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   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
 
 
 
 
 
AED La Grande Relève Articles > N° 1010 - mai 2001

 

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N° 1010 - mai 2001

Du citoyen au consommateur, ou l’inverse ?   (Afficher article seul)

Au fil des jours   (Afficher article seul)

sur les Municipales   (Afficher article seul)

Société périmée   (Afficher article seul)

Et l’on tuera tous les aphteux…   (Afficher article seul)

Un autre méfait du chômage   (Afficher article seul)

Avec la Poste, soyez modernes …   (Afficher article seul)

Unité et diversité du fait monétaire   (Afficher article seul)

L’Europe et sa monnaie   (Afficher article seul)

Qu’est-ce que l’argent ?   (Afficher article seul)

L’effet de serre, un défit   (Afficher article seul)

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Éditorial

Du citoyen au consommateur, ou l’inverse ?

par M.-L. DUBOIN
mai 2001

Pourquoi le combat des cheminots grévistes en 2001 a-t-il semblé trouver moins de compréhension dans l’opinion que leur mouvement de 1995 ? Poids de certains médias ? Preuve que les usagers ne sont pas conscients du démantèlement programmé du service public ? Qu’ils en ont pris leur parti et que déjà « le peuple s’est transformé en public » selon l’expression bien trouvée de Christophe Gallaz ? Il est alors à craindre que les clients de la SNCF ne comprennent que trop tard où les mène le discours néolibéral, tel celui d’E.Balladur affirmant : « il faut moderniser les services publics, c’est-à-dire leur appliquer les méthodes du marché ». Pourquoi ? — Il n’y a rien à expliquer : « la supériorité du marché n’est pas contestable et il n’existe pas de solution alternative… ceux qui refusent ce changement sont les nostalgiques d’un passé qui déjà disparaît… L’Union européenne impose la liberté de commercialiser, et bien que le libre marché soit un puissant levier de réformes… l’état doit favoriser son développement,… instaurer par des règles le droit de la concurrence, sans contrôle des prix. » Ce qui ne l’empêche pas d’ajouter : « Trop souvent en France l’état réglemente et redistribue, ce qui coûte trop… Trop de charges sociales et trop de règles du travail découragent l’activité. » Bien entendu, un tel discours escamote toute confrontation avec les faits : les déconvenues, par exemple du public anglais qui fait les frais d’une telle modernité de ses trains, sont passées sous silence.

Cette politique du capitalisme à l’anglo-saxone est pourtant à l’origine des nombreux conflits en cours, dont les fermetures brutalement annoncées chez Danone et chez Marks and Spencer, entre autres. L’opinion sera-t-elle convaincue par ce même discours qui continue en ces termes : « On ne peut que s’inquièter du travers qui consiste à réclamer sans cesse des réglementations nouvelles : interdire à toute entreprise qui fait des profits de procéder à des licenciements serait aussi contraire au but poursuivi que le fut l’autorisation admi nistrative de licenciement » ?

Ces doctes affirmations l’emporteront-elles sur les convictions de ceux qui voient dans un boycot des firmes qui licencient ainsi un sursaut citoyen ? P. Tartakowsky pense que ce boycottage « atteste un changement de sensibilité collective qui interpelle le fondement social mis à mal par la logique des actionnaires… les citoyens, révoltés moins par la méthode que par le système de pensée qui lui est sous-jacent, veulent intervenir, peser directement sur les décisions ». L’analyse d’un publiciste, M.Drillech, pour qui « à l’époque du “moi et maintenant” les individus veulent un activisme qui réussisse, s’entende et se voie », porte moins à l’optimisme. « La réponse se lira finalement dans les efforts que les responsables de la République accompliront sur le terrain législatif » conclut le secrétaire général d’Attac, mais il ne précise pas, et c’est dommage, que ces efforts pourraient commencer par abroger certaines lois, telles celle qui interdit toute grève limitée aux contrôles et qui permettrait aux trains de rouler gratuitement sans prendre le voyageur en otage et celle qui interdit d’appeler au boycot.

Bien au-delà des problèmes personnels, c’est l’orientation de notre société qui se joue. Est-il encore temps d’infléchir les décisions d’une firme, quand les concentrations sont telles qu’arrêter l’une c’est avantager ses deux ou trois rivales qui restent ? S’il fallait boycotter Hachette, seuls les abonnés de La Grande Relève auraient encore de quoi lire ! …Supposons qu’un mouvement contre Danone parvienne à lui faire vraiment du tort, le groupe sera racheté plus facilement par un rival qui fera la même politique, fut-ce en y mettant la forme, mais la logique des actionnaires restera.

Et les tenants de cette logique ne manquent pas de culot pour la défendre. Certains vont même jusqu’à se servir de ces licenciements pour conclure : vous voyez bien qu’il faut développer l’actionnariat salarié et les fonds de pension ! Quand on apprend que Vandewelde, l’auteur du remarquable assainissement de Marks and Spencer (et qui a reçu plus de 6 millions en remerciement de l’avoir si bien effectué), embauché depuis 14 mois, touche un salaire de 7 millions par an, possède déjà 23 actions et 108 stocks-options, on voit mal comment pourraient faire contre-poids, même organisés, les malheureux salariés-actionnaires non encore licenciés !

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Au fil des jours

par J.-P. MON
mai 2001

Suppressions d’emplois

• La direction de Marks & Spencers a annoncé (très brutalement) la fermeture de 38 de ses magasins dans le monde, ce qui entraînera la suppression de 4.400 emplois dont 1.700 en France.

L’opération a pour but de “rendre”, d’ici à la fin mars 2002, 21 milliards de francs aux actionnaires du groupe [1]. La Bourse de Londres a salué cette annonce par une hausse de 7% des actions du groupe. En récompense de cette “restructuration”, le PDG de la firme Luc Vandevelde aurait reçu une prime de 6 millions de francs.

• Le groupe français Danone supprime 1.780 emplois en Europe dont 570 en France [2].

• BSN Glasspack (dont Danone reste actionnaire à plus de 40%) va supprimer, d’ici à 2002, 1.250 emplois parmi ses dix sites français, sur un effectif total de 4.000 salariés [3].

• Le Néerlandais Philips va supprimer entre 6.000 et 7.000 emplois dont 2.600 en France [4].

•L’opérateur de télécommunications britannique, Cable & Wireless supprime 4.000 emplois [5] sur 34.000, et le fabricant d’équipements de télécommunications Marconi, anglais lui-aussi, en supprime 3.000 dont 1.200 au Royaume–Uni.

• En vrac aux Etats-Unis [6] : 620 chez Kellogg, 700 chez Dell, 11.500 chez Delphi, 5.000 chez Nortel (en plus des 10.000 déjà annoncés), 5.000 chez Intel, 5.000 chez CISCO, 16.000 chez Lucent, 4.000 chez Xerox, 7.000 chez Motorola, 5.000 chez Compaq, 2.400 chez Gateway, 14.000 chez General Motors, 2.025 chez AOL-Time Warner, 7.000 chez Sara Lee, 6.000 chez Coca-Cola, 4.000 chez Disney…

En bref [7], l’économie américaine a supprimé 86.000 emplois au mois de mars. C’est la plus forte baisse enregistrée depuis 1991. Le secteur manufacturier a perdu 270.000 emplois depuis le début de l’année et le secteur des services connaît à son tour une baisse nette de ses effectifs, notamment dans la grande distribution (5.500 dans la chaîne de magasins JC Penney, 28.000 chez Montgomery & Ward qui ferme définitivement ses 250 points de vente). Le secteur financier lui-même ne va pas tarder à être touché à son tour comme l’annonce la suppression de plusieurs centaines d’emplois chez Citygroup, premier groupe bancaire des États-Unis.

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Croissance de l’emploi … intérimaire !

Encore un postulat économique mis à mal : d’après les théories communément admises, les employeurs ont recours aux contrats temporaires lorsqu’ils ont momentanément affaire à un surcroît de travail, mais ils pérennisent ces emplois si la reprise se confirme. C’est, paraît-il, la doctrine partagée par les services du Premier Ministre et ceux du Ministère des finances. Pas de chance : en 2000, selon l’UNEDIC [8], un peu plus de 676.000 postes ont été créés, mais la part des intérimaires dans le total des effectifs salariés s’est accrue (4,5% à la fin du mois de décembre contre 3,9% fin 1999). Donc, même si le chômage continue à diminuer, le travail intérimaire continue de croître8. Une embauche sur six se fait en intérim, qui, toujours selon l’UNEDIC, a augmenté de 20,8% en un an. Fin janvier, il occupait 763.000 personnes. L’industrie, qui représente 25,1% de l’emploi salarié en France, emploie 52,7% d’intérimaires. Dans ce secteur, un retournement de conjoncture empêcherait toute transformation de ces postes en CDI. Les autres secteurs dans lesquels l’emploi, intérimaire, a fortement progressé l’an dernier sont : l’éducation, la santé et l’action sociale (+ 78,2%). Mais quel que soit le secteur d’activité, l’emploi temporaire croît toujours plus rapidement que l’emploi total.

***
Dividendes en hausse

Au total, les 120 plus grandes entreprises cotées à la Bourse de Paris devraient verser à leurs actionnaires plus de 120 milliards de francs de dividendes au titre de l’exercice 2000, un montant en croissance de 22% par rapport à l’exercice précédent9. En dix ans, de 1990 à 2000, les dividendes versés par ces sociétés ont progressé de 107% (légèrement plus que les bénéfices, 100%), soit en moyenne de 10% par an.

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Indécrottables

Alors que la faillite du modèle productiviste agricole est aujourd’hui devenue patente, les syndicats agricoles et les groupements de producteurs bretons ont tout essayé (y compris une demande d’annulation de la manifestation auprès du Préfet !) pour tenter d’empêcher le rassemblement de Lamballe “pour l’eau pure et l’agriculture durable”. Malgré les barrages établis à l’entrée de Lamballe et les diverses opérations escargot menées par les agriculteurs sur diverses routes de la région, la manifestation, organisée à l’appel du réseau Cohérence, d’Eau et rivières et du Collectif des victimes des pollutions des bassins versants, a rassemblé quelque 4.000 personnes. Les pêcheurs en eau douce, les marins pêcheurs, les conchyliculteurs, les apiculteurs, les plaisanciers et aussi des agriculteurs bio et de la Confédération paysanne ont manifesté aux côtés des associations de défense de l’environnement et des consommateurs. Pour faire bonne mesure, les manifestants n’écartent plus le recours au boycott et appellent à choisir les porcs élevés sur paille ou bio plutôt que les porcs élevés en batterie. Ils demandent aussi aux parents d’élèves d’exiger du “bio et durable” dans les cantines scolaires. Jusqu’où faudra-t-il aller pour que les syndicats de la FNSEA renoncent à l’agriculture polluante ?

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[1] Le Monde, 31/3/2001.

[2] Le Monde, 30/3/2001.

[3] La Tribune, 12/4/2001.

[4] La Tribune, 18/4/2001

[5] - Tribune, 14/3/2001

[6] Le Monde, 31/3/2001.

[7] La Tribune, 9/4/2001.

[8] La Tribune, 6/3 et 16/3/2001.

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Réflexions

sur les Municipales

par A. PRIME
mai 2001

Pour nous qui nous battons pour que “ça change” vers plus de socialisme, les Municipales permettent de faire le point sur l’évolution sociale en France.

La gauche et la droite se partagent en gros par moitié les électeurs, avec un sensible avantage à la droite. Or, au moins 70% des Français sont sociologiquement, peu ou prou, dans la situation d’exploités, et devraient logiquement voter à gauche (il en est de même dans tous les pays avancés). Que 20 ou 30% de cette catégorie sociale vote à droite montre un manque de conscience des problèmes économiques et sociaux. Mais c’est ainsi, et pour longtemps sans doute, presque tous les moyens de désinformation, d’intoxication, voire d’abrutissement et de démobilisation étant aux mains des possédants.

Voter à gauche ? Mais quelle gauche, et pourquoi ? Où est le temps où Mitterrand, Mauroy et bien d’autres proclamaient qu’il était indispensable de supprimer le capitalisme ?

« Celui qui n’accepte pas la rupture avec la société capitaliste, celui-là, je le dis, il ne peut pas être adhérent au parti socialiste ». (Mitterrand au Congrès d’Epinay en 1971.)

C’était avant 1981. Depuis, la “culture de gouvernement”, la “parenthèse nécessaire” (1983) ont définitivement supplanté cet objectif. Les socialistes du PS sont devenus d’excellents gestionnaires de l’économie libérale, souvent plus actifs que la droite (privatisations par exemple). En réalité je crois que dans un monde devenu de surcroît unipolaire (après l’effondrement de l’URSS), où le capitalisme financier a pris le pas sur le capitalisme industriel, il est impossible, pour un gouvernement de gauche, de se maintenir au pouvoir en s’écartant de la dictature internationale de l’argent. Il n’empêche : la gauche au pouvoir (5 + 5 + 4 en 20 ans) aurait au moins pu faire du social : crèches, logements. Mais, prise dans le carcan des “économies budgétaires”, elle n’a pas fait grand’chose dans ce domaine. D’où, en grande partie, ses résultats électoraux. Certes, on se réjouit que Paris et Lyon passent à gauche. Mais soyons honnêtes : sans les dissensions à droite, ces deux villes seraient certainement restées à droite. Mais Il faut cependant saluer le remarquable travail de Bertrand Delanoë, son calme, sa maîtrise des problèmes (il est depuis des années à l’Hôtel de ville).

Par contre, la gauche perd 39 villes de plus de 15.000 habitants ; les communistes des fiefs comme Drancy, Nîmes. La gauche gagne cependant 18 villes significatives : Dijon, Auxerre, Agen, Ajaccio, etc. Résumons. Le PS est à peu près stable, les Verts (12%) deviennent – et personnellement je m’en réjouis – la deuxième force de gauche, apportant un sang neuf, une volonté de changement dans le domaine de l’environnement qui est capital. Avec tout le discrédit qu’a jeté le stalinisme sur le communisme, celui-ci après s’être effondré dans le monde (même la Chine ne fait plus que du “socialisme de marché”), s’effondre en France malgré les efforts de Robert Hue. La “relève”se fait par l’extrême gauche qui a des députés européens, et par les Verts.

Dans ce contexte, quel avenir pour la gauche, notamment en 2002 (législatives et présidentielles) ?

Quoi qu’elle dise, la droite bénéficie désormais, au second tour, des voix du FN qui, éclaté, n’obtient que rarement le pourcentage requis pour se maintenir. Il ne faut pas oublier qu’aux législatives de 1997, une cinquantaine de députés de gauche ont pu être élus grâce au maintien du FN. Ce ne sera plus le cas en 2002.

Si la gauche au pouvoir ne fait rien pour les “laissés pour compte” de la croissance, qui, très nombreux, ne sont pas allés voter, le pouvoir politique risque de repasser à droite. Au second tour, les reports d’extrême gauche se font mal, alors que, les municipales l’ont montré, les reports de l’extrême droite éliminée au premier tour, se font à la quasi unanimité à droite. Si la droite l’emporte, comme je le soulignais dans la GR-ED de mars, le libéralisme brillera de tous ses feux, ce qui n’empêchera pas bien sûr, la lutte pour un monde meilleur de continuer.

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Société périmée

par R. CARPENTIER
mai 2001
Oh ! Société d’Abondance !
De notre beau pays de France,
Qui voudrait gommer ses chômeurs
Et rester sourd à leurs clameurs !
Institution libérale,
S’efforçant d’étouffer son râle !…

Pauvre électeur qui “plane” et “vole”
Quand il s’agit de “vache folle”…
Ce n’est que joute entre banquiers
Et très gros éleveurs fermiers !
Ils luttent contre l’Abondance…
Afin d’augmenter leur finance !…

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18 mars 2001 : chronique des abattages excessifs…

Et l’on tuera tous les aphteux…

par P. LAZULY
mai 2001

La Brigade d’épuration avait soudainement investi la ferme et s’affairait à présent autour du bétail, dans les bâtiments d’une propreté douteuse où porcs et moutons étaient cloîtrés. Dans la salle à manger, seuls Joe Paddington et un fonctionnaire du Ministère de l’Agriculture étaient restés enfermés. Le premier ressassait de noires pensées et sortait seulement de son silence pour donner quelque information sur son cheptel lorsque le second, qui remplissait un formulaire d’indemnisation, lui posait une question. Les animaux sacrifiés lui seraient remboursés au prix du marché, expliquait-il, un peu gêné. Il faut dire que le prix du marché, ce n’était plus grand-chose ; la viande, plus personne n’en mangeait.

L’irruption d’un vétérinaire de la Brigade, dans sa combinaison orange ornée d’un logo, plutôt malvenu, qui représentait une vache hilare, arracha Joe à ses pensées. L’abattage de ses bêtes venait de commencer : on avait repéré, dans une de ses étables, un cas suspect. Joe savait qu’il ne servait à rien de protester. Un seul cas suspect, et tout le cheptel y passait. Principe de précaution, comme ils disaient. En réalité, le vétérinaire venait surtout s’informer de la raison pour laquelle un cochon se trouvait en dehors de la porcherie, juste à côté du poulailler.

— Ah, lui ? C’est Copain, expliqua Joe d’un air las. C’est le cochon qu’on élève pour notre consommation personnelle. Il ne mange pas la même chose que les autres, vous comprenez. Le vétérinaire comprenait. Mais même s’il vivait à l’écart de ses congénères, le cochon biologique devait lui aussi y passer. Il n’y avait pas de Copain qui tienne, Joe le savait. La loi du marché voulait que son cochon brûlât, il brûlerait. Tout blasé qu’il était, Joe eut néanmoins un vif frisson d’horreur lorsqu’il vit le regard du vétérinaire de la Brigade se poser froidement sur Jeremy, son épagneul chéri. L’agriculteur et le véto n’échangèrent pourtant pas un mot : il n’y avait rien à dire, et rien à objecter. Le fonctionnaire ajouta le chiffre 1 à la ligne “Chien” de son formulaire, et Jeremy suivit en frétillant de la queue le vétérinaire orange qui tenait dans sa main droite quelque chose qui ressemblait à s’y méprendre à un morceau de chocolat, mais dont on ne se remettait pas.

Une bonne heure s’écoula. Le fonctionnaire avait fini de remplir son formulaire, mais il était resté attablé. Ni Joe ni lui n’avaient le cœur à bavarder. Dehors, la Brigade d’épuration s’affairait toujours à sa tâche et l’on commençait à percevoir l’odeur répugnante des carcasses se consumant sur le brasier. C’est alors que le vétérinaire réapparut dans la salle à manger, flanqué cette fois de trois autres membres de la Brigade, l’air gêné. Joe leur jeta un regard inquiet, et c’est lorsqu’il les vit détourner la tête que soudain, il comprit : le principe de précaution ne s’arrêterait pas à Jeremy. Il avait longtemps cru qu’il lui suffirait de se désinfecter les pieds dans un quelconque pédiluve, mais avec l’extension de l’épidémie, ces modestes exigences sanitaires avaient vécu : selon un récent sondage, le consommateur était en effet persuadé que la désinfection des pieds ne suffisait pas à garantir l’innocuité d’un fermier. Le Ministère en avait tiré les conclusions qui s’imposaient, même si la Brigade avait le plus grand mal à s’y habituer. Le nez sur son dernier café, Joe sentait leurs regards sur lui posés. Il n’y avait rien à dire, il le savait : le consommateur avait toujours raison. Aussi se leva-t-il, résigné, et sortit bravement de la salle à manger, escorté des quatre combinaisons orange, sans même que le vétérinaire n’ait eu à agiter le moindre morceau de chocolat.

Le calme était revenu dans la pièce. Le fonctionnaire, zélé ajouta le chiffre 1 à la ligne “Agriculteur” de son formulaire. Sale métier. Mais comme l’avait rappelé le Ministre de l’Agriculture, dans cette période électorale mal engagée, le consommateur avait plus que jamais besoin d’être rassuré.

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Incompétences…

Un autre méfait du chômage

par P. VINCENT
mai 2001

Deux Canadiens, le professeur Laurence J.Peter et Raymond Hull, écrivain et journaliste, ont démontré il y a une trentaine d’années, sous le nom de Principe de Peter [1], que si notre Société fonctionnait mal, c’était parce que tous les postes y étaient occupés par des gens incompétents. Ils mettaient en cause notre système hiérarchique où, lorsque quelqu’un donne satisfaction dans l’emploi qu’il occupe, on ne sait le récompenser qu’en le propulsant à un poste supérieur, jusqu’à ce qu’il finisse par ne plus mériter de monter plus haut du fait qu’il aura atteint son niveau d’incompétence.

Le chômage a aujourd’hui le même effet néfaste, du fait cette fois que, pour gagner leur vie, beaucoup de gens se sont jetés sur n’importe quel emploi qu’ils ont pu attraper, même s’il ne correspondait ni à leur formation, ni à leurs goûts. La diminution du chômage, si elle se poursuit, va sans doute engendrer une certaine instabilité du personnel, que les employeurs ne manqueront pas d’imputer à l’appât d’une meilleure rétribution. Ce sera en partie vrai et ce ne sont pas des inconditionnels de la loi du marché qui pourraient leur jeter la première pierre. Mais il y aura surtout un reclassement en fonction de la formation et des goûts de chacun, qui créera un mieux-être sur le plan personnel et familial, mais produira également des effets bénéfiques dans les entreprises, les administrations et tous les rouages de notre Société.

J’ai commencé ma carrière, à une époque où ce n’était pas les salariés qui se disputaient les emplois, mais les employeurs qui se disputaient les salariés, chez un grand équipementier de l’industrie automobile. Celui-ci raflait tout ce qu’il pouvait, en leur proposant d’attrayants salaires de début, comme jeunes ingénieurs sortant des Grandes Ecoles, sans même savoir ce qu’il en ferait exactement. On commençait par les balader de service en service, ce qui leur donnait l’occasion de tester leurs goûts et leurs compétences et permettait en même temps à la direction de les juger. Leur affectation définitive résultait donc d’une concordance entre l’appréciation qu’ils avaient d’eux-mêmes et celle que l’on avait d’eux. En attendant cette affectation définitive, ils pouvaient être appelés en renfort, ou pour un remplacement provisoire, à la direction de services où ils avaient effectué un stage prolongé et acquis une compétence suffisante. Le cas échéant, on les avait sous la main pour de nouveaux postes à pourvoir d’urgence ou pour des missions imprévues. Le service sans étiquette fonctionnelle auxquels ils étaient provisoirement rattachés se voyait parfois surnommé avec une certaine ironie “la pépinière” ou “le service de secours”. Cette conception patronale du management des hommes avait donné d’assez bons résultats à l’époque des “Trente Glorieuses”.

Espérons que le patronat d’aujourd’hui se fera aussi à l’idée que l’absence de chômage n’est pas une calamité insurmontable.

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[1] Le principe de Peter, par L.J. Peter et R. Hull, William Morrow and Company, 1969, Editions Stock, 1970

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Avec la Poste, soyez modernes …

par J.-P. MON
mai 2001

…Et faites vous pigeonner ! Dans le genre “plus moderne que moi, tu meurs” qui caractérise la Poste depuis qu’elle se prépare à la privatisation, sa dernière trouvaille est “la lettre suivie” : il s’agit de vous faire acheter une étiquette “Prêt-à-Suivre” à coller sur votre enveloppe (déjà affranchie au tarif Lettre) de façon à ce que vous puissiez connaître (24h/24h !!!) la date de distribution de votre lettre en consultant votre Minitel, le site internet de la Poste ou encore en utilisant votre téléphone. Evidemment, ça n’est pas gratuit : à l’unité l’étiquette coûte 6F (en carnet de 5, elle revient à 4F… pièce). Autrement dit, si vous voulez suivre votre lettre, vous paierez à la Poste de 7 à 9 francs (timbre + étiquette) auxquels vous devrez ajouter le prix d’une communication téléphonique ou d’une connexion minitel ou internet de durée plus ou moins longue (et on sait combien les fournisseurs d’accès sont habiles pour vous faire traîner avec diverses pubs avant de vous donner l’information que vous recherchez !). Et, bien sûr, la Poste ne manque pas de vous recommander d’utiliser la “Lettre Suivie” pour vos envois indispensables, je cite : impôts, abonnements, réservation de vacances et spectacles, chèques, mutuelles, demandes de remboursement, feuilles de maladie, assurances, CV, diplômes photos, faire-part, invitations, anniversaire… A part la lettre de licenciement (qui peut attendre…), je ne vois pas ce qui manque à cette liste. Et pour faire bon poids, la pub précise : « pour les envois nécessitant une preuve juridique de dépôt, utilisez la Lettre Recommandée ».

Jusqu’ici, je croyais bêtement, comme la Poste le disait, que les lettres affranchies au tarif du courrier rapide étaient délivrées le lendemain de leur dépôt. Il semble qu’avec les techniques “mo-dernes” de la Poste, ça ne soit plus le cas. Mais grâce à l’étiquette “Prêt à suivre”, je pourrai savoir où elle est bloquée. C’est ça le progrès ! Craignons cependant que le courrier “normal” que nous connaissions jusqu’à présent ne devienne de moins en moins fiable… pour nous inciter à utiliser la “Lettre suivie”.

En fait, il s’agit pour la Poste d’augmenter ses tarifs sans le dire et de donner la priorité au courrier publicitaire.

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Lectures

Enfin un ouvrage qui met à plat les fonctions de la monnaie, tout en amenant une réflexion générale sur Les monnaies parallèles [1] :

Unité et diversité du fait monétaire

par M.-L. DUBOIN
mai 2001

Réécrite et prolongée, une thèse de sciences économiques soutenue en janvier 1998 à Lyon 2 est à l’origine de cet ouvrage de Jérôme Blanc.

Son sujet est l’étude des instruments de compte et de paiement distincts des monnaies nationales et utilisés au cours de la période 1988-99, il ne faut donc pas en attendre une réflexion ouverte vers une alternative à la monnaie capitaliste, telle la monnaie distributive que nous proposons.

Ce livre est en effet un travail d’entomologiste, d’un entomologiste consciencieux, prenant le temps d’aller dans les détails mais qui, étant économiste, ne saurait raisonner en dehors du cadre actuel, ou seulement en imaginer un autre. Ses hypothèses de départ constituent pourtant une approche originale par rapport à celle de la communauté des économistes, car le seul but qu’il se propose est l’observation des pratiques monétaires, en précisant d’emblée que ne doivent être considérées comme monétaires que les pratiques de compte et de paiement ; les pratiques financières sont donc exclues. Autre restriction : ce qui appartient aux relations internationales est laissé de côté.

Trois chapitres, consacrés au concept de monnaie, établissent l’originalité et le fondement d’une telle approche. Les économistes ont en effet l’habitude de définir la monnaie par trois fonctions, dites classiques (mesure d’une valeur, moyen de paiement et de réserve), mais ce procédé est ici récusé d’emblée, pour la bonne raison que cette approche est loin d’être neutre : elle a pour effet de faire apparaître la monnaie comme un outil associé au fonctionnement moderne des marchés, rendant des services à l’économie en général, dont elle ne serait ainsi qu’un auxiliaire. Cette définition est idéologique et, explique J. Blanc, non scientifique parce qu’elle tourne en rond : la monnaie est définie par ses fonctions et ces fonctions sont elles-mêmes définies par la monnaie !

Toute théorie monétaire reposant sur un postulat, il importe que celui-ci soit posé le plus clairement possible, ce que fait notre auteur en décidant de ne raisonner qu’en termes de pratiques monétaires, c’est-à-dire d’actes quoti-diens de comptes et de paiements. Ceci l’amène à deux refus : d’une part celui de toute théorie de la valeur, d’autre part celui de lais-ser se multiplier les fonctions monétaires. Il définit donc deux fonctions : celle de compte (qui implique l’emploi d’une unité de compte) et celle de paiement (et non plus d’intermédiaire d’échanges). Ceci implique que toute monnaie émise est une dette de l’émetteur vis à vis de l’économie, donc susceptible d’être remboursée. Quant à la troisième fonction classique, la fonction de réserve, l’auteur montre qu’elle dépend des précédentes et elle n’est pas propre à la monnaie : épargne et thésaurisation sont des pratiques financières plutôt que monétaires.

Alors, les monnaies parallèles, sujet du livre ?

Par définition, un état-nation n’a qu’un gouvernement, qu’une armée, qu’une institution fiscale et, en principe, qu’une seule monnaie, car la monnaie a toujours été l’un des attributs centraux de la souveraineté. L’autorité publique a donc la charge d’un système monétaire propre, la monnaie nationale reposant sur le principe d’exclusivité : « Un état sans sa propre unité monétaire et ses propres moyens de paiement n’est aujourd’hui qu’un état fantoche ou dominé ». Par définition, les monnaies parallèles sont des instruments monétaires distincts de la monnaie nationale, leurs qualités monétaires et leurs emplois sont plus restreints, elles sont néanmoins employés pour des opérations internes au territoire national.

L’auteur montre alors la diversité de ces monnaies parallèles, leurs champs d’application et leurs rôles respectifs, et, mettant à part les monnaies étrangères, il souligne qu’elles ont deux traits commun :

1- elles sont localisées, étant soit communautaires (propres à une communauté, par exemple celle des adhérents d’un club), soit pour servir à capter un public (leur objectif est alors commercial, elles sont propre aux clients d’une marque ou d’un groupe d’entreprises), soit elles sont limitées à un territoire (c’est le cas des monnaies d’une communauté comme les SELS ou d’une ville comme l’Ithaca hour) ; et

2- ce sont des instruments monétaires dont les modalités sont restreintes par leur émetteur.

Les bons d’achat

Les bons d’achat constituent plus de la moitié de ces monnaies parallèles. Ils sont destinés soit à approvisionner des populations pauvres en biens de base (exemple : les food stamps aux états-Unis) ou les privilégiés en biens rares (s’il y a certaines pénuries), soit à solvabiliser certains besoins (exemples : les titres de restaurants et les bons d’enseignement), soit à forcer la consommation (exemple les chèques-cadeaux offerts par des commerçants pour capter le client et le retenir). On note au passage

1- que les titres de restaurants, utilisés par 5 millions de personnes en France, permettent aux employeurs de bénéficier d’une exonération fiscale et sociale sur la partie de salaire qu’ils versent sous cette forme [2] ;

2- que les bons d’enseignement, dont l’idée serait due au monétariste Milton Friedman, sont un moyen de réaliser la privatisation totale de l’école : l’état assurerait ainsi une dépense minimale, et la sélection se ferait par le montant des droits d’inscription : aux plus riches, les meilleures écoles ;

3- enfin que les chèques-cadeaux (et autres gains de loteries) sont utilisés par les entrepri-ses commerciales de façon, en apparence, douce, ce qui dupe le client.

Ce que souligne l’auteur, c’est que le marché s’en trouve ainsi “phagocyté”, car la clientèle est maintenant considérée comme un élément du capital (immatériel) des entreprises. Les entreprises calculent la “valeur actuelle nette” d’un client, c’est-à-dire des profits que l’entreprise peut anticiper des achats qu’il fera auprès d’elle tout au long de sa vie. En 1996, il a été estimé qu’augmenter de 5% le taux de fidélisation d’un client entraîne une hausse de 35 à 95% de sa “valeur actuelle nette”, hausse qui est équivalente à un apport de capital pour l’entreprise, ainsi la conquête d’un client devient un investissement… Les ouvrages de mercatique (l’art de manipuler la clientèle…) offrent des recettes de fidélisation du client, telle l’offre d’avantages sous forme de points permettant d’acheter certains produits ; ceci neutralise en partie la concurrence mais aussi contribue à brouiller l’information sur les prix des produits payés en partie par ces points.

Sur internet se développent des sites commer-ciaux (dont les revenus proviennent d’une part des ressources de la publicité, liées à la fréquentation de ces sites et aussi de la vente d’informations concernant les clients) et les systèmes de points qui s’y multiplient deviennent progressivement des monnaies propres, certains sites distribuant, comme des points de fidélité, des unités de ces monnaies aux visiteurs adhérents, groupés en “clubs” (un peu comme les monnaies internes au Club Méditerranée).

Les monnaies locales

À propos des monnaies locales, quatre expériences sont analysées.

Celle de la monnaie fondante eut lieu pendant la Grande dépression des années 30 et s’inspirait de Gesell dont l’objectif était de rompre “les crises de surproduction” constatées, et pour cela d’accélérer la consommation par un moyen simple : toute monnaie non dépensée perd 0,5% en un mois (6% sur l’année).

Pour les fondateurs, en octobre 1934, du cercle économique WIR, cette même “Grande dépression” était due à un manque d’approvisionnement en monnaie et il fallait éviter aux PME d’en subir les conséquences, WIR est donc d’un système d’échanges de marchandises entre entreprises, organisé dans un but lucratif par une sorte de chambre de compensation qui prélève une taxe sur ces échanges et se fait payer les services qu’elle fournit (informations, facilités de crédit et même activités de lobbying auprès des gouvernements), mais la monnaie WIR ne peut être échangée qu’entre les membres de ce cercle de soutien mutuel entre PME.

Ces deux expériences sont considérées comme les antécédents des LETS (dont les premiers datent de 1983) dans les pays anglophones ou SEL (système d’échanges locaux), qui sont des associations de personnes qui comptabilisent, à l’aide d’une unité de compte qui leur est propre, les transactions qu’elles font entre elles, transactions qui portent aussi bien sur des travaux de réparation, des gardes d’enfants, la confection de plats cuisinés ou des cours de langue. Leur monnaie est une pure monnaie de crédit. LETS et SEL répondent surtout à un besoin social et d’enracinement local.

Enfin l’expérience de localisme monétaire territorial présentée est celle de la ville d’Ithaca (30.000 habitants, état de New York) dont l’origine est le refus de ses habitants de se voir soumis aux effets de décisions qui sont prises de loin par de grands groupes ne se souciant guère de la survie des petites localités. Son but est donc de réorganiser localement l’économie marchande, de créer des emplois locaux et de faire circuler localement les revenus de sa po-pulation, et à ceci s’ajoute, il faut le noter, le souci d’intégrer la contrainte environnementale à toute initiative économique.

Conclusions

Outre que la lecture de cet ouvrage, même si elle peut paraître un peu longue, apportera à nos lecteurs des précisions intéressantes, par exemple sur les raisons d’être et les objectifs des monnaies locales, il faut ici souligner qu’elle est riche d’enseignements, dont les deux suivants sont particulièrement à retenir :

1• la définition classique de la monnaie (capitaliste) par les économistes est un postulat qui est remis en cause par l’un d’entre eux. Il est donc tout à fait possible d’écarter la fonction financière (placement contre intérêt, spéculation) d’une monnaie, ce qui est une de nos propositions ;

2• les monnaies locales, telles celles des SEL ou d’Ithaca, si elles sont “illégales” parce que différentes des monnaies nationales, le sont exactement au même titre que les tickets de restaurant ou les chèques-cadeaux qui servent à certaines entreprises commerciales à capter le client… Un bon argument à faire valoir si cette illégalité était utilisée pour interdire les SEL…

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[1] Saluons la collection “économiques” des éditions l’Harmattan où cet ouvrage est publié, car elle a pour propos de « mettre à la portée des “honnêtes” hommes d’aujourd’hui des résultats de thèses récentes ou de chercheurs plus confirmés, pour qu’ils puissent mieux appréhender les phénomènes de société auxquels ils sont confrontés ».

[2] à ce propos des auteurs ont souligné la différence entre ces bons et le salaire : l’avantage des bons, aux yeux de l’employeur, est de faire apparaître l’usage spécifique auquel il est destiné, car cela élimine, de la part du salarié, la possibilité de mettre en avant la non-satisfaction des besoins correspondants pour exiger des augmentations de salaire.

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Quand on n’est ni économiste, ni financier, ni journaliste, ni homme politique, mais simple citoyen, on peut se demander si tout ce que racontent les “spécia-listes” tient debout. C’est la saine question que s’est posée le groupe Attac de Strasbourg sur l’euro, sur la Banque centrale européenne et plus généralement sur la politique monétaire européenne. Pour en avoir le cœur net et les idées claires, sa commission “Revue de presse” a analysé les articles qu’avait publiés Le Monde sur ces sujets en moins de deux ans. Caroline Eckert nous a transmis ce travail particulièrement édifiant, mais trop long pour être reproduit ici. Voici ce que nous en avons particulièrement retenu :

L’Europe et sa monnaie

mai 2001

On voit dans cette étude [1] que les déclarations de Wim Duisenberg, président de la Banque centrale européenne (BCE), se contredisent à quelques jours d’intervalle, que ses explications de la chute de l’euro par rapport au dollar sont démenties par les faits, que les variations du cours de l’euro ne vont généralement pas dans le sens qu’il prévoit et que ses interventions n’ont pas l’effet escompté.

Voici quelques extraits particulièrement significatifs sur l’évolution du cours de l’euro : Avant son lancement, les analystes prévoyaient que « l’engouement des investisseurs internationaux pour la nouvelle monnaie entraînerait une envolée de cette dernière » et Wim Duisenberg mit même les marchés en garde contre un euro surévalué car il ne voulait pas « que le taux de change mine inutilement la compétitivité de l’Euroland avec le reste du monde. » Il se rassure bien vite, car si l’euro vaut 1,1789 $ lors de sa première cotation le 4 janvier 1999, il ne vaut déjà plus que 1,04 $ fin mai, soit une perte de plus de 12 % par rapport au billet vert. De son côté, Hans Tietmeyer, président de la Bundesbank jusqu’au 31 août 1999, juge que « l’euro s’est bien comporté depuis son lancement, malgré quelques petites dévaluations. »

Au printemps 2000, l’euro a perdu 20,6 % de sa valeur par rapport au dollar depuis son lancement et s’échange autour de 0,92 $. Pourtant Wim Duisenberg avait exclu « l’éventualité de voir la monnaie européenne tomber à une parité de 1 euro pour 1 dollar ». Mais le voilà qui s’inquiète et déclare à Madrid : « Nous ferons quelque chose pour le niveau de l’euro, si cela mine notre politique monétaire ». Mais l’euro continue à baisser et W. Duisenberg affirme maintenant que « la dépréciation du taux de change de l’euro, jusqu’à ce qu’elle s’inverse, va accroître les risques pour la stabilité des prix à moyen terme. » Il veut néanmoins transmettre aux citoyens européens « le sentiment qu’ils ne devraient pas être soucieux quant à l’évolution du taux de change [car ils] peuvent être sûrs que leurs économies et retraites vont garder leur valeur au cours du temps [...] Le futur de l’euro est celui d’une monnaie forte ». Jacques Chirac veut aussi mettre son grain de sel dans le débat. Il a « totalement confiance car l’euro a des marges d’appréciation extraordinairement importantes ». Plutôt que de la chute de l’euro, il préfère parler « du relèvement du dollar ».

Malgré diverses interventions, l’euro continue sa chute et atteint 0,82 dollar fin octobre, ce qui restera son véritable plancher historique, au moins jusqu’au printemps 2001.

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D’ailleurs, qui doit décider de la politique monétaire européenne ? Dès le début, en juin 1999, Wim Duisenberg déclare « L’euro, c’est moi » et conseille « de n’écouter que [sa] seule voix », soutenu par ceux qui affirment que selon le traité de Maastricht « M.Euro, c’est clairement M.Duisenberg » , mais cette interprétation n’est pas évidente, puisque d’autres partenaires de l’Allemagne (dont la France) jugent ceci « incompatible avec le traité » et défendent les prérogatives du pouvoir politique des Etats membres en matière monétaire.

Mais certains ont des solutions, tel le président de la Bundesbank, Ernst Welteke, qui déclare : « si les journalistes faisaient grève, cela ferait du bien à l’euro ». Dans le même ordre d’idées, Lionel Jospin, en marge d’un déplacement à Lille, estime que seuls la BCE et le président de l’Eurogroupe [2] devraient parler de la politique monétaire : « Je pense qu’en matière monétaire il faut se taire. Que par exemple la Banque centrale s’exprime, c’est normal, que par exemple le ministre président de l’Eurogroupe s’exprime aussi, et il devrait s’exprimer au nom de ses douze collègues, c’est normal » mais, ajoute-t-il, : « pour les autres responsables politiques il vaut mieux qu’ils s’expriment le moins possible sur les questions monétaires. »

Si le Conseil des Gouverneurs ne peut nous convaincre quand il « estime que les vingt-deux premiers mois de l’Union monétaire ont été une réussite », il semble que ce soit l’économiste de la Banque du Japon, Hideo Hayakawa, qui a eu le mot juste, en Novembre 2000, en exprimant ce qui est notre conclusion : « il s’agit d’un vrai problème. Mais personne n’y voit très clair. » !

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[1] On la trouve sur le site internet : www.local.attac.org /strasbourg

[2] Eurogroupe = le conseil des ministres des finances de la zone euro

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Dans notre numéro précédent, Roland Poquet a pris plaisir à rapporter l’analyse du plasticien allemand Joseph Beuys, relative au rôle que devrait tenir l’argent et aux nouveaux processus dont devraient dépendre la distribution des revenus et la répartition de l’emploi. Souscrivant en totalité à cette analyse, il se laisse tenter à proposer une version résumée de l’économie distributive. La voici :

Qu’est-ce que l’argent ?

(suite)
par R. POQUET
mai 2001

Les moyens, qui existent, de produire biens et services, non seulement en quantité mais en qualité, doivent être accessibles à tous les habitants de notre planète. Ceci doit entraîner à moyen terme la disparition totale de la misère et du chômage.

Pour cela, il faut :

1. Dénoncer les concepts de profit et de taux de croissance comme moteurs de l’économie, concepts qui découlaient d’une situation relevant de l’économie de rareté et de pauvreté et devenus absurdes dans une économie placée sous le signe de la révolution technologique informationnelle.

2. Briser le caractère de marchandise de l’argent, qui provoque le déclin de l’âme humaine, en adoptant une monnaie utilisable pour un seul échange, donc non cumulable et non spéculative : une monnaie de consommation.

3. Garantir à tous les êtres humains un minimum de dignité en soustrayant de la vie économique le processus de rémunération : toute personne a droit à un revenu afin de vivre décemment, ce qui suppose, à l’heure où le nombre d’heures travaillées se raréfie, la séparation du travail et du revenu.

4. Ce n’est que lorsque ses conditions d’existence sont assurées par la distribution d’un revenu que chacun peut mettre ses capacités à la disposition de ses congénères et ainsi, sans esprit de lucre, stimuler la puissance de la créativité humaine et assurer la préservation de la vie sur la planète.

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Voici donc un schéma d’économie distributive clair et suffisamment précis pour mobiliser tout homme de bonne volonté soucieux d’aider l’humanité à s’accomplir dans de meilleures conditions.

Une telle vision de l’avenir ne rassemble cependant que peu d’adeptes. Perspective trop lointaine pour être prise en considération, diront certains. Perspective trop aléatoire et par conséquent trop dangereuse, ajouteront d’autres. “L’utopie est un mythe dont on croit prévoir les conséquences” rapportait dans son journal un autre plasticien, français celui-là, Georges Braque, dans les années 50. Et, dans le même journal, il précisait sa pensée :« Plus le socialisme sera intégral, plus la guerre sera totale » [1]. Aphorisme que nul n’oserait reprendre à son compte un demi siècle après : nous savons désormais que le soviétisme en question n’a jamais pu, raisonnablement, être assimilé à une forme quelconque de socialisme [2], ce que l’écrivain portugais Fernando Pessoa, dans son admirable essai “Le banquier anarchiste” avait pressenti [3] : « Que peut-on attendre d’un peuple d’analphabètes et de mystiques ? ». Aphorisme pour aphorisme, celui-ci ne manque pas de piquant, d’autant plus qu’il date de …1922 !

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Depuis les années 20, le cours de l’histoire n’a pas, quoi qu’on en dise, fondamentalement changé :

— le capitalisme poursuit sa marche triom-phaliste et impitoyable.

— les aspirations au socialisme sont toujours bien présentes, même si elles se sont affublées des attributs de la social-démocratie.

Bien que l’effondrement du bloc soviétique semble condamner l’expression d’un socialisme adapté à notre époque et laisser place nette au capitalisme, dans la réalité un “troisième courant” est en train de se préciser, que l’on peut difficilement définir en raison de la complexité des forces qui le composent mais qui, sans ambiguïté, réclame l’instauration de conditions économiques et sociales propres à restaurer la primauté de la politique sur la finance et de l’humain sur l’argent.

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[1] Deux remarques à ce sujet :

— Georges Braque feint d’ignorer que l’action des Socialistes Soviétiques a été déterminante dans la guerre contre le nazisme.

— Si l’on remplace le mot socialisme par le mot capitalisme, la phrase garde tout son sens et gagne encore en saveur.

[2] Dans nombre de ses ouvrages, Jacques Duboin assimilait volontiers le socialisme soviétique à un capitalisme d’Etat.

[3] “Le banquier anarchiste” de Fernando Pessoa (Ed. Bourgois)

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Concluant sa série de quatre articles sur l’effet de serre, J-C Pichot pense que malgré toutes les bonnes volontés, on n’ira pas bien loin si l’on se contente d’actions individuelles isolées, car le problème est essentiellement politique et global. Mais il est néanmoins indispensable que chacun continue à jouer son rôle de citoyen pour faire comprendre aux hésitants ou aux incrédules qu’ils ont intérêt à faire quelques sacrifices, multiplier les exemples et faire pression sur tous les responsables à portée de leurs bulletins de vote ou de leurs courriers.

L’effet de serre, un défit

IV . et si chacun décidait de faire quelque chose ?
par J.-C. PICHOT
mai 2001

Des moyens limités

• En tant que citoyens, notre rôle d’électeur atteint vite ses limites une fois les bulletins déposés dans l’urne, sauf au plan local (élections cantonales et surtout municipales), où on peut espérer un peu plus, mais il y a encore beaucoup à faire pour voir les mentalités changer. Sans renoncer a priori à maintenir la pression à travers les moyens que nous offrent encore, par exemple, la loi de 1901 sur les associations ou même, pourquoi pas, la pratique des “manifestations” sur le terrain, nous en sommes pratiquement réduits à l’espoir que nos administrations et nos gouvernants prendront les bonnes décisions et sans tarder…

• En tant qu’usagers, consommateurs de services publics ou équivalents, même si nous le désirons, nous n’avons pas toujours une réelle possibilité de choisir. C’est le cas, par exemple, des politiques nationales de transports des marchandises (y aura-t-il un réel développement du “ferroutage”, de plus en plus impératif quand on sait qu’au rythme actuel le trafic transport pourrait s’être accru de 38 % en 2010 ?) ou de production énergétique : compte tenu de l’existence d’un réseau unique de distribution, personne ne peut opter, choisir soit l’électricité d’origine nucléaire, soit celle produite par des centrales à combustion ! Et lorsque ce sera possible, certains choix seront malheureusement limités par l’attrait de “l’offre” que nous proposeront directement ou indirectement nos institutions : par exemple, incitations fiscales dans les investissements immobiliers (pour l’isolation thermique), transports en commun plus nombreux et moins producteurs de gaz à effet de serre, règles plus strictes concernant la circulation automobile, modalités de destructions des déchets domestiques (incinération ou autres) etc.

• En tant que consommateurs, nous conservons malgré tout quelques degrés de liberté, plus particulièrement au plan de nos comportements quotidiens, surtout si nous avons la réelle volonté de faire quelque chose qui soit significatif, au prix, éventuellement, de “sacrifices” dans nos modes de vie. Exemples :

• Dans les transports : depuis une dizaine d’années, les constructeurs d’automobiles améliorent les rendements des moteurs à combustion ; cela va dans le bon sens, mais les véhicules d’aujourd’hui sont de plus en plus couramment équipés de climatisation, ils sont plus rapides et souvent plus nerveux, et la distance moyenne parcourue est passée en France de 8 à 9.000 km/an il y a 10 ans à environ 13.000 aujourd’hui. Où est alors le bénéfice vis-à-vis de la production de gaz à effet de serre si nous ne nous disciplinons pas ? En outre, la publi-cité et les catalogues des constructeurs, toujours animés du même esprit de compétition, poussent les conducteurss, qui se laissent faire, surtout s’ils en ont les moyens financiers, à acheter des engins de type 4x4 toujours très gourmands. (Si, au moins, ils pensaient à véri-fier régulièrement la pression de leurs pneumatiques !) De nouveaux types de motorisation utilisant des piles à combustibles ou des motorisations mixtes moteur à explosion / moteur électrique, commencent à être disponibles ; naturellement, leur prix sera un critère important. Enfin, les circulations “douces”, c’est à dire essentiellement l’utilisation de bicyclettes à la place des voitures pour les trajets urbains, sont appelées à se développer. (Rappelons-nous que la distance moyenne parcourue en ville par un citadin français pour faire ses courses est de 3 km).

Quelques chiffres :

La consommation d’énergie par habitant varie beaucoup d’un pays à l’autre. La moyenne était pour le monde, en 1996, de 1,7 tonnes équivalent pétrole, mais en Inde elle était de 0,5 TEP, en Chine de 0,9, tandis qu’elle était de 4 en France et atteignait 8 aux États-Unis.

• 25 % de la population mondiale consomment 75% de l’énergie et

• 4,5 % sont responsables de 23,3% de la pollution.

En 2000, les 6 milliards de terriens ont consommé 3,2 fois plus d’énergie que les 3 milliards de terriens de 1960, et 7 fois plus d’électricité. Les sources d’énergie se répartissent ainsi : énergies fossiles (pétrole, gaz, charbon), 85 % ; énergies renouvelable et hydraulique, 7,5% ; énergie nucléaire, 6,5%.

A. P.

• En ce qui concerne la consommation domestique d’électricité, des études récentes ont montré qu’il est possible de bien maîtriser les chauffages ainsi que l’isolation de l’habitat (à condition de le vouloir et d’en avoir les moyens !). Ce que l’on sait moins, c’est que les plus grosses consommations, hors chauffage (quand il est électrique), sont essentiellement le fait de l’électroménager ainsi que les fonctions de “veille” de nombreux appareils électro-niques (récepteurs de télévision, chaînes Hi-Fi ou ordinateurs), qui consomment beaucoup plus qu’on ne l’imagine. Mais grâce à l’étiquetage les usagers peuvent faire l’achat d’appareils moins gourmands en énergie ; de même l’utilisation d’ampoules à basse consommation entraîne des économies (jusqu’à 5 fois moins) importantes. Enfin, une action auprès des constructeurs d’appareils devrait permettre de diminuer, voire de supprimer les fonctions de veille de nombreux appareils. Ces mesures réduiraient de manière notable (facteur de 2 à 4) la consommation d’électricité dans un logement et, si un grand nombre d’habitants le faisaient en même temps, diminueraient le nombre de centrales nécessaires…

• Plus généralement, l’installation, quand cela est possible, d’éoliennes ou de chauffe-eau solaires pour des maisons particulières, ou de systèmes de chauffage central intermédiaire utilisant le stockage de la chaleur recueillie au soleil dans des “accumulateurs” constitués de roches ou d’autres matériaux, permettrait de sérieuses économies d’énergie, mais, là aussi, les prix sont déterminants.

• Enfin la modification de nos pratiques alimentaires, le choix de produits moins consommateurs d’énergie, qu’il s’agisse des méthodes de culture, des engrais et des traitements (produits par l’industrie chimique), ou des transports (certains produits sont importés de très loin), pourrait aussi constituer une source d’économie d’énergie. (Le végétarisme serait-il la voie de l’avenir ?)

Que faire au plan local :

À défaut d’avoir de vrais pouvoirs économiques, nous avons tous un rôle non négligeable à jouer, ce peut être en tant que membre d’une association de sauvegarde de l’environnement mais aussi simplement, en tant que citoyen se sentant responsable :

• au plan communal : on peut sensibiliser les populations, notamment les jeunes, si possible en montrant soi-même l’exemple ; “interpeller” les élus locaux et les services de l’administration en charge de la gestion de la cité ; inciter nos concitoyens à s’impliquer, etc.

• au plan des regroupements d’associations (fédérations, etc.), organiser des manifestations, décerner des prix pour la maîtrise de l’énergie et “l’éducation” des administrés à cette maîtrise, exploiter les possibilités offertes par internet et diffuser à grande échelle.

• au plan politique général, exercer des pressions auprès des élus.

• au plan international, par internet, soutenir les ONG engagées et déjà sensibilisées, sans oublier les associations qui œuvrent dans le même sens (il y a, même aux États-Unis, des contre-pouvoirs qui peuvent être efficaces pour faire évoluer la politique actuelle) ;

• agir auprès des médias ; il paraît très utile de leur rappeler l’importance d’émissions scientifiques, déjà bien faites sur les chaînes publiques et nécessaires à une meilleure compréhension des phénomènes qui menacent ;

• obtenir que la publicité cesse de nous inciter à être des consommateurs passifs mais développe ses messages dans la direction d’une réelle information accompagnée de formation à acheter plus “intelligent” ; la publicité devrait avoir comme but, non pas de développer des parts de marché, mais d’élargir au plus grand nombre un marché basé sur le développement durable ;

• accepter, et faire accepter par les autres, que de nouveaux modes de vie basés sur le partage deviennent la règle, même si l’une des conséquences est une inévitable baisse des standards de vie suivant la définition actuelle, notamment à cause de l’augmentation inéluctable de la population mondiale qui pourrait atteindre un jour 8 à 10 milliards d’individus…

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