicale et dans un délai très court, changer les institutions économiques mondiales.

Cette urgence vient du risque de voir les pouvoirs oligarchiques et les positions réactionnaires se renforcer au fur et à mesure que se manifesteront les effets du changement climatique, de la réduction des ressources en énergie et en eau potable, de la démographie, des pollutions, donc qu’augmente le risque de voir se révolter tous les laissés-pour-compte…

Le temps presse d’autant plus que la malléabilité des esprits pourrait permettre à une idéologie sectaire de servir de refuge à des populations fragiles et désorientées.

Les peuples du monde sont désemparés par la situation où les a plongés la mondialisation libérale, véritable retour à la féodalité et à la colonisation.

Mettre en place et mondialiser le distributisme serait, en sens inverse, créer les conditions favorables à un vrai progrès social et permettre en même temps de veiller aux problèmes environnementaux.

Cette autre mondialisation, en instaurant une économie globale basée sur la coopération et la solidarité, permettrait d’organiser une économie globale, de s’entendre pour rééquilibrer la répartition des richesses et de mieux diffuser les savoirs, afin que chaque société puisse tenir compte des ressources de la planète tout en choisissant le mode de vie qui lui convient.

Car il ne s’agirait plus d’uniformiser et d’amener tout le monde à suivre le même “modèle de développement” !

Au contraire, la diversité étant une des richesses de l’humanité, chaque peuple, chaque nation, chaque groupe social doit avoir toute liberté pour protéger son authenticité, sa culture, ses mœurs, et établir ses propres choix de politique intérieure.

Mais il faut maintenant concilier cette diversité, qui est à préserver ou à retrouver, avec un impératif commun, qui est devenu urgent : la sauvegarde de la planète.

Tout le monde doit prendre conscience qu’étant tous embarqués sur la même planète, unique et splendide, que nous exploitons pour pouvoir vivre, nous sommes tous responsables de sa sauvegarde. C’est cette responsabilité partagée qui impose une gestion globale des prélèvements exercés sur ses ressources, et qui entraîne la remise en question de la notion de propriété privée des sols et de leur exploitation.

Il faut donc que des accords internationaux sur la gestion des richesses de la nature puissent être objectivement établis. Or, aussi longtemps que des lobbies pourront exercer leurs pressions pour dévoyer l’économie au bénéfice de certains profiteurs, de tels accords ne pourront pas être trouvés.

Pour que s’établissent la coopération et la solidarité nécessaires à cette gestion honnête de la planète, il faut que le monde se débarrasse de toute pression financière.

Alors seulement, chaque nation pourra, dans le respect de tels accords, devenir gérante de ses ressources.

C’est donc en considérant l’humanité comme une grande famille, dont tous les membres ont des droits et des devoirs vis-à-vis de son bien commun, la Terre, dont tous ont besoin, qu’il faut maintenant concevoir une mondialisation distributive.

Aujourd’hui, la répartition des ressources se traduit par le recours au commerce, qui crée la rivalité entre tous, une compétition permanente engendrant de gros risques.

Alors qu’au sein d’une humanité unifiée, la valeur d’échange d’un bien ou d’un service n’a plus de sens. Il ne s’agit plus de commerce, mais de partage des richesses, produites ensemble avec le souci de tenir compte à la fois des besoins et des nuisances possibles.

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Témoignage

Planète en solde

par A.-G. AVILÉS
31 octobre 2009

On parlait ce matin, sur France Info, des ventes mitigées des soldes d’été en France…. Depuis que la crise financière a commencé à faire parler d’elle, toute information donnée sur l’économie insiste sur le faible pouvoir d’achat des Français. Mais moi j’étais plutôt dérangée sur un point dont personne ne parle en faisant référence aux soldes : les invendus. Il y a très peu de temps, j’avais fait le tour des magasins et vu la grande quantité de vêtements à vendre qui demeuraient sur les penderies. Et ce n’est pas la première fois que je remarque tant d’invendus pendant la période de soldes. Je ne crois pas tellement que cette histoire de crise et de pouvoir d’achat en soit la vraie responsable. Mais allons, ce n’est pas tellement ça qui me dérange ! Ce qui m’embête, moi, c’est le fait de voir qu’on a produit en excès et que cet excès invendu sera bientôt remplacé par une autre quantité d’articles, également en nombre excessif, mais différents : la nouvelle collection. À n’en pas douter, une fois de plus, beaucoup d’articles resteront invendus et pourtant, on n’arrêtera pas de produire de plus en plus : le système marchand considère salutaire la production massive et refuse une grossière réalité : la dévastation de la planète Terre par la recherche de matières premières, par la pollution pendant la production et, pour finir, par cette contamination due à l’excès de déchets… Par ce que, même si tous les articles produits et mis en vente venaient à être vendus, qui pourrait, et comment, stocker autant de choses ? Après avoir rempli placards, étagères, caves, coins et recoins, qui aurait encore besoin de retourner faire de nouveaux achats de toutes les nouveautés, qui seront finalement vendues en soldes en fin de saison ? La production massive m’inquiète autant que la consommation massive.

Alarmés, beaucoup de gens diront qu’arrêter la production signifie laisser sans travail un grand nombre de salariés. Certes, ils auront raison : ce système s’autodétruit constamment. Mais pourquoi sommes-nous toujours soumis à cette galère ? La destruction de sols fertiles, due à la monoculture, nous a conduits à comprendre que la logique de production en masse et en excès, est nuisible pour la nature, nuisible pour les gens qui vivent de la production de leurs terres par ce qu’elles deviennent infertiles, nuisible enfin pour le consommateur qui mange des aliments contaminés par les produits chimiques qui ont favorisé la destruction des sols. Quand j’ai compris qu’aller contre la nature en pro du système de consommation massive, du marché, de l’enrichissement de certains, est nuisible pour l’humanité, une idée m’est venue, peu à peu, puis a pris de plus en plus de force : celle d’une autre façon de cultiver la terre, d’une nouvelle façon de vivre du travail de la terre.

Alors j’ai pensé à toutes ces personnes qui perdraient leurs emplois si on arrêtait de fabriquer toutes ces voitures dont on n’a pas l’utilité, tous ces vêtements dont plus personne n’a besoin, tous ces articles inutiles qui finissent tôt au tard dans les poubelles. Et je me suis dit que ces gens étaient comme les terres soumises à la monoculture : dépendants, incapables de s’adapter aux changements et aux besoins nouveaux.

Pourquoi spécialiser les gens à un seul métier ? Pourquoi ne permet-on pas l’adaptation en permanence aux nouveaux besoins qui surgissent chaque jour ? Après tout, la vie change, la nature change, les gens changent, les intérêts changent. Si le système de production était le reflet de la nature humaine, il serait indéniablement changeant, il s’adapterait aux besoins humains, au lieu de les soumettre. Nous sommes pris par un système qui lutte contre la nature, qui ne travaille ni pour elle, ni avec elle.

Manon, ma fille de huit ans, me disait ce matin : « Les gens devraient faire comme font les profs de ski : ils ne peuvent pas travailler en donnant leurs cours toute l’année, par ce que l’hiver se termine. Le reste de l’année, ils font d’autres travaux. » La cohérence de ce commentaire m’a laissée fièrement stupéfaite ! Imaginez-vous un instant quelqu’un qui déciderait d’envahir la montagne de neige artificielle juste pour pouvoir conserver son travail de moniteur de ski tout au long de l’année ? En fait, la neige artificielle pour les hivers trop doux se fabrique, elle est coûteuse et mauvaise pour faire du ski … Heureusement que l’été est si bon et si chaud que personne – jusqu’à maintenant – n’a encore pu réaliser ce capricieux projet pour ceux qui sont dans l’incapacité d’exercer d’autres métiers.

Tout ce dont nous avons besoin pour sortir de la crise, c’est de nous adapter, de composer avec la nature au lieu de nous imposer à elle. Il est urgent d’inventer un nouveau système, il nous faut inventer un autre monde, d’autres modes de production, de fabrication et de consommation, qui soient cohérents avec notre nature humaine, qui nous aident à renouer nos liens avec notre planète Terre. Le système actuel est en crise ? Laissons-le mourir !

NDLR. Nous partageons la plupart des réflexions d’Ana-Grace, nous allons même plus loin, en ne voyant pas pourquoi il faudrait obliger les gens à toujours occuper un emploi s’il est possible de produire le nécessaire avec moins de travail au total. Alors, souhaitant également la fin de ce système, nous en proposons un autre, dans lequel le travail n’est pas la mesure du pouvoir d’achat …

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