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   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
 
 
 
 
 
AED La Grande Relève Articles > N° 904 - octobre 1991

 

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N° 904 - octobre 1991

Arrêtez le massacre !   (Afficher article seul)

Lu, vu, entendu   (Afficher article seul)

Eppur, si muove !   (Afficher article seul)

“Faut-il encore faire la révolution ?”   (Afficher article seul)

Considérations européennes   (Afficher article seul)

Nouveau capital ! Nouvelle économie !   (Afficher article seul)

Des chiffres   (Afficher article seul)

Au fil des jours   (Afficher article seul)

Voyage avec Christophe Colomb    (Afficher article seul)

Subtile et suprême lâcheté   (Afficher article seul)

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Editorial

Arrêtez le massacre !

par M.-L. DUBOIN
octobre 1991

La chute des régimes staliniens a tellement secoué (étonné ! ) l’opinion que les tenants du libéralisme en profitent pour proclamer que leur capitalisme a définitivement “gagné la bataille historique contre le socialisme” ! Et face à ce triomphalisme, la gauche française s’aperçoit qu’elle n’a aucun projet à proposer ! Elle s’effondre…et elle inspire un profond mépris envers tous les politiciens en général, ce qui peut être très lourd de conséquences…

Il nous est absolument impossible d’admettre que le libéralisme soit le seul régime possible en ce monde, tant ses méfaits sont monstrueux. Certes, le capitalisme est efficace, il l’a prouvé, il est générateur de progrès technologiques sensationnels, qui mènent à d’inimaginables richesses. Mais dans quel état désastreux met-il la majorité de l’humanité !

C’est n’avoir aucun idéal, ou un cœur complètement robotisé, que de tolérer que le capitalisme libéral puisse régir encore longtemps le monde. Tout être humain, digne de ce nom, ne fut-il qu’un roseau pensant, se doit de lutter pour éviter une telle catastrophe.

Comment ?

Mais en refusant les idées toutes faites du genre “c’est comme ça, ça ne peut pas être autrement”, en n’acceptant pas de passer pour rêveur quand on imagine autre chose, en ayant le courage de proposer un projet cohérent en alternative.

Même s’il nous faut changer parfois de vocabulaire (“ l’Etat utilitaire” de J.Duboin prête à confusion, il faut se référer au principe de “subsidiarité” ; le “revenu social” est mieux compris sous le vocable de “revenu de citoyenneté” ; il faut envisager de parler de “contrats civiques” pour qu’on ne nous accuse pas de vouloir une société d’assistés qui ne ficheraient rien, etc…), le socialisme distributif est cette alternative qui convient aux pays technologiquement développés et qui peut empêcher ceux-ci d’écraser les autres.

Mais elle tend à changer bien des habitudes ! En fait, l’obstacle majeur auquel elle se heurte, est qu’elle remet en cause le pouvoir invraisemblable de tous ceux qui créent des fortunes, les bâtissent ou les détruisent à coups de poker en Bourse. L’économie mondiale est aux mains d’une véritable mafia qui a pignon sur rue, que la majorité des gens vénère parce qu’elle n’ose pas se demander d’où leur vient pareille puissance. Ce scandale de notre temps est devenu encore plus flagrant il y a une dizaine d’années lorsqu’à l’initiative de l’Administration américaine, vite suivie dans tout l’Occident, les “dérèglementations” ont quasiment tout permis, pour certains, dans le domaine financier. Depuis, scandales financiers et bancaires sont innombrables et monstrueux.

Pourquoi l’opinion ne réagit-elle pas ? A croire que c’est cette énormité qui paralyse les gens, au point de préfèrer se laisser asservir plutôt que chercher à comprendre pour trouver le moyen d’y mettre un terme.

Le journaliste le plus courageux en la matière, et fort bien informé, est certainement Frédéric F. Clairmonte qui, depuis des années, dans Le Monde Diplomatique dénonce scandales financiers, délits d’initiés, corruptions aux plus hauts niveaux, manipulations des cours, détournements d’actifs, faux bilans, abus en tout genre que permet le système et dans lesquels les plus grandes institutions sont impliquées. Sous le titre “La banque à abattre” [1], il vient d’essayer de démonter les mécanismes de l’affaire de la BCCI [2]. Mais comment y voir clair, écrit-il, “alors que les intérêts sont si imbriqués au sein du capitalisme financier mondial et les pratiques si universellement corrompues ?”. Sa conclusion est sans illusion : “L’aventure de la BCCI peut à tout moment se répéter pour une autre banque, puisque la libéralisation des services financiers laisse se déchainer les appétits les plus féroces”.

Comment peut-on rester indifférent ? Comment peut-on seulement s’intéresser à autre chose, alors que de ce capitalisme-là, nous crevons tous ?

Ce qui me scandalise, c’est que l’opinion s’émeuve si peu [3], c’est que la plupart des gens, par veulerie, par inertie, préfèrent ne pas chercher à comprendre : “Je ne connais rien aux problèmes financiers ! Je ne suis pas calé dans ce domaine ! Ce n’est pas mon job !”. Et c’est comme ça que ça peut continuer…

Et pourquoi un journaliste aussi conscient de ces mécanismes scandaleux tel que l’est F.Clairmonte, ne cherche-t-il pas comment changer de système pour arrêter ce massacre ?

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[1] N° 450, septembre 1991

[2] BCCI = Bank of Credit and Commerce International

[3] Il serait édifiant de faire un sondage à ce propos, de demander à l’homme-de-la-rue : “Etes-vous au courant de l’affaire de la BCCI ? ”. Peu de gens, probablement, ont suivi l’affaire. Il en résulte une impression vague qui, au plus, se traduira par l’abstention aux élections, avec tous les risques pour la démocratie…

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Lu, vu, entendu

par A. PRIME, P. H., M.-L. DUBOIN
octobre 1991

Les beautés du libéralisme

Pendant qu’on déboulonne en URSS les statues du communisme, les méfaits du libéralisme passent quasiment inaperçus :

*

. Kodak va supprimer 3.000 emplois (4 % de ses effectifs) après avoir déjà remercié 7.500 employés.

*

. En ex-RDA, la Bundespost envisage de supprimer 11.000 postes sur 78.000. Il faut bien faire l’apprentissage de la Démocratie.

*

. DMC, “numéro un” français du textile supprime 1.500 emplois.

*

. Citroën (Rennes, XM) licencie 1.800 personnes.

*

Découverte d’un charnier d’enfants dans une mine d’or du Pérou. Agés de 10 à 14 ans, ils avaient été forcés de travailler dans cette mine. D’après les rapports des médecins légistes, certains ont été fusillés, d’autres sont morts de malnutrition ou de maladie. Tous portaient des traces de torture. (Le Monde 18 août)

*

Les Etats-Unis sont redevenus les premiers fournisseurs d’armes du tiers-monde. (Le Monde 13 août)

*

Suite au scandale de la banque BCCI, démission des dirigeants de la First American Bankshares, mouillés dans l’affaire. (Le Monde 15 août)

*

Nouvelles opérations frauduleuses dans une banque japonaise : après Fuji Bank et Saibama Bank, c’est au tour de la Tokyo Shinkin bank (sur 15 milliards de francs). (Le Monde 15 août)

A.P.

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Edith et l’utopie

C’était au tout début de son règne, lorsque la belle Edith jetait des idées à tous vents : “Les utopies généreuses sont le fondement même du progrès”. Hourrah ! Vive l’Economie Distributive donc !

Las, il y a loin de la coupe aux lèvres. A peu de temps de cette belle envolée, Edith Cresson choisissait de pénaliser les salariés pour boucher le trou de la Sécu et faisait mille grâces aux patrons.

A.P.

***
Le Japon achète le monde

On comprend que P.A. Donnet ait pu écrire un livre portant ce titre. Le Monde du 15 août nous apprend que la balance commerciale japonaise a été excédentaire de 43,5 milliards de dollars pour le seul premier semestre 1991 (27,7 milliards de dollars pour la même période en 1990).

A.P.

***
Isabelle béatifiée ?

Isabelle 1ère, dite la Catholique, reine de Castille et d’Aragon de 1474 à 1504, sera-t-elle béatifiée ? La cause semblait entendue il y a quelques mois ; probablement faire coïncider la béatification avec le cinquième centenaire de la découverte des “Indes” (les futures Amériques en réalité) en 1492 par Christophe Colomb. Isabelle en effet aida les entreprises de ce dernier.

Mais une levée de boucliers s’est faite contre la béatification : c’est que la très catholique Isabelle a fermement soutenu la “Sainte Inquisition” (nomination d’un Grand Inquisiteur en 1478) et proscrit les Juifs. Rome a dû surseoir à la décision. Mais ne suffit-il pas dans ce genre d’affaire de “donner du temps au temps” pour faire avaler sans bruit la couleuvre ? On ne prête qu’aux riches.

A.P

***
Socialistes et Ecologistes

Selon Patrick Jarreau [1], les socialistes, inquiets de voir les écologistes progresser dans l’opinion à leurs dépens “tentent d’introduire dans leurs réflexions une dimension écologiste”. Il mentionne en particulier Jean Poperen, qui “met en avant une condamnation du productivisme directement inspirée des thèses écologistes”, Laurent Fabius, “initiateur de colloques organisés à la présidence de l’Assemblée Nationale sur des thèmes tels que l’effet de serre”, et Madame Marie-Noëlle Lienemann. Certains envisagent “une recomposition” de la gauche, associant les socialistes, les anciens communistes et les écologistes.

Dès lors les écologistes auront à choisir “entre deux stratégies”. B. Lalonde est partisan de chercher du renfort dans une alliance avec le PS. A. Waechter reste fidèle au principe “ni droite, ni gauche”, mais les “réflexes conservateurs” de certains Verts inquiètent P. Jarreau : le choix à faire face au Front National pourrait “provoquer une rupture” au sein du Mouvement.

Quant à nous, distributistes, nous serions favorables à un regroupement politique dont le programme réunirait les objectifs de l’écologie et ceux d’un véritable socialisme. Les écologistes devraient se situer nettement à gauche, vu que leurs actions, tant que les structures capitalistes seront intactes, sont condamnées à rester peu efficaces.

P. H.

***
Encore une idée fausse

Les Allemands avaient la réputation d’être des travailleurs acharnés. C’est devenu faux. Les salariés les mieux payés du monde préfèrent travailler… le moins possible.

“En dépit de leurs longues vacances (six généreuses semaines par an), de leurs fréquents séjours dans des établissements de cure thermale et d’exercices constants, les Allemends apparaissent comme les employés les plus fréquemment malades. Ils prennent davantage de jours de congé maladie que leurs semblables dans n’importe quel pays du G7. L’an dernier, l’Allemand moyen s’est fait porter pâle pendant 18 jours, contre 11 jours en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis…et 27 jours en Suède.

Curieusement, le taux de maladie augmente brusquement les vendredis et lundis…Les Allemands ont la plus courte semaine de travail des sept pays les plus industrialisés…L’Allemand moyen ne travaille que 1550 heures par an, contre 1800 heures aux Etats-Unis et 2100 heures au Japon.

(source :“ The Economist”)

M-L D.

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[1] source : “Les écologistes entre deux stratégies”, “le Monde” du 10-8-1991

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Eppur, si muove !

par A. PRIME
octobre 1991

“Et pourtant, elle se meut”. Tous les écoliers connaissent (le plus souvent sous la forme : “Et pourtant, elle tourne”) cette phrase rageuse de Galilée contraint, pour échapper au bûcher de la “Sainte Inquisition”, de renier ses théories sur la rotation de la terre sur elle-même et autour du soleil. C’était en 1633.

Un siècle plus tôt, Copernic, dans son “Traité sur les révolutions des mondes célestes” s’inscrivait déjà en faux contre le dogme de l’Eglise ; s’il ne fut pas pourvuivi, c’est ... qu’il eut la sagesse de mourir quelques jours après la publication de son livre. Entre Copernic et Galilée, en l’an 1600, l’Inquisition avait brûlé Giordano Bruno, auteur entre autres de“L’infini de l’univers et des mondes”, qui avait refusé de se rétracter.

1633. Il y a trois siècles et demi seulement régnait encore un tel obscurantisme dans les “civilisations avancées” de l’époque, les catholiques du moins [1]. On mesure mieux l’importance - pour ne pas dire la nécessité - du siècle des Lumières et de la révolution de 1789, même si celle-ci connut des bavures et put paraitre annihilée par l’Empire et le retour des rois. Car rien ne fut plus jamais comme avant : la porte était ouverte aux théoriciens du progrès social, aux luttes ouvrières malgré la prison ou la répression. Le 19e siècle fut un des plus féconds. Et le 20e siècle suivit... jusqu’à nos jours.

“Et pourtant, elle se meut”, comme la terre : je veux parler de la pensée, de la lutte pour une société nouvelle. D’où vient pourtant ce sentiment de “sur place” à une décennie du 21e siècle ? Les idées défendues par Copernic et Galilée paraissent aujourd’hui élémentaires, presque simplistes sur le plan scientifique. Le parallèle est flagrant avec les théories de Jacques Duboin. Mais, si de nos jours, on ne brûle plus, on enterre, c’est bien ce que nous constatons et ce dont nous souffrons depuis 60 ans et singulièrement, depuis l’après-guerre. Sur un plan général, après l’écroulement des pays du “socialisme réel” comme on les appelle (et l’URSS en fait maintenant partie [2], il semble que les idées progressistes “ne se meuvent plus”, chez la plupart des penseurs, philosophes, hommes politiques, y compris ceux qui se disent de gauche. Les pays de “civilisation avancée” (les pays les plus industrialisés) valent-ils mieux que les pays de “civilisation avancée” sous Galilée ?

L’Evénement du Jeudi [3] a mené une enquête auprès de diverses personnalités en leur posant la question : “Faut-il encore faire la révolution ?” Guy Sorman, énarque, apôtre du libéralisme, répond : “Le capitalisme - ou mieux l’économie de marché [4] - a gagné la bataille historique contre le socialisme... Entre les riches blasés et les pauvres “croyants”, ni guerre, ni révolution. Un simple cordon de police, comme au Koweit ou à Mantes la Jolie”. Il faut mesurer le poids de chaque mot, la gravité de tels propos, car ils traduisent “philosophiquement” et cyniquement la pensée des “vainqueurs” d’aujour-d’hui ; ceux qui, il faut le reconnaitre, ont gagné la deuxième manche, qu’ils croient la dernière. Si Guy Sorman avait raison, si tel devait être le monde futur, certes la vie, pour les gens de cœur et de progrès, n’aurait plus aucun sens. La “pensée zéro” qui semble prévaloir aujourd’hui, qui tombe comme une chape de plomb sur le socialisme en général, n’est pas une simple vue de l’esprit.

Cet été, je me promenais dans Saint-Tropez avec un ami, ancien communiste, qui se croit toujours socialiste et connait très bien nos thèses. J’attirais son attention sur les gros bateaux, les Mercédès, BMW et autres Porsche : “Avec cette société à deux vitesses, les riches ont vraiment de plus en plus de fric”. Il me répondit avec le plus grand sérieux après un temps de réflexion :”Et si c’était en fin de compte la seule solution possible” ?. La gangrène s’étend dangereusement : pour beaucoup, c’est le temps du repli, de la résignation, du chacun pour soi, de l’égoïsme. Les Socialistes sont sans projet, sans “grand dessein”. Les idéologies sont suspectes, seul le pragmatisme est de mise. Certains, toujours “croyants”, chez les socialistes notamment, sont comme Saint Pierre, lors de l’arrestation de son maître : Non, ils ne connaissent pas le socialisme [5].

L’idée dominante qui ressort de l’ensemble de ces réponses, c’est que l’idéologie du socialisme est morte avec “le socialisme réel” et qu’au mieux, il convient de “réformer” le capitalisme dans ses effets les plus pervers.

C’est dire que nul n’envisage plus de “rupture” avec le capitalisme. Tout n’était que tares dans les pays du “socialisme réel”, alors qu’on ferme pudiquement les yeux sur les effroyables méfaits du capitalisme, pourtant aggravés depuis une décennie par l’approfondissement de la société duale : chômage, exclusion, perte de la dignité, diplômes sans débouchés, violence, vol, criminalité accrue, drogue, scandales financiers aux plus hauts niveaux de la “bonne société” (banques, hommes politiques), guerres, ventes d’armes...

Et que dire de la misère dans le tiers-monde, pillé, rançonné, où des millions de gens meurent de faim ? Et que sera-ce demain lorsque la population du globe atteindra 10 milliards, les “nantis” ne représentant alors guère plus de 1 à 1,5 milliards d’individus, c’est-à-dire pas plus qu’aujourd’hui avec 5,4 milliards d’habitants ?

Peuvent-ils espérer, ces hérauts d’un “monde fini en 1990/1991”, qu’ils maintiendront le statu quo avec “un simple cordon de police, comme au Koweit ou à Mantes la Jolie” ? Certes Guy Sorman et ses pairs misent sur une “Sainte Inquisition” séculière régie par un nouvel ordre mondial : toujours plus de flics pour les problèmes intérieurs, une armada comme celle du Golfe pour les problèmes extérieurs.

Le socialisme est “sonné”. “Et pourtant, il se meut”. Les distributistes, d’autres, veillent. L’exclusion, sous toutes ses formes, du “banquet de l’abondance”, voilà le brulôt qui demain ranimera la flamme.

Faut-il encore faire la révolution ? Le grand soir est exclu, soit ! Mais “des révolutions” , et pas seulement des réformes, peuvent sortir l’humanité d’une impasse tragique. La comparaison avec notre planète est éclairante. La terre fait chaque jour une révolution sur elle-même ; et 365 révolutions annuelles conduisent à la grande révolution autour du soleil.

C’est symboliquement la voie qu’il nous faut suivre : les efforts convergents des vrais écolos, des citoyens du monde, des authentiques socialistes doivent, à terme - à long terme peut-être - permettre à l’Homme de réaliser, enfin, son destin envers et contre tout. L’Inquisition n’est pas éternelle. La troisième manche commence. 1789 n’est pas achevé : “la France n’est jamais aussi grande que lorsqu’elle l’est pour tous les hommes”.

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[1] En effet, la civilisation arabe et orientale brillait depuis 4 à 5 siècles avec notamment Avicenne et Averroès.

Et que dire de la Grèce, plusieurs siècles avant J.C. ?

[2] numéro du 27 juin au 3 juillet.

[3] Relire, à la lueur des évènements actuels, mon article “l’URSS au bord du gouffre”. GR janvier 1991.

[4] Le marché en soi n’est pas mauvais, il régit les échanges. De récentes G.R. ont fait le point. Mais en réalité, ce sont les capitalistes qui faussent le jeu du langage. Voyez la réponse de G. Sorman : pour eux, l’économie de marché ne saurait être que celle du capitalisme !

[5] “Je sais bien que la grammaire marxiste fait figure d’obscénité dans la conversation” , Julien Dray, député, chef de file de la nouvelle école socialiste, après avoir fondé SOS-Racisme.

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Ecoutons quelques personnalités, interrogées par l’EDJ, répondre à la question :

“Faut-il encore faire la révolution ?”

octobre 1991

Daniel Cohn-Bendit, “Tête et coeur de mai 68” :

“Alors, avons-nous besoin d’une révolution ? Non. De révolutions ? Oui.

Dans l’imaginaire collectif d’antan, la révolution simplifiait le réel pour (soi-disant) le transformer. Les révolutions, au contraire, doivent reconnaitre la complexité du réel pour le transformer réellement ; non pour des lendemains qui ne chanteront jamais, mais à cause d’un aujourd’hui qui ne veut plus étouffer sous le discours hypocrite de la politique régnante”.

Philippe Herzog, économiste, membre du B.P. du P.C. :

“Je suis pour ! Non pour “la” révolution mythique, mais pour une révolution originale, pacifique, autogestionnaire ; pour une société qui dépasse le capitalisme. Il y a des acquis, comme le marché, qu’il faut garder.

... Pour cette révolution, il ne faut pas imiter les modèles du passé. La chute du socialisme étatiste à l’Est nous débarrasse de l’illusion d’abolir le capitalisme par voie d’Etat. Construisons plutôt une société mixte de transition à l’intérieur du capitalisme, un chantier pour son dépassement graduel”.

Alain Minc, financier et écrivain politique :

“Occident : la seule voie révolutionnaire est ... le réformisme ! Malheureusement, il est en panne. Les socialistes ont cru à la révolution quand elle n’avait aucun sens ; aujourd’hui, ils calent devant les réformes.

On a mis soixante-dix ans à comprendre que le marché est l’état de nature de la société. Pas de système alternatif. Impossible d’inventer une économie de marché sans capitalisme. Mais le capitalisme, parce que c’est la vie, exige des réformes”.

Bernard-Henri Lévy, philosophe :

“La fin de l’utopie révolutionnaire peut conduire à un désespoir qu’on sent, ici et là, en suspension. Si le capitalisme est incapable de formuler un projet et, par des réformes, de tendre vers lui, on ne peut exclure - ce serait épouvantable - le ressurgissement du messianisme et de la révolution”.

Michel Crozier, sociologue :

“La fixation marxiste développée à la fin du XIXe siècle est terminée. Le “modèle” socialiste, plus personne n’y croit, sauf quelques intellectuels français dont la révérence pour les mots est infinie.

Je ne prétends pas que le capitalisme soit un “bon” système mais la révolution, elle, est catastrophique”.

Cardinal Roger Etchegaray :

“L’injustice est toujours parmi nous. Il faut envisager les moyens de se mesurer à elle, dans le temps et dans l’espace”.

Alain Lipietz, économiste “vert” :

“Le productivisme capitaliste a évincé ses rivaux, mais semble avoir perdu la capacité de se réformer. Les prochaines révolutions devront être modestes : seulement pour un nouveau compromis, pour la réforme d’un système qui n’évoluera que lentement”.

Jean Poperen, socialiste :

“La révolution -entendons par là la rupture avec le capitalisme - a en effet échoué. Son “modèle” le plus achevé, d’inspiration marxiste-léniniste, s’abime aujourd’hui dans le désastre. Faut-il comprendre que celui-ci est sans appel ? On pourrait s’en réjouir si le système antagoniste - le capitalisme libéral - devait garantir l’équilibre des sociétés, l’avancée progressive des démocraties, le bonheur des peuples du Sud comme du Nord. On est loin du compte.

Dès lors, faute de rompre avec le capitalisme (“faire la révolution”) peut-on le tempérer, élaborer avec lui un compromis ? C’est toute la question posée aujourd’hui en France, posée à l’humanité : c’est cette voie du compromis qu’il faut explorer” .

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Considérations européennes

par R. MARLIN
octobre 1991

J’entends bien ces messieurs les politiques et leurs commentateurs affirmer la victoire finale du réalisme capitaliste sur l’utopie socialiste. Outre qu’ils vendent peut-être un peu tôt la peau de l’URSS, de la Chine et de Cuba entre autres, l’effondrement du totalitarisme bureaucratique ne signifie point, fort heureusement, la fin des aspirations humaines à plus de dignité, plus d’égalité et plus de justice.

L’Europe pacifique

C’est vrai la guerre du Golfe a consacré l’hégémonie des Etats-Unis sur tous les autres Etats traduite par sa domination totale de l’Organisation des Nations-Unies. Pour des raisons diverses, les anciennes puissances de l’Est se sont ralliées ou se sont tues. Chacun a remarqué que l’Europe, en tant que telle, a été quasiment inexistante. Comment une mosaïque de gouvernements aux intérêts si divergents aurait-elle d’ailleurs pu définir une position et une stratégie communes ?

Les politiciens et les partis qui avaient toujours souhaité qu’à travers le pacte de l’Atlantique, l’Europe ne soit qu’un simple glacis pour l’Amérique, ont toute satisfaction. Comme, en réalité, leur position politique ne reflétait que la simple approbation sans restrictions du système économique mercantile, elle subsiste après l’échec de ce qu’ils ont appelé le communisme. Pour les vrais socialistes, par contre, l’Europe ne pouvait se concevoir que comme une force de paix donc inféodée à aucun des deux blocs en présence et à égale distance, idéologique autant que géographique, de chacun d’eux. Ils persistent à penser qu’un régime politico-économique adéquat serait fort éloigné du stalinisme mais aussi de celui qui est en formation, celui des financiers et des multinationales.

Il est d’ailleurs assez curieux de constater que la première préoccupation des chefs d’Etat et de gouvernement qui sont censés bâtir l’Europe n’est pas de construire une fédération harmonieuse et prospère, mais bien de veiller à ce que les intérêts dits nationaux qui ne sont en réalité que ceux d’une certaine oligarchie, soient préservés. Au lieu de célébrer l’édification d’un grand ensemble, ils exaltent des sentiments purement égoïstes. Au lieu de chercher à créer une mystique européenne, ils mettent en garde contre le voisin et avant de jeter les bases d’une citoyenneté européenne en instaurant, par exemple, des élections transnationales, ils pensent à une armée. Comme si, même ceux qui croient à la violence comme moyen de résoudre les conflits, admettaient qu’un soldat doit se battre et éventuellement se faire tuer sans motivation. Il est vrai que la guerre technologique et “chirurgicale” peut se déclencher et se mener sans adhésion sinon celle des spécialistes qui la conduisent, mais pas celle du citoyen de base qui la subit. Au nom de la défense de la démocratie...

L’Europe agricole

Puisque les 6 % de la population active que sont les agriculteurs suffisent maintenant pour assurer la production alimentaire nécessaire à nos pays avancés, l’on pourrait croire que le souci des occidentaux serait de nourrir les populations affamées du tiers et du quart monde. Pas du tout. La lutte se circonscrit entre les “surproducteurs” européens et américains qui s’accusent mutuellement de fausser le jeu “normal” des marchés à coup de subventions. En réalité si les Européens subventionnent les produits, les Américains qui se disent libre-échangistes, subventionnent les agriculteurs, ce qui revient au même. N’oublions jamais que 70 % des revenus agricoles proviennent, dans notre pays, de fonds collectifs, soit nationaux, soit communautaires, c’est-à-dire européens. Les agriculteurs (qui votent à droite, donc pour ceux qui, au nom du “marché” et de la “rentabilité”, ont détruit nos mines, notre sidérurgie, notre industrie textile et détruiront bientôt nos entreprises automobiles), feraient bien de réfléchir que si leurs chers politiciens leur appliquaient les mêmes règles, ils seraient depuis longtemps au chômage.

Mais revenons à notre sujet à travers “Tribune pour l’Europe” de mai 1991 [1] dont nous extrayons ces quelques lignes significatives : “... Pour mettre fin à l’accumulation des stocks, on a mis en place des correctifs, tels que le gel des terres, la taxe de coresponsabilité, les quotas de production... Mais cela n’a pas suffi. Aujourd’hui on se trouve de nouveau confronté à une accumulation de stocks : 20 millions de tonnes de céréales, 750.000 tonnes de boeuf, 600.000 tonnes de produits laitiers transformés en poudre ou en beurre. La situation est d’autant moins brillante que l’emploi agricole s’est réduit au rythme de 3% par an et que le revenu des agriculteurs en termes réels continue de baisser (-4,5 % en 1990). Si l’on continue ainsi, en l’an 2015, il n’y aura plus que 3 millions d’agriculteurs. Autre scandale, 80 % du budget consacré à l’agriculture [2] bénéficient à seulement 20 % des agriculteurs (les grandes exploitations)...” Et de conclure... que le Parlement après son débat, le Conseil et la Commission envisagent de ... poursuivre à l’avenir la même politique... au grand dam des agriculteurs qui manifestent dans les rues.

Nous dédions ces informations, qui s’ajoutent à toutes celles que nous avons déjà précédemment données sur ce sujet [3], aux maitres du catastrophisme tels que notre ancien camarade René Dumont, selon lesquels une baisse effroyable de la production vivrière devrait entrainer des famines généralisées au cours des années 90. Dans ce système inhumain les riches continueront à se repaître, les modestes à se priver et ceux qui ne sont pas solvables à mourir de faim malgré les stocks qui s’accumulent et les moyens utilisés pour détruire ceux que l’on a pas réussi à empêcher d’apparaitre. Est-ce cela la vocation d’une organisation continentale futuriste ?

L’Europe sociale

“Le social faille de l’Europe” écrivait déjà E. Maire dans un article qui avait fait date [4]. Depuis la Commission des Communautés européennes a adopté un projet de Charte des droits sociaux fondamentaux [5] qui récapitule les protections dont devraient bénéficier les citoyens de l’Europe. En fait ce sont celles qui sont déjà en vigueur dans la plupart des Etats socialement avancés et il n’y a là aucune amélioration pour leurs habitants. Cette déclaration a été adoptée en décembre 1989 par les représentants de onze Etats membres à la seule exception donc de la Grande Bretagne. Elle a été complétée par un programme d’action pour que la Commission prenne les dispositions nécessaires à son application. Pourtant les gouvernements ne sont guère pressés et le projet de réforme en profondeur du Traité de Rome qu’ils préparent n’y fait guère allusion. Martine Buron s’en plaint dans “Aujourd’hui l’Europe” [6]. Elle relève aussi que les syndicats européens ne sont guère incitatifs en la matière.

Pourtant le même journal donne dans la colonne voisine d’excellentes explications à ces retards sous la forme d’une interview de R. Petrella [7] qui déclare notamment : “...Si l’économisme marchand ... prédomine comme à l’heure actuelle, il n’y aura pas de démocratie participative, ni au niveau des villes, ni au niveau des Etats, et a fortiori au niveau de l’Europe communautaire... Le principe ... de la compétitivité... véhicule la culture du plus fort et légitimise le fait que ceux qui sont forts sur le plan de la performance commerciale à court terme ont raison... c’est une tricherie parce que nos marchés sont tout sauf concurrentiels... En France, la concurrence ... n’existe plus dans la plupart des secteurs économiques et au niveau européen, nous assistons à des structures oligopolistiques de marchés à tendance cartellisante. Les processus de concentration industrielle et financière au niveau européen sont .. forts, précis, il est difficile d’y résister”.

Dans ces conditions, les travaux d”Europe 93” [8] ne paraissent avoir que fort peu de chances de se traduire, même partiellement, par des décisions communautaires.

L’Europe monétaire et du revenu

L’Union monétaire, comme le souligne A. Prate dans son livre “Quelle Europe ?” [9], serait un puissant instrument d’intégration économique. L’écu pourrait contrebalancer l’influence du dollar comme unité monétaire et faciliter une réforme du système monétaire international dans le sens d’une plus grande neutralité des changes.

Le débat entre monnaie unique et monnaie parallèle ou treizième monnaie est évidemment un faux débat. La thèse de la monnaie parallèle lancée par “The Economist” de Londres et les banquiers commerciaux principalement luxembourgeois, est destinée à retarder l’échéance. Certains “spécialistes” ont calculé le coût, pour l’Europe, de l’anarchie monétaire actuelle. Les chiffres avancés, qui n’ont aucune base sérieuse, s’élèvent à plusieurs centaines de milliards de francs par an. Comme d’habitude les financiers en question oublient l’essentiel. En effet, si la charge pour l’industrie et les échanges est réelle et se répercute inévitablement dans les prix au détriment du consommateur, l’on sait bien que les principales, sinon uniques bénéficiaires, en sont les banques. Il n’est donc pas étonnant qu’elles s’opposent tant qu’elles peuvent à la solution du bon sens. Ce n’est pas un hasard si elles sont à l’origine de propositions dilatoires. La City de Londres tire une grande partie de ce qui lui reste de puissance du coût des changes donc le gouvernement anglais ainsi que le système bancaire allemand sont aux premiers rangs dans cette opération.

Enfin, continuons le débat [10] auquel René Passet, Gilles Gantelet, Bernard Barthalay et Jacques Robin nous convient dans “Transversales.” Mais saluons d’abord l’hommage que Jacques Robin rend au grand précurseur Jacques Duboin et les nombreuses références à l’économie distributive que contient cette livraison. Le numéro est centré sur “le revenu européen de citoyenneté”. René Passet opte pour le dividende universel dans un vocabulaire un peu incertain puisqu’il parle ensuite du RMI (Revenu minimum d’insertion ? existant) ou du RMG (Revenu minimum garanti) expression employée également par Gilles Gantelet. Or toutes ces désignations ont des significations pratiques très différentes qu’il faudrait préciser et discuter. René Passet démontre ensuite que, moyennant la suppression des prestations sociales actuelles sauf les prestations de santé-maladie, un revenu de 1.000F par mois pour les moins de vingt ans et de 2.000 F au-delà pourrait presque dès maintenant être servi à tous. C’est une proposition transitoire, valable seulement pour la France prise comme exemple et qui a son intérêt. Néanmoins, elle présente l’inconvénient d’être distribuée à certains qui n’en ont vraiment pas besoin. Elle ne semblait acceptable, sous le nom d’allocation universelle (lui aussi mal choisi) que rentrant dans les revenus imposables. Alors qu’en est-il ?

Pour de nombreuses raisons, je serais plutôt partisan d’un RMI étendu à l’Europe et payé, au moins en partie, en monnaie verte. Il n’est évidemment pas possible, faute de place, d’en débattre ici...

Contentons-nous donc de nous réjouir qu’après Alexandre Marc et son “Revenu social garanti pour l’Europe” [11], une discussion sérieuse avec des interlocuteurs qualifiés reprenne sur nos propositions de transition. Serait-ce l’amorce, après l’instauration du RMI en France, de réalisations plus vastes à l’échelle continentale ?

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[1] Information du Parlement Européen 288, Bd Saint Germain 75007 Paris

[2] On apprend plus loin que les dépenses agricoles devraient s’élever en 1992 à 34,66 milliards d’écus (230 milliards de francs environ), soit 53,4 % du budget total de la communauté.

[3] Voir par exemple :”Incohérence agricole commune” (GR n° 805) ou “Abondance indésirable” (GR n° 847)

[4] “Le Monde” 23 août 1991.

[5] Publié par le bulletin de la Fédération Mutualiste de Paris, n° 411

[6] Mensuel de la délégation française du Groupe socialiste au Parlement européen. n° 11, juin 1991.

[7] Responsable de la commission du programme FAST chargée d’étudier les conséquences et les enseignements des développements scientifiques et techniques en Europe.

[8] Groupe d’initiative animé par Philippe Laurette et auquel participent notamment : Guy Aznar, Bernard Barthalay, Jeanine Delaunay, Mireille Delmas-Marty, Marie-Louise Duboin, Jean-Pierre Faye, Albert Jacquard, Hugues de Jouvenel, Jacques Moreau, Edgar Morin, René Passet, Edgar Pisani, Jacques Robin, Joël de Rosnay, Robert Toulemon et de nombreuses associations. Secrétariat 22, rue Dussouds 75002 Paris.

[9] Préface de R. Barre et J. Delors. Editions Julliard. L’auteur a été Conseiller Economique du Général de Gaulle. Il est président de la Banque Européenne d’investissement.

[10] Voir l’éditorial de la GR n° 903.

[11] Voir “Minimum social garanti pour l’Europe” , GR n° 870.

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Nouveau capital ! Nouvelle économie !

par A. CHANTRAINE
octobre 1991

Pour la naissance d’un nouveau monde
Oeuvrons pour un sain capital
un capital que l’on respecte
un capital de biens terrestres
que l’on soigne et qui fructifie
pour le seul bien de tous les peuples.

Pour la naissance d’un nouveau monde
soyons dignes des vraies richesses
que nos ainés nous ont léguées.
Bannissons le faux capital
celui du sacro-saint profit !

Oeuvrons pour une économie
où la concurrence agirait
au niveau de la qualité
et où les devoirs et les droits
seraient respectueux entre eux !

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Des chiffres

par A. PRIME
octobre 1991

Nos impôts

Chaque année, notre bien-aimé ministre des Finances nous adresse, avec notre déclaration de revenus, une feuille intitulée “A quoi servent nos impôts ?”. C’est très clair puisque les chiffres sont portés sur deux “gâteaux” éclatés en parts inégales :

(en milliards de francs et pourcentages) :

1. Recettes 1991

- sur les sociétés 170 11,4%
- sur le revenu 293 19,6%
- TVA 670 44,8%
- Autres 363 24,2%
Total 1496 100 %

2. Dépenses 1991

- Dette (int. et remb) 138 9,4%
- Administration 167 11,4%
- Action éco. et logt 225 15,2%
- Solidarité, emploi 136 9,2%
- Educ, recherche 353 24 %
- Collectivités locales 162 11 %
- Défense 220 15 %
- Europe 71 4,8%
Total 1472 100 %

Passons sur le détail qui fait apparaitre les dépenses légèrement moins élevées que les recettes, alors que l’on sait qu’il y a un déficit budgétaire permanent.

On remarque la part énorme (45%) de la TVA dans les recettes : c’est pour cette raison que la France a une des fiscalités les plus injustes, les riches ne payant pas plus cher que les 50 % de salariés gagnant 6000 F. par mois - ou moins - les produits et biens d’équipements.

Notons la faiblesse des impôts sur les sociétés, nos dirigeants - et notamment ceux de gauche - n’ayant cessé de leur faire des cadeaux “pour qu’elles puissent investir”... et licencier après avoir investi.

Le budget de l’Etat est sensiblement inférieur à celui de la Sécu. Alors qu’on cesse de nous rebattre les oreilles avec “le trou béant de la Sécu”, “le gouffre”, etc... sans jamais évoquer le chiffre global qui relativiserait les quelque 20 ou 30 milliards de déficit. Le but est clair : préparer l’opinion à une certaine privatisation des soins et retraites, au profit des grands groupes d’assurances.

A.P.

Dépeçage de l’Ex-RDA

Trois mille privatisations réalisées à ce jour - 96,2 % rachetées par des Allemands, 3,8 % seulement par des étrangers. Les Français (14 firmes rachetées ) ont fait moins bien que les Suisses (21).

source : Canard enchainé 21/8/91

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Au fil des jours

par J.-P. MON
octobre 1991

Patrons et syndicats pour une fois d’accord... pour continuer à fabriquer des armes : les syndicats des personnels du groupe GIAT Industries (toutes familles réunies) ont protesté avec leur patron contre les projets du ministre de la Défense de réduire ou annuler des achats de matériels blindés par l’armée de terre. Il s’agit essentiellement de la fabrication du char Leclerc. La CGT de Tarbes parle de la “Bérézina industrielle” dont elle rend responsable un pouvoir “qui brade l’armement conventionnel au profit de l’armement nucléaire et chimique”.

Et dire que tous ces braves militants étaient contre la guerre du Golfe...

La manifestation du 11 septembre à Tarbes ne manquait pas de piment. On a même pu lire une pancarte portant le slogan : “Un bon programme Leclerc pour vivre et travailler au pays”. Une autre proclame : “Le Leclerc on le veut depuis le début”. Toujours aussi futée que d’habitude, la CFDT dénonce “l’irresponsabilité et la malhonnêteté de ceux qui ne respectent par leurs engagements écrits”. Ne parlons pas de la CFTC qui ne craignant pas le ridicule parle d’un “personnel humilié et offensé dans sa dignité”.

Le char Leclerc est appelé à succéder à l’AMX 30. Son coût est de 30 millions de francs pièce, si on en construit 100 par an. Sa construction procure du travail à 25 salariés du GIAT et à 100 ou 120 chez les partenaires sous-traitants. A l’usine de Tarbes, sa fabrication représente 400.000 heures de travail, soit la moitié du plan de charge. A Roanne, il fait travailler 1.000 des 2.600 salariés de l’usine. A Roanne, comme à Tarbes, les usines du GIAT sont les principaux employeurs industriels de leur département.

Selon le délégué général pour l’armement des réductions d’effectifs sont à prévoir dans ces usines. Mais les “mauvaises” nouvelles annoncées par le délégué général ne s’arrêtent pas là : le huitième sous-marin nucléaire d’attaque ne sera pas construit et la construction du septième sera arrêtée. Enfin, le programme de réalisation de bâtiments anti-mines océaniques est abandonné. La sous-traitance à l’arsenal de Cherbourg pourrait aussi être supprimée.

Bien entendu, les syndicats vont organiser des manifestations contre ces “braderies”.

Décidément, c’est vraiment dur la paix !

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Petit calcul sans signification : un Leclerc coûte 30 millions de francs et demande, en gros, 150 personnes pour le construire. Or 30 millions divisés par 150 celà fait 200.000 francs, soit plus de 16.000 francs par mois et par salarié !

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De son côté l’Aérospatiale pourrait supprimer 400 emplois, soit le quart des effectifs, dans son usine de Bordeaux, en raison de l’abandon du programme militaire de S 45. La Société Européenne de Propulsion pourrait aussi y perdre 248 emplois. Dassault craint de son côté une réduction des commandes de Mirage 2000.

En fait, c’est l’ensemble du complexe militaro-industriel d’Aquitaine qui fait vivre près de 27.000 personnes, qui pourrait être touché. C’était jusqu’à présent l’atout industriel le plus sûr de la région. Les syndicats vont bien entendu organiser des manifestations de protestation. FO et la CFE-CGC réclament avant tout le maintien d’une force de dissuasion nationale plus importante et suggèrent le démarrage anticipé de la fabrication d’une nouvelle génération d’engins balistiques. Mais où sont donc nos ennemis ?

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Autres suppressions d’emplois “pacifiques” ceux-là, chez Usinor-Sacilor, groupe français nationalisé, qui pourrait débaucher, en 1992, 4.000 à 5.000 employés sur les 66.000 que compte la société. On parle même de 20.000 postes supprimés d’ici la fin du siècle. Mais compte tenu de la “nécessité” que s’est imposée le groupe de réaliser 3 % d’augmentation de productivité par an, les réductions d’effectifs pourraient être encore plus rapides.

Il faut dire qu’Usinor, qui est déjà le plus grand fabricant d’acier d’Europe, est en train de mettre au point un nouveau procédé (la coulée en bandes minces) qui permet de supprimer de nombreuses étapes dans la fabrication, ce qui lui donnera une avance technologique importante sur ses concurrents européens.

Mais qui donc prétend encore que le progrès technologique ne supprime pas d’emplois ?

C’est même vrai pour la Bourse, pourtant en pleine expansion. On vient d’apprendre que pour protester contre l’inertie du gouvernement face aux suppressions d’emplois dans les sociétés de Bourse (estimées à un millier sur les 6.000 employés recensés), un militant de la CFTC s’est suspendu pendant quelques heures au pont au Change, retenu par harnais. Il suivait en cela les consignes de son syndicat qui a décidé de se livrer à des manifestations spectaculaires jusqu’à ce que les pouvoirs publics engagent une négociation.

Comme quoi, on peut pratiquer dans son travail le libéralisme le plus sauvage et appeler l’Etat au secours dès que les mécanismes du libéralisme ne vous sont plus favorables !

C’est d’ailleurs une réaction à laquelle nous ont habitués depuis longtemps les apiculteurs qui sont encore en train de s’illustrer dans diverses manifestations. A ce propos, Michel Charasse, ministre du budget, s’est étonné que dans certaines exploitations agricoles, 80 % des revenus viennent des seules aides publiques. Encore un petit effort et ils seront tous fonctionnaires, sans le dire !

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Lectures

Voyage avec Christophe Colomb

octobre 1991

Intéressante chronique d’été du Monde, en page 2. L’une d’elles, “La destruction des Indes” du 15 août - jour religieux s’il en fut - est édifiante, ou plutôt effarante.

Il s’agit évidemment des Indes des Indiens d’Amérique, ainsi nommés parce que Colomb croyait arriver en Inde. Pierre Chaunu tient pour proches de la vérité les chiffres de Bartolomé de Las Casas [1]. En ce qui concerne l’île d’Haïti, baptisée par Colomb Hispanolia : elle comptait 3 millions d’habitants en 1492, et seulement 200 en 1542. L’historien américain W. Borah révise ces données en hausse : 7 à 8 millions d’âmes en 1492, 3,7 quatre ans plus tard, 65.800 en 1510, 250 en 1540. Toutes les Antilles furent logées à la même enseigne. Laissons la parole au Monde :

“Sur le Continent, au Mexique, dont Hernan Cortès commence la conquête en 1519, la chute démographique est similaire : sur le plateau mexicain, 95 % de la population autochtone disparait en soixante ans. Borah avance les calculs suivants : 25,2 millions d’habitants en 1518, 16,9 en 1532, 7,4 en 1548, 2,6 en 1568, à peine plus d’un million en 1608. Dans le même temps, l’émigration européenne augmente. Au total, pour toute l’Amérique, durant le siècle qui suit le premier voyage de Colomb, la mort fauche, selon les estimations, de 60 à 100 millions d’Amérindiens. Une apocalypse sans équivalent dans notre millénaire, que les historiens se sont efforcés d’expliquer à l’abri des passions”.

Hitler ? un gagne-petit comparé aux représentants des rois très chrétiens. Qui peut avoir le coeur de célébrer le 5e centenaire de la découverte du nouveau monde par Christophe Colomb, même si certains, tel Le Roy Ladurie, pensent que beaucoup d’Indiens sont morts de maladies microbiennes importées d’Europe ?

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[1] Las Casas, Dominicain courageux, défendit les Indiens contre la cruauté des conquérants espagnols. Le 20 juin 1531, il écrit à Charles-Quint “Le cri du sang humain répandu monte jusqu’au ciel”.

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Lectures

Subtile et suprême lâcheté

par A. PRIME
octobre 1991

Des hebdomadaires qui se donnaient une teinture de gauche, tels l’Observateur, l’Evènement du Jeudi, ont commencé par tirer à boulets rouges sur le communisme, laissant entendre que la social-démocratie (surtout débarrassée du marxiste, type SPD allemand après Bad Godesberg) était la voie à suivre.

Le communisme abattu, ils montrent un vrai visage : leurs canons se tournent contre toutes les formes de socialisme et tirent des salves pour célébrer la seule victoire tant attendue, celle du capitalisme, du libéralisme. Ils ont joué et jouent habilement de la confusion qui s’instaure dans beaucoup d’esprits entre liberté et libéralisme.

Voyons ce qu’écrivait Jean-Francis Held dans l’EDJ du 27 juin au 3 juillet (Que sera-ce après les évènements survenus en Août en URSS ?). Son article nous remplit à la fois d’angoisse et de colère. Voici un enchainement d’extraits :

“La “vérité” socialiste, une fois sa façade détruite, se résout à une poignée de cendres... La brutalité de son annihilation est à la mesure de son projet... Nous les nantis de la démocratie, on regarde ces (ultimes ) soubresauts avec une stupéfaction placide. Il ne nous reste rien de deux siècles de rêves rédempteurs. Rien que le réel. Rien que notre capitalisme tel qu’en lui-même...

Plutôt que de courir après des obsessions millénaristes, si on essayait de faire avec ce qu’on a. Avec ce qu’on est…On dirait bien que la fraternité universelle n’est pas de ce monde, que toutes les tentations pour l’instaurer ouvrent l’enfer... Même les “troisièmes voies” ont viré au folklore.

Le pouvoir né du capitalisme, lui, a le mérite d’exister. Il a récupéré au coup par coup un nombre incalculable de micro-révolutions. C’est lui qui a digéré - avec quelques hoquets - le mouvement ouvrier et non le contraire.

De là à affirmer que la démocratie n’est pas concevable sans le capitalisme... il n’y a qu’un pas. Tout petit.

La démocratie suppose la liberté individuelle ; donc la passion d’acquérir des biens ; donc la concurrence, donc l’économie de marché ; donc le capitalisme.

Plus de problème. Rideau tiré. Le capitalisme, imparfait grâce à Dieu, a le privilège d’être autoamendable. Il n’a et n’aura jamais, à vision d’homme, de rival comparable avec la démocratie. Le voici sans autre concurrence que lui-même. Couchés, les penseurs”.

Avant de terminer son article, l’auteur marque tout de même quelque doute :

“Son règne (du capitalisme) a de quoi inquiéter. Et si c’était la menace de la révolution qui l’avait contraint à modérer sa voracité congénitale, à céder devant la pression des réformateurs humanistes des syndicats ?

Peut-être qu’un jour l’économie de marché sera dépassée... qu’il faudra faire place à d’autres systèmes mieux adaptés.

Si en l’an 3000 et quelques, le capitalisme a fait son temps et si les capitalistes rechignent à s’en apercevoir, une révolution inouie pourra bien les pousser dehors. Gentiment, bien sûr. Et de grâce, et surtout, pas en avance sur l’heure affichée par les pendules de l’Histoire”.

Si les réserves de la fin laissent percer un filet de lumière - à condition que ce ne soit pas en l’an 3000 ! - le fond de l’article montre une indécente satisfaction. Mission accomplie pour ce journaliste de l’EDJ ! Mais nous ne serons jamais d’accord avec ce type d’analyse et de ... “penseur”, car, nous, nous ne sommes pas “couchés”.

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