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   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
 
 
 
 
 
AED La Grande Relève Articles > N° 915 - octobre 1992

 

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N° 915 - octobre 1992

Toujours la monnaie…   (Afficher article seul)

Au fil des jours   (Afficher article seul)

Illustration   (Afficher article seul)

Coup double !   (Afficher article seul)

La fin de l’Histoire ?   (Afficher article seul)

Chômage   (Afficher article seul)

Le partage du travail, dernier moyen de marcher de travers ?   (Afficher article seul)

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Editorial

Toujours la monnaie…

par M.-L. DUBOIN, J.-P. MON
octobre 1992

Quelle affaire ! Affolés par l’initiative des spéculateurs contre le Franc, le chancelier de l’Allemagne Fédérale, H.Kohl,et le Président de la République Française, F. Mitterrand, ont dù se rencontrer précipitamment le 22 septembre pour chercher ensemble les moyens de faire face. On ne pouvait espérer plus magistrale démonstration du pouvoir des spéculateurs ! Un communiqué signé en commun par le président de la Banque Fédérale d’Allemagne, H. Schlesinger et par le gouverneur de la Banque de France a eu beau affirmer solennellement qu’aucun changement des cours centraux n’était justifié, que le niveau du Franc doit être maintenu parce que l’économie française est jugée en pleine forme selon les critères reconnus, il n’empêche qu’au moment où j’écris, les commentateurs ne sont pas sûrs que les efforts conjugués des deux Banques Centrales seront suffisants, et ce, malgré les milliards qu’elles ont été obligées de mettre sur les marchés des changes ! Le pouvoir des spéculateurs serait-il plus grand que celui des chefs politiques et des gouverneurs des Banques Centrales réunis ?

Belle démonstration en particulier pour nos amis de l’Association Européenne pour l’Allocation Universelle (en anglais, BIEN : Basic Income European Network), qui vient de tenir son quatrième Congrès Annuel. Sur un ton péremptoire, l’un des fondateurs de l’Association, à l’origine-même de l’idée d’allocation universelle, inconditionnelle, a osé affirmer solennellement qu’il est parfaitement possible de verser à tout le monde un revenu substantiel (donc pas de l’ordre de 1.000 F par mois comme certains l’ont estimé) sans changer la monnaie (ou les règles monétaires) donc sous forme de REdistribution. Malheureusement pour lui, la discussion qui eut lieu ensuite sur le montant de l’allocation et son financement a fait la preuve du contraire… C’est encore lui qui, comme A. Lipietz, affirma sur le même ton qu’il n’y a pas d’abondance ! Un distributiste dans la salle fit remarquer qu’il y a bien abondance là où l’argent ne lui a jamais mis un frein : celui des armements !

Nous avons cependant pu constater que nos idées ont pourtant progressé. C’est ainsi, par exemple, que l’idée qu’un revenu est dù à tous parce que chacune de nous hérite aujourd’hui des fruits des recherches et du travail de toutes les générations précédentes, est maintenant largement adoptée par les membres de BIEN alors qu’elle avait été accueillie avec scepticisme lors du Congrès constitutif de septembre 1986, où j’avais intitulé mon intervention “Basic Income as an inheritance” (L’allocation universelle, considérée comme un héritage). On peut donc espèrer que l’évidence amènera l’Association à évoluer de même à propos de l’importance des règles monétaires face à toute politique sociale.

Car sa bonne foi ne fait pas de doute pour nous. Et elle se donne les moyens d’évoluer. Par exemple en écoutant, comme elle l’a fait, les conclusions tirées par Patrick Viveret [1] d’un rapport établi sur les deux premières années du RMI en France : le RMI a été institué en urgence parce qu’il fallait tenter d’enrayer l’augmentation du nombre des exclus. Mais il a fait la preuve qu’il n’était plus possible de se contenter de verser un peu d’argent contre un engagement à chercher du travail. Le problème à résoudre est bien plus vaste, d’abord parce qu’on ne peut plus raisonner autour de l’emploi. Il faut maintenant admettre que pour être “inséré”, reconnu, identifié, il faut pouvoir agir en citoyen, c’est-à-dire en avoir les moyens. Et une telle reconnaissance d’un droit fondamental est dù à tous.

Une mutation révolutionnaire

Ce rapport mène tout droit à notre proposition de Contrat Civique. Mais il faut aussi que tous les “distributistes” se mobilisent pour montrer qu’il est possible de changer la nature de la monnaie sans compromettre le développement raisonnable de la production des biens et des services, sans tuer l’initiative personnelle comme celà a été le cas dans l’ex-URSS. Ce n’est pas une tâche facile car la monnaie reste pour beaucoup quelque chose de quasi-religieux. Elle a pourtant beaucoup évolué, puisqu’elle n’est plus maintenant rien d’autre qu’une abstraction. A cause des mutations successives qu’elle a subies, les hommes en sont venus à considérer, comme l’explique Toffler, que « les signaux électroniques les plus ténus, les plus éphémères pouvaient s’échanger contre des biens ou des services » [2].

A l’époque où l’agriculture constituait l’activité principale des hommes, la “richesse” était un élément simple : c’était la terre, c’était quelque chose de palpable. On pouvait la toucher, la creuser, la faire couler entre ses doigts. C’était la plus importante de toutes les formes de capitaux. C’était aussi, et c’est important, une quantité finie, en ce sens que si quelqu’un l’utilisait, par exemple pour faire pousser du blé, personne d’autre ne pouvait s’en servir en même temps pour faire pousser des pommes de terre.

Vers la fin du XVIII ème siècle, avec le début de la révolution industrielle, la richesse se transforma : au lieu de la terre, ce furent les machines et les matières premières indispensables à la production industrielle qui devinrent les formes prépondérantes de capital. Cependant, comme le capital terre, le nouveau capital industriel restait lui aussi une quantité finie : quand un industriel utilisait un four pour produire des pièces données, personne d’autre ne pouvait l’utiliser en même temps pour fabriquer d’autres produits. On peut dire que ce capital restait tout aussi matériel que la terre. Il faut pourtant noter une différence importante : alors que les propriétaires terriens connaissaient intimement leurs champs, leurs arbres, etc, la plupart des investisseurs de l’ère industrielle n’ont jamais vu, et encore moins touché, les machines ou les minéraux sur lesquels ils ont bati leur richesse. A leur place, l’investisseur recevait un papier, obligation ou certificat d’action représentant une fraction de la valeur de la société qui utilisait le capital. Parodiant Marx, on pourrait parler de “l’aliénation de l’investisseur à l’égard de sa source de richesse”.

En cette fin de XX ème siècle, à mesure que les secteurs des services et de l’information prennent une part croissante dans les économies avancées et que les processus de production industrielle s’informatisent, la nature de la richesse se modifie à nouveau : « ce qui compte maintenant ce ne sont plus les batiments ou les machines, mais les contacts et la puissance que possèdent les forces de promotion et de vente, la capacité organisationnelle de la direction et les idées qui bouillonnent dans la tête des ingénieurs » [2] Ce qui bouleverse de fond en comble le capital, qui devient maintenant infini. En effet, contrairement à la terre ou aux machines qui ne peuvent servir en même temps qu’à une seulle personne ou à une seule entreprise à la fois, le même savoir peut être utilisé par plusieurs utilisateurs qui, s’ils savent l’exploiter, peuvent en tirer un savoir supplémentaire.

On voit que le capital devient ainsi de plus en plus immatériel.

Ainsi donc le capital, d’abord biens tangibles au cours de l’ère agricole (la terre), puis papier (obligations, actions) à l’ère industrielle, mais symbolisant des biens matériels (usines, minéraux, etc), est encore du papier (toujours obligations et actions) mais il représente maintenant des informations, du savoir, etc.

La monnaie : des 0 et des 1

Mieux, des signaux électroniques (des 0 et des 1) remplacent aujourd’hui le papier. Et ce n’est pas tout, les éléments échangés sur les marchés financiers deviennent eux-mêmes de plus en plus irréels. : « A Chicago, à Londres, à Sydney, à Singapour, à Osaka,... des milliards passent de main en main sous la forme d’instruments dits “dérivatifs” — par exemple, des valeurs fondées non pas sur les titres de telle ou telle société, mais sur divers indices du marché. En s’écartant d’un pas encore des “facteurs fondamentaux”, on en arrive à des options sur ces mêmes indices. Et, au-delà, dans une sorte de monde crépusculaire, on trouve les produits dits “synthétiques”, lesquels offrent aux investisseurs, à travers une suite d’opérations complexes, des résultats qui simulent ou reflètent ceux d’une obligation, d’une action, d’une option ou d’un indice existants.

Nous en viendrons bientôt à des investissements encore plus éthérés, basés sur des indices d’indices, des dérivatifs de dérivatifs, des synthétiques qui refléteront des synthétiques. Le capital est en passe de devenir rapidement “super symbolique” » [2].

Avec la généralisation de la carte à puce ou carte “intelligente”, l’appareil financier va bientôt pouvoir fonctionner en temps réel, c’est à dire de façon instantanée. Dans les nouvelles transactions rendues possibles par l’usage de la carte à puce, aucune monnaie au sens traditionnel ne change de main. Il n’y a transfert ni d’une seule pièce de monnaie, ni d’un seul billet. La monnaie ne constitue plus qu’une suite de 0 et de 1 transmis par les moyens usuels de télécommunication.

« Tout celà nous est devenu si coutumier, et nous faisons si bien confiance au système, qu’il nous arrive bien rarement d’éprouver des doutes. Au contraire, c’est quand nous voyons changer de mains de grosses sommes d’argent liquide que nous soupçonnons quelque chose de louche ; nous supposons a priori que le paiement en espèces a pour but de frauder le fisc ou bien qu’il y a là-dessous du trafic de drogue » [2].

Cette monnaie électronique remet en cause le rôle des banques dans le processus de paiement. Elles sont menacées par d’autres opérateurs n’exerçant pas les fonctions de banquiers. Par exemple, lorsque France Télécom encaisse de l’argent en échange d’une carte de prépaiement téléphonique, elle reçoit un dépôt, exactement comme une banque. Si on imagine, comme c’est déjà le cas en Corée, que les émetteurs de cartes de paiement sont libres d’ouvrir des crédits à leurs clients par contrat, sans s’occuper des limites et réserves réglementaires pour les banques, on voit que les Banques Centrales risquent de perdre tout contrôle sur la politique monétaire.

Il est cependant bien évident que la monnaie électronique va continuer à se développer et à remplacer la plupart des autres moyens de paiement parce qu’elle permet une comptabilité en temps réel et qu’elle supprime ainsi beaucoup d’opérations peu efficaces et coûteuses du système monétaire classique. Réduite de plus en plus à des trains d’impulsions électroniques, la monnaie devient simplement de l’information.

On voit qu’une telle monnaie présente toutes les caractéristiques que l’on attend de la monnaie distributive. Rien ne s’oppose matériellement à son adoption pour financer un revenu social optimum. Il faut cependant que nos concitoyens fassent leur révolution culturelle en matière monétaire en comprenant que la monnaie, ce n’est plus la terre.

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[1] L’intervention de Patrick Viveret nous a semblée tellement essentielle et elle apporte une telle preuve à nos convictions que nous avons demandé à son auteur de nous permettre de la publier. Il a très spontanément et très aimablement accepté. Mais nous n’avons pas encore pu obtenir, au moment d’imprimer, le contenu de sa conférence. Celle-ci a été enregistrée, mais la bande est entre les mains de Y.Bresson, qui recevait le Congrès de BIEN dans les locaux universitaires de La Varenne-Saint-Hilaire. Il nous a promis de nous en remettre le texte. Espèrons que nous l’aurons pour notre prochain numéro.

[2] extraits de Les nouveaux pouvoirs, par Alvin Toffler, Fayard,1991.

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Au fil des jours

par A. PRIME
octobre 1992

Dans le cochon, tout est bon

C’est vrai, pour notre plus grand plaisir : boudin, andouille... sans oublier le pied de cochon : un délice pour certains, au point qu’un restaurant des anciennes halles n’a pas hésité à en faire son enseigne et sa renommée.

Mais la grande nouvelle, c’est l’annonce, lors du colloque international qui a réuni cet été les spécialistes de la greffe, que, devant le manque d’organes humains, le cochon sera probablement dans l’avenir le principal pourvoyeur pour les xénogreffes.

On a pu être surpris, par contre, face à un tel progrès potentiel, des nombreuses voix qui se sont aussitôt élevées pour soulever des problèmes d’éthique, de morale. Interrogations, états d’âme d’un autre âge, quand, au même moment, des humains en parfaite santé s’étripent, tuent femmes et enfants dans des guerres fraticides, vraiment, elles, d’un autre âge.

Il faudrait peut-être aussi s’interroger sérieusement sur les révélations très précises rapportées par Maïté Pinero dans Le Monde Diplomatique d’août : Enquête sur une abomination : enlèvement d’enfants et trafics d’organes.

Les progrès de la médecine, comme les progrès technologiques devaient - devraient - apporter aux hommes plus de bonheur. Mais les mentalités, même chez les spécialistes, sont souvent en retard sur les capacités de la science. Boyer, ex-chirurgien de l’Empereur Napoléon, écrivait, en 1827 : « La chirurgie est arrivée à un tel sommet qu’elle ne progressera plus ». A comparer, sur le plan socio-économique, avec Fukuyama, prétendant que le monde était maintenant fini. [1]

C’est l’éternelle difficulté, la principale, à laquelle nous nous heurtons depuis soixante ans, faire comprendre que « les utopies d’hier sont la réalité d’aujourd’hui et les utopies d’aujourd’hui les réalités de demain.

Alors que … le monde a faim.

Tandis que les édiles bruxellois de l’Europe confrontés aux révoltes estivales paysannes contre la PAC (politique agricole commune) s’efforçaient de décrire les bienfaits à attendre de cette PAC (car selon eux, l’Europe produit trop), on pouvait lire dans Le Monde du 21 août ce qu’hélas nous ne savons que trop : « L’OMS et la FAO appellent à une mobilisation mondiale contre la sous-alimentation ». Près de 60 % de la population mondiale est sous-alimentée ; 123 millions d’Africains subsahariens sont les plus gravement frappés, surtout avec la sécheresse de cette année. Dans le même temps, dans nos pays riches, on stocke pour “assainir les marchés”, on détruit, on paie pour geler les terres productrices, abattre des vaches, etc...

« 40.000 enfants meurent de faim chaque jour » sous-titre Le Monde, en précisant : « La réunion de Genève, le 24 août, met clairement en lumière “le paradoxe de l’abondance” (sic)... Plus de deux milliards d’êtres humains souffrent de carence en vitamines et en minéraux essentiels, ce qui peut être à l’origine d’infirmités graves (cécité, arriération mentale, etc...) ou entrainer la mort ».

“Sages” et “experts” se réuniront à Rome en décembre prochain. Le Monde conclut : « Ils marqueront la détermination des cent cinquante pays participants à éliminer les formes extrêmes de la faim et de la malnutrition et l’engagement à agir pour que le droit fondamental qu’a toute personne d’être à l’abri de la faim ne reste pas une élaboration vague, mais devienne une réalité dans l’avenir prévisible. Ils soulignent aussi que les vivres ne doivent pas être utilisés comme instrument politique de coercition. Malheureusement, interrogés sur ce dernier point, les représentants de l’OMS et de laFAO à Genève n’ont fourni aucun détail quant à la manière dont ils espèrent pouvoir traduire cet engagement dans les faits ».

et le chômage

Fléau de la faim, mais aussi fléau du chômage. Jean Kaspar, secrétaire général de la CFDT [2], livre ses réflexions [3], souvent intéressantes.« Chaque mois, avec une régularité implacable, le nombre de chômeurs augmente. Comme si nous étions devant un mouvement irréversible. La caractéristique première de cette situation est de produire un sentiment de fatalité qui brouille à la fois le diagnostic, les perspectives et les solutions. Sans prétendre à une vérité révélée, l’emploi exige aujourd’hui un effort de clarification et un sursaut d’initiatives, tant il est vrai que le pire est de s’habituer à l’intolérable.

L’illusion serait de compter sur le retour d’une croissance telle qu’elle permette à moyen terme de créer les emplois nécessaires. Or la croissance ne décolle nulle part dans le monde…En France, la stratégie de désinflation compétitive qui est l’alpha et l’oméga du gouvernement, pour nécessaire qu’elle soit, n’offre guère de marge pour sortir l’emploi de son marasme … On s’est jusqu’alors peu interrogé sur cette curieuse conjonction qui veut que l’entreprise soit réhabilitée aux yeux de l’opinion publique alors même que se développe une exclusion sociale et professionnelle dans laquelle la responsabilité des employeurs est singulièrement engagée” »

Il y a déphasage entre le progrès social et le progrès économique.

Jean Kaspar propose comme remède : “la gestion prévisionnelle de l’emploi”, évolution des métiers, formation, aménagement et réduction du temps de travail. Enfin ! En ce qui concerne les syndicats : « Le syndicalisme doit aujourd’hui se rassembler pour imposer une autre conception de la modernisation de l’appareil productif qui ne sacrifie pas les hommes au nom de la rationalité économique et qui refuse le parti pris dangereux de l’efficacité économique contre la cohésion sociale ».

Vous avez bien lu : « Le syndicalisme doit aujourd’hui se rassembler »…Il est temps d’y penser. Il y a peu, à l’occasion de manifestations comme le premier mai par exemple, c’était à qui ne rencontrerait pas l’autre. Les syndicats sont déjà affaiblis. S’ils continuent à agir en ordre dispersé, voire opposé, le patronat aura beau jeu de faire ce qu’il voudra : bas salaires, licenciements, délocalisation de la production ...

Mais où sont passées les promesses de Bérégovoy lors de son investiture : avant tout résoudre en quelques mois le problème des 900.000 chômeurs de longue durée et ne pas dépasser le cap des 3 millions de demandeurs d’emplois ? Foi de Bérégovoy ! Martine Aubry, sûrement pleine de bonne volonté, était partie en campagne tambour battant. Ses espoirs d’amélioration ont dû être de courte durée, elle tempête depuis deux ou trois mois contre les patrons qui ne cessent de débaucher. Le 4 septembre, un journaliste qui, suite à la prestation de F. Mitterrand sur Maastricht, interrogeait à Bruxelles Jacques Delors, père de Martine Aubry, soulignait que notre Ministre du Travail (il ne citait pas de nom, et pour cause !) commençait à douter que l’Europe fut sociale au point d’apporter une solution au problème du chômage. “L’Europe créera cinq millions d’emplois” avait lancé jadis notre Président. Cela rappelle étrangement le Mitterrand en campagne présidentielle en 1981 s’engageant à créer un million d’emplois. Sous son règne, si l’on tient compte de la retraite à 60 ans et de divers palliatifs, ce sont deux millions de chômeurs… qui sont apparus.

Pourquoi la concentration et la modernisation accrue des entreprises, générant encore et toujours plus de compétitivité, créeraient-elles des emplois, quand, de l’aveu même de la Direction d’Usinor-Sacilor, cette entreprise est passée, pour une même production, de 23.000 personnes en 1980 à 6.000 en 1992 ?

Il faudra, si l’Europe se structure, continuer la lutte - salariés, syndicats - qui a été menée jusque là dans chaque pays. Car l’Europe qu’on nous prépare - à supposer qu’elle soit incontournable pour faire face au Japon et aux Etats-Unis - est bien évidemment l’Europe des financiers et des marchands. A preuve, l’envolée de la Bourse (début septembre) dès que, dans les sondages, le oui a repris l’avantage sur le non ; à preuve encore l’appel au vote pour le oui du patron des patrons M. Périgot.

Comme par le passé, Europe ou non, rien ne sera “octroyé”. Il faudra arracher chaque progrès social et même sans doute, se battre pour défendre les acquis sociaux.

La Bourse et les changes

Quelques jours avant le 20 septembre 1992, les cours de la Bourse et les résultats du référendum étaient, d’après tous les observateurs, suspendus à l’évolution de la maladie du Président. La tempête sur les monnaies européennes en était elle-même la conséquence.

A quoi tiennent dans ce régime immonde l’existence de milliers d’entreprises et l’emploi, la vie de millions de personnes !

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[1] Son livre est analysé dans ce numéro, dans notre rubrique Lectures, par R. Marlin.

[2] Nous lui avons envoyé il y a quelques mois, ainsi qu’aux Secrétaires de tous les syndicats, nos documents de base. Aucun n’a accusé réception.

[3] Le Monde , du 26 août.

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Illustration

par A. PRIME
octobre 1992

A peine écrites, les lignes ci-contre ont été illustrées par deux émissions télévisées :

- le 9 septembre : Afrique : le grand deuil noir,

- le 10 septembre : Somalie à faim et à sang, dans Envoyé spécial.

Cauchemar et désespoir. Pendant que le monde riche, en vacances, s’amuse et ripaille, tant de misère ne peut que donner mauvaise conscience ; du moins à ceux que n’anesthésie pas un égoïsme à toute épreuve.

Comment supporter la vue de ces enfants manquant de nourriture et d’eau, qui semblent sortir des camps de concentration et qui vont mourir. Et que dire quand la guerre y ajoute son cortège d’horreurs comme en Somalie ?

En comparaison, dans le même Envoyé spécial, un reportage sur Sarajevo, sur une guerre imbécile et fraticide, laisserait presque insensible, n’étaient les victimes innocentes, surtout les femmes et les enfants. Là-bas, en effet, il y a tout ce qu’il faut pour cultiver et se nourrir ; le seul obstacle est la bêtise humaine. C’est pourtant pour eux que le monde riche se mobilise le plus pour acheminer vivres et médicaments, médiatisation et Nouvel Ordre Mondial obligent.

Dans une ou deux décennies, 500 millions de riches pourront-ils espérer éviter l’explosion chez les huit ou dix milliards de miséreux de la planète ?

Au fait, le saviez-vous, nous avons un nouveau miséreux : L’organisateur du show télévisé Mitterrand sur Maastricht, Guillaume Durand,, passé de la 5 moribonde sur TF1, a été embauché, d’après le Canard Enchaîné, à 300.000 F... par mois !

Et comme une bonne nouvelle n’arrive jamais seule, les Somaliens apprécieront sûrement que la baisse des taux d’un quart de point, le 14 septembre, par la Bundersbank, a fait bondir la Bourse de 4 points. L’économie reprend... L’économie-casino s’entend !

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Coup double !

par G. LASSERRE
octobre 1992

Les résultats du référendum sont excellents : la réponse de la France est intelligente. Le résultat étant positif, l’Europe est sauvée. De justesse, certes, en chiffres, mais sans ambiguïté. D’ailleurs, l’Histoire ne retiendra que le OUI, comme elle n’a retenu que le OUI, à une voix près, lors de l’avènement de la III ème République Française, en 1871.

La réponse est intelligente, parce que la géographie des motivations des NON (il y en a plusieurs), est claire.

Il y a :

1- Ceux qui ont voté NON à Mitterrand, soit 20% des NON, 10 % des votes, 7 % du corps électoral. C’est peu en regard de la pression abusive des tribuns sans nuances et bloqués que sont les Pasqua, Séguin, de Villiers, Le Pen et Marchais, à laquelle les défenseurs du OUi ne pouvaient honnêtement opposer [1] que des idées généreuses d’ouverture à l’Europe. Car le bon peuple n’entend rien aux subtilités d’un traité ouvert et évolutif, bardé de soupapes et autres possibilités d’alternative, et qui ne met que fort peu en cause les souverainetés nationales directes. Traité forcément imparfait à ce premier stade, car la tâche était extrêmement difficile pour les initiateurs et pour les rédacteurs (et sans doute aussi pour les traducteurs) et ils s’en sont fort bien tirés.

Ce NON politique-là, réponse à côté du sujet, reste un NON sans gloire d’irresponsables. Or 7 %, c’est peu.

2-.Ceux qui n’ont pas voté (30 %) parce qu’ils n’y comprennent rien. C’était donc une sage et honnête décision. A ceux-là se sont mêmés ceux qui ne votent jamais, essentiellement pour les mêmes raisons.

3-. Enfin et surtout, la campagne française, qui a réagit avec vigueur en dénonçant sans nuancce la technocratie bruxelloise, prise pour bouc émissaire. Ici le NON est une réaction claire et nette de survie de la part de populations que l’histoire de l’humanité ne magnifiera jamais trop : les agriculteurs…Labourage et pastourage sont les deux mamelles de la France éternelle…

Choix sous pression

Nous ne sommes pas contre ce qu’on appelle bien vite la technocratie : il est aujourd’hui impossible de se passer, en quelque domaine que ce soit, de techniciens et autre gens compétents (banquiers compris…) Certes, ce sont des technocrates qui, confrontés à des choix déchirants ont édicté les mesures de stérilisation des terres et de contingentement de production, au mépris des producteurs. Mais c’est sous la pression gigantesque de la scandaleuse Amérique (épaulée par l’Angleterre) : une pression politique maligne (directe, contre l’ensemble de l’Europe), et surtout amorale (indirecte, contre les populations affamées du tiers-monde). Et la décision appartenait en fin de compte aux hommes politiques, qui se sont certainement posé (c’est à leur honneur) de graves problèmes de conscience…

La réaction de la paysannerie française l’honore parce qu’elle déborde largement le cadre hexagonal : elle doit être prise en compte par le reste de l’Europe, et elle le sera certainement. Elle est porteuse d’un NON à l’Amérique, et bien plus loin, d’un NON à un système de valeurs lamentable, qu’on retrouve en entier dans le monétarisme féodal et son corollaire, le faux libéralisme des marchés, qui éreinte les pays divisés.

Le NON des agriculteurs-éleveurs français doit être entendu comme un cri de révolte contre les marchés scandaleusement déclarés libres. Cri de l’ensemble des culs-terreux de toute la Terre, gardiens de ses valeurs authentiques et de ses beautés, des valeurs humaines au sens plein du terme. Leur NON est porteur des impossibles révoltes des producteurs de riz du Sud-Est asiatique (qui ne sont même pas conscients que leur riz arrive sur les tables japonaises à 8 fois son prix de sortie), des producteurs de café, de sucre, de coton, de jute, etc.

Les chocs pétroliers ont tourné court, contrés par un gigantesque choc monétaire (qui a porté le dollar à 10 F en 1985), choc que personne n’a dénoncé en tant que tel à l’époque. Pourtant un tel choc prépare les chocs agricoles.

Dénoncer le monétarisme

Les temps sont venus de dénoncer le monétarisme (entendez par là le rôle de la monnaie), imposé par l’Anglo-Amérique, couronnée de ses prix Nobel, apprentis sorciers de la Valeur en conserve, champions abusifs et éphémères [2]. Nous en reparlerons…

Très bons résultats, donc, du référendum, par son coup double : OUI profond à l’Europe, NON catégorique (à travers les technocrates) à l’Amérique et à l’Angleterre, qui sont au demeurant en train de payer (ah, la bonne heure !), mais qu’il faut empêcher à tout prix de faire payer à l’Europe continentale…

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[1] hors quelques dénégations ponctuelles aux mensonges démagogiques criants, destinés à effrayer certains corps socio-économiques

[2] à peine un peu plus d’un demi-siècle a suffi pour que Keynes mette à genoux une Anglo-Amérique qui verse aujourd’hui dans la tragédie du déclin et de l’échec irréfutable.

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Lectures

La fin de l’Histoire ?

par R. MARLIN
octobre 1992

Il n’est certainement pas trop tard pour donner notre avis sur l’ouvrage de Francis Fukuyama “La fin de l’Histoire et le dernier homme” [1]. Ce livre a fait l’objet d’un intérêt, certes justifié, mais aussi de jugements hâtifs qui nous font douter que les journalistes ou les simples lecteurs présumés en aient pris connaissance autrement qu’en diagonale. Les idées exprimées plus que la thèse centrale, a priori insoutenable, méritent pourtant notre réflexion.

Nous avons peut-être trop tendance à n’aborder ici que des sujets étroitement liés à l’économie sans tenir compte suffisamment des conditions psychologiques et sociologiques qui motivent les choix de nos contemporains et sont de grande importance dans le domaine politique. Si nous voulons convaincre ou même seulement retenir l’attention, il ne faudrait pas l’oublier. En voilà l’occasion.

Présentation

Au cours de l’été 1989, un article qui portait le même titre que celui-ci paraissait aux Etats-Unis [2]. Il fit immédiatement l’objet de critiques auxquelles l’auteur répondit [3]. Considérablement étoffé par de nombreuses références historiques et philosophiques, le livre constitue un véritable manifeste en faveur de la démocratie libérale américaine. Il veut marquer une époque : celle de la faillite du totalitarisme sous tous ses aspects et du triomphe, en voie d’achèvement, du libéralisme à l’anglo-saxonne.

L’auteur, ancien conseiller au département d’Etat, emporté par son enthousiasme, essaie de prouver et de se convaincre que ce régime pourrait être la forme finale de l’organisation des sociétés humaines. Il appelle à son renfort tous les philosophes connus : depuis Aristote, Platon et Socrate jusqu’à Hegel, Kant et Nietzsche en passant par Descartes, Pascal et Rousseau. Mais il retient surtout Hamilton, Hobbes et Locke, les penseurs libéraux de langue anglaise. Les socialistes français et même Camus ou Sartre sont évidemment absents à l’étalage.

Dans la plus pure tradition universitaire, Fukuyama présente un exposé qui se veut exhaustif de l’histoire de la pensée et de l’Histoire tout court. Il n’oublie presque rien, examine le pour et le contre jusqu’à devenir confus et se contredire lui-même, ainsi que nous le verrons. En réalité, il oublie certains faits comme certains auteurs, c’était inévitable. Mais surtout, il minimise plusieurs éléments importants ou les cite sans pouvoir les réfuter espérant faire “objectif” et noyer cela sous le déluge des observations favorables.

Motivation

L’auteur pense que la motivation principale des êtres humains est le désir de “reconnaissance” de la part de leurs congénères. Il décrit le cheminement de cette idée à travers le temps ; mais il s’arrête surtout à Hegel [4] et à son commentateur Kojève [5] sur lesquels il fait une véritable fixation et auxquels il se réfère tout au long du livre. Hegel n’est-il pas l’un des derniers pré-marxistes et le véritable fondateur du dialectisme historique [6] dont Marx est parti pour établir son matérialisme historique [7] ? Selon nous, la fascination de Fukuyama pour Hegel et Kojève lui permet de ne pas aller jusqu’à rejoindre Marx. Il cite souvent ce dernier mais, bien entendu, pour le contredire.

L’Histoire des sociétés humaines serait donc tout entière explicable par la recherche de reconnaissance proche de ce que Platon entendait déjà par le mot grec “Thymos” difficilement traduisible par “coeur”, “ardeur” ou “ardeur de sentiment”. Les réalistes anglo-saxons parlent plutôt d”intérêt individuel”, dérive récusée par notre écrivain.

Mais il n’est plus possible de persuader de nos jours sans la caution scientifique. Tout est lié à la science depuis les crèmes de beauté jusqu’à la couche d’ozone. Fukuyama ne se prive pas de ce soutien. Le désir d’après lui illimité d’accumulation de richesse a été permis « par une alliance formée entre le désir et la raison : le capitalisme est inextricablement lié à la physique moderne. Par contre, la lutte pour la reconnaissance a son origine dans la composante “thymotique” de l’âme », écrit-il.

Evolution

A côté du thymos la “science physique moderne” serait la force qui explique l’évolution des nations. Mais il reconnait que le mot capitalisme a des connotations péjoratives, c’est pourquoi il se rallie à la mode et utilise plutôt les termes libéralisme ou économie de libre marché.

Nous devons admettre que rares sont les thuriféraires du système qui font référence aussi explicitement à l’influence du progrès de la technoscience dans l’Histoire. Il précise même que la méthode scientifique est un bien commun universel. Il explique que l’amélioration du niveau d’existence dû à la science et à la technique requiert une urbanisation et une généralisation de l’éducation et de l’enseignement qui produisent des citoyens réclamant plus de reconnaissance mutuelle, donc plus de démocratie [8]. La confusion commence rapidement lorsqu’il constate que cela est à la base de l’unification globale de l’humanité au moyen de la technologie militaire. C’est peut-être vrai, au moins jusqu’à présent. Mais est-ce inéluctable si l’on a toujours à l’esprit la menace que les armes nucléaires font courir à l’humanité ? Ce serait alors bien la fin de l’histoire, mais pas dans le sens indiqué.

Progression

Le sens de l’histoire lié avec le développement des sciences et des techniques, notamment pendant les quatre derniers siècles, est explicitement affirmé à plusieurs reprises. N’est-ce point là une idée marxiste, donc subversive ? Notre auteur se sort de ce dilemme en prétendant que les progrès scientifiques ne seraient pas dus à la curiosité des humains mais « parce que la science leur permet de satisfaire leurs désirs de sécurité et d’acquisition illimitée de biens matériels… Les compagnies modernes n’entretiennent pas des équipes de recherche et de développement pour l’amour abstrait de la connaissance, mais pour gagner de l’argent » [9]. Nous y voilà. Est-ce la science qui mène au “libéralisme” ou plutôt les capitalistes qui entrainent le progrès scientifique et technique dans les directions qui leur conviennent et qui ne sont pas forcément celles qui seraient souhaitées par la communauté humaine ?

Information

S’il est vrai, en effet, que la démocratie est le régime où les gouvernants sont désignés par le suffrage universel des citoyens, il faut se féliciter, avec Fukuyama, que ce principe progresse à la fois par la faillite du totalitarisme de l’Est et des fascismes ou des régimes autoritaires argentin, chilien, espagnol, grec, portugais et autres. Il est réconfortant de constater l’accroissement discontinu, mais inéluctable, du nombre des démocraties dans le monde. Il faudrait néanmoins ajouter que le risque d’oppression de certaines minorités dans des pays démocratiques n’est pas à négliger. Il conviendrait également de se demander si le minimum d’information réelle existe bien dans ces pays, faute de quoi le suffrage est manipulé. La liberté de la presse, c’est-à-dire le droit pour toutes les opinions de se faire connaitre et de s’exprimer, est-il bien assuré partout ? Nous savons d’expérience que tel n’est pas le cas, même pour les pays considérés comme les plus avancés dans ce domaine, où la liberté de s’exprimer est celle des riches, exclusivement.

Distinction

Un autre point important, qui nous intéresse au premier chef, est la nature du travail. Cette question fait l’objet d’un chapitre intitulé dans le jargon propre à l’auteur « Les origines thymotiques du travail ». Il s’ouvre par une citation de Marx selon Kojève : « Hegel croyait que le travail était l’essence, la véritable essence de l’Homme... ». L’auteur se réfère à Max Weber sur la relation entre le protestantisme calviniste ou puritain et l’intérêt au travail. Il réfute la thèse d’Adam Smith [10] selon laquelle le travail serait désagréable et accompli uniquement en raison de l’utilité de la production obtenue. Il cite pour cela l’exemple des drogués du travail qui n’ont pas le temps matériel de profiter des biens acquis. Les hommes travailleraient donc afin de satisfaire leur thymos ou besoin de reconnaissance. Il en revient au rapport entre les croyances et l’incitation au labeur qui expliquerait l’échec du capitalisme en Inde et sa réussite au Japon et chez les dragons d’Extrême-Orient [11]. Il s’inquiète d’un déclin possible de l’éthique du travail et il s’interroge : « .La réalisation d’une société d’abondance devrait bannir toute survivance de nécessité naturelle et mener les gens à rechercher les gratifications du plaisir plutôt que le travail... ». Mais il se rassure un peu en observant l’accroissement de la durée du travail aux Etats-Unis parmi les classes dirigeantes ( !) et la diminution selon un sondage Louis Harris des heures de loisir. Bien entendu, il n’établit aucun rapport entre ces variations et les menaces de chômage... Quant à faire la distinction entre travail obligé et travail-loisir ou librement consenti... Foin de ces considérations trop compliquées. Que n’a-t-il lu et compris André Gorz ! Il n’aborde pas non plus, c’est évident, la diminution constante du temps de travail obligé nécessaire due à l’explosion de la productivité...

Contradiction

Il aurait fallu commenter plus longuement la thèse selon laquelle le christianisme, qui affirme l’égalité de tous les hommes devant Dieu, serait à l’origine de l’idée même de démocratie et qu’il se serait donc répandu en même temps qu’elle. Il aurait été utile de remarquer la contradiction entre cela et la réprobation de beaucoup de catholiques à l’encontre du capitalisme remarquée par l’auteur. Cette opposition vient d’ailleurs de ce qu’il persiste tout au long de son livre à lier indissociablement démocratie et capitalisme. Il ne donne que quelques exemples peu convaincants, où le capitalisme a pu se développer dans des régimes peu ou pas démocratiques. Il ne cite pas le capitalisme d’Etat soviétique et d’autres, comme les régimes franquistes et nazis, où l’on peut soutenir à bon droit que c’est le maintien autoritaire du capitalisme qui a provoqué les drames fascistes. Quant au désir de reconnaissance, c’est lui aussi qui mène aux mafias, aux crimes organisés, au trafic de drogue, à l’affairisme et à toutes les aventures militaires. La confusion entre liberté et libéralisme économique antilibertaire est à son comble dans cet ouvrage ; de même que le mélange, également volontaire, ou au moins inconscient, entre démocratie politique et démocratie économique. Le plus grave c’est que notre essayiste ignore manifestement qu’il y a une alternative au choix de la démocratie libérale. Il pense que les citoyens se déterminent d’une manière “implicite” du fait qu’ils ne refusent pas le régime.

Capitulation

Toute la dernière partie de l’ouvrage semble indiquer que Fukuyama doute même et parce qu’il mesure l’horrible péril dû aux armes nucléaires. Il craint que « les vertus exaltées par la guerre ne ... puissent ... apparemment pas trouver leur expression dans les démocraties libérales » [12]. Il n’est pas sûr, et pourtant !, que les hommes ne puissent pas se faire reconnaitre dans beaucoup d’autres domaines que ceux de l’intérêt personnel immédiat et matériel. Il énumère lui-même le sport, la technique ; il aurait pu ajouter la religion, l’art, la musique, l’écriture, la vie associative, la médecine, etc... Mais il n’en conclut pas que tout cela, sans compter le dépassement de soi, le sacrifice, l’héroïsme, l’intérêt intellectuel, constituent des motivations qui ne conduisent pas du tout vers le capitalisme matérialiste. « Aucun régime - aucun système socio-économique - n’est en mesure de satisfaire tous les hommes en tous lieux. » écrit-il et en tous temps aurait-il pu ajouter [13]. Nous sommes bien loin de la fin de l’histoire dont Hegel soutenu par Kojève prétendait qu’elle avait eu lieu en 1806, après la bataille d’Iéna !! et alors que les Français sortaient à peine de leur révolution.Même si l’on admet avec Fukuyama qu’il ne s’agissait que de la victoire des principes de liberté et d’égalité. “L’Etat libéral moderne” et le capitalisme en étaient à leurs premiers balbutiements ! Que de chemin parcouru depuis et que de changements à intervenir, sur l’idée de démocratie et sur celle du libéralisme surtout ! Les deux thèses centrales de l’ouvrage s’effondrent dans le ridicule et la glorification du capitalisme libéral avec elles. Dommage ; sans ses préjugés l’auteur aurait pu être intéressant.

Conclusion

La “Fin de l’Histoire” ? oui : celle d’un système économique en pleine décomposition et qui devra être remplacé par étapes - mutation historique oblige - par une démocratie économique vraiment adaptée au progrès des sciences et des techniques. Il y a bien une alternative même si les hommes de gauche, dont l’auteur retient les critiques, étaient incapables et pour cause d’en avancer une [14].

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[1] Ed. Flammarion.

[2] “La fin de l’histoire ?” dans “The National Interest” n° 16. Traduction française dans la revue “Commentaires” n° 47.

[3] Réponse dans les mêmes revues respectivement n° 18 et n° 50.

[4] Hegel (1770-1831) Philosophe allemand connu principalement pour sa “Phénomènologie de l’esprit” (1806).

[5] Kojève (1902-1968) Philosophe franco-russe. Professeur à l’Ecole pratique des Hautes Etudes (Sorbonne)

[6] La marche dialectique de l’histoire peut être schématisée par la succession d’une thèse, d’une anti-thèse qui donnent naissance à une synthèse laquelle constitue une nouvelle thèse et ainsi de suite.

[7] Prééminence de la matière sur l’idée dans la marche de l’histoire.

[8] Au pays de l’éducation.

[9] Chapitre “Le mécanisme du désir”.

[10] 1723-1790 Economiste écossais, père du libéralisme économique.

[11] Corée du Sud, Hong-Kong, Singapour, Taïwan.

[12] L’auteur avait admis auparavant que la véritable solution, celle d’un gouvernement mondial, nous dirions plutôt d’institutions mondiales, est difficile et, pense-t-il, insuffisante.

[13] “Les immense guerres de l’esprit”

[14] Il s’agit surtout d’André Fontaine du “Monde”

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Chômage

par H. MULLER
octobre 1992

Un fait incontournable, a déclaré Yvon Gattaz. Il faut donc faire avec. Formation, insertion, laisseront toujours sur la touche une masse de jeunes et les personnels trop âgés difficilement reclassables.

Ses causes ? L’emploi est lié aux débouchés. Les débouchés sont réglés par les prix. Les prix sont tirés vers le haut par le profit des marchands, par le coût du crédit, par la fiscalité, par les prélèvements, expression de mille et un besoins, qui s’abattent en pluie sur les coûts et sur les prix. L’abondance ruine les producteurs exposés à la concurrence extérieure et qui subissent la loi du marché, contraints de licencier pour sauver ce qui peut l’être de leurs “résultats”. En se substituant à la clientèle privée, l’Etat charge la fiscalité et les prix, réduisant ainsi le pouvoir d’achat des consommateurs à revenus barêmés et, par là même, les débouchés de nombreux secteurs.

Créer des emplois dans le secteur de l’aide sociale, dans les secteurs déclarés aujourd’hui non rentables ? Avec quel financement ? Fiscalité, mécénat, contribution aux associations caritatives ont atteint leur limite.

Une monnaie de consommation apporte la clé vainement recherchée dans le cadre de nos institutions présentes. Rappelons brièvement en quoi elle consiste : instrument de paiement non transférable, s’annulant à l’achat, concrétisé dans une carte “à puce” fonctionnant en porte monnaie électronique, approvisionnée à partir d’ouvertures de crédits renouvelables gagées, grosso modo, par la valeur conférée à l’ensemble de la production.

Supprimant le caractère transférable de la monnaie, on supprime de facto l’obligation de la faire circuler pour former les revenus aux impacts de sa circulation. La simplification apparait dès lors considérable : plus de profits, plus d’accumulation en vue de l’investissement, plus de spéculation boursière. Allègement de la bureaucratie, de la règlementation concernant les mouvements de l’argent. Un système de prix s’adaptant aux situations locales, au rapport de l’offre à la demande (recherche constante du “bon prix”, à la limite de rupture des réapprovisionnements)…

L’abondance encouragée au lieu d’être combattue.

Chacun se voit tenu d’accomplir son temps de travail au service de la collectivité dans le domaine des tâches utiles. Un temps de travail harmonieusement réparti, en constante diminution sans perte de revenus au bénéfice des activités libres du temps de loisirs, fruit le plus apprécié du progrès technologique utilisé à cet effet.

Une “utopie” plus crédible que celle qui fait fond sur la pérennité d’institutions économiques submergées d’insolubles problèmes, conséquence de l’inadaptation des usages monétaires à l’accélération du progrès.

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Le partage du travail, dernier moyen de marcher de travers ?

par A. MOLLIÉ
octobre 1992

"Dites-moi si je me trompe" a abordé à la télé le partage du travail pour lutter contre le chômage. Encore un moyen de marcher de travers avant de marcher droit. Est-ce le dernier ? Est-ce tout ce que l’intelligence socialiste... et syndicaliste a pu trouver ? Est-ce la dernière stupidité pour prolonger un capitalisme à l’agonie ? Et tout ça projeté sur le plan de l’Europe !

Partager un travail qui est en train de disparaître entre tous les millions de chômeurs qui se profilent avec Maastricht, ça ne fera pas trop lourd pour chacun de ce travail adoré. N’y aura-t-il personne pour hurler à nos gouvernants que ce n’est plus le travail qu’il faut partager, mais la production. Evidemment, c’est impossible de partager une production qui nous submerge, qui fait effondrer les prix, en régime capitaliste : la monnaie capitaliste, qui ne représente plus rien, ne peut être le moyen d’un juste partage des produits [1].

Le même pouvoir d’achat global

Les graves experts qui en débattent ne savent plus où ils en sont : partager le travail, ça implique partager les salaires, ce qui signifie qu’après ce double partage, il n’y aura au bout du compte que le même pouvoir d’achat global toujours très insuffisant pour absorber toutes les richesses jetées sur le marché, qu’on a baptisées surproduction. Alors, remèdes ?

Ceux qui font partir la crise de1960 oublient un peu l’Histoire. Savent-ils que c’est la crise et le chômage qui ont engendré Hitler et que c’est la bienheureuse guerre de 39-45 qui, en détruisant tout, a insufflé au capitalisme un ballon d’oxygène de…20 ans ? Alors, prêts à recommencer ? Que dis-je, recommencer ! Cette “bienfaisante” guerre s’est-elle arrêtée, depuis, dans le monde ? Traiter la guerre par la guerre ne résoudra rien : c’est Mitterrand qui le clame ! Que ne l’a-t-il hurlé avant la guerre du Golfe, que les Américains, à bout de souffle, s’apprêtent à recommencer ! Alors si la guerre ne résout rien, à quoi bon l’armée ? Est-ce tout ce que des prétendus socialistes ont trouvé pour donner aux travailleurs boulot et pouvoir d’achat ? Alors, recommencer à payer pour détruire les richesses, comme on l’a fait depuis 60 ans, pendant que des gosses meurent de faim en Afrique et ailleurs ?

L’heure est venue d’en venir à ce que disait Jacques Duboin et que préconisent les distributistes depuis 1932 : l’abondance ne se vend plus : elle se distribue. Et il faut pour une distribution équitable un moyen de répartition gagé sur cette production et annulé à l’achat : c’est la monnaie de consommation. C’est le moyen de sortir le monde du marasme, de la misère, de la drogue, de la guerre et de la pollution qui détruit la planète. C’est une question de survie pour toute l’humanité, pour tous, même les riches. Alors quelle belle Europe, et quel beau monde de collaboration, d’entente et de paix. Le progrès libérerait l’homme au lieu de l’asservir et de l’écraser.

Les journalistes, les économistes, les syndicalistes sont-ils imbéciles, ignorants ou vendus pour refuser d’en parler ou de se renseigner ? Il est inadmissible qu’une télé, organe spécifique de grande information, n’en parle jamais.

Concurrence exacerbée

Hélas ce n’est pas ce monde agréable que nous prépare la vieille Europe capitaliste qu’on nous mijote. C’est toujours l’Europe de la concurrence qui dresse les hommes les uns contre les autres. Avec une monnaie unique et la liberté de circulation des produits, cette concurrence va s’exacerber : ce sera la lutte pour les prix compétitifs. Et pour obtenir des prix compétitifs, on débauche les travailleurs et on les remplace par des machines. Il y aura plus de produits, des produits moins chers, mais un pouvoir d’achat encore plus réduit. Et ceux qui pensent faire l’Europe en y trouvant plus de consommateurs et en pensant lutter contre le chômage vont se trouver devant une montagne de produits et de nombreux consommateurs désargentés. Et la grogne va s’amplifier. Chez les jeunes, elle risque de dégénérer en violence. Déjà on voit, issus de cette violence, des groupes nazis se faire jour, et des opposants faire front.

1933, la crise, 1939, la guerre ; va-t-on recommencer ?

Et les politiciens de droite ou de gauche qui n’ont fait que répéter leurs solutions inefficaces, vont-ils recommencer leurs méfaits ? De toutes façons, Europe ou pas Europe, le changement nécessaire finira par s’imposer. Par la violence, ou par la compréhension et la justice ?

Quel gâchis d’avoir si mal conçu cette Europe : elle devrait être une marche vers le monde de la joie et de l’amour.

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[1] voir, pour favoriser le dumping américain, la dégringolade du dollar qui fout en l’air toutes les Bourses de la planète

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