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QUELLES merveilleuses perspectives nous offre cette rentrée 80 ! Même aux plus aveugles, le plan « de restructuration » de Raymond Barre apparait tel que nous l’avions présenté (1). Son libéralisme économique, c’est la loi de la jungle ; pire même, puisque d’une part, il aide les grosses entreprises, leur offre d’importantes remises fiscales, et que d’autre part les salariés voient leur pouvoir d’achat baisser, que les licenciements se multiplient, de même que les emplois « précaires ». On continue à ne nous parler que de compétitivité, d’exportation à tout prix (même à nos frais) et à ignorer les besoins réels.
*
Que peut faire le simple consommateur, face à cette politique ? Il peut être très fort s’il parvient à s’informer et à s’unir pour opposer son intérêt le plus élémentaire dans cette société de profit tous azimuts. Et là encore on voit bien de quel côté le gouvernement porte son appui : lors de la réunion du 25 juin du Comité National de la Consommation, l’administration a purement et simplement décidé de retirer de l’ordre du jour la communication que devait y faire l’Union Fédérale des Consommateurs, mettant le Comité devant le fait accompli. Cette Union, qui édite « Que choisir ? », (que nous n’hésitons pas à conseiller à nos lecteurs), avait sans doute eu le tort de montrer qu’en dénonçant un produit dangereux, elle mettait en péril certains profits, opérés sans vergogne aux dépens de la santé ou de la sécurité. Plus récemment, la revue « 50 millions de consommateurs », qui apparaît souvent moins indépendante que « Que choisir ? » s’est vue véritablement censurée. Enfin le boycottage du veau, qui ne fut organisé que pour exiger l’application de la loi sur les hormones, a suscité dans la presse plus d’interventions en faveur des producteurs qu’en faveur des consommateurs.., Il y a donc bien loin entre les discours du ministre de l’Economie qui veut se faire passer pour le ministre des consommateurs. et la réalité. Quelle différence avec les Etats-Unis où la sécurité des produits est contrôlée par des milliers de volontaires, avec financement sur fonds publics et appui efficace de l’administration !
*
Ça ne fait rien, car Pierre Drouin a trouvé le moyen de réduire le chômage : l’administration va favoriser le travail à temps partiel. Ce que Pierre Drouin oublie de dire c’est que le salaire, lui aussi sera partiel. Ainsi on ne réduit pas le chômage, on le répartit. Et on continue à ne produire que pour satisfaire les besoins solvables, sans augmenter la solvabilité de ceux dont le travail n’est pas nécessaire. Et le chômage reste une calamité, même partagée, mais ne devient pas « loisir ».
*
Allons, je m’en voudrais de ne manifester que pessimisme au lendemain des vacances. On peut, en cherchant bien, trouver des raisons d’espérer. Non pas en voyant les projets des candidats aux présidentielles. Non plus en songeant à ce qu’il va falloir entendre pendant encore sept mois. Mais en constatant l’évolution dans la pensée socialiste d’au moins un homme de gauche. Il ne s’agit pas d’un politicien, mais d’un écrivain et d’un journaliste ; très lu, puisqu’il écrit régulièrement dans le « Nouvel Observateur ». Je veux parler de Michel Bosquet qui, pourtant, proposait naguère de pénaliser les entreprises utilisant des machines pour faire le travail à la place des hommes. Je lui avais répondu ici même (2) en lui suggérant de remplacer l’imprimerie du « Nouvel Obs " par des milliers de copistes...
Michel Bosquet se distingue par une réflexion très personnelle,
qu’il vient de manifester en publiant son analyse originale de ce qu’il
appelle la crise actuelle du marxisme, dans un livre intitulé
« Adieux au prolétariat » (3). Il se demande alors
« Comment remplacer une économie où la production
est subordonnée aux exigences de profit du Capital, par une économie
(originellement appelée socialisme) où la production est
subordonnée aux besoins »... Et voici en quels termes il
définit cette économie : « un stade où le
plein développement des forces productives est accompli et où
la tâche principale n’est ni la production maximale ni le plein
emploi, mais une organisation différente de l’économie
où le plein travail cesse d’être la condition du droit
à un plein revenu (4) ou, si on préfère, où
la satisfaction des besoins est assurée à chacun en échange
d’une quantité de travail social (4) qui n’occupe qu’une faible
fraction de sa rie ». On croirait relire J. Duboin définissant
son « économie des besoins » ! Et M. Bosquet précise
plus loin « Le revenu social (4) assuré à chacun
tout an long de sa vie en échange de -vingt mille heures de travail
socialement utile, à fournir en autant de fractions qu’on le
désire, de façon continue ou discontinue, en un seul ou
en plusieurs secteurs d’activité. tout cela n’est possible que
s’il existe un organe central de régulation et de compensation,
c’est-à-dire un Etat ». Il ajoute « l’expansion de
la sphère de la liberté suppose que la sphère de
la nécessité soit nettement délimitée et
codifiée » afin de définir clairement quelle est
dans cette " économie distributive la tâche essentielle
de la politique (la vraie...). Fort bien documenté, il cite chiffres
et références qui montrent que dans les services comme
dans l’industrie, le nombre des emplois ne peut aller qu’en décroissant
et qu’il faut ainsi s’adapter à ce fait car prétendre
s’opposer ou ralentir l’automatisation serait aussi vain que ruineux.
Ainsi Michel Bosquet est, à ma connaissance, le premier journaliste
de la grande presse à n’avoir nulle peur de passer pour sur «
utopiste » en écrivant comment la logique des événements
lui montre ce que peut et ce que doit être la société
de demain dans les pays industrialisés. Et il a un autre mérite.
Il ose citer Jacques Duboin !
Ils y viennent !
(1) Voir G.R. n° 769 « Où nous mènent-ils ? ».
(2) G.R. n°747 « La gauche fera-t-elle l’effort nécessaire
? »
(3) Voir « Lectures » page 11.
(4) C’est nous qui soulignons.
Les puissances financières s’emploient à diviser les
hommes pour mieux pouvoir les contrôler.
Elles dirigent les masses par l’intermédiaire de leurs serviteurs
que sont les politiciens, les fonctionnaires, les industriels, les publicitaires
et tous les vendeurs du futile, du médiocre et de l’inutile.
Bien camouflés, quelques milliers d’hommes puissamment riches
organisent le plus grand gaspillage de tous les temps en soumettant
les grands moyens d’information, d’éducation et d’instruction
à leurs profits.
De cette manière, ils asservissent les hommes sans que ceux-ci
s’en rendent très bien compte, car éducation, civisme
et instruction sont donnés de telle façon que les étudiants
n’aient pas le temps de penser sérieusement aux vrais problèmes.
Ainsi pendant que la masse passe tout le clair de son temps à
gagner son salaire et à essayer de vivre dans un monde où
les complexités de tous genres sont soigneusement entretenues,
les dirigeants occultes sont bien à l’abri.
Dites-moi ! Comment voulez-vous que les singes ne soient pas tristes
en regardant les hommes ?
En Grande-Bretagne, les Associations pour la défense des consommateurs
n’appartiennent pas au Gouvernement, comme en France. (Cf. « 50
millions de Con-Sommateurs »). Leurs activités commencent
à agacer les trusts de producteurs. Et en particulier les grossiums
Unilever, Marks and Spencer, etc. Estimant que les décisions
légales de protection obtenues « gênaient les affaires
», les grosses têtes de l’empoisonnement public et payant
ont actionné la C.B.I. (Confederation of British Industries)
qui est passée à la contre-attaque. La C.B.I. a chargé,
moyennant guinées, « L’Economat Intelligence Unit »
bien connu pour ne pas en avoir (d’intelligence) et son goût pour
le dégoût, de torpiller ces Associations. Cet organisme,
après étude, a découvert que le mieux serait de
susciter un mécontentement parmi les consommateurs, en faisant
valoir que toutes les mesures législatives décidées,
ces dernières années, pour la sauvegarde de la santé
des utilisateurs ou la protection des usagers, leur coûtait plus
d’argent que cela n’en valait la peine. Une vaste et persistante campagne
fut lancée, laquelle ne regardait pas à la dépense.
Le premier et excellent résultat obtenu, fut que Madame Sally
Oppenheimer, qui est ministre de la consommation, s’est déclarée
très favorable à cette « campagne d’information
». Déclaration qui s’illumine à la lumière
de la révélation que cette Marie-Sally a de gros intérêts
chez « Marks and Spencer ». La santé du consommateur,
peut-être, mais pas au détriment d’une baisse des actions.
Faut pas charrier !
Actualité
On continue à déplorer les méfaits de l’abondance.
Jugez vous même : Cacao, on a un surplus mondial de 150 000 tonnes
de fèves et les cours sont à leur plus bas niveau depuis
quatre ans.
Les cours du café ne cessent de baisser et retrouvent leur niveau
de 1976. L’organisation internationale du café envisage donc
de contingenter les exportations pour soutenir les cours.
Le prix du cuivre raffiné vient encore de baisser, les cours
du sucre s’effritent sur les diverses places commerciales.
En France, les cours du cuir brut ont diminué de plus de 50%...
mais le prix des chaussures a augmenté de 14,5 % pendant la même
période. Vive la liberté des prix !
*
Dans les pays de la communauté économique européenne,
la production agricole progressera en volume d’environ 4,6% par rapport
à 1979 qui a été une très bonne année.
Cet accroissement de production est principalement dû aux céréales
qui augmentent de 7 % et aux oléagineux et protéagineux
qui croissent de 90 %.
Malgré cela le revenu des agriculteurs ne devrait pas beaucoup
progresser à cause du décalage entre les hausses des prix
agricoles (environ 10 % en moyenne) et ceux des produits nécessaires
aux agriculteurs (13 à 14 %). Cette abondance pose aussi des
problèmes de financement à la C.E.E. car une partie de
la production devra être exportée... et subventionnée
car les cours mondiaux des céréales sont inférieurs
de 25 à 30 % aux cours communautaires.
*
La crise de la sidérurgie européenne s’aggrave : devant
la mévente qui s’accroît les autorités communautaires
ont demandé, dès la fin du mois de juillet dernier, une
réduction volontaire de la production de 11 % pour éviter
un effondrement des prix et une série de faillites. M. Davignon,
le technocrate ad hoc, a même laissé entendre qu’il pourrait
demander le 7 octobre prochain aux ministres des Neuf l’application
du contingentement autoritaire en invoquant l’état de «
crise manifeste » prévu à l’article 58 du traité
de Rome.
Même le pétrole est trop abondant ! Les stocks accumulés
dans les pays importateurs du monde occidental atteignent près
de 5 milliards de barils, soit à peu près une centaine
de jours de consommation.
Les prix, qui ont augmenté de 150 % entre mars 1979 et juillet
1980, ont tendance à se tasser.
(L’Indonésie, la Chine, l’Equateur et même Elf-Aquitaine
ont annoncé des baisses de 1,5 à 2 dollars par baril à
compter du 1er septembre).
Devant l’affaissement de la demande, un grand nombre de pays de l’O.P.E.P.
ont réduit considérablement leur production (jusqu’à
28 % pour le Koweit) . Si l’on en croit les experts américains,
il faudra un an, sinon cieux, pour résorber l’excédent
de production, même si l’Arabie Saoudite abaisse son niveau d’extraction
d’un million de barils par jour.
*
Pendant ce temps, la misère ne cesse de s’aggraver en Afrique
Noire et les inégalités s’accroissent : selon une étude
du Bureau International du Travail, dans la plupart des pays d’Afrique
Noire, un cinquième de la population se partage les deux tiers
du revenu total. Plus de la moitié de la population parvient
péniblement à se nourrir. La production agricole stagne
ou recule, ce qui aggrave la malnutrition.
Et pourtant, selon les experts du B.I.T., le continent pourrait produire
plus qu’il n’a besoin pour se nourrir. Mais les rares investissements
qui sont effectués le sont au bénéfice de la grande
agriculture commerciale au détriment des petits cultivateurs.
*
Dans l’Europe des Neuf, on comptait fin juillet près de six millions sept cent mille chômeurs, soit près de 6,1 % de la population active. C’est, selon l’Office Statistique des Communautés Européennes, le nombre le plus élevé depuis l’existence de la C.E.E. La hausse est de 13,1 % par rapport à juillet 1979.
*
Selon les statistiques officielles l’industrie française n’utilise
efficacement que 20 % de l’énergie qu’elle consomme. Le reste,
c’est-à-dire 38 millions de tonnes d’équivalent pétrole,
soit environ 20 % de la consommation nationale est rejetée dans
l’atmosphère. Ainsi, une centrale thermique de l’E.D.F. brûle
3 thermies de fuel en moyenne pour produire l’équivalent de 1
thermie.
Selon le rapport publiant ces statistiques, l’E.D.F. aurait dispersé
dans la nature en 1978 19 millions de tonnes d’équivalent pétrole.
*
Selon un sondage effectué par l’Office National d’immigration
« les Français répugnent encore à remplacer
les travailleurs étrangers aux tâches les plus pénibles
». L’enquête nous apprend que sur 2 329 emplois libérés
par des immigrés rentrés chez eux en bénéficiant
de l’aide au retour, un tiers ont été occupés par
des Français, un tiers par de nouveaux immigrés et un
tiers ont été supprimés.
Ça vous étonne, vous ?
Ces Français sont vraiment des nantis !
SOIT DIT EN PASSANT
Le Père Noël est en avance cette année. Et généreux.
Il a dû gagner au Loto. Au début de juillet Giscard d’Estaing,
déguisé pour la circonstance en Père Noël
qui aurait laissé sa barbe au vestiaire, en présentant,
tout fiérot, le dernier joujou nucléaire pour militaires
désoeuvrés en préparation dans nos arsenaux, nous
a annoncé que les intéressés - les militaires en
question - pourront, s’ils sont bien sages, trouver ce gadget hors de
prix dans leur sabots le 25 décembre prochain. Sinon, mais ce
ne sera pas de sa faute, le soir de Noël 1982.
J’en suis heureux pour nos braves généraux que la dureté
des temps condamnait à jouer les Cincinnatus dans leur Limousin
natal. Mais ça va faire des jaloux. « Et nous ? »
vont dire les chercheurs de l’INSERM. Ils attendront.
S’il faut en croire les spécialistes, ce joujou tout neuf est
une pure merveille. La bombe à neutrons qu’on l’appelle, ou bombe
à rayonnement renforcé. Ce qui se fait de mieux dans l’art
de trucider. On n’arrête pas le progrès, je vous dis.
Certes, ce n’est pas un de ces articles qu’on trouve chez le premier
quincailler venu ou qu’un bricoleur du dimanche peut se fabriquer avec
des boîtes de conserve. La bombe à neutrons c’est du sérieux.
C’est la bombe propre. Celle qui occit les combattants embarqués
dans une guerre fraîche et joyeuse, les civils qui n’ont pas eu
le temps de se débiner, et les animaux traînant dans les
parages, oies, canards, lapins, et même les moustiques, mais qui
laisse intact le matériel et tout l’environnement. Un exemple
: si la bombe éclate au-dessus de chez vous à l’heure
du communiqué tandis que le Zitrone de service commente à
la radio les opérations pour vous remonter le moral, gardez votre
sang-froid. Vous et votre famille serez proprement vitrifiés,
mais il n’y aura pas un carreau de cassé dans la baraque. Le
poisson rouge aura le ventre en l’air mais l’aquarium pas une félure.
C’est un progrès, non ?
Ainsi la France, et quoiqu’en pensent les grincheux, est toujours dans
le peloton de tête des nations nucléaires. Il faut reconnaître
qu’on n’a pas roupillé au Commissariat à l’Energie Atomique.
Pas comme à Matignon où l’on cherche toujours, mais sans
conviction, le truc infaillible pour résoudre le problème
de l’inflation et du chômage. Les études sur la bombe à
neutrons ont commencé en 1976 et il ne reste plus qu’une dernière
mise au point pour que l’on puisse enfin jouer avec.
Le prix ? On ne sait pas. C’est la surprise. Mais pas question de mégoter
comme pour la Sécurité Sociale. Nous l’aurons notre bombe.
Dommage seulement qu’elle n’ait pas été lancée
le 6 août pour le trentième anniversaire de celle de Hiroshima.
Ce n’est que partie remise. Le jour où nous l’aurons, Giscard,
parodiant Joseph Prud’homme, lequel ne disposait alors que d’un sabre,
pourra remercier les contribuables en disant : « Cette bombe est
le plus beau jour de ma vie. »
Il était temps. L’inflation galopante, le chômage, le marasme
clés affaires, le bâtiment en panne, la bagnole en perte
de vitesse, les scandales mal étouffés, la grogne dans
l’opposition, la rogne dans la majorité, le je m’enfoutisme chez
les autres, tel était l’état dans lequel Giscard laissait
le pays après sept années de pouvoir. Il fallait en sortir.
Sous peine de se faire lui-même sortir de l’Elysée en 1981.
En sortir, mais comment ?
Comment relancer les affaires, ranimer la Bourse, créer des emplois,
rendre espoir aux jeunes, bref sortir de la pagaille dont la société
libérale, fut-elle avancée, nous offre le spectacle, et
que les progrès des sciences et des techniques condamnent à
disparaître, comme ont disparu les pharaons, l’empire byzantin
et le régime féodal ?
Tout le monde sait aujourd’hui, ou devrait savoir, depuis Jacques Duboin,
que l’industrie du casse-pipes, dont la bombe à neutrons est
le fleuron, ne connaît pas de crises. Elle est la seule à
avoir traversé sans dégâts, bien au contraire, les
moments difficiles d’après guerre que connaît l’économie
capitaliste. Mais qui peut nous dire où finit l’après-guerre
et où commence l’avant-guerre ?
Pour ne pas être pris au dépourvu, les marchands de mort
subite et tous ceux qui vivent de cette noble industrie et de son fructueux
trafic soucieux de relancer l’économie moribonde et, accessoirement
se faire un peu d’argent de poche pour leurs vieux jours, sont prêts
à faire un gros effort avec leur bombe à neutrons.
C’est bien ce qui m’inquiète. Je sais. J’ai entendu dire que
« marcher sur un neutron ça porte bonheur ». Mais
je ne me sens pas rassuré pour autant.
Ces économistes qui nous guident...
NOUS n’avons pas de pétrole, mais nous avons des intellectuels
de génie dont l’exportation comblerait aisément le déficit
de notre balance commerciale si nous en trouvions preneurs.
Hélas ! pour l’instant ces brillants sujets rivalisent de clairvoyance
et d’imagination pour analyser les causes de la crise économique
et nous proposer leurs remèdes-miracles, notamment en matière
de chômage.
« Le Figaro » du 19 janvier 1980 nous offre ainsi plusieurs
articles d’éminents spécialistes, susceptibles d’éclairer
notre profonde ignorance.
DES IDEES NEUVES
Examinons par exemple le long exposé de M. Christian Stoffaes, qui commence par nous rappeler comment la loi de SAY, selon laquelle l’offre crée sa propre demande, s’est trouvée démentie par les faits au cours des années 20 à 30, donnant ainsi naissance aux idées keynésiennes, sur lesquelles le monde occidental vit depuis le début des années 30. Un coup de gomme sur les conséquences économiques de la 2e guerre mondiale : M. Stoaffes attribue à Keynes le mérite d’avoir, provisoirement, surmonté la crise qui s’était traduite par des taux de chômage astronomique (40% en 1932 aux Etats-Unis et en Allemagne), par le retour au protectionnisme et l’effondrement du commerce international. Il n’établit aucune relation de cause à effet entre ces problèmes et la mobilisation de dizaines de millions d’hommes pendant 4 ans, l’« assainissement » par les bombes de l’appareil producteur et les destructions massives de biens de consommation créatrices de besoins immenses dès 1945. II se retrouve donc tout étonné au seuil des années 60, pour y constater : « un effritement progressif du concept keynésien devenu impuissant à expliquer et à fournir des remèdes concrets aux maux des années 70 : l’inflation à 2 chiffres, la persistance du sous-emploi en dépit des politiques de relance de la demande, les effets pervers et les cercles vicieux de la dévaluation, de la dépréciation monétaire, de la spirale prix- salaires, etc... ».
Faut-il donc abandonner Keynes pour suivre Milton Friedman ? Ecoutons
ce nouveau prophète :
« Pour surmonter l’incertitude actuelle et trouver des remèdes
concrets à la crise, il convient certainement de regarder. au-delà
des agrégats macro- économiques, les structures intimes
de l’économie. On reconnaît de plus en plus qu’à
côté du chômage keynésien résultant
de l’insuffisance de la demande globale, le chômage structurel
ou chômage d’offre occupe une place grandissante dans les problèmes
actuels . les relances keynésiennes tentées pour faire
face à l’impact déflationniste de la hausse pétrolière
de 1973 furent des échecs patents. En fait le problème
n’est pas tant une insuffisance de la demande qu’une crise des structures
de production et de leur inadaptation croissante aux conditions nouvelles
de la demande, de la technologie, de la division internationale du travail.
»
Voilà qui me paraît parfaitement clair...
DES IDEES RASSURANTES
Et le chômeur, rassuré d’être structurel et non
plus keynésien, sera tout à fait optimiste après
avoir pris connaissance des cycles de Kondratiev, de Schumpeter, et
de l’effet Buddenbrok :
« Le processus de Ca croissance n’est pas nécessairement
linéaire, ni toujours équilibré, à l’instar
des phénomènes physiques. Il est soumis à des cycles,
à des alternances de phases où la productivité
est supérieure à la croissance et où s’étend
le chômage, et inversement. Ces cycles, de période égale
à 50 ou 60 ans, ont été étudiés par
Kondratiev dans les années 1920. Il est significatif que le succès
des idées keynésiennes ait conduit à éliminer
la théorie des cycles de la plupart des enseignements économiques.
« Schumpeter, autre grand oublié des années 1930,
lie les cycles longs à l’apparition des innovations majeures.
Les phases dépressives de dix ou vingt ans qui suivent les périodes
de boom résultent de la maturation (les innovations précédentes,
de leur production en grande série grâce à l’introduction
d’investissements économiseurs de main-d’oeuvre, alors que les
nouveaux besoins et les nouveaux produits de la phase ultérieure
ne sont pas encore apparus pour prendre le relais des créations
d’emploi.
« Les technologies microélectroniques et télématiques
envahissent les usines qui se robotisent et s’automatisent de plus en
plus, mais font aussi pénétrer, ce qui est plus nouveau,
d’immenses gains de productivité dans les métiers de traitement
de l’information, services où s’est concentrée une part
croissante de la population active. Les activités dépassées
résistent de leur mieux.
« C’est pendant les phases longues de dépression que l’on
voit fleurir les psychoses des métiers Jacquart ou du capitaine
Ludd, la crainte que le remplacement de l’homme par la machine n’aboutisse
à tuer l’emploi.
« Les mutations géoéconomiques jouent aussi un rôle
dans les crises, avec l’émergence de nouveaux pays industriels
venant déranger les équilibres anciens (Etats-Unis, Allemagne
hier, Japon aujourd’hui).
« Enfin, il faut admettre l’évolution des valeurs. Suivant
« l’effet Buddenbrok », les générations nouvelles
ne désirent pas la même chose que leurs parents ».
Donc, pas d’affolement, M. Stoaffes est d’ailleurs catégorique :
« en longue période, le chômage est un faux problème
et c’est le changement que nous devons affronter... C’est probablement
aujourd’hui une diminution du rythme de progression des revenus au-dessous
des gains de productivité réelle qui serait le meilleur
moyen de rétablir l’emploi et l’équilibre externe... Peut-être
est-ce à cause de la démagogie du court terme que l’Occident
est aujourd’hui plongé dans la crise. Il est urgent de se soucier
du long terme de la productivité, de la compétitivité,
de l’innovation. A long terme, tout finit pas s’ajuster, c’est à
court terme que nous risquons le pire. »
DES OBJECTIFS ENTHOUSIASMANTS
Bien sûr !!! Mais enfin nos 1,35 million de demandeurs d’emploi
n’ont pas tous la hauteur de vue ni la sérénité
de M. Stoaffes, et le court terme, tout de même, ils aimeraient
bien que d’autres intellectuels essaient de faire un effort pour le
rendre plus affriolant ! Eh bien qu’ils se rassurent. Dans un style
très différent, M. Jacques Plassard a pensé à
eux et a trouvé la vérité profonde :
« Alors que tous les experts sans expérience répètent
que le mal est l’excès d’offre potentielle main-d’oeuvre surabondante,
productivité en progrès explosif, capitaux trop bon marché,
ce que l’on constate c’est que l’offre ne réussit pas à
suivre la demande dès lors que celle-ci s’intensifie un peu.
Le diagnostic dominant constitue un contresens et les remèdes
proposés sont rigoureusement inverses de ceux qui apporteraient
la guérison. »
Il fallait y penser ! C’est certainement parce que l’offre ne réussit
pas à suivre la demande que les usines ferment les unes après
les autres, et il est évident qu’en réduisant la demande,
c’est-à-dire notre pouvoir d’achat, le taux de chômage
va en prendre un sérieux coup !
Mais n’exagérons rien ; M. Plassard n’est pas un démagogue
et ne nous promet pas, si nous retroussons bien nos manches et serrons
fortement nos ceintures, des lendemains qui chantent. M. Plassard est
un réaliste, et ses objectifs, pour limités qu’ils soient,
méritent de relever le défi :
« Le chômage vient non de ce qu’il y a trop de jeunes, non
de ce que la durée du travail est trop longue, mais de ce qu’il
n’y a pas assez d’innovations, d’entreprises et de marketing pour créer
le nombre d’emplois nécessaires. Si l’on continuait au cours
des 5 prochaines années dans l’axe des 5 précédentes,
on aurait en 1985 entre 2 et 2,5 millions de demandeurs d’emploi, telle
est l’extrapolation.
« Mais cette hypothèse n’est pas seulement inadmissible,
elle est improbable. Quelque insuffisantes que soient son ampleur et
sa durée, le redressement opéré en 1979 a montré
qu’il n’y avait pas de fatalité. On peut plafonner le chômage
au niveau où il est ou, plus précisément, on peut
le faire osciller à plus ou moins 200 000 autour du niveau de
1.4 million. Mais cela n’est écrit ni dans les astres, ni dans
les modèles économétriques, cela dépend
de l’intelligence et de la volonté des Français et d’abord
de ceux qui disposent du plus de pouvoir gouvernement, chefs d’entreprise,
syndicalistes et, pourquoi pas, économistes.
« Prévoir 2,5 millions de chômeurs en 1985, c’est
supposer que l’on suivra une politique de laisser- aller. Jouer sur
1,4 million, c’est parier sur la capacité de redressement du
comportement français. C’est parce que cette capacité
existe que la seconde hypothèse est plus probable que la première.
Il n’est pas réaliste de supposer que les Français ne
se reprendront point, mais il ne serait pas sérieux de rêver
que cela se fera sans effort. La route sur laquelle nous sommes engagés
ne conduit pas où nous voulons aller, il faut le savoir pour
en changer. »
Fermez le ban ! Demi-tour pour le changement de route, et si nous sommes
bien sages et bien courageux nous pourrons, dans 5 ans, faire appel
à nouveau à M. Plassard pour étudier le sort des
1,4 million de chômeurs irréductibles.
Evidemment, entretemps, sur ce chemin montant, sablonneux, malaisé,
du redressement définitif de notre économie, nous trouverons
peut-être des obstacles inattendus ; les autres pays, par exemple,
pourraient avoir la fâcheuse idée de suivre les mêmes
conseils et d’accroître leur production nationale avec la sournoise
arrière-pensée de nous refiler leurs surplus. Mais M.
Plassard n’est pas inquiet :
« Un huron ou un Persan demanderait pourquoi ce même environnement
mondial qui favorise l’essor des économies coréenne, brésilienne
et autres interdirait à la France une expansion analogue à
celle qu’elle avait auparavant. »
Sacré Persan ! Il ne lui viendrait même pas à l’idée
de songer que la différence des rémunérations de
la main-d’oeuvre coréenne ou brésilienne et de la main-d’oeuvre
française introduit tout de même une petite différence
quant aux capacités d’expansion...
Et même, avec la complicité de son ami Huron, il serait
capable de tenir le raisonnement primaire suivant :
« Je vois face à face :
« - des êtres humains dont les besoins les plus essentiels
sont plus ou mois bien satisfaits. et même pas satisfaits du tout
pour des milliards d’entre eux,
« - d’autres êtres humains condamnés à l’inactivité
pendant qu’une minorité cherche désespéré.
ment à faire consommer les biens de toutes natures produits par
les machines nées de leurs efforts et de leur ingéniosité
créatrice.
« Entre les uns et les autres, il ne manque que des chiffres.
Faites appel à un bon comptable assisté d’une batterie
d’ordinateurs et répartissez-vous équitablement ce que
vous vous acharnez à détruire volontairement. »
Et c’est sans doute pourquoi, au pays de Montesquieu et de Descartes, les Persans et le bon sens sont définitivement interdits de séjour, tandis que sur toute la planète résonnent les bruits de bottes annonciateurs d’autres méthodes pour retrouver le plein-emploi.
Etranger
LA Cour Suprême des Etats-Unis vient de prendre une décision
qui peut être importante pour l’avenir des êtres vivants
dont nous faisons partie. A la demande d’un chercheur, elle a décidé
qu’une bactérie mise au point dans les laboratoires de la société
General Electric constituait un produit nouveau et pouvait donc faire
l’objet d’un brevet d’invention.
Cette décision, que la Cour n’a prise d’ailleurs qu’à
une voix de majorité (il y a neuf votants) va stimuler les recherches
déjà entreprises dans ce sens et en justifier d’autres.
Les manipulations génétiques, dont les possibilités
sont immenses, vont donc connaître un développement sans
doute important et, par le biais de la commercialisation, entrer dans
le secteur du profit.
Et pourtant, il s’élèvera peu de voix, même parmi
ceux que ces manipulations inquiètent, pour condamner les travaux
de la General Electric. En effet, « sa » bactérie
est capable, nous dit-on, de dévorer gloutonnement le pétrole
et on voit le parti qu’on pourrait en tirer pour venir à bout
des marées noires, à condition qu’ensuite on ne se retrouve
pas avec des quantités de bactéries dont en ne saurait
que faire, une pollution ayant été remplacée par
une autre.
Ceci dit, quelques problèmes généraux subsistent.
D’abord, l’apparition de bactéries nouvelles ne marque, en un
sens, qu’une étape dans un processus déjà ancien.
En effet, il y a bien longtemps que l’homme s’efforce d’agir sur la
nature et sur l’évolution au moyen de greffes pour les arbres
ou d’insémination artificielle pour les bestiaux. Le principe
d’une telle action étant acquis (qui n’aime les belles roses
ou les beaux fruits ?) le problème est de savoir quand et où
s’arrêter.
En tout cas, dès qu’on touche à l’homme, la plus grande
prudence s’impose. Il y a quelques semaines, un Américain a fait
parler de lui en proposant de créer une race d’individus exceptionnels
qui auraient pour « pères » d’authentiques génies.
On imagine aussi les conséquences de « progrès »
scientifiques qui permettraient de faire fabriquer par des bactéries
complaisantes une hormone règlant, par exemple, le développement
du corps humain. Ou bien, on appliquerait à l’homme des travaux
déjà appliqués sur les crapauds et on obtiendrait
des répliques exactes d’individus spécialement choisis.
Tout cela ne se réaliserait pas sans quelques ratés et
que ferait-on des « brouillons » ?
La science a permis à l’humanité de faire des progrès
immenses et ainsi prendre son sort en main, triompher, au moins en partie,
des obstacles que la nature met sur sa route et se faire une vie plus
libre et plus facile. Tout cela est bon. Mais il ne faut pas que les
hommes s’écartent indéfiniment de la réalité
et des modèles naturels. Nous arrivons à un stade du progrès
scientifique où nous devons rester très vigilants et nous
assurer par tous les moyens que, des laboratoires, ne vont pas sortir,
peut-être accidentellement, des créatures nouvelles encore
plus dangereuses que celles que nous connaissons et dont le contrôle
nous échapperait.
On sait déjà produire des tomates de forme cubique qui
se rangent mieux et en plus grand nombre dans les cartons d’expédition.
On a des fraises géantes, même si elles n’ont guère
de goût. Les animaux de boucherie fournissent, si on le veut,
davantage de kilos de viande ; mais quelle viande et à quel prix.
Désormais les entreprises travaillent activement, comme nous
l’avons dit, sur la production de bactéries susceptibles de nous
rendre des services inappréciables. Soit, mais il faudra bien
savoir s’arrêter ou, tout au moins, mettre des garde-fous suffisamment
efficaces Pour que cette évolution reste à notre service.
Ils y viennent
• AVOIR OU ETRE ? UN CHOIX DONT DEPEND L’AVENIR DE L’HOMME, par Erich Fromm (publié en 1976 à New-York, chez Harper et Row ; traduit en 1978 aux éditions R. Laffont).
La plupart des maux des sociétés actuelles, capitalistes
ou communistes, disparaîtraient avec l’instauration d’un revenu
annuel garanti (1).
L’essentiel de cette idée est que tous les individus. qu’ils
travaillent ou non, auront le droit inconditionnel de ne pas mourir
de faim et de ne pas être sans abri. Ils recevront juste ce qu’il
faut pour se sustenter. mais n’en recevront pas moins. Ce droit exprime
un concept nouveau pour notre époque, bien qu’il s’agisse d’une
norme très ancienne, exigée par le christianisme et pratiquée
par un grand nombre de tribus u primitives » : que les êtres
humains aient un droit inconditionnel à la vie, qu’ils accomplissent
ou non leur « devoir envers la société ».
C’est un droit que nous garantissons à nos chats et à
nos chiens, mais non à nos semblables.
Le domaine de la liberté individuelle serait considérablement
élargi par une telle loi ; aucune personne économiquement
dépendante d’une autre (d’un père, d’un mari, d’un patron)
ne serait plus obligée de se plier au chantage de la faim ; les
personnes douées qui veulent se préparer à une
vie différente pourraient le faire à condition d’accepter
de vivre. pour un temps, dans la pauvreté. Les Etats modernes
qui ont adopté un système de prévoyance sociale
ont « presque » accepté ce principe, c’est-à-dire
« pas vraiment ». C’est une bureaucratie qui e administre
» encore les gens, qui les contrôle encore et les humilie.
Mais le revenu garanti n’obligerait pas quiconque désirerait
une simple chambre et an minimum de nourriture de faire « la preuve
» qu’il est dans le besoin. On éviterait ainsi d’avoir
recours à une bureaucratie pour administrer un programme de prévoyance
sociale, avec tous les gaspillages et les violations de la dignité
humaine que cela comporte.
Le revenu annuel garanti assurerait une liberté et une indépendance
réelles. C’est pour cette raison qu’il est inacceptable pour
tout système fondé sur l’exploitation et le contrôle
autoritaire, et, en particulier, les différentes formes de dictature.
Il est caractéristique du système soviétique que
les propositions visant à la gratuité de certains biens
ou services, même les plus simples (par exemple, les transports
publics et les distributions gratuites de lait), ont été
régulièrement repoussées. L’assistance médicale
gratuite est la seule exception, mais seulement en apparence, puisque,
ici, le service gratuit dépend d’une condition claire et nette
: pour en bénéficier, il faut être malade.
Si l’on tient compte du coût actuel d’une bureaucratie de prévoyance
sociale, le prix des traitements médicaux, particulièrement
psychosomatiques, les maladies, la criminalité et la drogue (dont
presque tous sont en grande partie des formes de protestation contre
la coercition et l’ennui), il paraît vraisemblable que le système
du revenu annuel garanti pour tous ceux qui le demanderaient serait
beaucoup moins onéreux. L’idée peut paraître irréalisable
ou dangereuse à ceux qui pensent que e l’homme, par nature. est
fondamentalement paresseux ». Ce lieu commun. en fait, n’est absolument
pas fondé ; il est tout simplement un slogan qui sert à
rationaliser la résistance à la volonté de rendre
un sentiment de puissance à ceux qui sont sans défense.
»
(1) Proposé déjà en 1955 par Erich Eromm dans son ouvrage The Sane Society.
Ils y viennent
• TROTSKY, par Ernest Mandel (publié à Londres, New Left Books en 1979, traduit chez Maspéro « Petite Collection », n° 237, en 1980).
« Trotsky a souvent été accusé d’avoir une
conception naïve de l’abondance des biens matériels - conception,
soit dit en, passant, qu’on l’accuse d’avoir partagée avec Marx
et Engels. La référence à l’impossibilité
d’atteindre l’abondance, comme argument définitif contre le socialisme
et le communisme - déjà bien connu au XIXe siècle
-, a récemment été soutenue par les disciples de
l’« école de la croissance zéro » et par les
écologistes néo-malthusiens qui expliquent que, avec une
population mondiale potentielle de 10-12 milliards, l’abondance des
biens matériels serait soit une catastrophe pour l’environnement,
soit une impossibilité physique.
Trotsky a répondu à l’avance à de telles objections
en expliquant que le concept d’« abondance » ne se réfère
pas seulement mécaniquement au niveau de l’économie, mais
est plus un concept sociopsychologique, déterminé évidemment
pas les préconditions matérielles. Une fois que l’habitude
de distribuer les produits et les services fondamentaux en fonction
des besoins est assimilée par tous les membres de la société,
un point de saturation sera rapidement atteint et la consommation effective
pourra même diminuer (ou pour le moins se stabiliser). Il prend
le simple exemple des habitudes des bourgeois et des petits- bourgeois
cossus dans les restaurants, hôtels et pensions confortables où
le sucre est mis gratuitement sur la table. Cela n’amène pas
du tout à une augmentation aiguë de la consommation du sucre
- au contraire.
On peut également dire, en étendant l’argument de Trotsky,
que les habitudes de consommation des couches à revenu supérieur
dans les sociétés bourgeoises avancées ont confirmé
la prédiction marxiste selon laquelle, quand un tel point de
saturation est atteint, la consommation tend à diminuer, non
seulement en fonction de la « loi d’Engels », mais avant
tout parce que les priorités sont radicalement renversées.
La préservation de la santé et les loisirs remplacent
de façon croissante l’accumulation absurde de biens matériels.
On peut même arguer, pour paradoxal que cela puisse paraître,
que c’est la société bourgeoise et l’économie de
marché, avec leur publicité frénétique pour
étendre le marché pour des produits de plus en plus inutiles,
qui à la fois rendent les gens continuellement frustrés
et accroissent la consommation au-dessus du niveau correspondant à
ait système de distribution socialiste basé sur des produits
et des services gratuits. »
(Transmis par A. DUMAS)
Lectures
L’ETUDE « adieux au prolétariat » (1) débute
par une analyse de ce que l’auteur appelle la crise actuelle du marxisme
: Marx étant convaincu que le prolétariat était
révolutionnaire, par nature, estimait que la classe ouvrière
allait donc se rendre maîtresse de la totalité des forces
productives. Il prévoyait que le développement allait
remplacer « l’armée des manoeuvres et des O.S. militairement
encadrés, par une classe d’ouvriers polytechniciens » qui
domineraient les processus de production, exerceraient partout leur
contrôle, au point que les patrons apparaîtraient comme
des parasites superflus à côté de ces « producteurs
associés » exerçant leur pouvoir autogestionnaire
dans les usines et la société.
C’est le contraire qui s’est produit d’après André Gorz
: « l’automatisation, puis l’informatisation suppriment les métiers
et les possibilités d’initiative, et remplacent par un nouveau
type d’O.S. ce qu’il reste d’ouvriers et d’employés qualifiés.
La montée des ouvriers professionnels, leur pouvoir dans l’usine,
leur projet anarcho-syndicaliste n’auront été qu’une parenthèse
que le taylorisme, puis l’organisation scientifique du travail et enfin
l’informatique et la robotique auront fermée. Le capital a réussi,
au-delà de tout ce qu’on pouvait prévoir, à réduire
le pouvoir ouvrier sur la production. »
Cette thèse est développée en montrant combien
l’autonomie ouvrière a été détruite : «
le travail est tombé en dehors du travailleur ; l’ouvrier
assiste et se prête au travail qui se fait, il ne le fait plus.
Les « lignes de produits », la localisation et la dimension
des usines se décidant sur la base de calculs de profit optimum,
l’ouvrier, l’employé, deviennent des rouages passifs, dépersonnalisés,
interchangeables. A aucun niveau aucun travailleur ou collectif de travailleurs
ne fait l’expérience pratique de l’échange réciproque
ni de la coopération. » Alors tout ce qui compte est
que le salaire tombe à la fin du mois, et pas question de prendre
une initiative ou de faire du zèle. La réaction à
cette passivité forcée est de se faire une arme de cette
passivité : tel cet employé qui prend un malin plaisir
à appliquer strictement et aveuglément un règlement
parce qu’il lui est imposé d’en haut.
Ainsi brimé dans son besoin d’autonomie, le salarié étanche
sa soif de liberté comme il peut, en rêvant. Soit en rêvant
qu’il s’établira un jour à son compte, soit en projetant
tout ce qu’il pourra faire après sa libération. Mais de
toute façon, il perd ainsi sa conscience « de classe ».
Et l’auteur montre bien que ceci est vrai à tous les niveaux.
Car même « ceux d’en haut » ne sont que des exécutants
: tous n’obéissent qu’à une seule loi supérieure
universellement imposée, même si elle n’est pas formulée,
c’est la dure loi du capitalisme : il faut que le capital s’accroisse,
il faut faire rentrer des commandes, il faut battre les concurrents,
etc...
*
L’élimination du pouvoir personnel au profit du pouvoir fonctionnel a profondément changé les enjeux de la lutte des classes dans cette société où règne ainsi le bureaucrate, y compris dans les syndicats et dans les partis politiques, car partout « le pouvoir, c’est l’organigramme ». Alors, face à ce pouvoir impersonnel, introuvable, quelle est la réaction des masses ? C’est de réclamer implicitement un responsable, un souverain. C’est de crier « Charlot, des sous ». C’est l’appel inconscient au führer. Et on comprend comment la loi du capitalisme mène au fascisme.
*
Alors, peut-on imaginer un au-delà au socialisme ?
Michel Bosquet a parcouru un chemin considérable depuis le temps
où il proposait dans le « Nouvel Observateur » que
soit versées des primes aux entreprises qui supprimeraient des
machines pour employer plus de main-d’oeuvre. Il écrit «
il n’est plus question désormais que de se libérer du
travail en en refusant tout à la fois la nature, le contenu,
la nécessité et les modalités. Mais... c’est aussi
refuser la stratégie traditionnelle du mouvement ouvrier et ses
formes d’organisation... il s’agit de conquérir le pouvoir de
ne plus fonctionner comme travailleur. Il ne s’agit plus du tout du
même pouvoir !
L’auteur a enfin compris ce qu’il y a d’inéluctable dans la formation
d’une classe faite « de l’ensemble des individus qui se trouvent
expulsés de la production par le processus d’abolition du travail,
ou sous-employés dans leurs capacités par l’industrialisation
(c’est-à-dire l’automatisation et l’informatisation) du travail
intellectuel. Elle englobe l’ensemble de ces surnuméraires de
la production sociale que sont les chômeurs actuels et virtuels,
permanents et temporaires, totaux et partiels. Elle est le produit de
décomposition de l’ancienne société, fondée
sur le travail. »
(1) Par André GORZ (Michel Bosquet) aux Editions Galilée.
TRIBUNE LIBRE
L’Economie Distributive qui est notre idéal, se proposant d’instaurer
l’Egalité Economique doit, je le pense, se compléter par
une doctrine sociale. Jacques Duboin a esquissé quelques idées
sur le fonctionnement de l’économie distributive dont la structure
sociale serait un état utilitaire. Mais il ne s’est pas étendu
sur l’explication des rouages de cette organisation sociale, laissant
ce soin à l’imagination des adeptes de sa doctrine.
Pourtant il est une « constitution » sociale qui s’adapterait
fort aisément à la Révolution Economique qu’est
l’Economie Distributive. Et cette innovation qui peut nous conduire
à la solution organisationnelle que tant d’hommes cherchent et
ne trouvent pas, tant est fortement ancrée dans leur cerveau
la croyance qu’un gouvernement est indispensable, c’est le Fédéralisme.
L’Etat que tout le monde connait, puisqu’il en subit les méfaits
(sauf ceux qui en profitent) - qu’il soit libéral, totalitaire
ou « socialiste » - est par essence centralisateur, contraignant,
autoritaire ; alors que le Fédéralisme est exactement
son contraire, donc libertaire. L’Etat a la prétention, de gouverner
les hommes - par la nécessité de sauvegarder des profits
- de les soumettre à sa volonté , alors que le Fédéralisme
donne la liberté aux hommes de s’organiser entre eux. L’unité
de base de la vie c’est l’individu et, puisqu’il vit en collectivité,
la base de la société, c’est la commune, la localité.
Celle-ci, en relation économique avec d’autres localités,
doit former une Fédération de communes jusqu’à
la « limite » d’un canton (par exemple) qui, lui aussi,
associé à d’autres cantons, forme une Fédération
de cantons dans le cadre d’une Région économique , et
les Régions économiques, toujours fédérées
entre elles, donnent des Fédérations de régions
groupées enfin en confédération sur le plan national,
ou Grand Conseil Economique des producteurs et des consommateurs. Est-ce
si difficile à comprendre ?... Et ce serait par le truchement
de ce Conseil National des producteurs et des consommateurs que pourrait
être distribué le Revenu Social et la monnaie de consommation
basée sur la production totale ; mais toujours en égalité
absolue.
Comme l’a écrit Engels : « Au gouvernement des personnes
se substitue l’administration des choses et la direction du processus
de production : l’Etat n’est pas aboli : il meurt » (1). L’organisation
des choses. citée par J. Duboin (2), devient un fait et la liberté
des hommes aussi. Car l’économie distributive, avec .son complément
indispensable l’Egalité Economique, C’EST l’administration des
choses, il convient seule. vent, pour qu’elle soit effective, de l’organiser
en société fédéraliste.
C’est une utopie ? Ce mot est bien vague et on a vu combien il est devenu
ridicule au cours des deux derniers siècles. Bien sûr,
le mot Fédéralisme, depuis la naissance de cette doctrine
vers les années 1860-65, a quelque peu été galvaudé
et vis à la sauce politique. Le comprenant mal ou par intérêt,
on va jusqu’à appeler Fédération un conglomérat
de peuples ou de nations dans le cadre du capitalisme ; on nomme aussi
Fédérations des groupements d’intérêts purements
politiques... Le fédéralisme qui bannit l’autorité
politique et contribue par sa souplesse à faciliter l’organisation
de l’Economie, donc des choses, est tout indiqué pour faire fonctionner
l’Economie Distributive. Car enfin, si le capitalisme et son corollaire
l’Etat sont supprimés, il serait val venu d’en conserver des
séquelles en maintenant les différences sociales tels
des revenus d’émulation et autres inégalités !
S’il s’agit d’appliquer la satisfaction des besoins dans l’Egalité
Economique, il est superflu de légiférer à nouveau
pour obliger les hommes à se soumettre à (les lois qui
n’existent que pour protéger la propriété privée.
Organiser les choses est le but concret de la vie en collectivité.
L’économie des besoins ne peut exister que par l’administration
des choses, jamais par l’Etat qui est un processus politique qui soumet
l’économie aux intérêts du capitalisme c’est-à-dire
du profit. Ne sentez-vous pas qu’il est temps d’appliquer la contrainte,
non plus aux hommes, vais sur les choses ? L’économie distributive
devient une réalité quand, dépouillé de
toute entrave politique, chaque homme, fédéré aux
autres hommes, assume son entière responsabilité sociale.
Il est évident que pour l’heure. il faut une maturité
révolutionnaire économique des esprits. Alors libérons-nous
des croyances politiques et vivons pleinement par le Fédéralisme
en Economie Distributive.
(1) Cité par Gaston Britel, dans sa brochure « Périr
ou Distribuer » ; édition de la Moisson Nouvelle, 1950.
- Le contenu de cette brochure renforce la conviction de vivre par le
Fédéralisme et l’administration des choses en Economie
des Besoins.
(2) Dans « L’Economie Distributive de l’Abondance », page
41.
Chronique de l’Elysée-Palace
Confidences recueillies par Jacques VEAU (ex Bonhomme) Français Moyen et rapportées par E.R. BORREDON.
Revenons sur les anomalies (bien camouflées volontairement par
des textes d’application touffus et complexes à souhait) des
modalités d’assiette de l’I.R.P.P,
Et tout d’abord le calcul par part. Le calcul de base de l’impôt
est celui qui correspond à une part et aux tranches dit barème
correspondant aux fractions de revenus taxables aux taux progressifs
de 5 à 60 %.
La part concerne le contribuable célibataire sans charges qui
représente ainsi le contribuable. unité. Le montant de
son impôt s’élèvera par exemple en 1980, (salaires
de 1979) pour un salaire brut de 36 000 frs à 8,5 % de ce salaire,
pour un salaire brut de 60 000 frs à 14,7 % de ce salaire et
pour un salaire brut annuel de 100 000 frs à 20,7 % de ce salaire.
Alors que pour un ménage sans charges et dans les mêmes
conditions de salaire les pourcentages impôt-salaires bruts seront
respectivement de 2,8 %, 6,7 % et 12.2 %. Ces disparités constituent
indiscutablement pour les célibataires une véritable pénalisation
sociale de fait qui frappe essentiellement ceux qui débutent.
Vous me direz qu’ils n’ont qu’à se marier et procréer.
Bien sûr. Mais que devient alors la liberté de l’être
humain ? Quelle pérennité pourrait-on espérer d’un
foyer fondé dans de telles conditions
Mais il y a mieux en ce qui concerne ce calcul par part quand on considère
les avantages qu’il procure aux ménages ayant (les enfants à
charge. Comparons des ménages sans enfant (2 parts) aux ménages
ayant 2 enfants à charge (3 parts) et disposant de salaires bruts
annuels de 36 000, 60 000, 100 000 et 150 000 francs.
Les premiers auront à verser au percepteur respectivement 1018,
4 060, 12 205 et 26 398 frs d’impôt. L’ardoise fiscale des seconds
s’élèvera respectivement à néant 2 179,
7 789 et 18 308 frs. Autrement dit l’avantage d’avoir deux enfants à
charge par rapport à l’absence d’enfant procure aux intéressés
des abattements proportionnels à l’importance des salaires. Je
n’ai pas besoin d’en dire plus. Vous m’avez compris.
L’iniquité du système en vigueur est flagrante. Je le
reconnais bien volontiers. Mais nous avons voulu réduire par
cet artifice l’impact des taux élevés (40 à 60%)
appliqués aux gros revenus. C’est ainsi, par exemple, qu’un contribuable
disposant d’un salaire brut annuel de 600 000 frs, passible du taux
de 60 % pour la tranche supérieure imposable, ne payera, s’il
a cinq enfants à charge, que 31,5 % de son salaire brut. Alors,
par ailleurs, que les salariés de cette catégorie perçoivent
en général, en plus de leurs salaires officiels, des indemnités
de fonctions appréciables. Et le plus souvent ils jouissent en
outre d’avantages en nature divers (logement, voitures...).
Les constatations qui précèdent condamnent à elles
seules le système en vigueur. Elles justifient et imposent une
réforme radicale des modalités actuelles d’assiette de
l’I.R.P.P.
Deux modifications essentielles devraient en être à la
base, à savoir : d’une part l’abandon pur et simple du calcul
par part, d’autre part la reconnaissance de la situation et des charges
de famille par des abattements uniformes de l’impôt indépendants
du montant des revenus taxés. Le barème ne comporterait
plus que la seule colonne correspondant à une part. Quant aux
tranches, il conviendrait de les uniformiser, en relevant la tranche
de base au niveau du S.M.I.G. récemment porté à
3 000 frs mensuels et en égalisant à cette dernière
les tranches suivantes. ce qui supprimerait les tranches « bidon
» taxées à 5 et 10%.
Et les revenus autres que les salaires ? me direz-vous ; rassurez-vous.
Quelles que soient les modalités d’assiette et de taxation, leurs
bénéficiaires sauront toujours se débrouiller.
Ils en ont les moyens.