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   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
 
 
 
 
 
AED La Grande Relève Articles > N° 782 - octobre 1980

 

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N° 782 - octobre 1980

Une lueur dans les ténèbres   (Afficher article seul)

Les hommes, esclaves de l’argent   (Afficher article seul)

Silence, on fraude !   (Afficher article seul)

Au fil des jours   (Afficher article seul)

On n’arrête pas le progrès   (Afficher article seul)

Interdit de séjour   (Afficher article seul)

Manipulations   (Afficher article seul)

Revenu annuel garanti   (Afficher article seul)

Trotsky et l’abondance   (Afficher article seul)

Adieux au prolétariat   (Afficher article seul)

Le fédéralisme en économie distributive   (Afficher article seul)

Une réforme fiscale qui s’impose   (Afficher article seul)

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Une lueur dans les ténèbres

par M.-L. DUBOIN
octobre 1980

QUELLES merveilleuses perspectives nous offre cette rentrée 80 ! Même aux plus aveugles, le plan « de restructuration  » de Raymond Barre apparait tel que nous l’avions présenté (1). Son libéralisme économique, c’est la loi de la jungle  ; pire même, puisque d’une part, il aide les grosses entreprises, leur offre d’importantes remises fiscales, et que d’autre part les salariés voient leur pouvoir d’achat baisser, que les licenciements se multiplient, de même que les emplois « précaires ». On continue à ne nous parler que de compétitivité, d’exportation à tout prix (même à nos frais) et à ignorer les besoins réels.

*

Que peut faire le simple consommateur, face à cette politique  ? Il peut être très fort s’il parvient à s’informer et à s’unir pour opposer son intérêt le plus élémentaire dans cette société de profit tous azimuts. Et là encore on voit bien de quel côté le gouvernement porte son appui : lors de la réunion du 25 juin du Comité National de la Consommation, l’administration a purement et simplement décidé de retirer de l’ordre du jour la communication que devait y faire l’Union Fédérale des Consommateurs, mettant le Comité devant le fait accompli. Cette Union, qui édite « Que choisir  ? », (que nous n’hésitons pas à conseiller à nos lecteurs), avait sans doute eu le tort de montrer qu’en dénonçant un produit dangereux, elle mettait en péril certains profits, opérés sans vergogne aux dépens de la santé ou de la sécurité. Plus récemment, la revue «  50 millions de consommateurs », qui apparaît souvent moins indépendante que « Que choisir ? » s’est vue véritablement censurée. Enfin le boycottage du veau, qui ne fut organisé que pour exiger l’application de la loi sur les hormones, a suscité dans la presse plus d’interventions en faveur des producteurs qu’en faveur des consommateurs.., Il y a donc bien loin entre les discours du ministre de l’Economie qui veut se faire passer pour le ministre des consommateurs. et la réalité. Quelle différence avec les Etats-Unis où la sécurité des produits est contrôlée par des milliers de volontaires, avec financement sur fonds publics et appui efficace de l’administration !

*

Ça ne fait rien, car Pierre Drouin a trouvé le moyen de réduire le chômage : l’administration va favoriser le travail à temps partiel. Ce que Pierre Drouin oublie de dire c’est que le salaire, lui aussi sera partiel. Ainsi on ne réduit pas le chômage, on le répartit. Et on continue à ne produire que pour satisfaire les besoins solvables, sans augmenter la solvabilité de ceux dont le travail n’est pas nécessaire. Et le chômage reste une calamité, même partagée, mais ne devient pas « loisir ».

*

Allons, je m’en voudrais de ne manifester que pessimisme au lendemain des vacances. On peut, en cherchant bien, trouver des raisons d’espérer. Non pas en voyant les projets des candidats aux présidentielles. Non plus en songeant à ce qu’il va falloir entendre pendant encore sept mois. Mais en constatant l’évolution dans la pensée socialiste d’au moins un homme de gauche. Il ne s’agit pas d’un politicien, mais d’un écrivain et d’un journaliste ; très lu, puisqu’il écrit régulièrement dans le « Nouvel Observateur  ». Je veux parler de Michel Bosquet qui, pourtant, proposait naguère de pénaliser les entreprises utilisant des machines pour faire le travail à la place des hommes. Je lui avais répondu ici même (2) en lui suggérant de remplacer l’imprimerie du « Nouvel Obs " par des milliers de copistes...

Michel Bosquet se distingue par une réflexion très personnelle, qu’il vient de manifester en publiant son analyse originale de ce qu’il appelle la crise actuelle du marxisme, dans un livre intitulé « Adieux au prolétariat » (3). Il se demande alors « Comment remplacer une économie où la production est subordonnée aux exigences de profit du Capital, par une économie (originellement appelée socialisme) où la production est subordonnée aux besoins »... Et voici en quels termes il définit cette économie : « un stade où le plein développement des forces productives est accompli et où la tâche principale n’est ni la production maximale ni le plein emploi, mais une organisation différente de l’économie où le plein travail cesse d’être la condition du droit à un plein revenu (4) ou, si on préfère, où la satisfaction des besoins est assurée à chacun en échange d’une quantité de travail social (4) qui n’occupe qu’une faible fraction de sa rie ». On croirait relire J. Duboin définissant son « économie des besoins » ! Et M. Bosquet précise plus loin « Le revenu social (4) assuré à chacun tout an long de sa vie en échange de -vingt mille heures de travail socialement utile, à fournir en autant de fractions qu’on le désire, de façon continue ou discontinue, en un seul ou en plusieurs secteurs d’activité. tout cela n’est possible que s’il existe un organe central de régulation et de compensation, c’est-à-dire un Etat ». Il ajoute « l’expansion de la sphère de la liberté suppose que la sphère de la nécessité soit nettement délimitée et codifiée » afin de définir clairement quelle est dans cette " économie distributive la tâche essentielle de la politique (la vraie...). Fort bien documenté, il cite chiffres et références qui montrent que dans les services comme dans l’industrie, le nombre des emplois ne peut aller qu’en décroissant et qu’il faut ainsi s’adapter à ce fait car prétendre s’opposer ou ralentir l’automatisation serait aussi vain que ruineux.
Ainsi Michel Bosquet est, à ma connaissance, le premier journaliste de la grande presse à n’avoir nulle peur de passer pour sur «  utopiste » en écrivant comment la logique des événements lui montre ce que peut et ce que doit être la société de demain dans les pays industrialisés. Et il a un autre mérite. Il ose citer Jacques Duboin !
Ils y viennent !

(1) Voir G.R. n° 769 « Où nous mènent-ils ? ».
(2) G.R. n°747 « La gauche fera-t-elle l’effort nécessaire  ? »
(3) Voir « Lectures » page 11.
(4) C’est nous qui soulignons.

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Les hommes, esclaves de l’argent

par A. CHANTRAINE
octobre 1980

Les puissances financières s’emploient à diviser les hommes pour mieux pouvoir les contrôler.
Elles dirigent les masses par l’intermédiaire de leurs serviteurs que sont les politiciens, les fonctionnaires, les industriels, les publicitaires et tous les vendeurs du futile, du médiocre et de l’inutile.
Bien camouflés, quelques milliers d’hommes puissamment riches organisent le plus grand gaspillage de tous les temps en soumettant les grands moyens d’information, d’éducation et d’instruction à leurs profits.
De cette manière, ils asservissent les hommes sans que ceux-ci s’en rendent très bien compte, car éducation, civisme et instruction sont donnés de telle façon que les étudiants n’aient pas le temps de penser sérieusement aux vrais problèmes.
Ainsi pendant que la masse passe tout le clair de son temps à gagner son salaire et à essayer de vivre dans un monde où les complexités de tous genres sont soigneusement entretenues, les dirigeants occultes sont bien à l’abri.
Dites-moi ! Comment voulez-vous que les singes ne soient pas tristes en regardant les hommes ?

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Silence, on fraude !

par H. de JOYEUSE
octobre 1980

En Grande-Bretagne, les Associations pour la défense des consommateurs n’appartiennent pas au Gouvernement, comme en France. (Cf. « 50 millions de Con-Sommateurs »). Leurs activités commencent à agacer les trusts de producteurs. Et en particulier les grossiums Unilever, Marks and Spencer, etc. Estimant que les décisions légales de protection obtenues « gênaient les affaires  », les grosses têtes de l’empoisonnement public et payant ont actionné la C.B.I. (Confederation of British Industries) qui est passée à la contre-attaque. La C.B.I. a chargé, moyennant guinées, « L’Economat Intelligence Unit » bien connu pour ne pas en avoir (d’intelligence) et son goût pour le dégoût, de torpiller ces Associations. Cet organisme, après étude, a découvert que le mieux serait de susciter un mécontentement parmi les consommateurs, en faisant valoir que toutes les mesures législatives décidées, ces dernières années, pour la sauvegarde de la santé des utilisateurs ou la protection des usagers, leur coûtait plus d’argent que cela n’en valait la peine. Une vaste et persistante campagne fut lancée, laquelle ne regardait pas à la dépense.
Le premier et excellent résultat obtenu, fut que Madame Sally Oppenheimer, qui est ministre de la consommation, s’est déclarée très favorable à cette « campagne d’information  ». Déclaration qui s’illumine à la lumière de la révélation que cette Marie-Sally a de gros intérêts chez « Marks and Spencer ». La santé du consommateur, peut-être, mais pas au détriment d’une baisse des actions. Faut pas charrier !

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Actualité

Au fil des jours

par J.-P. MON
octobre 1980

On continue à déplorer les méfaits de l’abondance. Jugez vous même : Cacao, on a un surplus mondial de 150 000 tonnes de fèves et les cours sont à leur plus bas niveau depuis quatre ans.
Les cours du café ne cessent de baisser et retrouvent leur niveau de 1976. L’organisation internationale du café envisage donc de contingenter les exportations pour soutenir les cours.
Le prix du cuivre raffiné vient encore de baisser, les cours du sucre s’effritent sur les diverses places commerciales.
En France, les cours du cuir brut ont diminué de plus de 50%... mais le prix des chaussures a augmenté de 14,5 % pendant la même période. Vive la liberté des prix !

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Dans les pays de la communauté économique européenne, la production agricole progressera en volume d’environ 4,6% par rapport à 1979 qui a été une très bonne année. Cet accroissement de production est principalement dû aux céréales qui augmentent de 7 % et aux oléagineux et protéagineux qui croissent de 90 %.
Malgré cela le revenu des agriculteurs ne devrait pas beaucoup progresser à cause du décalage entre les hausses des prix agricoles (environ 10 % en moyenne) et ceux des produits nécessaires aux agriculteurs (13 à 14 %). Cette abondance pose aussi des problèmes de financement à la C.E.E. car une partie de la production devra être exportée... et subventionnée car les cours mondiaux des céréales sont inférieurs de 25 à 30 % aux cours communautaires.

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La crise de la sidérurgie européenne s’aggrave : devant la mévente qui s’accroît les autorités communautaires ont demandé, dès la fin du mois de juillet dernier, une réduction volontaire de la production de 11 % pour éviter un effondrement des prix et une série de faillites. M. Davignon, le technocrate ad hoc, a même laissé entendre qu’il pourrait demander le 7 octobre prochain aux ministres des Neuf l’application du contingentement autoritaire en invoquant l’état de «  crise manifeste » prévu à l’article 58 du traité de Rome.
Même le pétrole est trop abondant ! Les stocks accumulés dans les pays importateurs du monde occidental atteignent près de 5 milliards de barils, soit à peu près une centaine de jours de consommation.
Les prix, qui ont augmenté de 150 % entre mars 1979 et juillet 1980, ont tendance à se tasser.
(L’Indonésie, la Chine, l’Equateur et même Elf-Aquitaine ont annoncé des baisses de 1,5 à 2 dollars par baril à compter du 1er septembre).
Devant l’affaissement de la demande, un grand nombre de pays de l’O.P.E.P. ont réduit considérablement leur production (jusqu’à 28 % pour le Koweit) . Si l’on en croit les experts américains, il faudra un an, sinon cieux, pour résorber l’excédent de production, même si l’Arabie Saoudite abaisse son niveau d’extraction d’un million de barils par jour.

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Pendant ce temps, la misère ne cesse de s’aggraver en Afrique Noire et les inégalités s’accroissent : selon une étude du Bureau International du Travail, dans la plupart des pays d’Afrique Noire, un cinquième de la population se partage les deux tiers du revenu total. Plus de la moitié de la population parvient péniblement à se nourrir. La production agricole stagne ou recule, ce qui aggrave la malnutrition.
Et pourtant, selon les experts du B.I.T., le continent pourrait produire plus qu’il n’a besoin pour se nourrir. Mais les rares investissements qui sont effectués le sont au bénéfice de la grande agriculture commerciale au détriment des petits cultivateurs.

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Dans l’Europe des Neuf, on comptait fin juillet près de six millions sept cent mille chômeurs, soit près de 6,1 % de la population active. C’est, selon l’Office Statistique des Communautés Européennes, le nombre le plus élevé depuis l’existence de la C.E.E. La hausse est de 13,1 % par rapport à juillet 1979.

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Selon les statistiques officielles l’industrie française n’utilise efficacement que 20 % de l’énergie qu’elle consomme. Le reste, c’est-à-dire 38 millions de tonnes d’équivalent pétrole, soit environ 20 % de la consommation nationale est rejetée dans l’atmosphère. Ainsi, une centrale thermique de l’E.D.F. brûle 3 thermies de fuel en moyenne pour produire l’équivalent de 1 thermie.
Selon le rapport publiant ces statistiques, l’E.D.F. aurait dispersé dans la nature en 1978 19 millions de tonnes d’équivalent pétrole.

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Selon un sondage effectué par l’Office National d’immigration « les Français répugnent encore à remplacer les travailleurs étrangers aux tâches les plus pénibles  ». L’enquête nous apprend que sur 2 329 emplois libérés par des immigrés rentrés chez eux en bénéficiant de l’aide au retour, un tiers ont été occupés par des Français, un tiers par de nouveaux immigrés et un tiers ont été supprimés.
Ça vous étonne, vous ?
Ces Français sont vraiment des nantis !

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SOIT DIT EN PASSANT

On n’arrête pas le progrès

par G. LAFONT
octobre 1980

Le Père Noël est en avance cette année. Et généreux. Il a dû gagner au Loto. Au début de juillet Giscard d’Estaing, déguisé pour la circonstance en Père Noël qui aurait laissé sa barbe au vestiaire, en présentant, tout fiérot, le dernier joujou nucléaire pour militaires désoeuvrés en préparation dans nos arsenaux, nous a annoncé que les intéressés - les militaires en question - pourront, s’ils sont bien sages, trouver ce gadget hors de prix dans leur sabots le 25 décembre prochain. Sinon, mais ce ne sera pas de sa faute, le soir de Noël 1982.
J’en suis heureux pour nos braves généraux que la dureté des temps condamnait à jouer les Cincinnatus dans leur Limousin natal. Mais ça va faire des jaloux. « Et nous ? » vont dire les chercheurs de l’INSERM. Ils attendront.
S’il faut en croire les spécialistes, ce joujou tout neuf est une pure merveille. La bombe à neutrons qu’on l’appelle, ou bombe à rayonnement renforcé. Ce qui se fait de mieux dans l’art de trucider. On n’arrête pas le progrès, je vous dis.
Certes, ce n’est pas un de ces articles qu’on trouve chez le premier quincailler venu ou qu’un bricoleur du dimanche peut se fabriquer avec des boîtes de conserve. La bombe à neutrons c’est du sérieux. C’est la bombe propre. Celle qui occit les combattants embarqués dans une guerre fraîche et joyeuse, les civils qui n’ont pas eu le temps de se débiner, et les animaux traînant dans les parages, oies, canards, lapins, et même les moustiques, mais qui laisse intact le matériel et tout l’environnement. Un exemple  : si la bombe éclate au-dessus de chez vous à l’heure du communiqué tandis que le Zitrone de service commente à la radio les opérations pour vous remonter le moral, gardez votre sang-froid. Vous et votre famille serez proprement vitrifiés, mais il n’y aura pas un carreau de cassé dans la baraque. Le poisson rouge aura le ventre en l’air mais l’aquarium pas une félure. C’est un progrès, non ?
Ainsi la France, et quoiqu’en pensent les grincheux, est toujours dans le peloton de tête des nations nucléaires. Il faut reconnaître qu’on n’a pas roupillé au Commissariat à l’Energie Atomique. Pas comme à Matignon où l’on cherche toujours, mais sans conviction, le truc infaillible pour résoudre le problème de l’inflation et du chômage. Les études sur la bombe à neutrons ont commencé en 1976 et il ne reste plus qu’une dernière mise au point pour que l’on puisse enfin jouer avec.
Le prix ? On ne sait pas. C’est la surprise. Mais pas question de mégoter comme pour la Sécurité Sociale. Nous l’aurons notre bombe. Dommage seulement qu’elle n’ait pas été lancée le 6 août pour le trentième anniversaire de celle de Hiroshima. Ce n’est que partie remise. Le jour où nous l’aurons, Giscard, parodiant Joseph Prud’homme, lequel ne disposait alors que d’un sabre, pourra remercier les contribuables en disant : « Cette bombe est le plus beau jour de ma vie. »
Il était temps. L’inflation galopante, le chômage, le marasme clés affaires, le bâtiment en panne, la bagnole en perte de vitesse, les scandales mal étouffés, la grogne dans l’opposition, la rogne dans la majorité, le je m’enfoutisme chez les autres, tel était l’état dans lequel Giscard laissait le pays après sept années de pouvoir. Il fallait en sortir. Sous peine de se faire lui-même sortir de l’Elysée en 1981.
En sortir, mais comment ?
Comment relancer les affaires, ranimer la Bourse, créer des emplois, rendre espoir aux jeunes, bref sortir de la pagaille dont la société libérale, fut-elle avancée, nous offre le spectacle, et que les progrès des sciences et des techniques condamnent à disparaître, comme ont disparu les pharaons, l’empire byzantin et le régime féodal ?
Tout le monde sait aujourd’hui, ou devrait savoir, depuis Jacques Duboin, que l’industrie du casse-pipes, dont la bombe à neutrons est le fleuron, ne connaît pas de crises. Elle est la seule à avoir traversé sans dégâts, bien au contraire, les moments difficiles d’après guerre que connaît l’économie capitaliste. Mais qui peut nous dire où finit l’après-guerre et où commence l’avant-guerre ?
Pour ne pas être pris au dépourvu, les marchands de mort subite et tous ceux qui vivent de cette noble industrie et de son fructueux trafic soucieux de relancer l’économie moribonde et, accessoirement se faire un peu d’argent de poche pour leurs vieux jours, sont prêts à faire un gros effort avec leur bombe à neutrons.
C’est bien ce qui m’inquiète. Je sais. J’ai entendu dire que « marcher sur un neutron ça porte bonheur ». Mais je ne me sens pas rassuré pour autant.

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Ces économistes qui nous guident...

Interdit de séjour

par M. DUBOIS
octobre 1980

NOUS n’avons pas de pétrole, mais nous avons des intellectuels de génie dont l’exportation comblerait aisément le déficit de notre balance commerciale si nous en trouvions preneurs.
Hélas ! pour l’instant ces brillants sujets rivalisent de clairvoyance et d’imagination pour analyser les causes de la crise économique et nous proposer leurs remèdes-miracles, notamment en matière de chômage.
« Le Figaro » du 19 janvier 1980 nous offre ainsi plusieurs articles d’éminents spécialistes, susceptibles d’éclairer notre profonde ignorance.

DES IDEES NEUVES

Examinons par exemple le long exposé de M. Christian Stoffaes, qui commence par nous rappeler comment la loi de SAY, selon laquelle l’offre crée sa propre demande, s’est trouvée démentie par les faits au cours des années 20 à 30, donnant ainsi naissance aux idées keynésiennes, sur lesquelles le monde occidental vit depuis le début des années 30. Un coup de gomme sur les conséquences économiques de la 2e guerre mondiale : M. Stoaffes attribue à Keynes le mérite d’avoir, provisoirement, surmonté la crise qui s’était traduite par des taux de chômage astronomique (40% en 1932 aux Etats-Unis et en Allemagne), par le retour au protectionnisme et l’effondrement du commerce international. Il n’établit aucune relation de cause à effet entre ces problèmes et la mobilisation de dizaines de millions d’hommes pendant 4 ans, l’« assainissement » par les bombes de l’appareil producteur et les destructions massives de biens de consommation créatrices de besoins immenses dès 1945. II se retrouve donc tout étonné au seuil des années 60, pour y constater : « un effritement progressif du concept keynésien devenu impuissant à expliquer et à fournir des remèdes concrets aux maux des années 70 : l’inflation à 2 chiffres, la persistance du sous-emploi en dépit des politiques de relance de la demande, les effets pervers et les cercles vicieux de la dévaluation, de la dépréciation monétaire, de la spirale prix- salaires, etc... ».

Faut-il donc abandonner Keynes pour suivre Milton Friedman ? Ecoutons ce nouveau prophète :
« Pour surmonter l’incertitude actuelle et trouver des remèdes concrets à la crise, il convient certainement de regarder. au-delà des agrégats macro- économiques, les structures intimes de l’économie. On reconnaît de plus en plus qu’à côté du chômage keynésien résultant de l’insuffisance de la demande globale, le chômage structurel ou chômage d’offre occupe une place grandissante dans les problèmes actuels . les relances keynésiennes tentées pour faire face à l’impact déflationniste de la hausse pétrolière de 1973 furent des échecs patents. En fait le problème n’est pas tant une insuffisance de la demande qu’une crise des structures de production et de leur inadaptation croissante aux conditions nouvelles de la demande, de la technologie, de la division internationale du travail.  »

Voilà qui me paraît parfaitement clair...

DES IDEES RASSURANTES

Et le chômeur, rassuré d’être structurel et non plus keynésien, sera tout à fait optimiste après avoir pris connaissance des cycles de Kondratiev, de Schumpeter, et de l’effet Buddenbrok :
« Le processus de Ca croissance n’est pas nécessairement linéaire, ni toujours équilibré, à l’instar des phénomènes physiques. Il est soumis à des cycles, à des alternances de phases où la productivité est supérieure à la croissance et où s’étend le chômage, et inversement. Ces cycles, de période égale à 50 ou 60 ans, ont été étudiés par Kondratiev dans les années 1920. Il est significatif que le succès des idées keynésiennes ait conduit à éliminer la théorie des cycles de la plupart des enseignements économiques.
« Schumpeter, autre grand oublié des années 1930, lie les cycles longs à l’apparition des innovations majeures. Les phases dépressives de dix ou vingt ans qui suivent les périodes de boom résultent de la maturation (les innovations précédentes, de leur production en grande série grâce à l’introduction d’investissements économiseurs de main-d’oeuvre, alors que les nouveaux besoins et les nouveaux produits de la phase ultérieure ne sont pas encore apparus pour prendre le relais des créations d’emploi.
« Les technologies microélectroniques et télématiques envahissent les usines qui se robotisent et s’automatisent de plus en plus, mais font aussi pénétrer, ce qui est plus nouveau, d’immenses gains de productivité dans les métiers de traitement de l’information, services où s’est concentrée une part croissante de la population active. Les activités dépassées résistent de leur mieux.
« C’est pendant les phases longues de dépression que l’on voit fleurir les psychoses des métiers Jacquart ou du capitaine Ludd, la crainte que le remplacement de l’homme par la machine n’aboutisse à tuer l’emploi.
« Les mutations géoéconomiques jouent aussi un rôle dans les crises, avec l’émergence de nouveaux pays industriels venant déranger les équilibres anciens (Etats-Unis, Allemagne hier, Japon aujourd’hui).
« Enfin, il faut admettre l’évolution des valeurs. Suivant « l’effet Buddenbrok », les générations nouvelles ne désirent pas la même chose que leurs parents ».

Donc, pas d’affolement, M. Stoaffes est d’ailleurs catégorique :
« en longue période, le chômage est un faux problème et c’est le changement que nous devons affronter... C’est probablement aujourd’hui une diminution du rythme de progression des revenus au-dessous des gains de productivité réelle qui serait le meilleur moyen de rétablir l’emploi et l’équilibre externe... Peut-être est-ce à cause de la démagogie du court terme que l’Occident est aujourd’hui plongé dans la crise. Il est urgent de se soucier du long terme de la productivité, de la compétitivité, de l’innovation. A long terme, tout finit pas s’ajuster, c’est à court terme que nous risquons le pire. »

DES OBJECTIFS ENTHOUSIASMANTS

Bien sûr !!! Mais enfin nos 1,35 million de demandeurs d’emploi n’ont pas tous la hauteur de vue ni la sérénité de M. Stoaffes, et le court terme, tout de même, ils aimeraient bien que d’autres intellectuels essaient de faire un effort pour le rendre plus affriolant ! Eh bien qu’ils se rassurent. Dans un style très différent, M. Jacques Plassard a pensé à eux et a trouvé la vérité profonde :
« Alors que tous les experts sans expérience répètent que le mal est l’excès d’offre potentielle main-d’oeuvre surabondante, productivité en progrès explosif, capitaux trop bon marché, ce que l’on constate c’est que l’offre ne réussit pas à suivre la demande dès lors que celle-ci s’intensifie un peu. Le diagnostic dominant constitue un contresens et les remèdes proposés sont rigoureusement inverses de ceux qui apporteraient la guérison. »

Il fallait y penser ! C’est certainement parce que l’offre ne réussit pas à suivre la demande que les usines ferment les unes après les autres, et il est évident qu’en réduisant la demande, c’est-à-dire notre pouvoir d’achat, le taux de chômage va en prendre un sérieux coup !
Mais n’exagérons rien ; M. Plassard n’est pas un démagogue et ne nous promet pas, si nous retroussons bien nos manches et serrons fortement nos ceintures, des lendemains qui chantent. M. Plassard est un réaliste, et ses objectifs, pour limités qu’ils soient, méritent de relever le défi :
« Le chômage vient non de ce qu’il y a trop de jeunes, non de ce que la durée du travail est trop longue, mais de ce qu’il n’y a pas assez d’innovations, d’entreprises et de marketing pour créer le nombre d’emplois nécessaires. Si l’on continuait au cours des 5 prochaines années dans l’axe des 5 précédentes, on aurait en 1985 entre 2 et 2,5 millions de demandeurs d’emploi, telle est l’extrapolation.
« Mais cette hypothèse n’est pas seulement inadmissible, elle est improbable. Quelque insuffisantes que soient son ampleur et sa durée, le redressement opéré en 1979 a montré qu’il n’y avait pas de fatalité. On peut plafonner le chômage au niveau où il est ou, plus précisément, on peut le faire osciller à plus ou moins 200 000 autour du niveau de 1.4 million. Mais cela n’est écrit ni dans les astres, ni dans les modèles économétriques, cela dépend de l’intelligence et de la volonté des Français et d’abord de ceux qui disposent du plus de pouvoir gouvernement, chefs d’entreprise, syndicalistes et, pourquoi pas, économistes.
« Prévoir 2,5 millions de chômeurs en 1985, c’est supposer que l’on suivra une politique de laisser- aller. Jouer sur 1,4 million, c’est parier sur la capacité de redressement du comportement français. C’est parce que cette capacité existe que la seconde hypothèse est plus probable que la première. Il n’est pas réaliste de supposer que les Français ne se reprendront point, mais il ne serait pas sérieux de rêver que cela se fera sans effort. La route sur laquelle nous sommes engagés ne conduit pas où nous voulons aller, il faut le savoir pour en changer. »

Fermez le ban ! Demi-tour pour le changement de route, et si nous sommes bien sages et bien courageux nous pourrons, dans 5 ans, faire appel à nouveau à M. Plassard pour étudier le sort des 1,4 million de chômeurs irréductibles.
Evidemment, entretemps, sur ce chemin montant, sablonneux, malaisé, du redressement définitif de notre économie, nous trouverons peut-être des obstacles inattendus ; les autres pays, par exemple, pourraient avoir la fâcheuse idée de suivre les mêmes conseils et d’accroître leur production nationale avec la sournoise arrière-pensée de nous refiler leurs surplus. Mais M.  Plassard n’est pas inquiet :
« Un huron ou un Persan demanderait pourquoi ce même environnement mondial qui favorise l’essor des économies coréenne, brésilienne et autres interdirait à la France une expansion analogue à celle qu’elle avait auparavant. »

Sacré Persan ! Il ne lui viendrait même pas à l’idée de songer que la différence des rémunérations de la main-d’oeuvre coréenne ou brésilienne et de la main-d’oeuvre française introduit tout de même une petite différence quant aux capacités d’expansion...
Et même, avec la complicité de son ami Huron, il serait capable de tenir le raisonnement primaire suivant :
« Je vois face à face :
« - des êtres humains dont les besoins les plus essentiels sont plus ou mois bien satisfaits. et même pas satisfaits du tout pour des milliards d’entre eux,
« - d’autres êtres humains condamnés à l’inactivité pendant qu’une minorité cherche désespéré. ment à faire consommer les biens de toutes natures produits par les machines nées de leurs efforts et de leur ingéniosité créatrice.
« Entre les uns et les autres, il ne manque que des chiffres. Faites appel à un bon comptable assisté d’une batterie d’ordinateurs et répartissez-vous équitablement ce que vous vous acharnez à détruire volontairement. »

Et c’est sans doute pourquoi, au pays de Montesquieu et de Descartes, les Persans et le bon sens sont définitivement interdits de séjour, tandis que sur toute la planète résonnent les bruits de bottes annonciateurs d’autres méthodes pour retrouver le plein-emploi.

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Etranger

Manipulations

par P. SIMON
octobre 1980

LA Cour Suprême des Etats-Unis vient de prendre une décision qui peut être importante pour l’avenir des êtres vivants dont nous faisons partie. A la demande d’un chercheur, elle a décidé qu’une bactérie mise au point dans les laboratoires de la société General Electric constituait un produit nouveau et pouvait donc faire l’objet d’un brevet d’invention.
Cette décision, que la Cour n’a prise d’ailleurs qu’à une voix de majorité (il y a neuf votants) va stimuler les recherches déjà entreprises dans ce sens et en justifier d’autres. Les manipulations génétiques, dont les possibilités sont immenses, vont donc connaître un développement sans doute important et, par le biais de la commercialisation, entrer dans le secteur du profit.
Et pourtant, il s’élèvera peu de voix, même parmi ceux que ces manipulations inquiètent, pour condamner les travaux de la General Electric. En effet, « sa » bactérie est capable, nous dit-on, de dévorer gloutonnement le pétrole et on voit le parti qu’on pourrait en tirer pour venir à bout des marées noires, à condition qu’ensuite on ne se retrouve pas avec des quantités de bactéries dont en ne saurait que faire, une pollution ayant été remplacée par une autre.
Ceci dit, quelques problèmes généraux subsistent. D’abord, l’apparition de bactéries nouvelles ne marque, en un sens, qu’une étape dans un processus déjà ancien. En effet, il y a bien longtemps que l’homme s’efforce d’agir sur la nature et sur l’évolution au moyen de greffes pour les arbres ou d’insémination artificielle pour les bestiaux. Le principe d’une telle action étant acquis (qui n’aime les belles roses ou les beaux fruits ?) le problème est de savoir quand et où s’arrêter.
En tout cas, dès qu’on touche à l’homme, la plus grande prudence s’impose. Il y a quelques semaines, un Américain a fait parler de lui en proposant de créer une race d’individus exceptionnels qui auraient pour « pères » d’authentiques génies. On imagine aussi les conséquences de « progrès » scientifiques qui permettraient de faire fabriquer par des bactéries complaisantes une hormone règlant, par exemple, le développement du corps humain. Ou bien, on appliquerait à l’homme des travaux déjà appliqués sur les crapauds et on obtiendrait des répliques exactes d’individus spécialement choisis. Tout cela ne se réaliserait pas sans quelques ratés et que ferait-on des « brouillons » ?
La science a permis à l’humanité de faire des progrès immenses et ainsi prendre son sort en main, triompher, au moins en partie, des obstacles que la nature met sur sa route et se faire une vie plus libre et plus facile. Tout cela est bon. Mais il ne faut pas que les hommes s’écartent indéfiniment de la réalité et des modèles naturels. Nous arrivons à un stade du progrès scientifique où nous devons rester très vigilants et nous assurer par tous les moyens que, des laboratoires, ne vont pas sortir, peut-être accidentellement, des créatures nouvelles encore plus dangereuses que celles que nous connaissons et dont le contrôle nous échapperait.
On sait déjà produire des tomates de forme cubique qui se rangent mieux et en plus grand nombre dans les cartons d’expédition. On a des fraises géantes, même si elles n’ont guère de goût. Les animaux de boucherie fournissent, si on le veut, davantage de kilos de viande ; mais quelle viande et à quel prix. Désormais les entreprises travaillent activement, comme nous l’avons dit, sur la production de bactéries susceptibles de nous rendre des services inappréciables. Soit, mais il faudra bien savoir s’arrêter ou, tout au moins, mettre des garde-fous suffisamment efficaces Pour que cette évolution reste à notre service.

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Ils y viennent

AVOIR OU ETRE ? UN CHOIX DONT DEPEND L’AVENIR DE L’HOMME, par Erich Fromm (publié en 1976 à New-York, chez Harper et Row ; traduit en 1978 aux éditions R. Laffont).

Revenu annuel garanti

octobre 1980

La plupart des maux des sociétés actuelles, capitalistes ou communistes, disparaîtraient avec l’instauration d’un revenu annuel garanti (1).
L’essentiel de cette idée est que tous les individus. qu’ils travaillent ou non, auront le droit inconditionnel de ne pas mourir de faim et de ne pas être sans abri. Ils recevront juste ce qu’il faut pour se sustenter. mais n’en recevront pas moins. Ce droit exprime un concept nouveau pour notre époque, bien qu’il s’agisse d’une norme très ancienne, exigée par le christianisme et pratiquée par un grand nombre de tribus u primitives » : que les êtres humains aient un droit inconditionnel à la vie, qu’ils accomplissent ou non leur « devoir envers la société ». C’est un droit que nous garantissons à nos chats et à nos chiens, mais non à nos semblables.
Le domaine de la liberté individuelle serait considérablement élargi par une telle loi ; aucune personne économiquement dépendante d’une autre (d’un père, d’un mari, d’un patron) ne serait plus obligée de se plier au chantage de la faim ; les personnes douées qui veulent se préparer à une vie différente pourraient le faire à condition d’accepter de vivre. pour un temps, dans la pauvreté. Les Etats modernes qui ont adopté un système de prévoyance sociale ont « presque » accepté ce principe, c’est-à-dire « pas vraiment ». C’est une bureaucratie qui e administre  » encore les gens, qui les contrôle encore et les humilie. Mais le revenu garanti n’obligerait pas quiconque désirerait une simple chambre et an minimum de nourriture de faire « la preuve  » qu’il est dans le besoin. On éviterait ainsi d’avoir recours à une bureaucratie pour administrer un programme de prévoyance sociale, avec tous les gaspillages et les violations de la dignité humaine que cela comporte.
Le revenu annuel garanti assurerait une liberté et une indépendance réelles. C’est pour cette raison qu’il est inacceptable pour tout système fondé sur l’exploitation et le contrôle autoritaire, et, en particulier, les différentes formes de dictature. Il est caractéristique du système soviétique que les propositions visant à la gratuité de certains biens ou services, même les plus simples (par exemple, les transports publics et les distributions gratuites de lait), ont été régulièrement repoussées. L’assistance médicale gratuite est la seule exception, mais seulement en apparence, puisque, ici, le service gratuit dépend d’une condition claire et nette  : pour en bénéficier, il faut être malade.
Si l’on tient compte du coût actuel d’une bureaucratie de prévoyance sociale, le prix des traitements médicaux, particulièrement psychosomatiques, les maladies, la criminalité et la drogue (dont presque tous sont en grande partie des formes de protestation contre la coercition et l’ennui), il paraît vraisemblable que le système du revenu annuel garanti pour tous ceux qui le demanderaient serait beaucoup moins onéreux. L’idée peut paraître irréalisable ou dangereuse à ceux qui pensent que e l’homme, par nature. est fondamentalement paresseux ». Ce lieu commun. en fait, n’est absolument pas fondé ; il est tout simplement un slogan qui sert à rationaliser la résistance à la volonté de rendre un sentiment de puissance à ceux qui sont sans défense.  »

(1) Proposé déjà en 1955 par Erich Eromm dans son ouvrage The Sane Society.

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Ils y viennent

TROTSKY, par Ernest Mandel (publié à Londres, New Left Books en 1979, traduit chez Maspéro « Petite Collection  », n° 237, en 1980).

Trotsky et l’abondance

octobre 1980

« Trotsky a souvent été accusé d’avoir une conception naïve de l’abondance des biens matériels - conception, soit dit en, passant, qu’on l’accuse d’avoir partagée avec Marx et Engels. La référence à l’impossibilité d’atteindre l’abondance, comme argument définitif contre le socialisme et le communisme - déjà bien connu au XIXe siècle  -, a récemment été soutenue par les disciples de l’« école de la croissance zéro » et par les écologistes néo-malthusiens qui expliquent que, avec une population mondiale potentielle de 10-12 milliards, l’abondance des biens matériels serait soit une catastrophe pour l’environnement, soit une impossibilité physique.
Trotsky a répondu à l’avance à de telles objections en expliquant que le concept d’« abondance » ne se réfère pas seulement mécaniquement au niveau de l’économie, mais est plus un concept sociopsychologique, déterminé évidemment pas les préconditions matérielles. Une fois que l’habitude de distribuer les produits et les services fondamentaux en fonction des besoins est assimilée par tous les membres de la société, un point de saturation sera rapidement atteint et la consommation effective pourra même diminuer (ou pour le moins se stabiliser). Il prend le simple exemple des habitudes des bourgeois et des petits- bourgeois cossus dans les restaurants, hôtels et pensions confortables où le sucre est mis gratuitement sur la table. Cela n’amène pas du tout à une augmentation aiguë de la consommation du sucre - au contraire.
On peut également dire, en étendant l’argument de Trotsky, que les habitudes de consommation des couches à revenu supérieur dans les sociétés bourgeoises avancées ont confirmé la prédiction marxiste selon laquelle, quand un tel point de saturation est atteint, la consommation tend à diminuer, non seulement en fonction de la « loi d’Engels », mais avant tout parce que les priorités sont radicalement renversées. La préservation de la santé et les loisirs remplacent de façon croissante l’accumulation absurde de biens matériels. On peut même arguer, pour paradoxal que cela puisse paraître, que c’est la société bourgeoise et l’économie de marché, avec leur publicité frénétique pour étendre le marché pour des produits de plus en plus inutiles, qui à la fois rendent les gens continuellement frustrés et accroissent la consommation au-dessus du niveau correspondant à ait système de distribution socialiste basé sur des produits et des services gratuits. »

(Transmis par A. DUMAS)

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Lectures

Adieux au prolétariat

par M.-L. DUBOIN
octobre 1980

L’ETUDE « adieux au prolétariat » (1) débute par une analyse de ce que l’auteur appelle la crise actuelle du marxisme  : Marx étant convaincu que le prolétariat était révolutionnaire, par nature, estimait que la classe ouvrière allait donc se rendre maîtresse de la totalité des forces productives. Il prévoyait que le développement allait remplacer « l’armée des manoeuvres et des O.S. militairement encadrés, par une classe d’ouvriers polytechniciens » qui domineraient les processus de production, exerceraient partout leur contrôle, au point que les patrons apparaîtraient comme des parasites superflus à côté de ces « producteurs associés » exerçant leur pouvoir autogestionnaire dans les usines et la société.
C’est le contraire qui s’est produit d’après André Gorz  : « l’automatisation, puis l’informatisation suppriment les métiers et les possibilités d’initiative, et remplacent par un nouveau type d’O.S. ce qu’il reste d’ouvriers et d’employés qualifiés. La montée des ouvriers professionnels, leur pouvoir dans l’usine, leur projet anarcho-syndicaliste n’auront été qu’une parenthèse que le taylorisme, puis l’organisation scientifique du travail et enfin l’informatique et la robotique auront fermée. Le capital a réussi, au-delà de tout ce qu’on pouvait prévoir, à réduire le pouvoir ouvrier sur la production. »
Cette thèse est développée en montrant combien l’autonomie ouvrière a été détruite : «  le travail est tombé en dehors du travailleur ; l’ouvrier assiste et se prête au travail qui se fait, il ne le fait plus. Les « lignes de produits », la localisation et la dimension des usines se décidant sur la base de calculs de profit optimum, l’ouvrier, l’employé, deviennent des rouages passifs, dépersonnalisés, interchangeables. A aucun niveau aucun travailleur ou collectif de travailleurs ne fait l’expérience pratique de l’échange réciproque ni de la coopération. » Alors tout ce qui compte est que le salaire tombe à la fin du mois, et pas question de prendre une initiative ou de faire du zèle. La réaction à cette passivité forcée est de se faire une arme de cette passivité : tel cet employé qui prend un malin plaisir à appliquer strictement et aveuglément un règlement parce qu’il lui est imposé d’en haut.
Ainsi brimé dans son besoin d’autonomie, le salarié étanche sa soif de liberté comme il peut, en rêvant. Soit en rêvant qu’il s’établira un jour à son compte, soit en projetant tout ce qu’il pourra faire après sa libération. Mais de toute façon, il perd ainsi sa conscience « de classe ».
Et l’auteur montre bien que ceci est vrai à tous les niveaux. Car même « ceux d’en haut » ne sont que des exécutants  : tous n’obéissent qu’à une seule loi supérieure universellement imposée, même si elle n’est pas formulée, c’est la dure loi du capitalisme : il faut que le capital s’accroisse, il faut faire rentrer des commandes, il faut battre les concurrents, etc...

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L’élimination du pouvoir personnel au profit du pouvoir fonctionnel a profondément changé les enjeux de la lutte des classes dans cette société où règne ainsi le bureaucrate, y compris dans les syndicats et dans les partis politiques, car partout « le pouvoir, c’est l’organigramme ». Alors, face à ce pouvoir impersonnel, introuvable, quelle est la réaction des masses ? C’est de réclamer implicitement un responsable, un souverain. C’est de crier « Charlot, des sous ». C’est l’appel inconscient au führer. Et on comprend comment la loi du capitalisme mène au fascisme.

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Alors, peut-on imaginer un au-delà au socialisme ?
Michel Bosquet a parcouru un chemin considérable depuis le temps où il proposait dans le « Nouvel Observateur » que soit versées des primes aux entreprises qui supprimeraient des machines pour employer plus de main-d’oeuvre. Il écrit «  il n’est plus question désormais que de se libérer du travail en en refusant tout à la fois la nature, le contenu, la nécessité et les modalités. Mais... c’est aussi refuser la stratégie traditionnelle du mouvement ouvrier et ses formes d’organisation... il s’agit de conquérir le pouvoir de ne plus fonctionner comme travailleur. Il ne s’agit plus du tout du même pouvoir !
L’auteur a enfin compris ce qu’il y a d’inéluctable dans la formation d’une classe faite « de l’ensemble des individus qui se trouvent expulsés de la production par le processus d’abolition du travail, ou sous-employés dans leurs capacités par l’industrialisation (c’est-à-dire l’automatisation et l’informatisation) du travail intellectuel. Elle englobe l’ensemble de ces surnuméraires de la production sociale que sont les chômeurs actuels et virtuels, permanents et temporaires, totaux et partiels. Elle est le produit de décomposition de l’ancienne société, fondée sur le travail. »

(1) Par André GORZ (Michel Bosquet) aux Editions Galilée.

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TRIBUNE LIBRE

Le fédéralisme en économie distributive

par R. CARPENTIER
octobre 1980

L’Economie Distributive qui est notre idéal, se proposant d’instaurer l’Egalité Economique doit, je le pense, se compléter par une doctrine sociale. Jacques Duboin a esquissé quelques idées sur le fonctionnement de l’économie distributive dont la structure sociale serait un état utilitaire. Mais il ne s’est pas étendu sur l’explication des rouages de cette organisation sociale, laissant ce soin à l’imagination des adeptes de sa doctrine.
Pourtant il est une « constitution » sociale qui s’adapterait fort aisément à la Révolution Economique qu’est l’Economie Distributive. Et cette innovation qui peut nous conduire à la solution organisationnelle que tant d’hommes cherchent et ne trouvent pas, tant est fortement ancrée dans leur cerveau la croyance qu’un gouvernement est indispensable, c’est le Fédéralisme.
L’Etat que tout le monde connait, puisqu’il en subit les méfaits (sauf ceux qui en profitent) - qu’il soit libéral, totalitaire ou « socialiste » - est par essence centralisateur, contraignant, autoritaire ; alors que le Fédéralisme est exactement son contraire, donc libertaire. L’Etat a la prétention, de gouverner les hommes - par la nécessité de sauvegarder des profits - de les soumettre à sa volonté , alors que le Fédéralisme donne la liberté aux hommes de s’organiser entre eux. L’unité de base de la vie c’est l’individu et, puisqu’il vit en collectivité, la base de la société, c’est la commune, la localité. Celle-ci, en relation économique avec d’autres localités, doit former une Fédération de communes jusqu’à la « limite » d’un canton (par exemple) qui, lui aussi, associé à d’autres cantons, forme une Fédération de cantons dans le cadre d’une Région économique , et les Régions économiques, toujours fédérées entre elles, donnent des Fédérations de régions groupées enfin en confédération sur le plan national, ou Grand Conseil Economique des producteurs et des consommateurs. Est-ce si difficile à comprendre ?... Et ce serait par le truchement de ce Conseil National des producteurs et des consommateurs que pourrait être distribué le Revenu Social et la monnaie de consommation basée sur la production totale ; mais toujours en égalité absolue.
Comme l’a écrit Engels : « Au gouvernement des personnes se substitue l’administration des choses et la direction du processus de production : l’Etat n’est pas aboli : il meurt » (1). L’organisation des choses. citée par J. Duboin (2), devient un fait et la liberté des hommes aussi. Car l’économie distributive, avec .son complément indispensable l’Egalité Economique, C’EST l’administration des choses, il convient seule. vent, pour qu’elle soit effective, de l’organiser en société fédéraliste.
C’est une utopie ? Ce mot est bien vague et on a vu combien il est devenu ridicule au cours des deux derniers siècles. Bien sûr, le mot Fédéralisme, depuis la naissance de cette doctrine vers les années 1860-65, a quelque peu été galvaudé et vis à la sauce politique. Le comprenant mal ou par intérêt, on va jusqu’à appeler Fédération un conglomérat de peuples ou de nations dans le cadre du capitalisme ; on nomme aussi Fédérations des groupements d’intérêts purements politiques... Le fédéralisme qui bannit l’autorité politique et contribue par sa souplesse à faciliter l’organisation de l’Economie, donc des choses, est tout indiqué pour faire fonctionner l’Economie Distributive. Car enfin, si le capitalisme et son corollaire l’Etat sont supprimés, il serait val venu d’en conserver des séquelles en maintenant les différences sociales tels des revenus d’émulation et autres inégalités ! S’il s’agit d’appliquer la satisfaction des besoins dans l’Egalité Economique, il est superflu de légiférer à nouveau pour obliger les hommes à se soumettre à (les lois qui n’existent que pour protéger la propriété privée. Organiser les choses est le but concret de la vie en collectivité. L’économie des besoins ne peut exister que par l’administration des choses, jamais par l’Etat qui est un processus politique qui soumet l’économie aux intérêts du capitalisme c’est-à-dire du profit. Ne sentez-vous pas qu’il est temps d’appliquer la contrainte, non plus aux hommes, vais sur les choses ? L’économie distributive devient une réalité quand, dépouillé de toute entrave politique, chaque homme, fédéré aux autres hommes, assume son entière responsabilité sociale. Il est évident que pour l’heure. il faut une maturité révolutionnaire économique des esprits. Alors libérons-nous des croyances politiques et vivons pleinement par le Fédéralisme en Economie Distributive.

(1) Cité par Gaston Britel, dans sa brochure « Périr ou Distribuer » ; édition de la Moisson Nouvelle, 1950. - Le contenu de cette brochure renforce la conviction de vivre par le
Fédéralisme et l’administration des choses en Economie des Besoins.
(2) Dans « L’Economie Distributive de l’Abondance », page 41.

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Chronique de l’Elysée-Palace

Confidences recueillies par Jacques VEAU (ex Bonhomme) Français Moyen et rapportées par E.R. BORREDON.

Une réforme fiscale qui s’impose

par E.R. BORREDON
octobre 1980

Revenons sur les anomalies (bien camouflées volontairement par des textes d’application touffus et complexes à souhait) des modalités d’assiette de l’I.R.P.P,
Et tout d’abord le calcul par part. Le calcul de base de l’impôt est celui qui correspond à une part et aux tranches dit barème correspondant aux fractions de revenus taxables aux taux progressifs de 5 à 60 %.
La part concerne le contribuable célibataire sans charges qui représente ainsi le contribuable. unité. Le montant de son impôt s’élèvera par exemple en 1980, (salaires de 1979) pour un salaire brut de 36 000 frs à 8,5 % de ce salaire, pour un salaire brut de 60 000 frs à 14,7 % de ce salaire et pour un salaire brut annuel de 100 000 frs à 20,7 % de ce salaire.
Alors que pour un ménage sans charges et dans les mêmes conditions de salaire les pourcentages impôt-salaires bruts seront respectivement de 2,8 %, 6,7 % et 12.2 %. Ces disparités constituent indiscutablement pour les célibataires une véritable pénalisation sociale de fait qui frappe essentiellement ceux qui débutent. Vous me direz qu’ils n’ont qu’à se marier et procréer. Bien sûr. Mais que devient alors la liberté de l’être humain ? Quelle pérennité pourrait-on espérer d’un foyer fondé dans de telles conditions
Mais il y a mieux en ce qui concerne ce calcul par part quand on considère les avantages qu’il procure aux ménages ayant (les enfants à charge. Comparons des ménages sans enfant (2 parts) aux ménages ayant 2 enfants à charge (3 parts) et disposant de salaires bruts annuels de 36 000, 60 000, 100 000 et 150 000 francs.
Les premiers auront à verser au percepteur respectivement 1018, 4 060, 12 205 et 26 398 frs d’impôt. L’ardoise fiscale des seconds s’élèvera respectivement à néant 2 179, 7 789 et 18 308 frs. Autrement dit l’avantage d’avoir deux enfants à charge par rapport à l’absence d’enfant procure aux intéressés des abattements proportionnels à l’importance des salaires. Je n’ai pas besoin d’en dire plus. Vous m’avez compris.
L’iniquité du système en vigueur est flagrante. Je le reconnais bien volontiers. Mais nous avons voulu réduire par cet artifice l’impact des taux élevés (40 à 60%) appliqués aux gros revenus. C’est ainsi, par exemple, qu’un contribuable disposant d’un salaire brut annuel de 600 000 frs, passible du taux de 60 % pour la tranche supérieure imposable, ne payera, s’il a cinq enfants à charge, que 31,5 % de son salaire brut. Alors, par ailleurs, que les salariés de cette catégorie perçoivent en général, en plus de leurs salaires officiels, des indemnités de fonctions appréciables. Et le plus souvent ils jouissent en outre d’avantages en nature divers (logement, voitures...).
Les constatations qui précèdent condamnent à elles seules le système en vigueur. Elles justifient et imposent une réforme radicale des modalités actuelles d’assiette de l’I.R.P.P.
Deux modifications essentielles devraient en être à la base, à savoir : d’une part l’abandon pur et simple du calcul par part, d’autre part la reconnaissance de la situation et des charges de famille par des abattements uniformes de l’impôt indépendants du montant des revenus taxés. Le barème ne comporterait plus que la seule colonne correspondant à une part. Quant aux tranches, il conviendrait de les uniformiser, en relevant la tranche de base au niveau du S.M.I.G. récemment porté à 3 000 frs mensuels et en égalisant à cette dernière les tranches suivantes. ce qui supprimerait les tranches « bidon  » taxées à 5 et 10%.
Et les revenus autres que les salaires ? me direz-vous ; rassurez-vous. Quelles que soient les modalités d’assiette et de taxation, leurs bénéficiaires sauront toujours se débrouiller.
Ils en ont les moyens.

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