Recherche
Plan du site
   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
 
 
 
 
 
AED La Grande Relève Articles > N° 1007 - février 2001

 

Le site est passé à sa troisième version.

N'hésitez-pas à nous transmettre vos commentaires !
Merci de mettre à jour vos liens.

Si vous n'êtes pas transferé automatiquement dans 7 secondes, svp cliquez ici

 

 

< N° Précédent | | N° Suivant >

N° 1007 - février 2001

Sale temps avec éclaircie    (Afficher article seul)

Au fil des jours   (Afficher article seul)

L’effet de serre, un défi pour tous ?   (Afficher article seul)

La croissance est une drogue   (Afficher article seul)

De la croissance sans limite à la consommation raisonnable   (Afficher article seul)

Arguments pour la monnaie de consommation, par H.Muller.

Le couple impossible ?   (Afficher article seul)

Analyse de “science et démocratie”, de J.Mirenowicz.

Le temps et l’argent, les deux trous noirs    (Afficher article seul)

Deuxième partie de l’analyse de “Les trous noirs de la science économique”, de J. Sapir.

^


Éditorial

Sale temps avec éclaircie

par M.-L. DUBOIN
février 2001

Voir mourir une amie de toujours et apprendre de tous nos collaborateurs réguliers, l’un après l’autre [1], qu’ils ont à faire face à une maladie, souvent grave, n’inspirent pas à composer un numéro plein de gaieté et d’optimisme. Surtout quand, dans le même temps, le fils de la CIA est investi du pouvoir suprême dans le pays le plus puissant du monde, qu’il se prépare à donner un nouvel élan à la course mondiale aux armements et ne se décidera à s’inquiéter des dangers de l’effet de serre que lorsque l’océan aura envahi le Texas. Dans ces conditions, savoir que la Californie subit d’importantes coupures de courant parce que la gestion en a été vendue aux intérêts privés fait à peine sourire…

Pourtant, si quelques abonnés nous ont écrit qu’ils sont trop âgés pour lire, tous nous encouragent à continuer. Beaucoup de lecteurs nous ont envoyé, et nous tenons à les en remercier vivement ici, des vœux très chaleureux et de vifs encouragements, souvent accompagnés d’une participation à la souscription “pour que vive La Grande Relève”. Il n’empêche que nous n’avons pratiquement reçu aucune contribution à l’enquête que nous leur suggérions de mener pour dénoncer les effets pratiques, pour eux-mêmes, de la privatisation, en cours, de la Poste.

Isolement, inertie, timidité [2] ? Ou conviction établie que cela ne sert à rien, qu’il est impossible de changer parce que le capitalisme a définitivement gagné ? Dans un climat déjà gris, voir si peu de lecteurs s’investir dans un combat qui, pourtant, les concerne au premier chef, avait donc de quoi décourager.

*

Mais nous avons reçu l’invitation de nous joindre à un nouveau réseau international, intitulé Démocratiser radicalement la démocratie [3] (RDM). Preuve de plus que l’opinion bouge, qu’il y a beaucoup de gens qui comprennent qu’il leur appartient de faire changer la société, cette annonce s’ajoutait aux informations que nous recevions sur le Forum de Porto Alegre, le contre Davos qui promet de ne pas se contenter de contester, ni seulement essayer de résister à la mondialisation libérale, mais (enfin !) d’élaborer entre citoyens et à ce seul titre, les fondements de l’autre monde qui est possible.

Nous ne serons pas à Porto Alegre pour ce premier Forum social, mais il y en aura d’autres. L’important est d’être en contact, d’y participer même à distance, et pas seulement pour faire (enfin !) connaître nos réflexions, mais aussi pour être informés de celles des autres et de leurs expériences.

Par exemple, à cette réunion du réseau RDM, nous avons trouvé beaucoup d’informations sur la façon dont la population de Porto Alegre participe depuis douze ans, activement, sérieusement, officiellement, au budget de la ville. N’est-ce pas la meilleure réponse à ceux qui prétendent qu’il est impossible de faire participer la population à des conseils économiques et sociaux ?

Autrement dit, les citoyens s’interrogent et leurs yeux s’ouvrent. Nouvelle raison pour inciter nos lecteurs à participer à nos réflexions, débats et enquêtes, à en tirer parti en diffusant nos informations ou témoignages et en contribuant à tous ces mouvements de recherche collective. Nos propositions sont valables, défendables et elles sont nécessaires pour construire l’alternative à la dictature des marchés. Le vent tourne, c’est le moment de les faire connaître…

---------

[1] Il est remarquable que si tous sont atteints dans leurs moyens physiques, pas un ne perd la volonté de continuer à agir en collaborant au journal.

[2] ce que suggère le fait que si peu de lecteurs osent prendre leur plume pour nous composer un article apportant leur témoignage, leurs réflexions ou leur expérience.

[3] contact : J-B Picheral, 3 impasse des fleurs, 59240 Dunkerque..

^


Au fil des jours

par J.-P. MON
février 2001

Suppressions d’emplois

• La direction de Danone prévoit la fermeture de sept usines en France et dix en Europe, entraînant au total la suppression de 3.000 emplois dont 1.700 en France [1].

• Le constructeur américain d’ordinateurs Gate-way a annoncé la suppression de plus de 10% de ses effectifs « en raison de la détérioration continue de la demande mondiale pour les PC » [1].

• La maison de vente aux enchères Sotheby’s va supprimer 8% de ses 1.900 emplois, notamment dans ses activités internet [1].

• Le groupe français de construction électrique a annoncé la suppression de 550 emplois dans son usine de Montreal [2].

• Air Canada a annoncé qu’il allait réduire ses effectifs de 8% en supprimant 3.500 postes [3].

• Le New York Times vient d’annoncer qu’il allait licencier 69 salariés (sur 400) de sa division Internet afin de réduire les coûts d’exploitation de la société. Cette mesure lui permettra d’économiser près de 6 millions de dollars.

• Dans les entreprises liées à internet, les licenciements se multiplient : aux États-Unis, dans les six derniers mois, plus de 36.000 emplois ont été supprimés.

• Toujours aux États-Unis, les entreprises ont annoncé en décembre 2000 la suppression de 133.713 emplois. Selon les statistiques du cabinet d’études sociales Challenger, Gray and Christmas, c’est le nombre le plus élevé sur un mois depuis huit ans.

• Chrysler, la filiale américaine du groupe allemand Daimler va annoncer la suppression de 20.000 emplois et la fermeture de 6 usines [4].

***
Obscène

On sait que malgré leurs pleurnicheries habituelles les entreprises françaises font depuis quelques années de somptueux bénéfices. Ce qui n’empêche pas leurs dirigeants de tenter d’imposer à leurs employés une modération salariale « en contrepartie de 35 heures ». Eux, par contre, s’octroient de substantielles augmentations « pour rattraper leur retard par rapport à leurs collègues anglo-saxons ».

Quelques exemples [5] : la rémunération de Jean Peyrelevade, patron du Crédit Lyonnais, passe de 2 millions de francs en 1999 à 4,2 millions de fixe et près de 3 millions de bonus en 2000, grâce à la privatisation de sa banque ; Philippe Bourguignon, patron du Club Méditerranée, a reçu 3 millions en fixe et 3,4 millions en salaire variable dépendant du résultat de l’entreprise ; on sait aussi que « un Messier vaut 247 smicards ».

En principe, pour que les dirigeants ne fixent plus eux-mêmes leur salaire, les entreprises ont mis en place des “comités de rémunérations”. Mais ils sont composés de dirigeants d’autres entreprises et, comme le dit Mme Neuville, porte-parole des petits actionnaires, « cela suscite des renvois d’ascenseurs entre les gens qui se rémunèrent entre eux ». Et en plus, ils voudraient casser le régime actuel de retraites ! C’est franchement obscène.

***
L’internationale revisitée

On se rappelle qu’il y a un peu plus d’un an des fermiers américains s’étaient cotisés pour payer la caution de José Bové avant son procès. En novembre dernier, ce sont les militants du syndicat SUD d’Orléans qui se sont mobilisés pour venir en aide à leurs collègues américains de la librairie en ligne Amazon. Des opérations analogues ont eu lieu dans les centres de distribution d’Amazon en Allemagne et en Angleterre. Les syndicalistes américains ont alerté les syndicats français sur les conditions de travail qui règnent à l’intérieur des sites de l’entreprise aux États-Unis : horaires de travail démentiels (jusqu’à quatorze jours sans repos et plus de cinquante heures hebdomadaires) ; avantages sociaux et assurance-maladie non étendus aux familles ; salaires versés en partie sous forme de stock-options alors qu’Amazon n’a pas encore réalisé un seul dollar de plus-value boursière et que ces stock-options sont bloqués cinq ans,…

Comme le soulignent les responsables de SUD, à l’heure de la mondialisation « on ne peut pas se contenter de se battre pays par pays contre les décisions prises au siège central d’une multinationale ».

***
L’A.B.C. du management modèle

Selon Carol Galley, coprésidente De Merrill Lynch Investment Managers, premier gestionnaire de fonds britannique et sixième au monde, qui gère 555 milliards de dollars (la moitié du PIB français) : « L’entreprise modèle n’existe pas. Ce qui importe, c’est la manière dont elle est gérée dans l’intérêt de ses actionnaire … En analysant un bilan, je me pose la question suivante : : cette société est-elle gérée de manière suffisamment efficace pour survivre dans un environnement dérèglementé ?… Le devoir du management est d’offrir aux actionnaires un rendement approprié. Ces dix dernières années, les investisseurs institutionnels sont devenus plus exigeants, ils réclament des comptes aux entreprises dans lesquelles ils investissent les fonds de leurs clients. Cette exigence peut créer des tensions, mais elles sont positives » [6]. Les managers n’ont qu’à bien se tenir !

---------

[1] Le Monde, 13 janvier 2001.

[2] Le Monde, 10 janvier 2001.

[3] Le Monde, 23 décembre 2000.

[4] Wall Street Journal Europe, 22 janvier 2001.

[5] Liaisons sociales magazine, décembre 2000.

[6] Le Monde, 23 janvier 2001.

^


Les changements climatiques sont devenus depuis plusieurs années un sujet majeur de préoccupations pour l’environnement au niveau de notre planète. Dans le Monde du 16 janvier, deux aéronomistes, M-L Chanin et J-L Fellous, ont fait une remarquable mise au point qui devrait écarter toute confusion à ce sujet : observations et modèles montrent que le climat est altéré, la proportion de CO2 dans l’air n’a jamais été aussi élevée et elle ne cesse de croître ; la question est aujourd’hui de savoir comment anticiper son évolution et ses conséquences, alors qu’« aucun homme politique n’est en mesure de proposer à ses électeurs un programme de réduction de la consommation d’énergie suffisant, et les états-Unis, premier pollueur mondial, ne sont pas près de montrer l’exemple ». En relation avec ce changement,“l’effet de serre” était le thème de la conférence donnée le 7 décembre à Garches par Benoît Lebot, responsable du secteur “économies d’énergie” à l’Agence Internationale de l’Energie et dont voici l’essentiel de la première partie :

L’effet de serre, un défi pour tous ?

par J.-C. PICHOT
février 2001

L’effet de serre est un phénomène naturel dont la première description a été faite par Jean-Baptiste Fourier en 1827. Vingt cinq ans après le début des observations météorologiques standardisées en 1873, Svant Arrhenius, savant Suédois, suggère le rôle important du dioxyde de carbone, ou CO2, dans le réchauffement du climat. Ce phénomène n’est pas imputable en tant que tel aux activités humaines et ne peut donc pas être assimilé à une nuisance ou une pollution, contrairement aux chlorofluorocarbones (CFC) vis-à-vis de la couche d’ozone ou aux oxydes d’azote produits par nos moteurs à explosion, si néfastes à la santé dans les villes. Il répond à des lois naturelles qui existaient bien avant notre apparition sur Terre il y a quelques millions d’années ! C’est même grâce à lui que notre planète est habitable et que la vie a pu s’y développer dans des conditions qui nous “conviennent” ; en son absence, nos températures seraient en effet en moyenne inférieures de plus de 30°C à ce qu’elles sont aujourd’hui, et les formes qu’aurait prises la vie ne seraient probablement pas celles que nous connaissons.

L’effet de serre existait à l’époque des dinosaures, il y a plus de 70 millions d’années ; une hypothèse surprenante a même été faite à propos de leur disparition, dont la cause aurait été, au moins partiellement, liée à un fort accroissement dans l’atmosphère du taux de CO2 de provenances diverses (géologique, végétale ou animale), non compensé par la photosynthèse, auquel se serait ajouté le méthane (CH4) produit en grandes quantités par leurs systèmes digestifs : le climat aurait tellement changé qu’ils n’y auraient pas résisté La nouveauté est que cet effet ne cesse de s’amplifier, et à une allure qui s’accélère, du fait de l’accroissement dans l’atmosphère de la part des gaz issus des activités humaines qui en sont responsables, principalement le CO2. Celui-ci provient pour l’essentiel de la consommation des énergies fossiles qui ont façonné nos sociétés actuelles et nos modes de vie. Le méthane dont la production provient pour plus de la moitié de l’élevage du bétail et des rizières (donc de phénomènes liés au fonctionnement de nos sociétés, même s’ils ne sont pas “industriels”), est le deuxième responsable de l’accroissement de l’effet de serre (actuellement, il concourt à cet accroissement pour 15%). Les autres gaz incriminés sont l’oxyde nitreux (N2O), l’ozone (O3, produit naturellement dans la haute atmosphère), les CFC et même la vapeur d’eau. Par ailleurs, il n’existe aucune parade connue, physique ou chimique, au phénomène, pour remédier à cette évolution.

Ces constats et l’explication économique générale qui les accompagne concernent, il va de soi, le monde entier : en effet, pas plus que le nuage de Tchernobyl ne ne s’est arrêté au Rhin, notre atmosphère ne connaît de frontière ; elle a en plus la “vertu” de déplacer et de mélanger progressivement les rejets des pays les plus producteurs, notamment les états-Unis (où la production moyenne de CO2 par habitant, tout confondu, est 2,5 fois supérieure à celle de l’Union Européenne !), avec ceux des pays les plus pauvres.

*

Comment avons-nous vécu jusque dans les années 1980 avec l’effet de serre existant ? — à dire vrai, pour le commun des mortels, en n’en parlant pas, et en se contentant de vivre au gré de la météo dont les prévisions étaient assez imprécises pour qu’on ne puisse en vouloir trop à ceux qui nous les annonçaient. Et puis, la Terre n’avait-elle pas toujours connu, de mémoire de vivants et d’historiens, des hauts et des bas inéluctables : hivers rigoureux, tempêtes, etc. sur fond de périodes glaciaires (la dernière il y a environ 20.000 ans) intercalées de réchauffements ? De toute façon, on n’y pouvait rien. Sans en avoir une conscience bien claire, nous lui devions en fait la vie, et la nature faisait bien les choses puisque les activités de photosynthèse liées aux végétaux terrestres et surtout, ce qui est moins connu, aux phytoplanctons des océans assuraient, bon an, mal an, un équilibre suffisant pour ne pas induire de changements à la fois sensibles et durables.

Depuis près de 30 ans, une connaissance plus approfondie des phénomènes mis en jeu et de l’histoire des climats concernant les quelques dernières centaines de milliers d’années (notamment par l’analyse des carottages prélevés dans les glaces polaires) a conduit le monde scientifique et les gouvernants à s’intéresser de plus en plus au phénomène, puis à publier des informations et des prévisions progressivement lâchées en pâture aux journalistes et aux citoyens :

— 1979, première conférence mondiale sur le climat, à Genève,

— 1988, création du Groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC),

— 1989, deuxième conférence sur le climat de la Haye. La CEE s’engage à stabiliser ses émissions de CO2 au niveau de 1990 d’ici 2000,

— 1992, signature à Rio de la convention-cadre sur les changements climatiques, entrée en vigueur en 1994. Les pays développés s’engagent à stabiliser leurs émissions de gaz à effet de serre à leur niveau de 1990,

— 1997, protocole de Kyoto fixe comme objectif une réduction de 5,2 % des émissions en 2008-2012 par rapport au niveau de 1990,

— novembre 2000, sommet de la Haye.

En fait, pour une grande majorité, y avait-il réellement un problème ? Les phénomènes constatés et les premières prévisions n’avaient-ils pas un caractère marginal ? On nous avait tant habitués aux approximations ! Et, au nom du progrès érigé en dogme immuable et universel, n’était-il pas sacrilège de vouloir remettre en cause nos modes de vie ?

*

Pour éviter aux plus sensibles de se culpabiliser, replaçons le phénomène économique incriminé dans le contexte général, avec quelques chiffres : en moyenne, sur la période 1990-2000, la combustion d’hydrocarbures a dégagé sur Terre 22 milliards de tonnes de CO2 par an, à comparer aux 700 milliards provenant de l’ensemble végétaux terrestres + planctons des océans + autres phénomènes naturels (hors activités volcaniques exceptionnelles) ; en même temps, le déboisement était responsable de 5,85 milliards de tonnes. On serait tenté de penser qu’il y a comme un faux problème, tant la proportion est faible et l’augmentation continue de la teneur globale en CO2 est de 0,5% par an et de 1% pour le CH4 (20 fois plus “efficace” en effet de serre). Mais il y a accumulation dans l’atmosphère parce que le CO2 a une durée de vie d’au moins 100 ans, pour le CH4, elle est de 10 ans, et pour les autres gaz, elle est comprise entre 50 et 150 ans ; en conséquence, c’est de 30% que le taux global de CO2 dans l’atmosphère s’est accru au cours des 250 dernières années, et celui du CH4 de 145%. On n’avait jamais vu cela auparavant, même à travers les mesures des carottes de glace.

En même temps, et de manière généralement reconnue par la communauté scientifique internationale, les températures moyennes de l’atmosphère aux altitudes où nous vivons ont augmenté de 0,6 à 0,9°C au cours du siècle qui vient de s’écouler, et la dernière décennie a été la plus chaude jamais constatée. Parallèlement, le niveau moyen des mers et des océans s’est élevé de 10 à 25 cm (du fait surtout de la dilatation des eaux superficielles qui se réchauffent et de la fusion des glaces qui s’accélère). Au niveau de chacun de nous, et à l’exception de ceux qui voient l’eau envahir progressivement leurs territoires, cette notion de moyenne n’a pas grand intérêt, dans la mesure où nous continuons à vivre dans des conditions marquées par des fluctuations qui ressemblent fort à celles des “temps anciens”.

Même si ces chiffres semblent insignifiants, les modèles mathématiques et les outils informatiques permettent de prévoir de manière raisonnable, pour les décennies à venir, une accélération de ces augmentations : il y a 10 ans, on estimait que les températures moyennes pourront avoir crû de 1 à 3°C en 2100, maintenant les estimations situent cette augmentation entre de 3 et 6°C et celle des niveaux moyens des océans de plusieurs mètres. Il n’est pas aisé de traduire ces évaluations aux cas particuliers de chaque région, sauf pour les terres actuellement au niveau zéro par rapport aux mers et aux océans qui ont la vertu de communiquer entre eux. Ce que l’on sait, c’est que les modifications climatiques ne seront pas les mêmes partout ; on estime même qu’il pourrait y avoir des baisses de température dans des régions dont les climats dépendent directement de courants marins, dont certains pourraient être profondément modifiés (ex : le Gulf Stream pour les côtes nord-ouest de l’Europe, incluant la Bretagne).

On ne sait pas de manière formelle si les tempêtes et tornades qui ont ravagé plusieurs régions du monde au cours des dernières années sont imputables à ces changements ; mais la probabilité d’un lien de cause à effet au moins partiel est loin d’être négligeable.

Rédaction de J-C Pichot, d’après ses notes.

^


Mais effet de serre ou pas, le seul souci des économistes, des politiques, des actionnaires et des directeurs de la “World company”, du FMI ou de la Banque mondiale est de savoir comment empêcher l’érosion… des taux de croissance. Le maître-mot, la panacée :

La croissance est une drogue

par J.-P. MON
février 2001

Aux États-Unis, après dix ans de forte croissance, l’économie commence à présenter des signes de ralentissement. Mais, l’Union européenne, le Japon, la Chine et plus généralement les pays du sud-est asiatique abordent la nouvelle année avec sérénité, car la croissance serait là pour une longue période : l’économie mondiale serait entrée dans une nouvelle phase ascendante du cycle de Kondratiev [1], basée sur les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC). Mais à voir avec quelle vitesse disparaissent les start-up de la nouvelle économie, on peut pourtant se demander si la nouvelle phase de croissance durera autant que la chanson.

Mais pourquoi veut-on absolument la croissance ? — Parce que, selon les économistes orthodoxes, la croissance crée de l’emploi [2] ! Pour la maintenir, pour créer de “l’activité”, les gouvernements n’hésitent jamais à recourir aux grands travaux, au bétonnage, au lancement de nouveaux programmes d’armement …

Qu’est-ce donc que la croissance ?

Vaste problème. Pour faire simple, disons que pour les économistes la croissance désigne une augmentation de la richesse (biens et services) produite au cours d’une période donnée. Cette augmentation est mesurée par le PIB qui est un drôle d’indicateur puisqu’il prend aussi en compte la destruction des richesses : accidents d’automobile, catastrophes naturelles, etc !

Cycles de Kondratiev
D’après Kondratiev, économiste russe né à la fin du XIXe siècle, le développement de l’économie suivrait des oscillations lentes, d’une durée de 25 à 35 ans, avec des phases de croissance suivies de phases de décroissance. D’après l’économiste autrichien Schumpeter, les phases ascendantes d’un cycle de Kondratiev correspondraient à l’apparition et à l’utilisation intensive d’une ou plusieurs techniques nouvelles.

Lorsque l’augmentation de richesse est de courte durée (quelques trimestres, un an), les économistes parlent “d’expansion” ; quand elle continue sur une longue période, ils l’appellent “développement”. Notons tout de suite qu’avec la définition qu’on en donne, croissance ne signifie pas forcément amélioration du bien-être. Bien au contraire, comme l’illustre la croissance que nous connaissons actuellement et qui se traduit par l’accroissement des inégalités : dans un pays, elle profite aux gens les plus riches et dans le monde, elle profite surtout aux pays les plus développés.

Croissance ne veut pas non plus forcément dire économie saine. Plus de croissance peut se traduire par plus d’inflation (ce mal absolu pour les banquiers et les riches en général !) [3] et par plus d’importations, ce qui peut se traduire par un creusement du déficit commercial (c’est le cas des États-Unis). C’est pourquoi les économistes ont introduit la notion de “croissance équilibrée” lorsqu’elle répond aux critères du “carré magique” : création d’emplois, inflation faible, budget et balance commerciale équilibrés.

Un rapport publié le 11 décembre 2000 à Londres montre que le nombre de pauvres en Grande-Bretagne a crû d’un million depuis le début des années 90 alors que le PIB anglais a augmenté de plus de 20% dans le même temps.

De même, en ces temps prétendus fastes, huit américains sur dix ont vu leur revenu stagner ou diminuer depuis 1990. Compte tenu de l’inflation, les salaires moyens sont inférieurs à ce qu’ils étaient sous la présidence de Richard Nixon. Certes, on a créé plus de richesses que jamais dans la dernière décennie, mais 90% de ce pactole est allé dans la poche des 10% les plus aisés.

Plus globalement, en 2000, la croissance mondiale a été un peu supérieure à 4% et le commerce mondial a progressé de plus de 10%, soit deux fois plus vite qu’en 1999. Mais selon le rapport annuel de la CNUCED, les pays les plus pauvres continuent à perdre du terrain et, selon la Banque mondiale, au niveau mondial, la moitié de l’humanité vit avec moins de 2 dollars par jour.

Comment se fait la croissance ?

Suivant la théorie classique, la croissance fait intervenir deux facteurs principaux : le capital (machines, usines,…) et le travail (main d’œuvre, qualification). Dans les sociétés industrielles, leur combinaison permet une croissance apparemment infinie de la production. A ces deux facteurs fondamentaux, la théorie ajoute un facteur qualitatif, le progrès technique, qui permet d’améliorer la productivité, c’est à dire l’efficacité du travail [4] et une sorte de boite noire où les économistes mettent tout ce qui n’est directement imputable au capital ou aux quantités de travail (ressources naturelles, croissance démographique, niveau de formation de la population, commerce international,…). En fait, ces “facteurs résiduels” expliquent près de 60% de la croissance française pendant les Trente Glorieuses !

Un exemple type de fausse croissance : dans les années 50, le Pérou est un pays pauvre, mais largement autosuffisant. Il y a des paysans qui autoconsomment leur production largement diversifiée. Arrivent des multinationales “bien intentionnées”, qui se proposent d’humaniser, de nourrir et de développer ces sous-développés, en leur proposant du lait concentré suisse, du maïs américain et des pommes de terre françaises. Toute la dépense de consommation, qui n’était pas auparavant comptabilisée, va être aussitôt comptabilisée. Le Pérou va devenir un pays infiniment plus riche comptablement qu’il ne l’était auparavant. En même temps le commerce international s’est accru. Certes, la population des montagnes est descendue habiter les bidonvilles de Lima. Certes, le niveau de calories par habitant n’a pas changé. Certes, la consommation est beaucoup moins diversifiée. Mais, pour les statistiques internationales, le Pérou est un pays beaucoup plus riche qui désormais consomme la production agricole des pays du Nord.

Le Pérou constitue un exemple type d’un effet particulièrement pervers de l’échange, échange qui a bidonvillisé un pays, dont le revenu réel n’a pas bougé, mais dont le revenu apparent a considérablement augmenté.

(Bernard Maris, Université d’été d’ATTAC, Août 2000)

Selon certains économistes (ceux de l’école de la régulation), ces Trente Glorieuses correspondraient à un régime de croissance “fordiste”, basé d’une part sur la mise en œuvre d’un système taylorien permettant une production de masse et , d’autre part, sur des mesures favorisant la consommation de masse (progression régulière des salaires, crédits à la consommation,…). Fondée sur les NTIC, la “nouvelle économie”serait la préfiguration d’un nouveau régime de croissance. D’autres analyses font intervenir l’environnement social et politique pour expliquer pourquoi certains pays dépourvus de ressources naturelles connaissent cependant des cycles de croissance. (Cela a longtemps été le cas du Japon).

La croissance peut-elle être illimitée ?

Adam Smith pensait que le progrès technique rendait illimitée les perspectives de croissance. Avis que ne partageaient ni les premiers économistes (ceux de la révolution agricole qui croyaient que la pression démographique et le rendement décroissant des terres cultivées limiteraient la croissance), ni Marx (au début de la révolution industrielle) qui pensait que la croissance serait à terme limitée par la dynamique même du capitalisme. Jusqu’ici, l’histoire leur a donné tort : malgré des phases de ralentissement1, la richesse globale mondiale a augmenté : rappelons nous simplement qu’un modeste taux de croissance de 2%, tel que celui qu’a connu la France pendant un quart de siècle (1975-2000) représente un accroissement de près de 70% de la richesse produite !

Faut-il limiter la croissance ?

Une production croissante de biens matériels implique forcément un prélèvement de plus en plus important sur les ressources naturelles de la planète, ressources qui ne sont pas illimitées. Dès le début des années 1970, le célèbre rapport du Club de Rome, Halte à la croissance, préconisait une croissance zéro pour éviter au monde de courir à sa perte par le gaspillage des ressources non renouvelables, la destruction de l’environnement, l’explosion démographique.

Trente ans après, bien que l’on puisse constater que ce rapport avait surestimé la croissance démographique, il n’en demeure pas moins que la pollution et la destruction de l’environnement continuent de plus belle. On en est même arrivé à créer un marché des droits à polluer, parce que les pays du Nord ne veulent pas réduire leur façon de consommer et que les pays en développement veulent profiter eux aussi des “bienfaits” de la consommation de masse. En outre la peur de voir se développer un chômage de masse dans les pays industrialisés n’est pas étrangère au refus de réduire la croissance. D’où le concept qui a émergé dans les années 1980 de “développement durable” [5] (ou mieux de croissance soutenable), sorte de quadrature du cercle pour juguler le chômage de masse tout en préservant les ressources naturelles et l’environnement.

Que faire ?

De quantitatif, le développement doit devenir qualitatif.

Comment en effet dans un monde fini, avec des écosystèmes soumis à la pollution et à la dégradation, imaginer une croissance économique planétaire durable– et pas seulement réservée à une partie des habitants de la planète – sans changer radicalement nos modes de production ?

D’abord les réorienter dans un sens plus économe : par exemple, privilégier les transports en commun plutôt que l’automobile, mettre en place une agriculture ne polluant ni l’eau ni les sols et respectant les paysages. Ensuite axer le développement sur des activités peu ou pas consommatrices d’énergie et de matières premières (formation, recherche, culture,…).

Dans cette optique la préservation et l’extension des services collectifs au Nord comme au Sud est indispensables pour passer d’une conception purement quantitative de la croissance à une conception différente.

Les réticences des pays du Sud vis-à-vis d’éventuelles normes environnementales internationales sont évidemment cruciales. Il paraît donc raisonnable, au moins dans un premier temps, de ne pas essayer d’établir des normes internationales identiques pour tous les habitants des pays du Sud et du Nord. Car, si les habitants des pays riches doivent dès aujourd’hui se poser la question du ralentissement de leur croissance pour la réorienter qualitativement, les habitants des pays pauvres ont droit, eux, à un temps de croissance matérielle important pour couvrir leurs besoins de base. Il faut cependant qu’ils puissent adopter des procédés de production d’emblée plus propres que ceux que nous avons expérimentés depuis la révolution industrielle. Si l’on se rappelle que 25% de la population mondiale (au Nord essentiellement) consomme 80% des ressources de la Terre, on voit que c’est au Nord qu’il incombe de faire des efforts pour conserver la vie sur la planète encore quelque temps.

---------

[1] Voir encadré page suivante.

[2] Dans Le Monde daté du 25/8/2000, Laurent Fabius dit qu’entre le PIB et le bonheur national net, il a choisi : c’est le PIB. Parce que le PIB réduit le chômage. « Ça crée des emplois » est la nouvelle raison économique d’État qui justifie tout. (Bernard Maris, Université d’été d’ATTAC, Août 2000).

[3] Bien que durant les Trente Glorieuses (1945-1975), tant vantées, les 5% de croissance réalisés en moyenne tous les ans par la France se soient accompagnés d’une forte inflation dont ont bénéficié nombre de salariés modestes. Depuis, le pouvoir financier a réagi…

[4] Tout en reconnaissant, avec quelques réticences, l’importance du progrès technologique, les économistes ont tendance à le considérer comme une cause extérieure à la dynamique économique.

[5] Rapport Brundtland (1987), Conférence de Rio de Janeiro (1992).

^


À l’aide d’une analyse similaire, H.Muller en tire les arguments pour montrer, par comparaison, des avantages de la monnaie de consommation :

De la croissance sans limite à la consommation raisonnable

par H. MULLER
février 2001

Maître-mot de la théorie économique, la croissance serait le sésame d’une prospérité généralisée à tout le genre humain. Mal reçue au niveau des éternels contestataires qui, à juste titre, en redoutent ses effets pervers mais sont contraints d’en subir les séquelles, elle se révèle, au contraire, synonyme de privations accrues au niveau de la plupart des ménages.

Que signifie donc la croissance en régime capitaliste ? Celle du PIB, accompagnée de celle des profits, moteurs et but de toute activité. Mais le profit prolifère dans un invraisemblable fourre-tout incluant celui tiré des guerres et des armements, des grandes catastrophes, des gaspillages, des disettes qui, raréfiant les approvisionnements, font grimper prix et profits. Et que représente, dans cette croissance poursuivie sans relâche, la part de l’argent clandestin, de l’argent blanchi en provenance de la fraude, des activités illégales, amorales, des vols, escroqueries, arnaques, drogue des trafics mafieux, des bandits manchots, loteries et autres jeux de hasard qui ne font que déplacer l’argent de millions de joueurs au profit de quelques chanceux, sans rien produire en échange ?

Exprimée en argent, la croissance de la richesse ne saurait s’identifier avec celle des biens et des services utiles confinés, dans les limites étroites des marchés, face à la seule demande solvable.

D’où ce combat acharné contre les crues de production venant perturber un fragile équilibre, ce combat qui implique le concours de l’État investi par les lobbies et les mandataires des grandes compagnies financières, industrielles et commerciales.

Autres conséquences : une délirante activité publicitaire chargeant les prix, associée à une ruineuse concurrence avec ses séquelles : fusions, délocalisations, licenciements, flexibilité et précarité des emplois. Croissance n’est pas synonyme d’abondance. Bien au contraire, puisque le profit, qui en est le moteur, reste associé à une relative rareté, et que « l’abondance tue le profit », un axiome banni des enseignants d’économie, peu soucieux de troubler leur confort d’esprit.

En fait, le mal vient du mode de formation des revenus par circulation d’une certaine masse monétaire qu’il faut sans cesse propulser, en diriger le flux pour en multiplier les impacts au profit de minorités disposant ainsi de droits à consommer quasi-illimités pendant que salariés, retraités, chômeurs, allocataires doivent se contenter d’une portion congrue. Astreint, de surcroît, à de multiples prélèvements (taxes et impôts, coût du crédit, assurances obligatoires, cotisations, etc.) le revenu de ces catégories défavorisées que le flux monétaire ne fait qu’effleurer, se voit sans cesse laminé avant d’être consommé. Un système à monnaie de consommation conférerait à la croissance un tout autre sens : croissance non seulement des produits et des services utiles à la vie quotidienne de chacun, mais encore de la part du loisir, source d’épanouissement de la personne et inclus, de ce fait, dans les besoins essentiels de la société. Autres conséquences associées à ce genre de croissance : développement de la culture et des arts, promotion des talents, essor de la recherche, vulgarisation des découvertes, confort et qualité de la vie dans une pleine sécurité, entraide et convivialité, un environnement cessant d’être pollué par le profit.

Un autre monde.

^


Nous avons publié dans notre dernier numéro le témoignage d’un chercheur en biologie, Janine Guespin, qui montrait que la recherche fondamentale est passée sous la coupe de ceux qui n’y voient qu’une source de profit pour leur entreprise, au mépris de l’intérêt public. Jacques Minerowicz complète ce témoignage en donnant son interprétation de la façon dont la logique néolibérale a conduit à cette situation.

Le couple impossible ?

par M.-L. DUBOIN
février 2001

Il s’agit, dans cette réflexion sur la maîtrise des savoirs, du couple entre sciences et démocratie. Dès le début du livre [1] l’auteur se propose de décrire l’évolution du « rôle du scientifique depuis 55 ans » (c’est le titre du premier chapitre), mais, en fait, il fait référence aux réflexions « de nombreux dirigeants, responsables et intellectuels » qui cherchaient à prévenir une nouvelle implosion de la civilisation, dans les années 30-40, puis à celles “d’experts” de 44 pays réunis à Bretton Woods en 1944 par les états-Unis et le Royaume Uni. L’auteur confondrait-il ces “experts en économie” avec des scientifiques ? Il ne l’affirme pas, mais c’est, dit-il, parce qu’ils s’appuient sur les « possibilités sans fin du progrès technique que les économistes contemporains croient aux possibilités elles aussi sans fin du progrès économique, à l’accroissement infini des richesses ».

Et voici son explication : l’élément central de Accords de Bretton Woods serait la croyance qu’il est toujours possible de générer du progrès technique pour nourrir la société et donc garantir l’équilibre économique. D’où la décision d’investir massivement dans la recherche scientifique, car il en résultera de telles innovations industrielles que la productivité sera en constante augmentation et donc que la production relancera les emplois et la consommation. L’auteur ne s’arrête pas pour expliquer où ce raisonnement pêche, il suit l’histoire : il ne restait alors, dit-il, qu’à organiser la recherche pour que les chercheurs contribuent à l’industrialisation massive et systématique du monde. C’est ce qu’entreprit le Président Roosevelt en chargeant un ingénieur du MIT, Vannevar Busch, de concevoir la façon de transposer pour le temps de paix l’organisation de la recherche qui avait été mise au point pour la guerre. Le rapport qui en résulta en 1945 avait pour titre “Science, la frontière sans limite” et affirmait que « la guerre contre la maladie, la création de nouveaux produits et d’industries vigoureuses ont une source commune, la recherche fondamentale » . C’est ce rapport, selon notre auteur, qui a « fondé la politique scientifique du monde occidental » en mettant la liberté de la recherche au service de « la nouvelle forme de capitalisme ». « Cette stratégie se résume en trois temps : 1) les progrès scientifiques seront un jour utiles à l’économie et à la société, même si a priori on ne sait pas quand ; 2) les pouvoir publics doivent donc soutenir la recherche fondamentale et 3) les entreprises doivent ensuite utiliser au mieux les progrès scientifiques donnant lieu à applications. » Jacques Mirenowicz résume ce modèle dit “linéaire” par l’enchaînement suivant : recherche fondamentale —> applications industrielles —> emplois —> équilibre social —> bien commun. Il en déduit qu’il n’y a pas de séparation institutionnelle entre recherche fondamentale et recherche appliquée dans l’industrie, que la première n’est pas indépendante du pouvoir, ni de la politique, ni des forces économiques : « les connaissances mises au jour sont sources de pouvoir économique et de pouvoir militaire », la recherche est au service de l’état, lequel « est assujetti à la toute-puissance de l’économie » .

Jacques Mirenowicz souligne que les intérêts respectifs du Président des états-Unis (Truman ayant succédé à Roosevelt) et de l’ingénieur V.Busch pour la science étaient radicalement différents. Pour l’homme politique, la science est un moyen au service d’objectifs précis pour assurer la prospérité, le confort, la santé et la sécurité de la nation, alors que pour l’ingénieur, la science, en plus d’apporter des bienfaits matériels, a une valeur intrinsèque dans le domaine culturel puisqu’elle contribue au stock mondial de connaissances. Les scientifiques produisent de la vérité, dont les ingénieurs, les militaires et les politiques tirent de l’utilité en exploitant cette valeur intrinsèque des connaissances pour en tirer profit.

Ce modèle ‘linéaire” a eu un effet très positif en ce sens qu’il a aboutit à affirmer en principe universel que « la liberté de la recherche fondamentale doit être préservée », ce qui apparaît comme un grand progrès sur l’obscurantisme qui condamna Galilée pour avoir oser prétendre que la Terre tourne sur elle-même, sur la “Physique Allemande” nazie qui rejeta la théorie d’Einstein parce que son auteur était juif, et sur la science totalitaire de l’académicien stalinien Lyssenko rejetant la théorie chromosomique de l’hérédité. Ce « droit et cette liberté de rechercher la science pour elle-même » …symbolisent « le combat universel de la Raison contre l’obscurantisme aussi bien religieux que politique, la lutte contre l’aptitude des régimes totalitaires à pervertir la science et leur propension à persécuter les scientifique en quête de vérité ».

Malheureusement, cette ouverture pour assurer à la civilisation un espace où la vérité scientifique « ne saurait, sous aucun prétexte, se laisser corrompre ou polluer par quelque idéologie que ce soit » a été accompagnée, par les “experts” de Bretton Woods “qui fondaient l’avenir du monde”, d’une confusion et d’une croyance erronée. La confusion, c’est d’avoir assimilé le progrès scientifique au progrès social, alors que l’un n’implique pas l’autre, la politique doit intervenir. La croyance, c’est celle en une croissance économique infinie censée assurer la distribution des richesses, donc la paix sociale. Les politiques auraient gouverné depuis en s’appuyant « sur ces deux piliers de la “modernité” », dont le premier, la confusion, viendrait des scientifiques et le second, la croyance erronée, des économistes. Et notre auteur constate que si, au cours de ces 55 ans, le développement des richesses n’a pas cessé d’augmenter, il n’empêche que « les indicateurs économiques ont viré au rouge et s’y tiennent ». Et que dirait-il si ces indicateurs tenaient compte des aspects sociaux de la politique menée !

Entre temps, la politique néolibérale a retourné « comme un gant » le modèle de Vannevar Busch, de sorte que la liberté a quitté « le camp des chercheurs en quête de connaissances vraies » pour celui des entrepreneurs… en quête de gros profits financiers. Même si « la science reste, pour de nombreux responsables, ce lieu qui protège de l’irrationnel, de l’obscurantisme, du fondamentalisme religieux et des dérives sectaires, comme il était censé jadis protéger des idéologies totalitaires », les pouvoirs publics favorisent maintenant « les recherches les plus réductionnistes qui ouvrent le champ des applications pratiques » rentables qui sont qualifiées du terme séducteur “d’innovantes”. Le témoignage de Janine Guespin [2] a montré certaines des méthodes utilisées pour conditionner les chercheurs.

Le résultat, conclut J.Mirenowicz, est une insatisfaction générale.

Estimant que l’heure est venue où la logique productiviste doit faire place à une logique de prudence quantitative, et que « c’est à la société dans son ensemble que revient la responsabilité de décider quelles recherches entreprendre. » l’auteur passe en revue la panoplie des obstacles mis à une démocratie des choix scientifiques et technologiques afin que soit conservé le modèle actuel de développement.

Malheureusement, cette revue est décevante. Superficielle et souvent même contestable, elle accouche d’une souris : il faudrait imposer aux scientifiques un serment équivalent à celui d’Hippocrate pour les médecins ! …Ni le procès de l’idéologie capitaliste néolibérale, ni celui de la société de compétition et ses mécanismes, financiers en particulier, ne sont abordés, pas plus qu’un tel engagement n’est proposé pour les responsables politiques, pour les dirigeants d’entreprises, pour les militaires (ceux qui décident en douce d’utiliser l’uranium dans leurs missiles) voire même pour les nouveaux agriculteurs qui ont perdu tout contact avec la terre. Tout en constatant que « les scientifiques n’ont jamais eu le pouvoir décisionnel et ne l’auront jamais », ce qui est normal, comment l’auteur peut-il croire régler quoi que ce soit en demandant au chercheur seul de s’engager à « utiliser ses connaissances pour le bien de l’humanité et contre les forces destructrices du monde et les intentions sans scrupules des hommes » ?

---------

[1] Sciences et démocratie le couple impossible ?, sous-titre : le rôle de la recherche dans les sociétés capitalistes depuis la Seconde Guerre mondiale, de Jacques Mirenowicz, aux éditions C L. Mayer, 2ème trimestre 2000 84 pages, 35 Francs. Merci à Ph Robichon de nous l’avoir adressé.

[2] lire son témoignage dans la GR-ED N°1006, sous le titre : Biologie, les nouveaux défis bloqués par la financiarisation de la recherche.

Nota : Janine Guespin, Professeur émérite de microbiologie à l’Université de Rouen, nous prie d’ajouter une précision à son témoignage : elle appartient à Espace Marx, association que nous n’avions pas citée dans notre présentation alors qu’elle était la cheville ouvrière de la Rencontre internationale “Pour une construction citoyenne du monde”.

^


Lectures

Dans notre dernier numéro, saluant la remise en question de la science économique par plusieurs ouvrages récents, nous avons cité celui de l’économiste Jacques Sapir, intitulé Les trous noirs de la science économique, et proposé une analyse de la première moitié de ce livre.

Avant de présenter la suite, soulignons que la contestation des étudiants en “science économique” dérange certains économistes sûrs d’eux. C’est le cas d’un professeur américain, Robert Solow, qui défendait sa boutique, dans Le Monde du 3 janvier, en expliquant que les reproches ne pouvaient s’adresser qu’au mauvais enseignement français, puisque la théorie néoclassique est irréprochable. Son argument se résumait en une interrogation provocatrice, posée en toute modestie : « Sur la question de la dominance néoclassique : pour quelle raison la science économique américaine est-elle aussi dominante à travers le monde ? »

Le temps et l’argent, les deux trous noirs

par M.-L. DUBOIN
février 2001

Rappelons que la première partie du livre de Jacques Sapir [1] était consacrée à la théorie de l’équilibre général, qualifiée de machine à décerveler, et au débat sur les mérites respectifs du marché et de la planification, débat abandonné depuis les années 30, mais jamais tranché. En ce qui concerne le temps, l’auteur n’a pas de mal à montrer que la théorie classique, dite de l’équilibre général, nie purement et simplement le temps, négligeant même la durée de toute action, de toute formation et de tout ajustement. Il lui oppose le problème du “joueur en second” qui, parce qu’il prend sa décision après, dispose d’un avantage potentiel sur le “joueur en premier”, et il montre l’importance de cette distinction dans le marché du travail : elle est constitutive du salariat (le salaire est fixé avant que l’employeur sache la qualité du travail qui sera fourni ; l’entreprise demande souvent des efforts supplémentaires aux employés, qui doivent les fournir d’abord, sans garantie quant à leurs conséquences), cette distinction est également importante dans le marché des biens (l’acheteur paie d’abord, avant de vérifier par l’usage si le bien acheté répond à ses espérances). L’auteur en conclut qu’il y a un mouvement permanent d’aller et retour entre les niveaux micro et macro-économiques, qui s’oppose radicalement à la vision de l’économie dominante. Et il tire les conséquences de la réintroduction du temps dans la “science économique” : la première est que contrairement à ce qu’avait dit L.Jospin à propos d’une récente décision de Michelin, l’intervention publique, sous la forme de réglementations et de contrôle, est nécessaire. La seconde est même qu’il faut limiter la concurrence pour permettre de prendre des décisions de meilleure qualité que celles qui sont prises dans le but d’être le premier sur un créneau… Enfin que soumettre un agent à une flexibilité totale en détruisant ses routines, ce que voudrait le Medef, c’est l’amener à prendre de mauvaises décisions. En fait, « la question de la coordination de décisions décentralisées et de la mise en cohérence de leurs effets est la question centrale de l’économie et cette réflexion sur le temps montre que les comportements décentralisés ont besoin d’une décision centralisée … Soutenir la nécessité de la construction d’espaces de controverses, de médiations et de traducteurs, montrer que les choix engageant l’avenir sont profondément politiques et non techniques, ce n’est pas autre chose que soutenir l’indispensable présence d’une action publique multiforme. » Celle-ci « ne saurait être stable si elle repose sur l’élection à intervalles réguliers de représentants. Elle impose de pouvoir se fonder sur autre chose, en particulier des mécanismes de participation collective et de contrôle politique régulier ».

On ne saurait montrer plus clairement la nécessité de notre démarche pour étendre enfin la démocratie à l’économie !

*

Vient alors la question que tout économiste refuse toujours d’aborder, même s’il est animé de la plus grande objectivité, comme René Passet ou André Gorz : celle du rôle joué dans le système économique par la monnaie.

Sur sa “quatrième de couverture”, le livre interpelle le passant : « Pourquoi la science économique, celle que l’on enseigne aujourd’hui à tous les étudiants du monde, de Chicago à Moscou en passant par Paris, celle qui fonde le discours universel des experts, a-t-elle construit un modèle d’économie qui exclut les questions de l’argent et du temps ?… Pourquoi les économistes, dont le discours envahit notre vie, parlent-ils avec un bâillon sur la bouche ? »

Jacques Sapir ne craint pas, lui, d’affirmer que « la question de la monnaie est fondamentale quand on veut tirer … les conséquences du rejet du postulat d’homogénéité et intégrer le temps » alors qu’il a remarqué que ses collègues, qu’ils soient du côté des monétaristes ou qu’ils penchent pour la planification, balancent tous entre deux extrêmes : ou bien, par fidélité à la tradition classique, ils nient que la monnaie puisse jouer un rôle, ou bien ils en font la pierre de touche de toute l’économie.

Il commence par démolir le credo dominant sur lequel s’appuient les monétaristes pour prétendre que la monnaie n’aurait aucune influence sur l’économie réelle. Il en montre les incohérences à la fois par un raisonnement dont la logique est parfaite, et par la confrontation avec des données réelles et incontestables.

À l’opposé, l’essentialisme monétaire, qui a pour origine La Violence de la monnaie, de Michel Aglietta, a le mérite de considérer la monnaie comme une institution, un lien social privilégié, mais cette école, si elle a raison de considérer que la monnaie est un symbole, a également le tort, selon Sapir, de réduire tous les liens sociaux à ce seul symbole, selon une vision qui remonterait à Marx. Notre auteur va même très loin dans cette voie, je le cite « Cela permet de comprendre, d’ailleurs, avec quelle facilité de anciens marxistes, une fois qu’ils abandonnent la perspective de la révolution, peuvent se transformer en panégyristes de l’économie de marché. Ce n’est pas un hasard si, en France, l’apologie de la mondialisation est le fait de personnes se situant ou s’étant situées dans une gauche qui n’avait assimilé du marxisme que sa dimension prophétique ». Cette réflexion risque de faire couler beaucoup d’encre… mais pour Sapir, ce que Marx propose c’est de considérer « la nature contradictoire de la monnaie, à la fois médiation et instrument des conflits sociaux. »

Ce qu’il omet de préciser c’est qu’à ses yeux, il n’est toujours question que d’une seule et unique sorte de monnaie, la monnaie capitaliste, qui en plus d’être un pouvoir d’achat est créée pour rapporter intérêts.

Cette restriction est toujours présente, même dans les pages suivantes où il avance ses éléments d’une théorie réaliste de la monnaie qui se veulent de solides pistes de recherche.

Dans son analyse du rôle de la monnaie comme moyen d’échange, il commence par montrer que la monnaie ne supprime pas l’inégalité des deux parties qui échangent. Et il démonte bien la profonde illusion que propagent les économistes “standards” en voulant faire croire qu’une monétarisation complète des échanges se traduirait par la disparition de cette inégalité. Il va plus loin et démontre que la concurrence est, par nature, inégale à moyen et long termes et même qu’une logique purement monétaire peut réduire (dans le système capitaliste s’entend) les gains en richesses, en limitant l’offre de services collectifs. Suit une intéressante démonstration sur les conditions qui permettent les deux libertés fondamentales des agents économiques, celles de contracter quand ils veulent et avec qui ils veulent.

Il ressort de cette démonstration que pour pouvoir agir dans un univers qu’il ne maîtrise pas, l’argent doit suivre des règles qui sont une limitation à sa liberté… Donc tout le contraire du but poursuivi par les meneurs néolibéraux, que c soit à l’échelle européenne ou à l’échelle mondiale.

La monétarisation de toute l’économie, voilà la modernité pour les économistes classiques. C’est une profonde erreur, explique notre auteur, à l’aide d’une intéressante étude de la démonétarisation des échanges, c’est-à-dire du troc, qui n’est pas du tout une survivance du passé, mais qui témoigne « de l’inscription de l’agent économique à un réseau… lequel agit comme une institution capable d’expulser tout acteur qui ferait preuve d’indiscipline. Le réseau de troc fonctionne comme une institution locale, productrice de règles et de normes, donc de prévisibilité pour les participants, et qui se substitue aux institutions générales, c’est-à-dire celles de l’état, quand elles sont déficientes. »

Voici qui explique tant ce qui se passe en Russie que le développement des SELS, avec, dans les deux cas, la prolifération de monnaies parallèles. Le développement du troc est le signe de la mise en place d’une nouvelle logique économique privilégiant des liens sociaux fondés sur les rapports personnels et des complémentarités assumées.

*

La monnaie ne saurait donc se penser seule, conclut J. Sapir, « il faut des institutions non monétaires pour que la monnaie puisse fonctionner, et, en amont, du politique. Il faut penser la monnaie simultanément, …complémentairement, à des relations non monétaires ». Voila qui met à mal l’institution de la Banque centrale européenne !

« La gestion de la monnaie ne doit donc pas viser sa neutralisation, mais la cohérence entre la norme monétaire et les autres normes qui l’entourent et lui donnent sens, comme la structure de répartition des revenus que l’on considère souhaitable, ou le niveau et le rythme des dépenses publiques… Seule la controverse libre et publique se réglant dans des procédures démocratiques est à même de faire émerger dans des sociétés hétérogènes les formes de comptabilité qui sont souhaitables ». Voila qui conforte nos propositions de conseils économiques et sociaux chargés de prendre en charge, simultanément, les décisions économiques et monétaires.

*

Le chapitre suivant est une étude de certaines notions qui sont d’actualité, mais sérieusement “en crise”.

D’abord la concurrence, puisque tant au niveau des directives de la Commission européenne qu’à celui des principes de l’Organisation mondiale du commerce, on prétend partout qu’accroître la concurrence est socialement profitable et donc qu’il faut développer une politique de concurrence.. Cette affirmation ne résiste pas à l’analyse de J. Sapir pour qui il y a même une contradiction dans cette expression, car politique désigne des actions intentionnelles et coordonnées, alors que concurrence implique que les agents sont décentralisés et agissent sans intention.

En fait, sous les divers aspects de ce concept de concurrence, il s’agit toujours, depuis Adam Smith, de la sacralisation du principe de la main invisible, qu’elle soit assimilée à un mécanisme par les néoclassiques, à un processus par les disciples d’Hayek, ou à une évolution selon les tenants de Schumpeter. La question essentielle est de savoir si la concurrence est efficace, mais on ne peut pas l’évaluer car comment connaître les préférences ? Et sont-elles seulement stables ? ajoute J.Sapir, qui oublie même de rappeler qu’elles sont faussées par l’énorme pression de la publicité…

Il n’empêche que dans un univers concurrentiel chacun veut défendre son savoir-faire, c’est là l’origine des brevets, or ceux-ci empêchent évidemment la diffusion de la connaissance.

La concurrence mène donc sûrement à une sous-utilisation des moyens et est ainsi une source d’inefficience.

Au concept de concurrence est lié celui de la décentralisation, et, partant, celui de l’organisation des services publics, de son partage entre agents publics et privés.

Après avoir souligné que le niveau de l’offre de ces services est inséparable de la répartition des revenus, lesquels sont liés au système fiscal, Jacques Sapir, tout en donnant des arguments en faveur d’une certaine décentralisation, se place dans le cadre même de l’économie libérale pour montrer que le recours à une offre privée de services publics est inefficient… D’autre part, les individus ne peuvent pas évaluer pleinement l’effet d’un bien public tel que l’instruction, la santé, ou les transports, puisqu’ils ne peuvent pas savoir quelle sera la situation dans les quinze ou vingt ans à venir, l’idée d’un marché de ces biens est donc irrecevable au nom même des hypothèses et des principes du marché libéral !

Ayant fait le tour des besoins d’évaluation pour que les décisions soient prises de façon optimale, Jacques Sapir cherche à en déduire les bases sur lesquelles doit se construire un espace de débat démocratique dans le domaine socio-économique : il faut à la fois concentrer les évaluations et déconcentrer les décisions.

L’évaluation, pour être globale, nécessite un cadre centralisé. Et pour que se développe la capacité locale à innover il faut que la collectivité ait les moyens de limiter les capacités de défection des individus, donc que cette capacité soit soumise à un contrôle à la fois direct et indirect de l’instance centrale qui dissémine les informations et fournit ainsi au débat démocratique les éléments d’un choix véritable, les règles d’évaluation étant définies au niveau central. J.Sapir prend l’exemple de l’éducation et en conclut : « tout cela plaide pour laisser une initiative à des niveaux très réduits et sous la condition d’une structure d’évaluation nationale et du respect de cadres institutionnels (les statuts par exemple) sur lesquels les stratégies des agents individuels sont fondées. »

*

Ce livre est une mine de réflexions et d’arguments solides à exploiter par les “distributistes” qui défendent la démocratie économique organisée par des conseils économiques et sociaux, gérant les contrats civiques à l’aide d’une monnaie de consommation gagée sur la richesse produite en commun.

---------

[1] “Les trous noirs de la science économique, essai sur l’impossibilité de penser le temps et l’argent”, par Jacques Sapir, éd Albin Michel octobre 2000.

^

e-mail