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   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
 
 
 
 
 
AED La Grande Relève Articles > N° 996 — février 2000

 

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N° 996 — février 2000

Contre vents et marées   (Afficher article seul)

Le Veau d’or dévore l’État   (Afficher article seul)

Libéralisation ?   (Afficher article seul)

Exemple de la Côte d’Ivoire !

Merci, Monsieur Sarkozy !   (Afficher article seul)

La faillite d’un modèle   (Afficher article seul)

Nouvelle Zélande : Faillite d’un modèle et projet universel.

“An 2000 pour les Droits de l’Homme”   (Afficher article seul)

Plus 51,12 % !   (Afficher article seul)

Et après ?   (Afficher article seul)

Mon papa, il a dit…   (Afficher article seul)

La propriété intellectuelle   (Afficher article seul)

Confusion sur l’abondance   (Afficher article seul)

Signes d’une aurore…   (Afficher article seul)

Civilisation ou servilisation ?   (Afficher article seul)

Sur la spécificité de l’animal humain   (Afficher article seul)

Faire passer la vie avant la dette   (Afficher article seul)

Être et avoir   (Afficher article seul)

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Éditorial

Contre vents et marées

par J.-C. PICHOT
février 2000

Enfin, nous y sommes : le passage a eu lieu, et, comme d’habitude, nous constatons qu’une année. même nouvelle (mais elles l’ont toutes été jusqu’à maintenant !) et frappée d’un sceau jubilaire et millénariste ( ?), est faite de jours et de mois qui se suivent, et parfois se ressemblent… Pour la plupart, la vie continuera à peu près comme avant, avec ses joies et ses misères, partagée entre altruisme et égoïsme, entre espoir et désespoir. Les râleurs interpellent l’Etat : pourquoi n’a-t-il rien fait pour empêcher les catastrophes ou au moins les prévenir ? Des illuminés implorent le ciel : pourquoi nous as-tu abandonnés ? D’autres, funestes annonciateurs de catastrophes, reprochent peut-être même à l’enfer de les avoir privés de leurs prévisions apocalyptiques !

Heureusement, les optimistes pensent : nous sommes en hiver, mais les jours allongent et l’obscurité recule devant la lumière ! Et pourtant il est des moments où l’on aurait envie de conjuguer nouveau et différent ; non pas au sens de ces prophètes de tous poils, mais sur des bases simplement, humblement humaines…

Par trois fois, notre pays a récemment reçu d’énormes coups qui ont fait très mal et ne peuvent laisser insensibles ; tout d’abord ceux qui ont été directement touchés, et en faveur desquels des solidarités se sont déclarées spontanément, mais aussi tous les autres, à qui une Terre qui se fâche a rappelé que nous sommes bien peu de chose face aux éléments. Il est de tradition d’associer à certains nombres des peurs ou des vertus restées enfouies en nous-mêmes, qu’ils annoncent ou révèlent. La peur de l’an 1000 n’a pas existé, mais on en a beaucoup parlé… longtemps après. Aujourd’hui, entraînés par des esprits déréglés ou des commerçants avisés, quelques-uns de nos contemporains, probablement mal à l’aise dans leur peau, ont cru ou feint de croire que le passage au millésime 2000 serait un moment exceptionnel, pour certains chargé de malédictions, pour d’autres début d’un âge d’or (l’enivrement des fêtes ayant eu un goût de fin de monde dans un cas, de renaissance dans l’autre ?). Qu’en dira l’Histoire ? Je fais l’hypothèse qu’on aura vite oublié tous ces dérèglements mercantiles et ces annonces diaboliques qui, personnellement, ne m’ont fait ni chaud ni froid. Je souhaiterais par contre qu’elle en retienne qu’il s’est passé quelque chose qui peut encore ressembler à un sursaut.

Trois coups ont été frappés entre le 12 et le 28 décembre : un au foie, un autre à la tête, le dernier au ventre. Ces trois coups annoncent-ils une comédie ou une tragédie ? En tout cas, une nouvelle pièce peut commencer : à nous d’en définir le scénario et d’en tenir les rôles. Quelques “messages” récents devraient nous y aider :
1• en se fâchant, la nature s’est rappelée à notre bon souvenir ; nous sommes bien petits et bien vulnérables face à un univers que nous avons l’outrecuidance de considérer comme notre “chose” ;
2• sans contrôle soutenu, le néo-libéralisme irresponsable, mais coupable, continue à détériorer notre monde fragile ; mais
3• face à ces menaces, la solidarité et le sens du service public existent encore ; ils sont même très efficaces, et cela est réconfortant.

Le sujet de la pièce ? Un “nouveau monde”. Non pas un nouveau continent tenant d’une main une arme, de l’autre un billet de banque, mais un monde moins nourri de certitudes dominatrices et plus altruiste ; un monde dont ne serait pas pour autant exclue la compétition que certains voudraient voir abolir, mais qui serait au service de la connaissance et de l’entraide ; un monde non nécessairement égalitaire, mais au moins équitable. Un monde, aussi, qui assurerait une juste exploitation et une juste répartition des richesses existantes et de celles que nous créerons ensemble. Un monde qui privilégierait la qualité sur la quantité, sans exclure la diversité et le droit à la différence. Un monde dans lequel, à un moment où la séparation des états et des églises (anciens maîtres longtemps incontournables du monde) n’a pas fini de se mettre en place (mais bien lentement encore !), pourrait s’instaurer entre ces mêmes états et la “World Company”, nouveau maître voué à Mammon, une coopération plus juste en faveur de l’homme. Après les combats pour l’égalité des révolutionnaires français de 89, et, avant eux, celui des américains du nord pour la liberté, il est peut-être temps de penser à la fraternité. Il est reconnu que l’altruisme peut aider à consolider la part d’égoïsme dont nous avons tous besoin. Ne pas fournir à “1’autre” du poisson, mais l’aider à pêcher (et en veillant à ce que l’eau ne soit pas polluée !) Mettre en commun notre patrimoine ; consolider la solidarité en mutualisant les principaux risques majeurs qui font parfois tant de casse : l’éducation, la santé, l’urgence. Arrêter ce processus fou de “marchandisation” du monde qui avance à visage plus ou moins couvert ; ne pas oublier que, demain, Dame Nature (et non Miss Univers !) peut rajouter, aux malheurs construits par nos actes inconséquents ou criminels, quelques tremblements de terre ou impacts de météorites ravageurs. Contre vents et marées, tel pourrait s’appeler cette pièce. Pour le droit à la différence d’un navigateur solitaire lancé dans un tour du monde dans le sens opposé à celui des courants dominants aussi bien que pour le droit des peuples à sortir de la Pensée Unique ; pour un revenu décent pour tous et pour toute leur vie sans qu’on leur demande de prouver qu’ils y ont droit.

Contre vents déchaînés de la nature et marées noires de l’homme, faisons face ensemble.

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Le billet de Paul

Le Veau d’or dévore l’État

par P. VINCENT
février 2000

Priorité au camouflage. Pour résoudre le problème des banlieues, on redistribue les effectifs et on redistribue les aides sociales, mais on se garde d’augmenter le pouvoir d’achat par création monétaire. Au lieu de créer de la monnaie de consommation on préfère baisser les taux de crédit, quitte à “attraper” les braves gens. On cache les négociations pour l’AMI et, à l’occasion (OMC-Seattle, vache folle, etc.), on mobilise les médias et les intellectuels contre les états-Unis, ou contre l’Anglais, ou contre Bruxelles. Les hommes politiques assistent aux grand’messes sportives, ils se font voir dans les régions où les sinistrés sont réduits à tendre la main aux princes, mais l’état se désengage : les futurs scandales bancaires ne seront pas de leur faute, on trouvera un second couteau mafieux pour porter le chapeau. Un “Consortium de Réalisation des Actifs du Crédit Lyonnais” a été mis en place pour vendre ces “actifs” à bas prix aux petits copains (les dépouilles sont partagées entre chacals et vautours)… et les passifs seront épongés par les contribuables. De même pour les futurs scandales sanitaires : ils seront la faute de l’OMC ou de diverses structures à l’abri de toute sanction électorale et juridique. Quant aux retraites, ce seront les fonds de pensions.

L’État n’est plus qu’un décor, une toile sur laquelle des maîtres du pinceau barbouillent du blanc et/ou du rouge, selon les indications qu’ils reçoivent des prévisionnistes branchés sur les instituts de sondage. Si ceux-ci prévoient que le traité d’Amsterdam sera mal digéré, c’est que le gouvernement est trop blanc. Alors on dissout pour mettre du rouge, du vert, du rose ! Et la caravane passe ! Les rouges ont parfois le droit de s’abstenir, mais ils s’engagent à ne jamais rester contre : c’est la condition pour rentrer dans le NET qui s’abat comme un filet sur les bancs de poissons colorés que nous sommes, nous, les néo néo colonisés.

L’État est mort, vive les médias !

Peut-être que demain, lassé de ce jeu entre “blancs qui s’affichent rouges” et “rouges qui copient les blancs”, le peuple préférera l’original à la copie. D’autant plus que les blancs, conseillés par des psychosociologues super bien payés, s’affichent dé-mo-cra-tes : on n’a jamais vu tant de partis démocrates gagner des élections, alors qu’à “gauche” on en est encore au culte du chef, issu de tractations obscures à divers niveaux.

C’est pourtant aux héritiers de 1789 et 1870 que reviendrait la mission d’expliquer qu’à l’heure d’Internet, des fax, de la téléphonie sans fil, du DVD, etc. on peut informer les citoyens, systématiser le référendum…

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Avant l’ouverture des négociations du “Round du Millénaire”, la grande presse, les économistes, les hommes politiques n’ont cessé de vanter l’intérêt pour les pays en voie de développement de la libéralisation totale des échanges. Enfin, ces pays allaient pouvoir exporter leurs productions dans de bonnes conditions vers les pays industrialisés ! Nous savions qu’il n’en était rien, mais en voici une nouvelle preuve avec l’exemple de la Côte d’Ivoire

Libéralisation ?

février 2000

Les cours du cacao, principale production du pays, n’arrêtent pas de baisser. C’est le jeu du marché, dire-t-on mais, comme l’écrit le correspondanrt du Monde à Abidjan : « La crise de la filière continue, et elle est d’autant plus difficile à supporter dans les campagnes ivoiriennes que le pays a fait, cette année, l’expérience amère de la libéralisation et de la déréglementation ». En effet, selon les experts de Washington (ils sont décidément partout !), la libéralisation devait d’abord profiter aux paysans, qui allaient enfin pouvoir toucher une plus grosse part des bénéfices du cacao, au détriment de l’état, en négociant directement les prix avec les acheteurs en fonction des fluctuations du marché mondial. Cette dérégulation de la filière cacao a évidemment créé sur place une magnifique pagaille, le marché s’est effondré et a atteint son cours le plus bas depuis huit ans. Dépourvus de capacité de stockage, pris à la gorge par leurs créanciers, les producteurs ivoiriens, dont l’organisation en coopérative est encore embryonnaire, n’ont rien pu faire : actuellement le cacao leur est acheté la moitié de son prix de 1998 à la même époque. De nombreux exportateurs sont maintenant très endettés et beaucoup ont fait faillite. Seuls les plus gros et les grands groupes internationaux ou leurs associés ivoiriens tiennent le coup. Pour la première fois de leur histoire, les producteurs ont organisé une grève fin novembre en soulignant que « les bailleurs de fonds ont libéralisé pour leurs frères, les grandes sociétés internationales, alors que, pendant ce temps, faute d’argent, nos enfants ne vont pas à l’école ».

Comme une catastrophe ne vient jamais seule, on prévoit une excellente prochaine récolte, ce qui ne manque pas de faire baisser les cours encore plus.

Sur les injonctions de la Banque mondiale, une structure de droit privé, la “Nouvelle Caistab”, a succédé à la Caisse de stabilisation étatique. Celle-ci avait été mise en place par Félix Houphouët-Boigny et les résultats d’un audit par les institutions financières internationales avaient été accablants. Mais la nouvelle structure, quoique privée, a tout de suite montré son incapacité à aider les planteurs face à la chute du marché.

Etonnez vous, après cela, si les Ivoiriens se soulèvent et se jettent dans les bras du premier dictateur venu !

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Merci, Monsieur Sarkozy !

par J.-P. MON
février 2000

Autre refrain qui devient lassant, c’est celui des fonds de pension qu’il faudrait, prétend-on, développer en France pour éviter que nos entreprises ne tombent aux mains des investisseurs étrangers, qui en détiennent actuellement quelque 40%. Notons, au passage, que cela révèle la bonne santé de nos entreprises, malgré les 35 heures, les charges sociales insupportables, les impôts,… bref tout ce qui n’arrête pas de faire gémir les patrons français. Il est bien évident que si nos entreprises étaient si peu rentables que le disent le MEDEF et autres libéraux, les gestionnaires de fonds de pension étrangers n’achéteraient pas d’actions françaises car on peut penser qu’ils savent bien gérer leur portefeuilles.

Cet appétit pour les actions françaises a cependant une autre cause, dont on nous parle beaucoup moins, mais qui est tout aussi attractive que les performance économiques de nos entreprises. C’est l’exonération de tout impôt sur les dividendes français dont jouissent les fonds de pension non-résidents. Normalement les investisseurs étrangers acquittent une retenue à la source, de 15% en général. Mais lorsqu’il était ministre du budget, en 1993, Nicolas Sarkozy a décidé d’accorder aux fonds de pension étrangers le remboursement de l’avoir fiscal. Les investisseurs étrangers sont ainsi dispensés du paiement de tout impôt ! Comme les fonds de pension ne sont soumis à aucune imposition dans leur pays d’origine, tout le monde comprend l’intérêt qu’il y a à investir en France qui est le seul pays européen à faire bénéficier les non-résidents de ce remboursement. D’après le Conseil national des impôts, cette mesure coûtera 23,5 milliards de francs en huit ans au budget français. Les sociétés de capitaux françaises sont, elles, normalement taxées. Il n’est donc pas étonnant que les investisseurs français taxés comme ils le sont, conservent ou achètent des actions, vu le cours élevés qu’elles atteignent et vu le faible rendement, après impôts, que leur rapportent leurs dividendes. C’est ainsi que les non-résidents ont réalisé en 1998 un investissementnet en actions près de 12 fois supérieur à celui des résidents. Autrement dit, les résidents vendent et les non-résidents achètent. On peut craindre que ce mouvement ne s’accélère au cours des années qui viennent, laissant aux non-résidents la presque totalité de la capitalisation boursière française.

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Sortons de l’hexagone

Ayant été contactée sur Internet au printemps dernier, la GR-ED a reçu pendant deux jours de juillet, trois représentant(es) de l’association néo-zélandaise “Universal Income Trust” (= association pour un revenu universel inconditionnel ). Au cours de fructueuses discussions, nous leur avons suggéré quelques nouvelles pistes pour financer le revenu universel, notamment le recours à une monnaie de consommation. Ils viennent de nous adresser un résumé de leur tour du monde, nous le présentons en situant leur initiative dans le contexte socio-économique de la Nouvelle-Zélande :

La faillite d’un modèle

février 2000

Excédés par le coût social des réformes économiques ultra-libérales mises en place entre 1984 et 1990 par les Travaillistes et poursuivies par les trois gouvernements conservateurs qui se sont succédé de 1990 à 1999, les Néo-Zélandais ont changé d’avis et viennent de porter au pouvoir une coalition de centre-gauche.

Il faut dire que la manière radicale dont la Nouvelle-Zélande avait jusqu’ici appliqué les grands principes libéraux avait fait (et continue de faire) l’admiration de la plupart des institutions internationales. Devenu le pays le plus ouvert de l’OCDE, la Nouvelle-Zélande est l’exemple rêvé par les technocrates de l’OMC : 95% des biens importés, qu’ils soient ou non en concurrence directe avec les produits locaux, ne sont pas taxés et les tarifs douaniers continuent de baisser plus vite même que ne le réclame l’OMC ; les agriculteurs ne touchent presque plus rien de l’État… Ajoutez à cela que les impôts sur le revenu sont relativement faibles (33% sur les plus hauts revenus), que les charges patronales ne sont que de 10%, qu’il n’y a aucune cotisation sociale, que le marché de l’emploi est on ne peut plus souple depuis que les syndicats ont été presque totalement supprimés par la loi de 1991 et vous avez le paradis néo-libéral !

Mais, dans “ce paradis des entrepreneurs” et des investisseurs étrangers, 820.000 personnes (sur une population totale de 3,8 millions) ne vivent que d’allocations sociales et sont dans une situation de plus en plus précaire ; le fossé entre les riches et les pauvres ne cesse de se creuser ; le système de santé publique est en triste état (des épidémies de tuberculose, de méningite et d’autres “maladies du tiers-monde” y sévissent régulièrement) ; la “fuite des cerveaux” s’accélère (plus de 70.000 personnes ont quitté le pays dans les douze derniers mois, attirés par de meilleurs salaires et un tissu économique plus développé) et même de grandes entreprises commencent à transférer leur siège ailleurs. Bien entendu, les gouvernements successifs n’ont pas manqué de privatiser, cèdant pouvoirs et actifs publics au secteur privé, ce qui a naturellement contribué à l’appauvrissement de l’État et même au délabrement des armées. Bref, la Nouvelle-Zélande des années 90, c’est l’archétype de la société néo-libérale !

Que va donc faire maintenant le gouvernement du nouveau premier ministre, Mme Helen Clark, qui pense « qu’après des années de “laisser-faire, laisser-passer” la société néo-zélandaise est devenue cruelle et mesquine » ? « —Réorienter le pays vers un libéralisme plus social » puisque, paraît-il, personne, même pas les partisans du Labour, ne souhaite un retour interventionniste de l’État. Dans cette optique, le gouvernement va augmenter les dépenses sociales, en particulier dans le secteur de la santé et de l’éducation, et les financer en taxant davantage les 5% de revenus les plus élevés. On peut toutefois se demander si ce sera suffisant pour fournir aux laissés-pour-compte, de plus en plus isolés, les ressources nécessaires pour sortir de leur dépendance ou payer les services essentiels de bonne qualité.

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Le projet

“An 2000 pour les Droits de l’Homme”

février 2000

Dans un tel contexte économique, rien d’étonnant à ce que naissent et se développent des groupes de réflexion, des associations qui cherchent comment améliorer le sort des gens. Parmi elles, l’association pour un Revenu Universel Inconditionnel a imaginé le projet “An 2.000 pour les Droits de l’Homme”. Son but est de faire le point sur ce qui menace le devenir de notre planète (misère croissante, dégradation de l’environnement, violence,…) et de proposer des mesures pour y remédier dans le cadre de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme dont les clauses doivent prendre le pas sur les droits nationaux. L’accent est mis sur « la nécessité d’instaurer un système d’allocation universelle inconditionnel pour permettre à chacun d’accéder pleinement à ses droits économiques et, notamment, pour éradiquer le chômage sans avoir recours à des travaux précaires qui exploitent les gens. En corollaire, cela aurait pour effet d’établir enfin une véritable démocratie, d’élever le niveau de vie de l’ensemble des populations, de mettre fin au chômage et à la pauvreté, de réduire la violence et le crime, de donner aux gens la possibilité de vivre en harmonie avec leur environnement naturel. »

Dans leur tour du monde pour faire connaitre ce projet, Sarah, Joanna et Patrick ont rencontré l’an dernier de nombreuses personnalités du monde politique, économique et associatif, des hommes et des femmes de la rue auprès desquels ils ont recueilli une très grande quantité d’informations qu’ils sont en train de mettre en forme.

Mais d’ores et déjà, pour en donner un bref résumé, ils reprennent à leur compte une citation de Poly Modinos, ancien Sécrétaire général adjoint du Conseil de l’Europe : « Les droits civiques et politiques d’une part, les droits sociaux et économiques d’autre part, ne doivent pas être distingués, car il ne faut pas oublier que c’est leur antagonisme qui a donné naissance à des doctrines violemment opposées. Tous ces droits sont égaux et indivisibles. Il est impossible de choisir entre eux. Si un seul est aboli, les autres disparaissent du même coup. La démocratie ne peut pas être basée sur des demi-mesures ».

C’est parce que nous partageons depuis longtemps cette conviction que nous soutenons leur initiative.

(traduction d’Analise et Jean-Pierre)

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Un comble vient d’être atteint en France : la capitalisation boursière a excèdé le produit intérieur. Cela signifie, remarque André Prime, qu’une petite partie des dividendes (gagnés sans travail) des actionnaires français, a suffi à financer la croissance de consommation : ni les salariés, ni bien sûr les exclus, n’auraient pu la payer par leur travail !

Plus 51,12 % !

par A. PRIME
février 2000

C’est l’augmentation du CAC 40 en 1999. La Bourse française bat toutes les autres places boursières (Allemagne, “seulement” 39 % !). Cocorico ! Pourquoi la droite veut-elle chasser les socialistes du pouvoir ?

Nous avons donc eu une forte “création de valeur”. Je reviens sur ce sujet déjà abordé ici en octobre dernier, car il mérite d’être approfondi.

Je lisai récemment un article de Jacques Nikonoff, économiste non orthodoxe, dont nous avons déjà parlé [1] “L’argent fou crée de la fausse valeur [2]”. Tout d’abord, pour refléter la vérité, il faut préciser “création de valeur pour les actionnaires”. Pour Nikonoff, comme pour nous, cette création de valeur est une gigantesque supercherie… Lorsque l’action Michelin a grimpé à la Bourse, aucune valeur n’a été créée, aucun pneu supplémentaire n’a été produit, ni vendu. Mais la plus-value que les actionnaires avaient “gagnée en dormant” était, et du jour au lendemain, de 12 %. Seuls les naïfs peuvent penser que c’est le travailleur de chez Michelin qui crée de la richesse, de la vraie valeur, en fabriquant des pneus… Nikonoff poursuit : « Il est en réalité impossible d’exiger pour tous un rendement de 15 ou 20 % sur les actions, alors que l’économie réelle ne progresse que de 2 à 3 % dans un environnement sans inflation [3]… Ces rendements élevés ne peuvent être obtenus qu’au moyen de la destruction, ailleurs, de valeur, notamment par la pression accrue sur les salaires et l’emploi ». Nikonoff conclut : « Telle est la finalité du “corporate governance” [4] et de la création de valeur, dont l’objectif est de transférer les risques vers les salariés et l’ensemble de la société au moyen des licenciements. Alors qu’ils se trompent deux fois sur trois, les marchés doivent-ils devenir les arbitres ultimes des décisions d’entreprise ? ».

La remarque de Nikonoff qui oppose “destruction” à “création” de valeur mérite réflexion. Une chose est claire : cette dernière ne profite qu’aux actionnaires alors que la première atteint les travailleurs et, par ricochet, toute la société, générant ainsi la fameuse “fracture sociale”, qu’a habilement exploitée Chirac dans sa campagne électorale. Cette création de valeur purement monétaire creuse de plus en plus une société à deux vitesses : des riches toujours plus riches, des pauvres toujours plus pauvres et de plus en plus nombreux (12 millions en France, le cinquième de la population d’un pays qui a, depuis la crise, augmenté ses biens produits de plus de 70%). J-M. Colombani écrit dans le Monde du 1er janvier : « Jamais la France n’a été aussi riche ; jamais les inégalités n’ont été aussi criantes [5] ». La couverture maladie universelle, entrée en vigueur le premier janvier, concerne six millions de personnes vivant avec moins de 3.500 F/mois. Le gouvernement reconnaît ainsi la grande pauvreté de 6 millions de Français. Pas de quoi pavoiser ! Mais alors, pourquoi cette débauche de consommation dont on nous rebat les oreilles, notamment pendant la période des fêtes ? N’y a-t-il pas là contradiction avec l’augmentation de la pauvreté et de la précarité ? Pourquoi les pays avancés sont-ils “globalement” de plus en plus riches, pourquoi le pouvoir d’achat global est-il en augmentation appréciable ?

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35 % du capital des sociétés françaises cotées (et même 40 % pour les plus grosses sociétés) sont aux mains de fonds de pension étrangers, anglo-saxons essentiellement, contre seulement 6 % aux États-Unis, 9 % en Grande-Bretagne et 11 % au Japon [6] ; il faut croire que nos entreprises sont alléchantes. De ce fait, 35 à 40 % des dividendes, sans compter les plus-values, sont autant de pouvoir d’achat qui tombe dans les mains de retraités, anglo-saxons en tête.

Plus généralement, tous les dividendes, voire des plus values des fonds de pensions, placés en France ou ailleurs, et d’abord aux États-Unis, vont fournir un pouvoir d’achat supplémentaire important, créé ex nihilo, même si ces gains ne sont dépensés qu’en partie. D’où sans doute la bonne santé tant vantée de l’économie américaine. Avec d’autres, les États-Unis “pillent” en la rapatriant la “valeur” créée par leurs capitaux placés dans les Bourses du monde entier.

Les raisons de la bonne santé de l’économie des États-Unis sont en substance les mêmes dans les économies des pays avancés… Effective-ment, si une partie des gains boursiers est investie dans des achats de biens, la production s’en trouve stimulée. Nombreux sont les Français, de la classe dite moyenne, qui possèdent des actions (ils sont plus de 5 millions). Un exemple : celui qui a pu acheter quelques France-Télécom au départ a vu son capital quadruplé. 1.000 francs gagnés en travaillant ont “créé” à ce jour 3.000 francs de pouvoir d’achat sans aucun travail en contrepartie, en dormant… Cela explique que les affaires marchent [7] alors qu’une partie de plus en plus importante de la population verse dans la précarité, voire la misère et se trouve marginalisée, souvent à vie, passée carrément par pertes et profits, abandonnée à la charité publique et surtout privée, avec appels hypocrites des nantis à la solidarité.

Cette société duale ne cesse de s’approfondir. De nouveaux licenciements viendront “doper” la valeur des actions des entreprises qui n’hésitent pas à “dégraisser”. Quelles seront les performances boursières en l’an 2000 ? Le Monde du 4 janvier étalait sur toute une page ce titre “L’année 2000 s’annonce prometteuse pour les Bourses mondiales”et signalait, comme le faisait Arthus [8] qu’en plus des réductions de personnel, annoncées dans toutes les fusions, les sociétés utilisent de plus en plus le rachat de leurs propres actions pour les détruire, ce qui fait augmenter le rendement par action. Il faut à tout prix satisfaire la rapacité (15 à 20 % de rendement) des actionnaires. La technique est courante et déjà ancienne aux États-Unis. En 1999, le montant de ces opérations s’est établi autour de 300 milliards de dollars.

« Dans une situation où le rendement exigé du capital par les investisseurs est beaucoup plus élevé que le taux d’intérêt des prêts, les entreprises ont une incitation majeure à s’endetter pour racheter et annuler leurs actions » expliquent les économistes de la Caisse des Dépôts. Ils estiment que ce phénomène apparaîtra en Europe « ce qui devrait alimenter la progression de la Bourse ».

La Bourse française capitalisait 9.655 milliards de francs fin 1999 : une infime partie des dividendes et des plus-values convertie en dépenses équivaut donc à la quasi totalité de la croissance de la consommation.

En résumé, une immense bulle financière, 10 à 15 fois supérieure à la production réelle se crée. Une partie, difficile d’en déterminer le pourcentage, se transforme en pouvoir d’achat qui permet d’absorber l’augmentation de la production, que seraient bien incapables d’acheter les laissés-pour-compte ou simplement ceux qui ont du travail, mais qui sont soumis à la modération des salaires, surtout avec les 35 heures en France.

Les paroles de Jospin :« Le monde n’est pas qu’un marché, nos sociétés ont besoin de règles. L’économie doit être au service de l’homme et non l’inverse » lors de la présentation des vœux du gouvernement à Chirac, reflètent-elles la guéguerre que se livrent l’Élysée et Matignon, la démagogie, ou bien, souhaitons-le, un début de prise de conscience, Seattle aidant, de la situation réelle du monde ?

Beaucoup le disent, tel J-M. Colombani dans Le Monde du 1/1/2000 : « L’Europe doit se structurer et se donner les moyens d’inventer un système supérieur, sur le plan de la justice sociale, à ce qui existe. C’est un chantier immense auquel il manque une pensée politique », mais sans jamais formuler de propositions concrètes et crédibles.

Les distributistes sont porteurs d’un projet réaliste. Reste à le faire connaître. Voilà pourquoi je concluerai avec Jorge Semprun [9] : « Ce siècle aura été celui de l’échec de la révolution communiste, mais si les motifs d’illusion ont disparu, restent les motifs de lutte ».

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[1] Nikonoff est Président du mouvement « Un travail pour chacun ».

[2] Marianne 22-28 nov. 99

[3] Même réflexion d’Arthus, voir GR-ED 992, Oct 1999.

[4] Ce qu’on peut traduire par “gouvernement des entreprises”.

[5] Liliane Bettencourt (l’Oréal) s’est enrichie, “en dormant”, de 21,6 milliards en 1.999.

[6] Voir Fil des Jours dans ce numéro.

[7] “Le commerce français a fait bombance en 1999… La plus belle année de l’histoire de Renault et PSA”, gros titres du Monde du 8-1-2000.

[8] Voir GR-ED 992, octobre 1999.

[9] Sur la 5ème, le 9 janvier dans l’émission “le sens de l’Histoire”.

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Et après ?

février 2000

Des drames et catastrophes qui, entre autres événements, caractérisent le sort de l’humanité, certains journalistes se repaissent : ceux qui travaillent pour les moyens de “communication” où l’audience massive, nécessaire pour justifier la vente des espaces publicitaires, s’obtient par le sensationnalisme. Peut-être avez-vous, parmi vos proches, un téléspectateur, un auditeur de radio, voire un lecteur de journal. S’il vient, ne pouvant la garder pour lui, à vous faire partager, la mine ou le ton déconfits, une “terrible” nouvelle diffusée par la presse, posez-lui cette question toute simple :“Et après ?”, puis guettez sa réaction. Perplexité ? Indignation ? Colère ? Sans doute un peu de tout cela à la fois. Qu’il le reconnaisse ou non, vous lui aurez rendu le service de l’amener à s’interroger, dans son for intérieur, sur son pouvoir ou manque de pouvoir sur les choses, sur son intérêt ou manque d’intérêt pour la lointaine humanité. Cette estimation de sa puissance ou de son impuissance, de son altruisme ou de son égoïsme lui aura fait faire un pas sur le chemin de la conscience.

(Y.G., Le Publiphobe, 56 bis rue Escudier, 92100 Boulogne. Sur une idée de Robert Heymann)

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Réflexion et humour

Mon papa, il a dit…

par R. LIADÉFRITE
février 2000

Mon papa, il s’appelle Ernest. Mais tout le monde à la maison l’appelle “mon papa”. Même ma maman, elle l’appelle “mon papa”. Je l’aime bien mon papa. Il est gentil et si intelligent ! Faut le voir, chaque matin, partir au travail à Auchou avec son portable et sa calculette. Il est fier comme Bar tabac. Et il faut pas dire du mal de ses trois dieux : Martine, Lionel et le Racing club de Lens.

— Et moi, là dedans ? a dit ma maman.

— Toi, c’est pas pareil, a dit mon papa. Martine elle a dit, il y a longtemps déjà, que tout le monde il allait retrouver du travail et elle tient parole, dit mon papa. Et Lionel, il a dit qu’on allait bientôt voir la fin du chômage.

— C’est pas pareil ? dit ma maman.

— Non, c’est pas pareil, il a dit mon papa en colère : on peut retrouver du travail et avoir encore beaucoup de chômeurs autour de soi. Regarde l’fiston, il a dit mon papa (l’fiston, c’est comme ça qu’il m’appelle, mon papa), regarde l’fiston, eh bien dans quelques mois, ça y est, il va retrouver du travail.

Depuis qu’il a dit ça, mon papa, je baisse la tête et je rougis. C’est vrai, mon papa il fait tout pour moi, et j’ai jamais travaillé. Il faut vous dire que j’ai 28 ans et qu’à la maison, même si j’aide ma maman à faire la vaisselle et mon papa à donner à manger aux lapins, même si on m’aime bien, on voudrait bien que j’aille enfin prendre l’air. Ce matin encore, j’ai écouté le poste pour en savoir plus et j’ai noté en vitesse une phrase de Jeannot (c’est comme ça que mon papa, qui a été ouvrier agricole autrefois, appelle Jean Glavany)

— Il a dit, Jeannot, en parlant des producteurs bretons : « Il faut mettre en œuvre une conversion stratégique du modèle agricole breton ». J’avoue que j’ai pas compris. Et quand mon papa il est rentré, je lui ai montré la phrase.

— C’est bien simple, fiston, il a dit mon papa, Jeannot il veut dire qu’au lieu de faire du porc et de la volaille, il vaut mieux revenir aux choux-fleurs et aux artichauts.

— Tu te moques du monde, a crié ma maman. C’est pas toi, il y a une paire d’années, qui a été déverser avec tes copains des tonnes et des tonnes de choux-fleurs et d’artichauts devant la sous-préfecture ?

Sur le coup, mon papa il s’est assis sur sa chaise et il a plus rien dit. Mais je le connais, mon papa, il a toujours une idée derrière la tête.

— Mais voyons, qu’il a dit mon papa, si le marché français il est saturé, pourquoi pas vendre nos choux-fleurs et nos artichauts aux Anglais, on leur achète bien des vaches et des veaux ?

— Et pourquoi pas aux Australiens, en l’an 2000, pendant l’année olympique ? a dit ma maman en riant. Depuis qu’ils nous battent au rugby et au tennis, ils sont gentils avec nous !

Mon papa, il a vieilli de dix ans d’un seul coup : vous pensez, se faire ramasser comme ça par ma maman, lui qui est si fier de son portable et de sa calculette. Alors, il lui a pas fallu deux minutes, à mon papa, pour se ressaisir. Justement, il a pris sa belle calculette et il a appuyé partout sur les touches et, au bout d’un moment, il a eu un sourire en coin. Je le connais bien, mon papa, quand il sourit comme ça, c’est qu’il a une idée géniale.

— Ecoutez-moi, vous tous, il a dit mon papa, pendant que ma petite sœur elle arrêtait de sucer son pouce. En attendant que l’fiston il trouve du travail, j’ai une solution. Lionel a bien dit que bientôt le chômage ça serait fini. Et même Guy Aznar, le conseiller économique de mon patron d’Auchou, il vient de sortir un livre qui s’appelle La fin des années chômage, alors c’est vous dire. Imaginez que, dans un an, il n’y aura plus que 270.000 chômeurs, comme dans les années soixante ; si Martine leur donne, comme cette année, 2,7 milliards de francs à se partager, c’est 10.000 francs en plus que chaque chômeur recevra. C’est pas beau ça ?

— Mais non, elle a dit ma maman, puisque l’fiston, il aura retrouvé du travail !

Mon papa en laissa tomber sa calculette. Il prit son portable, appuya sur les touches et cria :

— Julien ! la moto d’occasion que j’ voulais t’acheter pour l’fiston, ce sera pour plus tard !

Puis il jeta son portable sur son bureau et donna un coup de pied dans sa calculette. Moi, je me faisais tout petit. Je sentais qu’entre l’ boulot que je trouverai pas et les 10.000 francs qui me passaient sous le nez, j’étais encore le dindon de la farce.

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Lectures

Les médias, Le Monde Diplomatique en particulier, ont beaucoup parlé de l’offensive libérale qui s’est manifestée au moment de la réunion de Seattle : les entreprises transnationales ont entrepris de mettre le monde à leur merci, d’imposer un modèle, ou plutôt une idéologie, dans le seul but d’attirer vers elles de plus en plus de richesses. Dès le coup de force organisé pour remplacer, début 1995, le GATT (General Agreement on Tariff and Trade) par l’Organisation Mondiale du Commerce, quelques informations perçaient, qui montraient que l’offensive portait sur tous les domaines, y compris ceux qui, jusque là, semblaient encore à l’abri de la “marchandisation” : la culture, la santé, la recherche fondamentale. Cette tendance s’est largement confirmée : on a vu, avec l’exemple du Terminator (voir GR-ED N°987) comment des recherches en génétique, commercialisées, sont utilisées pour capter le marché, contraindre les cultivateurs à acheter à ces sociétés les graines qu’ils produisaient eux-mêmes depuis des siècles. Il est aussi question de “breveter le vivant” : les entreprises qui opèrent des manipulations génétiques sur des organismes vivants (végétaux ou animaux) voudraient percevoir un droit sur toutes les générations qui en seraient issues… Un document officiel, publié par l’UNESCO, prouve l’étendue de cette offensive :

La propriété intellectuelle

par U.N.E.S.C.O.
février 2000

Pendant des millénaires, idées et écrits étaient considérés comme des biens communs : il n’y a de raison qu’universelle, donc commune à tous.

L’appropriation individuelle de la production intellectuelle est une invention récente de l’Occident, le développement des technologies de l’information et de la communication a développé, de façon fantastique, le chantier de cette production. Récemment, des accords internationaux liés à la mondialisation des marchés ont permis, à quelques experts, d’en concentrer le pouvoir sur quelques transnationales et sans débat public, ce qui a eu pour effet d’aggraver l’inégalité d’accès à l’information entre le Nord et le Sud.

C’est Beaumarchais qui introduisit la notion de droit d’auteur, tandis que le droit de reproduction fut en Angleterre le privilège royal accordé aux imprimeurs. La législation a établi ensuite un équilibre en protégeant les créateurs pour une durée déterminée (par exemple, 50 ans après la mort d’un auteur) de façon à ce qu’ensuite les richesses intellectuelles reviennent dans le domaine public. L’objectif était de garantir que les oeuvres de l’esprit puissent être accessibles à tous.

Cet équilibre est en danger depuis une dizaine d’années, au bénéfice de la propriété individuelle et au détriment du domaine public : sous la pression de groupes comme Walt Disney, le Congrès des États-Unis vient d’adopter une loi étendant la durée de la propriété des droits de reproduction, de 50 à 70 ans après le décès des auteurs, et de 75 à 95 ans pour les entreprises.

Une directive européenne de 1996 permet maintenant de revendiquer un droit de propriété sur des informations et sur des données brutes relevant du domaine public. Ce droit est accordé alors qu’il n’y a pas d’activité créatrice dans cette collection de données, mais simplement parce qu’elle a bénéficié d’un investissement financier ! Ceci constitue un énorme frein à la recherche scientifique pure, l’information pouvant ainsi être monopolisée par des sociétés privées à but lucratif. La seule réaction à cette directive fort peu débattue et peu connue, a été celle de chercheurs et de bibliothécaires quand ils ont découvert un projet de traité destiné à rendre payant l’accès à des informations, jusque là libre et gratuit.

En Europe, c’est au titre de propriété littéraire et artistique que les logiciels sont protégés, ce qui permet que les idées qui sont dedans restent dans le domaine public. Au contraire, les logiciels américains sont considérés comme propriétés industrielles, donc protégés par des brevets, ce qui « gèle » les idées qu’ils utilisent. Des pressions s’exercent sur les autorités européennes pour qu’elles s’alignent sur la législation américaine.

Pour conclure, citons Philippe Quéau, directeur de l’information et de l’informatique à l’UNESCO sous le titre : “Création artificielle de la rareté”

« Les nouvelles technologies pourraient favoriser un accès universel aux informations et un partage du savoir, mais le marché a besoin de rareté pour soutenir les prix. Le renforcement de la propriété intellectuelle crée artificiellement une forme de rareté. C’est un choix politique qu’il faut discuter, y compris au-delà des cercles juridiques : notre société doit-elle admettre de renforcer la propriété intellectuelle pour le seul profit de quelques multinationales ? Ces lois correspondent-elles aux besoins des pays les plus pauvres ?

Bien entendu, il faut offrir une protection à l’auteur et à l’éditeur, mais le citoyen aussi a besoin d’être protégé. Si nous laissons s’imposer des droits de propriété intellectuelle sur des données brutes ou des œuvres classiques qui auraient dû tomber dans le domaine public, si nous laissons être “brevetés” les idées fondamentales des logiciels ou les organismes vivants, nous affaiblissons notre patrimoine intellectuel commun. Et nous en sortirons tous appauvris. La propriété intellectuelle est une affaire beaucoup trop sérieuse pour être confiée aux seuls juristes. »

(Sources UNESCO n° 117, nov 1999).

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Lectures

Dans un livre publié en 1945, et qui devrait être réédité tant il est d’actualité, Jacques Duboin a fait le point sur l’usage du mot “abondance” qui lui valut d’être appelé le théoricien, ou, parfois, l’apôtre de l’abondance. Il a choisi ce mot pour expliquer que le monde vient d’entrer dans une ère nouvelle : autrefois, des famines étaient toujours à craindre, le problème économique principal était donc de produire. Au cours du XXème siècle, les problèmes posés par cette nécessité de produire suffisamment ont été surmontés : on sait aujourd’hui produire à volonté. Le problème majeur a changé, il est maintenant que la production est mal répartie.

Ce qu’il résumait en disant qu’à l’ère de la rareté, dominée par le problème de la production, a succédé l’ère de l’abondance où c’est la distribution de la production qui est posé à notre société.

Il s’est attaché alors à trouver comment les progrès techniques, qui avaient résolu les problèmes de production, devaient être tranformés en progrès social, car cette transformation ne va pas de soi. C’est ainsi qu’il a été amené à élaborer son projet d’économie distributive, en partant du principe que les richesse produites aujourd’hui doivent être équitablement réparties entre tous, le premier des droits de l’homme étant d’avoir de quoi vivre décemment.

Jean Auribault se souvient d’une émission de France-Culture, le 6 juillet 1996, qui prouve que la confusion sur l’abondance n’avait toujours pas cessé :

Confusion sur l’abondance

par J. AURIBAULT
février 2000

Dans ce dialogue entre Alain Finkielkraut, Octavio Paz et Cornelius Castoriadis, était évoqué l’abondance. On s’aperçoit, à l’écoute de ce débat, que même des intellectuels engagés ont des difficultés se libérer de l’intoxication des idées néo-libérales. Le sens des mots, manipulés outrageusement par les politiques, les économistes et les médias, crée la confusion des notions qu’ils expriment. Ainsi :

O.Paz : — Il est clair que l’économie des pays totalitaires a été une économie de pénurie et que l’économie du capitalisme est une économie de l’abondance.

Fort heureusement, Castoriadis rectifie :

—De relative abondance .

et O.Paz poursuit :

— C’est pour moi l’un des grands mystères historiques contemporains : comment l’abondance, en produisant la conformité, a châtré les individus, transformé les personnes en masses, et en masses satisfaites, sans volonté et sans direction ? »

A cette question, Jacques Duboin a répondu :

— Nos licenciés, docteurs et même agrégés, peuvent oublier sans inconvénient majeur ce qui fait partie intégrante de l’économie de la rareté, qui correspond en fait, à l’âge de l’artisanat ; mais ils doivent se préoccuper de problèmes qui se posaient à peine quand leurs professeurs ont commencé leurs études. Si l’abondance apporte dans la science économique une transformation peut-être encore plus révolutionnaire que la vapeur dans la navigation, il est nécessaire de conserver un bon nombre de notions classiques pour éviter de choir dans la triste confusion des réformateurs d’occasion ».

Car

— Quand l’abondance survient, toute valeur disparaît.

Castoriadis donne alors son explication :

— Je ne crois pas qu’il faille incriminer l’abondance comme telle. Je crois qu’il faut incriminer la mentalité qui fait de l’économie le centre de tout […] Il y a une crise qui vient de quoi ? D’un côté, de la chute des idéologies révolutionnaires ; d’un autre côté, de la crise très profonde de l’idéologie du progrès. Au 19è siècle, pour les gens, les grands libéraux ou les progressistes, le progrès, ce n’était pas seulement une question d’accumulation des richesses : John Stuart Mill pensait que le progrès allait donner aux gens la liberté, la démocratie, le bonheur, une meilleur moralité. Or, aujourd’hui, personne, pas même les thuriféraires du système actuel, n’ose dire qu’il n’y a qu’à laisser le progrès faire son travail et qu’on sera tous heureux ou tous meilleurs ; ce n’est pas vrai, tout le monde sait qu’on aura peut-être une télévision meilleure et puis c’est tout. »

En écho de cette opinion, on ne peut que rappeler la formule lapidaire de Jacques Duboin :

— L’économie libérale, c’est l’économie égoïste. Qui l’enseigne doit fort habilement esquiver la question sociale, sinon la nier délibérément.

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Témoignages

Signes d’une aurore…

par M. TOUILEB
février 2000

Je viens de terminer la lecture de l’article “le labyrinthe du millenium” de Jean Auribault dans le dernier numéro et je le remercie pour sa synthèse éloquente des événements et courants tumultueux : ils agitent la planète et nous avons, en effet, à traverser un labyrinthe pour trouver des issues. Mais, aurions-nous perdu définitivement le fil d’Ariane ? Les deux faces de Janus, ou les deux forces qui semblent vouloir s’opposer, ne sont-elles pas d’abord, celles que chacun ressent en lui ? Notre représentation du monde extérieur est le reflet du monde intérieur. Le précédent influe, lui aussi, sur notre vie intérieure et oriente nos pensées et nos comportements.

Le “passage” conscient vers l’ère distributive sera effectué lorsque chacune des cinq milliards cinq cent millions de personnes peuplant la Terre aura ressenti, puis compris que l’intérêt particulier (face égoïste de Janus) et l’intérêt général (sa face altruiste) ne forment qu’un seul et même intérêt. Ceux-ci ne se confondent pourtant pas ! lls demeurent différents, l’un et l’autre, voire divergents ou opposés ! Lorsqu’ils acceptent de se laisser féconder l’un et l’autre par l’idéal qui les anime, en acceptant d’abandonner le fruit de leur union à un intérêt “supérieur” qui les a unis et qui transcende leur opposition apparente, alors peut naître, se développer, se construire, un autre intérêt de nature “communautaire”. Les justes décisions prises par des assemblées véritablement démocratiques en sont un exemple. Lorsque l’intérêt particulier domine et ne veut pas se soumettre à la loi qui transcende les deux intérêts, il y a évidemment conflit. Cette loi est garante de l’intérêt supérieur de la sauvegarde de la planète et de l’humanité à la recherche de son unité (porte de sortie du labyrinthe !). Le slogan “le monde n’est pas une marchandise” porte à lui seul tout l’idéal et l’espoir de l’humanité et des règnes minéral, végétal et animal qui lui ont été confiés. Avec la lucidité du poète et la rigueur du journaliste, John Berger dans une analyse picturale du triptyque du Millenium de Jérôme Bosch, écrit « le nouvel ordre clame qu’il rationalise et modernise la production et l’effort humain. En réalité, c’est un retour à la barbarie des débuts de la révolution industrielle... dès lors les émigrants, les sans-terre, les sans-abri sont traités comme les déchets du système : à éliminer [1] ».

Ne serait-ce pas les événements écologiques graves traversés (inondations, tremblements de terre, marée noire, alimentation), belliqueux ou sociaux (chômage, misère,…) et dont les effets se cumulent, qui viennent annoncer et accélérer les prises de conscience dans le vécu personnel de chacun et les transformations à l’œuvre, perceptibles dans la grande fracture sociale et l’implosion dont nous ressentons les effets ? Que ceux, encore sceptiques sur les chances de voir apparaître l’économie distributive dans nos institutions, au prétexte que, sans l’attraction de argent, les hommes et les femmes s’assoupiront, m’expliquent alors les motivations des bénévoles qui viennent gratuitement nettoyer nos plages souillées par des irresponsables ? Et, puis des bénévoles, il y en a dans d’autres occasions, toute l’année et pour de multiples bonnes causes. Mais la charité publique ne peut pas constituer durablement un projet de société.

Continuons d’informer là où cela est possible : il y a souvent des opportunités inattendues ! Ici à Fécamp, je remets chaque mois la GR-ED à la Bibliothèque Municipale. Nous avons aidé à la création du SEL de Caux. L’Association déposera ses statuts courant 2000. Petit chantier de notre millénaire local bien utile pour créer des liens solidaires, les enraciner, inventer notre monnaie locale : préfigurer ainsi l’économie distributive en quelque sorte ! ...

Ainsi avons-nous eu l’opportunité d’accueillir une classe de Première (économique et sociale) d’un lycée privé de Tours pour expliquer à une trentaine de lycéens issus de classes sociales aisées ce qu’est un Système d’échanges local. Au cours de leur voyage d’études en Haute-Normandie, ils ont visité des entreprises et le port du Havre. Le lendemain de notre “conférence”, ils rencontraient le directeur de la Caisse d’épargne de Fécamp... Je n’ai pas présenté l’économie distributive car ce n’était pas le but de notre rencontre, mais pourtant nous démontrions par le SEL que nous avions retrouvé… le fil d’Ariane de la monnaie : l’argent, témoin de la circulation des échanges, signe de prospérité ? Oui. Mais richesse = accumulation d’argent ? Non, ce n’est pas sa fonction. L’électricité est faite pour circuler et non pour être indéfiniment stockée, sinon c’est l’explosion dans l’excès ! Rencontre très “enrichissante” car nous apportions là des propositions à des jeunes, probablement la future élite de notre société !

Il faut continuer à informer avec persévérance malgré l’inconfort et en dépit du découragement ! Il y a souvent des rejaillissements dont nous ne voyons pas les effets, ni sur qui ils agissent. Nous vivons, certes, un cauchemar. Les éveils sont personnels, puis collectifs. Mais la sortie définitive du labyrinthe est pour tous. Car chacun y apporte sa pierre : celle qui détruit et celle qui construit ! Nous disposons des deux pierres, comme les deux faces du visage de Janus.

Il y a des raisons d’espérer : nos utopies ne se concrétisent-elles pas déjà ? 380 SEL pour la seule France, soit près de 35.000 personnes ; multiplication des réseaux de luttes et de contre-pouvoirs, comme un immense filet (toile) pour éviter la catastrophe et faire émerger le monde à venir, dont les ferments sont déjà dans le monde présent.

En espérant voir apparaître de mieux en mieux les signes de l’Aurore, belle et bonne année à tous et à toutes !

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[1] Contre la grande défaite du monde, John Berger, Le Monde, 6 janvier 2000.

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Témoignages

De retour de Seattle, Daniel Benaim, qui n’est pas un très ancien abonné, nous adresse ce que cette expérience lui inspiré. Il ne pose pas la question des modalités nécessaires pour financer un revenu garanti, universel et inconditionnel, mais il en ressent l’urgence.

Civilisation ou servilisation ?

par D. BENAÏM
février 2000

Au coeur des manifestations de Seattle, pendant près d’une semaine, du matin jusque tard dans la nuit, l’humanité s’est exprimée. Si les revendications étaient multiples et diverses, l’objectif lui, était bel et bien commun à tous, à savoir : discréditer l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), telle qu’elle fonctionne actuellement. C’est chose faite.

Reste à définir maintenant quel type d’organisation nous voulons. Reste à définir le dénominateur commun à toutes ces voix qui se sont exprimées. Et là, l’affaire n’est peut-être pas si compliquée qu’elle n’y paraît.

Avant le commerce, ou ce que l’on appelle l’économie, il y a l’humain. Dans l’économie il y a l’humain et l’on ne peut plus continuer à séparer l’économique du social. Le mot économie signifie : les lois qui permettent de gérer la maison, le lieu où l’on vit. Et notre maison, c’est la terre.

Seattle, le chef de tribu indienne qui, il y a 150 ans, fut contraint de vendre les terres qu’ils occupaient aux américains, écrivit : « La terre n’appartient pas à l’homme, l’homme appartient à la terre. » Dans l’économie, il y a donc l’humain et la terre sur laquelle il vit.

Seattle disait aussi : « Et quand il ne restera plus rien, vous mangerez votre argent. » Aujourd’hui aux états-Unis d’Amérique, il y a un dicton qui dit : « Money talks, bullshit walks » (ce qu’on peut traduire par : « l’argent parle, les conneries marchent »). Je trouve que cela résume assez bien l’état de notre monde.

Alors ce qui m’est apparu comme étant le dénominateur commun à toutes ces voix qui se sont exprimées à Seattle et ailleurs, c’est la volonté fortement affirmée de faire passer la vie avant le profit. La conviction qu’avant de définir une Organisation Mondiale du Commerce, nous devons exiger une Organisation Mondiale de la Civilisation.

Je sais bien que le terme de civilisation est quelque peu galvaudé, car c’est en son nom qu’ont été commis nombre de massacres. Il n’en reste pas moins un terme porteur d’un choix de développement bien plus humain que celui que nous subissons. Ce qui devait se négocier à Seattle et qu’ils tenteront de négocier ailleurs, ce ne sont pas les lois d’une civilisation mais bien les règles d’une servilisation.

En effet, depuis des années, on nous rabâche que les métiers de service sont un gisement d’emplois, voire le gisement d’emplois qui nous permettra de redonner du travail à tous.

Métiers de service ou servitude ?

Il y a quelque temps de cela, Le Parisien publiait un article sous la rubrique Vivre mieux qui vantait un “nouveau” service proposé par quelques grands magasins parisiens : le cirage de chaussures. Dans l’un d’entre eux, ce service est même gratuit, le but étant d’attirer les hommes en ces lieux majoritairement prisés par les femmes. L’exemple est, à mon sens, plus que parlant.

Pour arrêter ces dérives, il me semble urgent de donner un contenu à l’Organisation Mondiale de la Civilisation. L’alimentation, l’hébergement, la santé et l’éducation sont des droits, pas des marchandises.

Pour modifier les rapports de force entre ceux qui peuvent décider et ceux qui ne peuvent que subir, il y eut cette bien belle idée suggérée après 1968 dans le film “L’an 01” et plus récemment dans “La belle verte ”, à savoir, que tout le monde arrête de consommer pour forcer dirigeants et décideurs à prendre leurs responsabilités. Mais je vois mal comment nous pourrions y survivre…

En revanche, l’idée de garantir un revenu à tous, sans condition, si ce n’est celle d’exister, est peut-être la proposition la plus cohérente que je connaisse. Le débat sur la forme de ce revenu reste ouvert mais sur le fond, on ne peut plus affirmer aujourd’hui que se nourrir, se loger, se soigner et s’éduquer ne sont pas des droits.

Je ne suis pas fondamentalemment contre le libre échange mais il n’y aura de libre échange que le jour où chacun aura la liberté de choisir ce qu’il veut échanger.

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Opinions

Après les deux témoignages que nous venons de présenter, et qui sont des réflexions issues d’expériences personnelles, le premier en France et le second au milieu des manifestants de Seattle, voici deux textes qui nous ont également été envoyés par des lecteurs, dont il apparait que le premier est un marxiste et le second un catholique. La convergence de ces quatre réflexions, indépendantes, contre la “pensée unique” libérale est frappante, elle suscite réflexion.

Sur la spécificité de l’animal humain

par R. GIRARD
février 2000

Si tous les hommes parvenaient à être d’accord sur ce qui caractérise en propre l’animal humain et constitue sa spécificité, la voie vers une société plurielle, mais solidaire et fraternelle, serait largement et irréversiblement ouverte.

C’est cette considération qui me détermine à entreprendre d’écrire cet article de clarification, sans me faire la moindre illusion sur l’acceptation largement consensuelle de cette clarification prenant appui pourtant sur la vérité scientifique la plus authentique.

L’Homme fait partie du règne animal, embranchement des vertébrés, ordre des Primates, classe des mammifères. Il est apparu en Afrique Noire, descendant d’une variété de gros singes, proche des chimpanzés, il y a environ 3 millions d’années.

Mais c’est un animal qui a des caractéristiques qui le différencient de tous les autres animaux sans exception.

L’Homme est le seul animal à allumer du feu, à faire cuire ses aliments, à porter des vêtements de sa confection, à enterrer ses morts ou à les faire brûler et réduire en cendres, à invoquer des Dieux ou des Diables, à produire lui-même ses moyens matériels et spirituels d’existence, avec des outils de sa fabrication de plus en plus historiquement perfectionnés depuis son émergence sur la planète.

Tels sont les incontestables vrais critères caractérisant l’hominisation puis l’Humanisation. De tous les critères énumérés, le plus fondamental, le plus vital, celui qui permet à l’homme son exceptionnelle activité créatrice, indépendante, transformatrice de la nature, c’est la faculté de produire lui-même tous ses moyens matériels et spirituels d’existence.

Tous les autres animaux sans aucune exception, où qu’ils vivent, se contentent de prélever dans la nature le ou les produits indispensables à leur existence.

L’Homme a toujours vécu en société, d’abord, avant l’apparition de classes et de la propriété privée, dans une société appelée communisme primitif.

La particularité des sociétés humaines à notre époque, du fait du développement industriel et post-industriel, est que les moyens de production collectifs, grâce auxquels elles peuvent survivre, ne sont plus la propriété de toute la communauté humaine, mais la propriété privée d’une classe minoritaire parasitaire et exploiteuse.

La propriété privée capitaliste des moyens collectifs de production et son corollaire, le salariat, font que les richesses sociales produites n’appartiennent pas aux salariés qui les produisent, ni à l’ensemble de la société. Elles sont la propriété privée des propriétaires capitalistes privés des moyens collectifs de production.

C’est bien “l’intelligence collective”, “l’Intel-ligence de l’Homme socialisé” qui produit à notre époque les moyens matériels et spirituels d’existence, en quantité suffisante pour faire vivre dans l’aisance et le bonheur, toute la société humaine. Mais un trop grand nombre d’êtres humains, même parmi les producteurs des marchandises, ne peuvent en profiter et leur lot est la misère.

… En résumé, la seule société animale de la planète Terre qui ait une sphère de la production et de la commercialisation des marchandises, est la société humaine. Mais l’Humanisme, au sens moderne de l’expression, est absent de cette sphère. Ce qui y règne, c’est le vol, le mensonge, l’imposture, une injustice démesurée et impitoyable.

Il en découle la nécessité urgente et impérative d’un changement qualitatif radical de la société humaine, faisant émerger, à l’échelle planétaire, par la force - cette force dont Marx a écrit « qu’elle était l’accoucheuse de toute vieille société en travail » - en deux temps, une société post-capitaliste, post-salariale, non-antagonique, non marchande, de la société plurielle et fraternelle des individus coopérateurs associés, émancipée à jamais de la domination de l’Argent devenu Capital et de l’exploitation de l’homme par l’homme.

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Opinions

Faire passer la vie avant la dette

par D. W.
février 2000

Le 13 juin dernier à Cologne, à la veille du Sommet du G7, un colloque a réuni des évêques et des théologiens de plusieurs pays. Ceux-ci ont signé une déclaration commune dont voici des extraits :

« Aujourd’hui, il nous faut rendre la liberté à ceux qui sont asservis, enchaînés par la dette. C’est une première étape essentielle pour rétablir des relations justes au sein de la vaste communauté humaine et pour éradiquer la pauvreté dans notre temps.

Le problème de la dette n’est pas seulement d’ordre économique, c’est au fond un problème d’éthique. Il affecte radicalement les hommes, le bien-être des familles, la survie des pauvres, les liens entre les hommes, et il rend l’avenir incertain. L’aide qui est aujourd’hui nécessaire n’est pas une affaire de charité mais de justice. En appelant à libérer les pauvres du fardeau de la dette, nous sommes conscients que la responsabilité du problème de la dette est partagée entre les créditeurs et débiteurs.

La doctrine sociale de l’Église propose un ensemble de principes pour guider la conduite des individus et édifier des sociétés plus justes. Ils affirment entre autres :
- la dignité intrinsèque de tout être humain,
- l’obligation pour chacun d’œuvrer pour le bien commun,
- la responsabilité de la communauté envers ses membres les plus faibles et les plus vulnérables,
- l’activité économique au service du bien de tous les hommes.

Et voici des extraits de l’intervention de l’évêque de Poitiers à ce même colloque :

« Le 6 août 1974, un quotidien français (Le Monde) titrait « Le Tiers-Monde croule sous le fardeau d’un endettement écrasant ». Depuis, 25 années sont passées. Le poids de la dette pèse toujours. Il a entraîné la mort de combien de personnes ? Combien d’écoles, d’hôpitaux, combien d’infrastructures nécessaires, périclitent ou gisent encore dans des projets avortés ? En même temps, il ne paraît pas qu’aient manqué les armements…

La justice affirme l’obligation de rembourser une dette, sinon l’emprunt devient un vol, une appropriation indue. Ainsi raisonne la sagesse des nations et, somme toute, elle cherche, ce faisant, à garantir ordre et honnêteté dans les relations humaines. Prêter et rembourser supposent un climat de confiance.

Soit. Mais quand la Bible demande, aux années de jubilé, d’effacer les dettes, elle reconnaît ainsi que l’obligation de remboursement, bien que fondée en justice, ne constitue pas un absolu. Même en supposant que les prêts soient légitimes et les taux acceptables, la relation de créancier à débiteur est soumise à une obligation plus forte et plus radicale encore. Une justice supérieure commande même aux règles des emprunts et des remboursements. En effet, trois mots du Livre du Lévitique s’imposent à la réflexion. Le premier critique le profit : « Tu ne donneras pas d’argent pour en tirer profit ». Le second insiste sur la “gêne” où tombe celui qui réclame de l’aide. Le troisième, qui commande toute réflexion, parle de “ton frère”. L’intuition fondamentale que révèle ce texte se manifeste clairement : quand l’argent va à l’argent, il empêche l’homme d’aller vers l’homme. Symbole généralisé des échanges, l’argent prend la place des relations symboliques de l’humanité. L’emprunteur devient un obligé. à sa liberté s’impose une dette plus forte que ses désirs de libération. Les contacts en d’autres domaines sont empoisonnés par cet asservissement. L’homme est tout, sauf un frère. Ici la Bible dit « non ».

Dans la devise de la République française, des trois vertus qui ont également inspiré la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, la Liberté et l’Égalité peuvent être exprimées en normes légales, non point la Fraternité qui, cependant, fonde la liberté en établissant des relations réciproques, et l’égalité par des garanties juridiques. Contre elle, des principes économiques ne prévalent pas. Telle est la justice première devant laquelle les autres restent relatives.

Le modèle d’un ogre

En interdisant de “tirer profit” de son frère, la Bible met en garde également contre la dérive qui conduit un homme à se soumettre à l’appétit du gain. On ne tire pas profit de l’homme comme on exploite un filon dans la terre. Quand les exigences de lois économiques établies par des hommes prennent trop d’ampleur, elles écrasent ceux sur qui elles tombent.

La soumission à l’argent blesse le prêteur et l’emprunteur. Ce n’est pas tant l’argent qui est ici en cause que la relation entretenue avec lui. C’est une illusion de penser que la monnaie serait une réalité totalement objective, purement instrumentale.… Le modèle économique de croissance qui a créé la dette, dans des circonstances historiques, demeure aujourd’hui incapable de desserrer son étreinte. Car un développement réduit aux seules lois du marché laisse en dehors de ses objectifs, donc de ses méthodes, ce que n’embrassent pas ces règles. L’économique, à lui seul, hors d’une conception plus large de l’homme, de son avenir et de ses cultures, se livre inévitablement une guerre intestine. Il dévore ses propres enfants, pour une seule raison : l’économie en vient à puiser sa finalité dans l’économie elle-même.

… Dénoncer cette usurpation d’hégémonie rencontre de plus en plus d’approbation.

Sortir de l’impasse

… Il s’agit pour sortir de l’impasse dont la dette est le plus clair exemple, de soumettre à des exigences fondatrices et la politique et l’économie, de manière à les faire évoluer toutes les deux.

Le critère de l’homme

Il existe une plus grande justice que celle des scribes… Elle enseigne que le critère qui juge les nations, même ignorantes du Christ, réside dans leur manière de traiter l’homme, en particulier le malade, l’affamé, l’assoiffé, le prisonnier et le pauvre en haillons. Non point qu’ici l’Évangile récuse le travail, la croissance, ni les progrès techniques, mais il leur donne une exacte finalité. Pour soigner, il faut des remèdes ; pour nourrir, des aliments ; pour vêtir, des habits…Les productions de la terre sont ainsi toutes mises au service des hommes. Celui-ci devient le but de la croissance, de l’argent, du progrès.

Dialogue d’humanité

Seul un changement de logique permet d’envisager autrement la situation. Les procédés techniques d’apuration de la dette suivront les principes politiques qui seront mis en œuvre. Ici l’équité entendue au sens de la reconnaissance de l’homme concret, historique, dépasse la seule justice quantitative. Il s’agit donc de savoir où passent la dignité des peuples, la maîtrise de leur histoire par les intéressés. Eux sont capables de dire le développement qu’ils souhaitent, le degré de produits de consommation qu’ils veulent. »

(envoi de D.W, Ribeauvillé)

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Tribune libre

Nos propositions forment un vaste projet de société, cohérent et réaliste, mais qui touche tant de domaines et ouvre tant de perspectives, qu’il est impossible d’en faire le tour dans chaque numéro. Nous en reproduisons donc, environ une fois par an, un court résumé, qui peut servir de plan d’ensemble, et nous n’abordons ici qu’un aspect à la fois, selon l’humeur, l’actualité et les propositions de nos lecteurs.

Je voudrais attirer l’attention sur un aspect de l’économie distributive qui n’apparait pas toujours dans l’exposé et qui est essentiel pour ses conséquences :

Être et avoir

par M.-L. DUBOIN
février 2000

Parmi tant d’autres, il est un reproche à la société actuelle que l’on entend de plus en plus exprimer en ces termes : ce monde confond l’avoir et l’être. Façon simple de dire que l’être humain, qu’on veut sensible, réfléchi et imaginatif, est traité par le système mercantile comme un objet sans esprit et sans jugement.

Il serait utile de rechercher dans l’histoire comment cette confusion est née, comment elle a progressé et a été sensiblement accélérée en cette fin de siècle. Mais il est évident que notre système économique et financier entretient et développe cette confusion, par le simple fait que toute valeur est mesurée par une seule et même référence : l’argent. Il est pourtant absurde et extrêmement pervers d’entrer dans cette seule et même “comptabilité” des valeurs quantitatives, donc tout à fait mesurables, un sac de farine par exemple, avec des valeurs uniquement qualitatives, absolument PAS mesurables, l’art du boulanger par exemple. Ce monde fou a pris l’habitude de mesurer l’art du boulanger dans la même unité que les sacs de farine qu’il manipule !

Le drame est que cette confusion est aujourd’hui parfaitement digérée par un très grand nombre de gens, qui n’en ont même plus conscience. Cela va des cadres brillants qui ont appris à négocier leurs salaires, donc à se vendre avec les mêmes méthodes qu’ils présentent leurs marchandises, jusqu’aux prostituées qui connaissent les tarifs [1]. Il est bien dommage que cette confusion soit aussi le fait de paysans, qui refusent l’idée que leurs revenus ne soient pas proportionnels à leur production et veulent que leur mérite continue à être mesuré par le volume de celle-ci : bien que subventionnés, ils accueuillent encore très mal l’idée d’un contrat qui leur assurerait à vie un revenu décent et par lequel ils s’engageraient à prendre la responsabilité de l’entretien et de l’exploitation de la terre. Rares sont les efforts ou les mérites humains offerts sans compter, il faut une catastrophe pour qu’ils réapparaissent.

Autrefois, il était normal de donner un coup de main à un voisin et celui-ci préférait en donner un autre, à l’occasion, plutôt que manifester sa reconnaissance par un cadeau, plus ou moins bien reçu. Aujourd’hui, les SEL (systèmes d’échange local), sont confrontés à cette confusion quand ils veulent comptabiliser ces “échanges de bons procédés” (cette expression serait-elle ringarde ?) et qu’ils mesurent avec la même unité, même s’ils l’appellent autrement que Franc, des heures passées et des objets à vendre.

Au contraire, l’économie distributive évite l’entretien de cette confusion. Elle tranche complètement entre être et avoir parce qu’elle implique deux comptabilités distinctes. Il y a, d’une part, comptabilité et distribution des biens produits et, d’autre part, une autre comptabilité qui gère une autre distribution, celle des tâches accomplies par les gens.

Il est évident que ces deux gestions ont des points de rencontre : les choses à produire sont définies par les besoins des gens et d’autres considérations (écologie, durabilité, réserves, etc.) ; les tâches de production sont définies en fonction des quantités à produire et d’autres considérations (techniques, matériaux, etc.). Chacune des deux gestions doit donc fournir des données à l’autre, qui les prend en considération dans des débats politiques, démocratiques. Mais ces débats se situent à une échelle générale et non plus individuelle, de sorte que l’intérêt personnel, même celui des beaux parleurs, fait place à l’intérêt général : cet élargissement permet d’aborder publiquement tous les aspects économiques, au lieu de poursuivre dans le secret la recherche de profit pour quelques uns.

Il faudrait entrer dans les détails pour aborder toutes les conséquences qu’entraine cette façon de gérer l’économie sans plus confondre les choses et les gens dans une même gestion.

Au point de vue individuel, le revenu assuré sera un droit de l’Homme, le droit de vivre décemment, d’épanouir sa personnalité selon ses aspirations, donc de choisir ses activités, son mode de vie, d’alterner des périodes de travail intensif au service de la communauté et des périodes d’activité d’intérêt purement personnel. Mais chacun se sentira responsable du niveau général du revenu assuré à vie pour tous, puisque celui-ci sera fonction de la production réalisée par l’ensemble. Chacun sera donc motivé pour intervenir dans les décisions générales concernant la production des biens.

Quant aux tâches à accomplir, plus question pour un individu d’accepter un boulot stupide pour gagner sa vie, ni de pousser les autres pour se faire valoir à leurs dépens. Mais comme il s’agira d’un devoir minimum à remplir envers la communauté, celle-ci pourra décider, au cours des débats publics, des moyens à se donner pour veiller à faire valoir et respecter les décisions prises en suivant l’intérêt général.

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[1] S’il les cadres qui me lisent sont choqués par cette comparaison, cela les amènera peut-être à réfléchir….

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