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   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
 
 
 
 
 
AED La Grande Relève Articles > N° 1023 - juillet 2002

 

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N° 1023 - juillet 2002

Au fil des jours   (Afficher article seul)

Deux poids, deux mesures pour la Confédération paysanne et la FNSEA. Carton rouge boursier pour TF1. Le moteur de la politique de G.W. Bush marche au pétrole. La Russie se réinstalle en Afghanistan.

Du ballon … captifs ?   (Afficher article seul)

A Rome, le sommet mondial contre la faim est un constat d’échec, mais il lui reste une voie à explorer : séparer l’alimentation du reste de l’économie pour la gérer de façon distributive à l’aide d’une monnaie spéciale...

Offensives pharmaceutiques   (Afficher article seul)

La politique des laboratoires pharmaceutiques ou la recherche... des record en taux de rentabilité.

La sortie du labyrinthe   (Afficher article seul)

Ne tirons pas sur l’État, il peut beaucoup s’il est vraiment démocratique.

Contre le sens de l’histoire   (Afficher article seul)

Par contre, mettre l’État au service des entreprises, ce qui est au programme du nouveau gouvernement, c’est remonter le cours de l’évolution du progrès social.

Fermeté et ouverture...   (Afficher article seul)

À qui Raffarin promet-il la fermeté, à qui promet-il l’ouverture ?

Aux grands mots, les grands remèdes..   (Afficher article seul)

Panorama de tout ce que nous dénonçons des effets de l’idéologie néo-libérale sur l’évolution planétaire, et que les principaux candidats aux élections se sont bien gardés d’aborder.

Le ciel me tomberait-il sur la tête ?   (Afficher article seul)

Si l’extrême droite progresse sourdement en Europe, n’est-ce pas en excitant une crispation contre les immigrants par peur de perdre une prospérité qu’elle voudrait ici sans limite ?

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Chronique

Au fil des jours

par J.-P. MON
14 janvier 2007

Deux poids, deux mesures

José Bové en prison. […] 3 ans après l’action « incriminée » (le démontage du chantier du Mac Do de Millau), le conflit qui la motivait entre l’Union européenne et les États-Unis sur l’importation en Europe de viande de bœuf aux hormones n’est toujours pas réglé. Plusieurs produits européens, dont le roquefort, sont toujours surtaxés aux États-Unis et un recours auprès de l’OMC n’est toujours pas possible pour les paysans concernés.

Par contre, les importateurs et fabricants de farines animales, responsables de la contamination des troupeaux bovins par l’ESB, n’ont jamais été poursuivis, malgré une plainte déposée par la Confédération paysanne dès 1996 ; des adhérents de la FNSEA qui ont, le 15 octobre 2001, saccagé une entreprise et des entrepôts frigorifiques à Fougères, occasionnant plus de 10 millions de francs de dégâts, ne seront pas poursuivis et, comble du cynisme, le gouvernement vient de décider que c’est l’État qui paiera la facture.

« De la part de cet État, dont certains des plus hauts représentants sont notoirement corrompus, non seulement il n’y a pas “d’impunité zéro”, mais il y a surtout une justice ouvertement conduite à deux vitesses » [1].

***
TF1 et la coupe du Monde

TF1 s’est adjugé les droits de diffusion des deux prochaines coupes du monde pour 168 millions d’euros. Celle de 2002, au Japon et en Corée, va lui coûter 60 millions d’euros avec une rentabilité tout à fait aléatoire : selon les calculs des dirigeants, si la France était arrivée en demi-finale, la chaîne aurait équilibré ses comptes, si elle avait été en finale, elle aurait gagné de l’argent. Mais cet optimisme était loin d’être partagé par tous les analystes financiers. Selon l’un d’entre eux, de chez Dexia Securities France, TF1 pourrait enregistrer « une perte nette comprise entre 11 et 17 millions d’euros après impôts » même si l’équipe de France s’était qualifiée pour la finale ; une élimination en huitième de finale aurait creusé cette perte de 7 à 9 millions supplémentaires. On sait maintenant que la France n’a même pas atteint les huitièmes de finale…

Le match France-Uruguay a d’ailleurs fourni l’occasion de découvrir ce que Jacques Buob appelle le « carton rouge boursier » [2], nouvelle aberration de l’économie de marché : le 6 juin l’action TF1 est cotée 31,4 euros et reste pratiquement stable jusqu’à une heure et demie avant le coup d’envoi ; elle grimpe soudain de plus de 3%, malgré l’absence de Zidane ; elle est à 32,5 euros au moment du coup d’envoi ; une demi-heure plus tard, avec l’expulsion de T. Henry, elle tombe à moins de 30 euros ! Ce 21 juin, l’action TF1 est à 29 euros.

L’odeur du pétrole

Depuis le 11 septembre 2001, la présence américaine en Asie centrale s’est fortement renforcée, notamment avec l’installation de bases militaires en Ouzbékistan et au Kirghizstan. Et ce n’est pas principalement pour lutter contre le terrorisme, comme on pourrait le croire, mais parce la mer Caspienne renferme de très gros gisements pétroliers : celui de Kashagan, par exemple, dans les eaux kazakhes est le 5ème du monde. La mise en exploitation de ces gisements va faire de la région un acteur pétrolier important, avec une production estimée pour 2010 à près de 4 millions de barils par jour, l’équivalent de ce que produit la Norvège. Les réserves du gisement off-shore de Kashagan sont si importantes que trois oléoducs ne seront pas de trop pour acheminer le pétrole : dans un premier temps (vers 2005), la production transitera par l’oléoduc qui relie le port kazakh d’Atyrau au port russe de Novorosiisk, sur la mer Noire ; plus tard elle pourra emprunter l’oléoduc Bakou-Ceyhan dont la construction doit commencer ce mois-ci. C’est ce projet d’oléoduc qui intéresse les États-Unis et tout particulièrement Bush. Quant au troisième projet « le plus sûr et le plus économique », il permettrait d’acheminer le pétrole kazakh, via le Turkménistan, vers le nord de l’Iran. Bien que préférée par beaucoup de “majors”, dont TotalFinaElf, cette voie iranienne a très peu de chances de voir le jour, car elle déplaît à Bush qui a, dès l’été 2001, fait reconduire le régime de sanctions contre les sociétés commerçant avec l’Iran, puis classé ce pays dans « l’axe du mal ».

***
Coucou, les revoilà !

Douze ans après leur déroute, les Russes sont de retour à Kaboul, les bombes américaines leur ont ouvert la voie. La Russie a été le premier pays à dépêcher sur place une délégation gouvernementale et à rouvrir son ambassade. La présence de ses “envoyés spéciaux” semble bien tolérée. Selon W. Poutine, c’est à la demande du président Afghan que les 400 “fonctionnaires” russes du Ministère de la défense, des affaires étrangères et des “situations d’urgence” (l’humanitaire) se sont installés à Kaboul. « Il n’y a aucune présence militaire russe en Afghanistan » dit-on à Moscou, malgré l’incessant trafic des Iliouchine 76. Les Russes cherchent à s’assurer une place durable dans le pays, pour mieux contrôler le trafic de la drogue, produite par les moudjahidines, comme par les talibans, qui se fait à travers le Tadjikistan, et aussi pour participer à la construction des futurs oléoducs et gazoducs destinés à transporter vers le sud le pétrole et le gaz des Républiques musulmanes ex-soviétiques.

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[1] Extrait du communiqué de presse de la Confédération paysanne du 17/06/2002.

[2] Le Mondial, 09-10/06/2000.

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Éditorial

Du ballon … captifs ?

par M.-L. DUBOIN
14 janvier 2007

Au cours des quatre campagnes électorales qui viennent de se succéder en France, aucun débat n’a eu lieu sur les problèmes les plus graves de notre époque : les candidats n’ont pas voulu en parler. Ils attendent que nos compatriotes réagissent, mais c’est alors violemment, quand les conséquences de ces problèmes escamotés viennent à les effleurer. Si la gauche, plurielle, avait donné jadis l’espoir de s’opposer à la logique néolibérale pour faire passer les Droits de l’Homme avant ceux des marchés, on n’en parle plus. Et ceux qui refusent la dictature de la finance en disant leur opposition à la marchandisation libérale du monde risquent maintenant d’être désignés comme terroristes ! [*]

Mais comme la logique libérale développe l’égoïsme, les Français ne sont pas les seuls à se ficher de l’avenir du monde. La réunion des Nations unies contre la faim, tenue à Rome entre les deux tours des Législatives, vient encore de mettre en évidence la portée du choix libéral, mais presque personne ne s’en est soucié, alors que les conséquences s’annoncent catastrophiques. Cette légèreté, pour ne pas dire cette inhumanité, prend des proportions tellement choquantes qu’elle devrait pourtant ouvrir les yeux.

Il se trouve en effet que deux grands évènements internationaux se sont produits au même moment : à Rome, le Sommet mondial de l’alimentation, en Corée et au Japon, la Coupe du monde de football.

Le premier devait réunir sous l’égide des Nations unies, les chefs d’État et de gouvernement des 180 pays que regroupe la FAO [1]. Or un seul des chefs d’états des 29 pays de l’OCDE [2] (les plus riches du monde, dont la France) avait fait le voyage pour être à Rome du 10 au 13 juin… alors qu’une soixantaine de pays en développement envoyaient des délégations au plus haut niveau. Ce qui a fait dire au directeur général de la FAO : « C’est un indicateur de la priorité politique accordée par les pays riches au drame de la faim ». Et pourtant, un constat s’est imposé à ce Sommet : depuis le précédent (qui avait eu lieu en 1996) la situation a empiré dans de nombreuses régions du monde : 800 millions de personnes souffrent de la faim et 2 milliards d’autres, de carences alimentaires. Et cela non pas parce que la nourriture manque, mais parce que ces déshérités n’ont pas les moyens de l’acheter.

Le second évènement, lui, était couvert par l’ensemble des médias : la compétition de foot qui a focalisé au même moment l’attention de tous, a coûté, rien qu’en publicité et en retransmissions, de quoi nourir longtemps les affamés des temps dits modernes. Ce choix d’affectation des richesses est insoutenable. Et pourtant, il n’a choqué presque personne !

Le comble, c’est que le second de ces deux “sommets” a été considéré comme tellement plus important que le premier, que la réunion de la FAO a été écourtée de deux heures pour permettre à la délégation italienne de suivre la rencontre de foot entre l’Italie et le Mexique ! Et on prête au Premier ministre britannique l’intention de faire de même : retarder le début du sommet européen de Séville pour le match Angleterre-Brésil !

“Du pain et des jeux” demandaient au Forum les Romains de la décadence. En demandant du foot l’humanité du XXIème siècle ne prouve-t-elle pas qu’elle est en pleine décadence ?

Chacun prend son plaisir où il le trouve. Regarder un match de foot à la télé ne fait de mal à personne. Se priver de regarder les matches n’aurait rien changé au problème de la faim des plus démunis. Etc… Soit. Il ne s’agit pas de faire de la morale mais d’expliquer qu’en acceptant de se laisser captiver (c’est le mot qui convient) par le ballon rond, non seulement on encourage la débauche publicitaire qui l’entoure, mais on fait un choix, souvent inconscient, celui de se désintéresser de la situation des plus démunis et de refuser de comprendre que la logique économique qui en est la cause aura d’autres effets. Après quoi, faute d’avoir pris le temps de s’informer et de réfléchir, le public croit béatement, et même répète, tous les boniments qui courent sur le sujet, par exemple celui selon lequel les laboratoires quand ils investissent dans des recherches sur les OGM le font avec pour objectif, louable, celui de vaincre la faim dans le monde de demain.

Et on vote, on décide de l’avenir, sans avoir la moindre idée des conséquences de ce choix…

*

Revenons au difficile et crucial problème de l’alimentation. L’utilisation à des fins capitalistes, dans l’agriculture, des progrès technologiques du XXème siècle (ce que nous appelons la grande relève de l’homme par la science) a mené à l’abondance de la production en même temps qu’à l’élimination ou la ruine de la majorité des agriculteurs, dans le monde entier. Dans les pays riches, l’investissement s’est concentré sur quelques exploitations, devenues de gigantesques entreprises industrielles, tandis que fondait le nombre d’exploitants et que l’augmentation de la production, qui n’a jamais cessé, a faisait baisser les cours mondiaux. De sorte que le taux de profit y est devenu si faible, pour les agriculteurs, qu’ils n’ont pas d’autre issue (capitaliste) que d’élargir leur marché vers l’extérieur ; et pour qu’ils puissent exporter à ces prix bas, les États (E-U, UE) sont amenés à les subventionner, les aidant ainsi à aller prendre le marché, chez eux, aux paysans des pays pauvres, beaucoup moins productifs. Ce qu’annonçait Jacques Duboin dès les années 1930 paraît maintenant au grand jour : Le Monde des 9-10 juin titrait “Championne de l’hyperproductivité… l’agriculture américaine lutte pour sa survie” tandis que Marcel Mazoyer [3], de l’INA, constate que ce qui résulte de la libération des échanges « c’est que ceux qui ont faim sont, pour les trois quarts, des petits paysans extrêmement pauvres ».

Or la FAO a été créée en 1945 pour assurer “l’accès de tous à la nourriture nécessaire à une vie active et saine”. Elle organise ses Sommets mondiaux afin que les chefs d’états se rencontrent afin de prendre ensemble la responsabilité de la politique alimentaire du monde et faire le bilan du résultat de leurs précédentes décisions. Le Sommet mondial de Rome, après avoir constaté que la FAO avait failli à sa mission, se devait donc de remettre en question l’idéologie suivie pour arriver à ce résultat, et de chercher comment lui en substituer une autre, au moins pour l’alimentation.

Les agriculteurs sont les premiers à se plaindre qu’en économie capitaliste libérale, la production ne nourrit plus son homme. Mais leur réaction à ce constat a déjà eu de très lourdes conséquences et elle nous concerne tous, même ceux qui préfèrent de pas le voir : d’abord, pour beaucoup de paysans des pays pauvres, elle a été de se convertir à la culture de la drogue, dont le marché clandestin est beaucoup plus prospère que celui des vivres. Et maintenant ce sont les investisseurs qui abandonnent aussi le secteur de l’agro-alimentaire parce qu’il a cessé d’être rentable : ils vont orienter leurs capitaux, comme le leur recommande l’association américaine des producteurs de maïs, vers des cultures dites “à forte valeur ajoutée”, c’est-à-dire les plantes pharmaceutiques [4].

Où cultivera-t-on demain de la nourriture saine, accessibles à tous ? Et qui s’en chargera ? Il est grand temps de réagir, si la volonté, toujours affirmée, d’assurer la sécurité alimentaire, ce qui est pour l’homme le droit de vivre, existe bien.

La voie de l’indépendance alimentaire

Admettons que l’abandon de l’idéologie libérale soit encore impossible à envisager pour l’ensemble de l’économie. Il reste une voie de salut, que la situation de l’agriculture dans le monde oblige à explorer : elle consiste à séparer de l’économie générale, restant telle qu’elle est, l’économie de l’agriculture, devenant distributive.

Bien sûr, ceci implique l’institution pour l’agriculture d’une monnaie spéciale, indépendante des autres, non échangeable, réservée exclusivement aux achats de consommation alimentaire. Mais c’est cette libération des pressions financières qui peut permettre à la FAO de remplir sa mission. C’est cette séparation de l’économie agricole par rapport à l’économie générale qui peut, seule, libérer les peuples sous-alimentés de l’obligation qui leur est faite, dans l’économie actuelle, de produire pour l’exportation, à des conditions commerciales où ils sont perdants. C’est cette indépendance qui peut rendre à ces peuples leur droit légitime de produire leur propre alimentation selon leur propres critères, en un mot, leur “souveraineté alimentaire”.

Les Sommets mondiaux pour l’alimentation auraient alors autre chose à faire que reconnaître leur impuissance en regardant le foot :

Le principe est simple : la quantité de monnaie alimentaire à renouveler chaque année (par l’intermédiaire d’une nouvelle “Banque mondiale” ayant de nouveaux “droits de tirages spéciaux”, mais ceux-ci au service de la faim), sa distribution aux populations du monde, et le cours des denrées alimentaires doivent être fixés en fonction des besoins humains. Aux Sommets de débattre alors des modalités d’application, de prendre les décisions politiques nécessaires pour que des terres et des moyens soient accessibles à ceux qui s’engagent à produire des denrées alimentaires saines et, si besoin, d’organiser des échanges internationaux équitables, vivres contre vivres, mais non plus vivres contre argent. Pour remplir enfin sa mission la FAO aurait alors un atout de taille car le simple fait que la monnaie d’alimentation ne soit pas convertible écarterait automatiquement toute possibilité de la détourner, par exemple par des gouvernements malhonnêtes.

Et si “l’accès de tous à la nourriture nécessaire à une vie active et saine” n’est pas le souci majeur de nos populations parce qu’elles sont encore épargnées, ne voient-elles pas que à quel point cette assurance modifierait les problèmes qui les péoccupent, dont ceux liés à l’immigration ?

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[*] Dernière minute : Une information publiée par Le Monde, ce 22 juin, confirme cette crainte : à l’initiative du gouvernement espagnol, il existe en Europe une volonté de discrimination des contestataires, ce qui constitue une dégradation des droits de l’homme que soulignent les défenseurs des libertés civiles.

Un expert des questions de sécurité dit que les groupes de travail de Bruxelles, profitant des évènements du 11/9 « ont en ligne de mire les mouvements antiglobalisation ».

[1] FAO = Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture.

[2] OCDE = Organisation pour la coopération et le développement économique.

[3] Une de ses récentes conférences était rapportée dans GR 1020, p.7.

[4] Lire ci-après “Offensives pharmaceutiques”.

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Offensives pharmaceutiques

par M.-L. DUBOIN, J.-P. MON
14 janvier 2007

Le détournement de l’agriculture vers la production de plantes à usage pharmaceutique est lié à la politique de haute rentabilité des géants de la pharmacie.

Pour rassurer les marchés financiers, leur nouvelle politique est de lancer chaque année un ou deux produits “à succès”, c’est-à-dire des nouveaux médicaments capables de générer des ventes d’au moins un milliard d’euros par an et d’offrir des taux de rentabilité de 20%, voire de 40% selon Véronique Lorelle.

Les grands laboratoires pharmaceutiques dépensaient déjà deux fois plus en marketing et frais de ventes (35% de leur chiffre d’affaires) qu’en recherche (17%) et celle-ci concerne toujours en priorité le traitement de maladies qui touchent un grand nombre de patients dans les pays riches.

Ce qui se développe, c’est d’abord une course de vitesse, qui n’est pas sans conséquences pour la qualité des produits. C’est ainsi qu’un anti-imflammatoire, le Celebrex, mis sur le marché en France en mai 2000 et vite parvenu au troisième rang, en valeur, dans le classement des médicaments prescrits sur ordonnance et remboursés par la Sécurité sociale, fait l’objet d’une enquête : le laboratoire Pharmacia, pour obtenir l’autorisation de sa mise sur le marché, aurait trompé, en cachant ses effets secondaires, la revue scientifique spécialisée qui en a publié l’éloge.

Pour pouvoir vendre un médicament nouveau jusqu’à 30 fois plus cher que ses équivalents plus anciens, il faut faire en sorte qu’il soit considéré comme un progrès sensationnel, comme le meilleur dans son domaine, et puis en tirer profit avant l’arrivée des génériques. Pour cela, il faut que les médecins les prescrivent.

Un des moyens consiste à faire pression sur les personnels de santé, et les laboratoires ne s’en privent pas : porte à porte publicitaire des visiteurs médicaux, cadeaux, aides diverses, jusqu’au paiement de séjours agréables déguisés en séminaires [1].

Un autre consisterait à faire également pression sur le grand public pour le pousser à les demander aux médecins, ceci pourrait se faire sous forme d’informations sur les maladies ou bien par la publication d’essais qui paraîtraient couronnés de succès. Hélas pour les laboratoires et leurs actionnaires, ce type de publicité est interdit en Europe. Qu’à cela ne tienne, certains trompent l’interdiction en publiant dans la presse des publicités déguisées en information (l’une est un message dit par Pelé, le roi du foot, en faveur du Viagra qui n’est pas cité, mais sournoisement sous-entendu). Et voyant que les pays européens élisent de plus en plus les partis qui défendent le libéralisme, ils ont entrepris de faire supprimer cette interdiction en finançant des lobbies pour travailler la Commission de Bruxelles à cette fin. Parions qu’ils vont vite y parvenir.

M.-L. D.

Industrie pharmaceutique et publicité

La consultation des rapports annuels des 15 laboratoires pharmaceutiques américains les plus importants montre qu’ils dépensent ensemble près de trois fois plus en marketing et frais administratifs (68,4 milliards de dollars) qu’en recherche-développement (24,4 milliards). Et cela ne leur coûte rien puisque l’ensemble des dépenses en R&D et en marketing est déductible des impôts. Peut-être est-ce dû à l’intense lobbying des industriels de la pharmacie qui ont dépensé 235,7 millions de dollars entre 1997 et 1999 au bénéfice du sénat et du gouvernement américain ? La plus grande partie de ces dons a été faite aux représentants républicains [2].

En France, les entreprises pharmaceutiques dépensent chaque année 12 milliards de francs au titre de la promotion des médicaments auprès des prescripteurs. Cette action massive de promotion qui s’appuie notamment sur le réseau de 15.000 visiteurs médicaux n’est pas sans lien avec le niveau élevé des dépenses de médicaments en France [3].

J.-P. M.
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[1] Revoir à ce sujet la série d’articles de C.Eckert que nous avons publiée sur les “lobbies contre la santé” en particulier GR 1012, p.10.

[2] Public Citizen, Addicting Congress : Drug Companies Campaign Cash & Lobbying Expenses, 06/07/2000.

[3] Rapport de la Commission Evin, 1999.

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Réflexions

La sortie du labyrinthe

par R. POQUET
14 janvier 2007

Trop préoccupés par leur réélection et par la prise du pouvoir politique par le groupe auquel ils appartiennent, nos gouvernants, anciens et nouveaux confondus, ont quasiment évité tout débat de fond pouvant troubler l’ordre établi ou la bonne conscience de chaque citoyen. Campagne électorale sinistre, émaillée, à ma connaissance, d’une seule situation comique lors d’un débat télévisé : le sympathique Nicolas Hulot annonçant à Messieurs Fabius et Douste-Blazy, faussement éberlués, qu’au rythme actuel de sa destruction, la forêt amazonienne aurait vécu dans cinquante ans ; comme quoi, on peut être un aventurier de haute volée et ne pas comprendre que, cette année, en France, la priorité des priorités c’est la sécurité et non les ouistitis de la forêt amazonienne.

Ces élections passées, les mesures prises par le nouveau gouvernement devraient logiquement aller dans le sens d’un allègement des charges de l’État afin de libérer l’économie de multiples contraintes, ce qui lui permettra de se redynamiser et, par là même, de recréer de l’emploi ... (air connu). Signalons au passage que les budgets des États européens représentent près de 50% de leurs revenus nationaux respectifs - ce qui n’est pas rien, il faut en convenir. Alors ? Plus d’État ? Moins d’État ? Quel que soit le regard que l’on porte sur l’État-providence, il faut bien admettre - et l’Histoire le prouve - que son intervention est incontournable et, mieux même, qu’elle est compatible avec les performances de l’économie. Souvenons-nous des récentes décisions de G.W.Bush, suite aux événements du 11 septembre, d’apporter un plan de soutien à l’économie de 51 milliards de dollars, d’augmenter de 13 semaines les allocations perçues par les chômeurs en fin de droits, de réduire un certain nombre de taxes sur les entreprises et d’augmenter de 70% en dix ans les subventions aux agriculteurs, ce qui porte leur total à plus de 200 milliards d’euros ... Situation étonnante qui pourrait se résumer ainsi : proclamons haut et fort notre refus de l’État mais ne perdons aucune occasion de bénéficier de la protection de l’État. Pourquoi ne pas admettre une fois pour toutes qu’un développement économique conséquent peut s’accommoder d’une présence forte de l’État ? que nous avons tendance à diaboliser son action alors qu’elle est indispensable ? que si nous nous élevons contre les excès d’un capitalisme triomphant nous ne sommes pas forcément pour le goulag ?

Soyons lucides. Le modèle distributif auquel nous nous référons suppose, qu’on le veuille ou non, la présence d’un État-chef d’orchestre géré démocratiquement. Écrire ces lignes au moment où les privatisations vont bon train peut ressembler à de la provocation. Elles feraient sans doute sourire le distingué et sympathique économiste Dominique Plihon, président du conseil scientifique d’Attac, qui écrit dans son dernier ouvrage [1] : « Sans les milliards de dollars drainés par les marchés financiers, l’effort d’investissement dans les NTIC [2] déployé par les entreprises américaines n’aurait pas été possible ». Je me permettrais de faire remarquer à l’auteur de ces lignes qu’en temps de guerre l’État américain a prouvé qu’il était capable d’accomplir tous les exploits et de favoriser toutes les innovations : pourquoi tel ou tel État ne le pourrait-il pas en temps de paix ? Pour prendre un exemple plus concret, qui a conçu et géré notre exemplaire TGV ? Le service public ou le service privé ? Bien évidemment le service public. N’est-ce pas cette même société du service public qui, en moins d’une année, va parvenir à résorber les frais considérables de la mise en service du TGV Paris-Marseille et à équilibrer les comptes financiers ? Il est aisé de toujours brandir l’épouvantail de l’État soviétique ou celui de petits États qui ont tenté une expérience similaire, tels Cuba ou l’Albanie, alors qu’au départ leurs économies étaient encore balbutiantes et leur conception du pouvoir anti-démocratique. Et si tout cela n’était qu’un faux problème ? Et si, victimes de la religion marchande et de l’économisme, nous refusions de nous en libérer, même inconsciemment ? Car « le capitalisme n’est pas inévitable : il ne durera pas pour l’éternité. On peut créer d’autres systèmes meilleurs. Il faut se mettre à la tâche » [3]. Cette libération pourrait reposer sur les attendus suivants :

1. Adopter une monnaie de consommation qui s’annule à l’achat (donc non thésaurisable et non spéculative) et qui supprime ainsi les notions de profit et de rentabilité. L’échange retrouve son caractère économique premier qui consiste à faire passer la production des biens et des services à la consommation.

2. Opérer la rupture du lien qui lie l’emploi et le revenu afin d’être en mesure d’allouer un revenu à chacun et de répartir l’emploi entre tous les citoyens actifs, seule condition à la suppression totale de la misère et du chômage. Les modalités d’application de ces deux mesures sont d’ordre technique et relèvent du politique.

3. Développer harmonieusement les diverses productions en gérant attentivement les ressources en matières premières et en énergies et en préservant les équilibres nutritionnels et écologiques. Cette gestion est possible par une Europe composée d’États ayant une réelle force productive et distributive, et gérée par des instances réellement démocratiques.

4. Remplacer les notions de profit et de rentabilité par d’autres valeurs, plus conformes au développement harmonieux de la personne humaine. Se souvenir que le profit est une création historique et qu’être riche doit prendre un sens autre que celui que nous lui attribuons actuellement, que ce qui pourrait combler les attentes « n’est pas de l’ordre de l’achat, mais de l’action, du projet, de la construction de soi, et que les seules richesses inépuisables et qui se multiplient de par leur diffusion, c’est le commerce des idées et du savoir, la passion de la connaissance, les œuvres de l’imagination, les arts de vivre et les arts tout court, richesses pour la plupart hors de prix » [4].

*

État, es-tu là ? Oui, mais géré et contrôlé par des instances démocratiques et par de multiples contre-pouvoirs. Car les valeurs que nous venons d’énumérer seront toujours battues en brêche par une organisation économique et financière qui glorifie l’objet et voue un culte de plus en plus éhonté à l’argent et à son accumulation. La réflexion de Raymond Aron est plus que jamais d’actualité : « Que l’on ait jugé jadis le marché conforme à la nature, qu’on y ait vu le résultat de lois dites naturelles, il ne s’agit là que d’une péripétie de l’histoire des idées [...] caractéristique d’une époque et promise à un inéluctable vieillissement » [5]. Quel parti de feu la gauche plurielle entendra les propositions que nous venons d’énoncer et consentira à les étudier ? Tous les prétextes seront bons pour les rejeter : crainte de courir une aventure incertaine, crainte de représailles de certains États sous la coupe des milieux financiers, crainte de déplaire à un électorat en stagnation sinon en régression, crainte de passer d’une société du temps contraint à une société du temps libéré ...« Le labyrinthe est la patrie de celui qui hésite » proclamait Walter Benjamin.

Prenons garde que ce labyrinthe ne débouche, à brève échéance, sur les excès de la rue.

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[1] Dominique Plihon, Le nouveau capitalisme, Coll. Dominos-Flammarion.p.53, 2001.

NDLR. Ce livre a été analysé dans GR 1018, p.2.

[2] NTIC = Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication.

[3] Emmanuel Wallenstein, Paroles prononcées dans le film de Raoul Pech “Le profit et rien d’autre“ (2000) (Diffusé par ARTE en 2001).

[4] Pascal Bruckner, Misère de la prospérité, (Ed. Grasset).

[5] Raymond Aron, Qu’est ce que le libéralisme ? Commentaire. n° 84. (rapporté par Bruckner, op.cité. p.139).

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Contre le sens de l’histoire

par J.-P. MON
14 janvier 2007

« Les économistes classiques se méfient de l’État. Ils enseignent qu’il faut limiter ses attributions et réduire son intervention au minimum indispensable à la sécurité de chacun et de tous » [1]. Difficile de trouver un meilleur résumé du programme du candidat Chirac à la présidence de la République ! Ne nous disait-il pas dans sa campagne qu’il faut « libérer l’entreprise des carcans dans lesquels l’État l’a enfermée ». Belle formule propre à faire bondir de joie les chefs d’entreprise, clients fidèles du RPR, même devenu UMP ! Mais elle n’est pas “moderne” : c’est au XVIIIème siècle que le père de l’économie libérale, Adam Smith, disait que « L’État est en réalité institué pour la défense de ceux qui possèdent quelque chose contre ceux qui ne possèdent rien ».

Roulés dans la farine…

Pas étonnant donc qu’après sa première élection en 1995, Chirac ait abandonné sa promesse de réduction de la fracture sociale. Pourtant, d’après les sondages, 58% des Français seraient satisfaits du gouvernement Raffarin qui n’a encore rien fait, sinon augmenter le traitement des ministres, abaissé de 5% les impôts des plus riches… et décidé de ne rien ajouter à l’augmentation légale du SMIC au 1er juillet, et cela avant même la concertation prévue avec les partenaires sociaux. Il fallait d’ailleurs s’y attendre puisque le Premier ministre avait déclaré peu après sa nomination : « pas question d’évoquer un coup de pouce sans en mesurer les conséquences sur la situation économique et surtout sur l’emploi » et que son Ministre de l’économie avait précisé : « ce ne serait pas dans l’intérêt des entreprises et, par conséquent, des travailleurs ».

En France, plus que jamais, le libéralisme a donc le vent en poupe, du moins si l’on en croit les propos tenus par la plupart des membres du nouveau gouvernement qui, tous, dénoncent l’intervention de l’État dans le monde du travail. Navrante orthodoxie ! La nomination de Francis Mer au poste de ministre de l’économie a été unanimement saluée par les milieux patronaux comme une reconnaissance du monde de l’entreprise. C’est un des leurs : X-mines, ancien PDG d’Usinor, puis coprésident du géant sidérurgique Arcelor, président d’Eurofer depuis 1990, administrateur du Crédit Lyonnais et d’Air France, militant de longue date dans le patronat chrétien, … il a tout pour rassurer les “entrepreneurs”. Bref, il incarne « la persistance de la relation entre les capitalistes et l’État : une liaison opiniâtre » [2] qui ne date pas d’hier.

Un peu d’histoire

Au début du XIXème siècle, le développement de l’industrie commence par provoquer une dégradation des conditions de vie des ouvriers. Déjà, « le progrès échappe aux classes laborieuses » [2] et, tout comme aujourd’hui, la rentabilité des investissements devient une obsession : les ouvriers travaillent quatorze à quinze heures par jour et les semaines de travail sont souvent de sept jours ! Les maladies professionnelles font des ravages, les logements des ouvriers sont de véritables cloaques, la mortalité infantile beaucoup plus élevée dans les rues ouvrières que dans les quartiers bourgeois. À la suite de la publication du “Tableau de l’état physique et moral des ouvriers employés dans les manufactures de coton, de laine et de soie”, réalisé par l’ancien chirurgien militaire Villermé, l’État fait une incursion timide dans le monde du travail en promulguant la loi du 22 mars 1841 qui réglemente le travail des enfants dans l’industrie : interdiction de faire travailler avant huit ans ; de huit à douze ans : huit heures par jour ; de douze à seize ans : douze heures par jour. En fait, l’objectif avoué de cette loi n’était pas d’humaniser un peu le travail des enfants mais d’offrir à l’armée des soldats en meilleure santé. Elle n’en est pas moins considérée comme la première loi sociale, celle qui marque, en France, la naissance du droit du travail. Mais elle inquiète beaucoup la bourgeoisie qui, par la bouche d’un de ses députés [3], Gustave de Beaumont, prévient : « Il ne s’agit aujourd’hui que des enfants en bas âge, mais soyez en sûrs, un temps long ne s’écoulera pas sans qu’il s’agisse aussi, et sans qu’on vous le propose, de réglementer le travail des adultes. » Il n’est donc pas surprenant que, mal contrôlée, l’application de cette loi reste limitée. Ce n’est qu’en 1874 qu’une nouvelle loi améliora celle de 1841, en élevant l’âge d’accès au travail à douze ans et, surtout en créant un corps d’inspection spécifique, chargé d’en vérifier l’application.

Les craintes de Gustave de Beaumont étaient justifiées car la durée du travail commença à décroître vers la fin du XIXème siècle, grâce à de longues luttes ouvrières parfois sanglantes. Cette diminution de la durée du travail s’est faite au cours du XXème siècle de différentes façons : par l’établissement du repos dominical rendu obligatoire par la loi du 13 juillet 1906 ; par la réduction de la journée de travail, à 8 heures, en s’inspirant de l’exemple américain [4] ; par la réduction de la semaine de travail à 40 heures en 1936, puis à 39 heures en 1982, puis à 35 heures en 1998 ; enfin par le raccourcissement de l’année de travail avec l’obligation du repos le dimanche et les jours fériés et surtout la mise en place des congés payés : 15 jours en 1936, trois semaines en 1956, quatre semaines en 1969, cinq semaines en 1982. Enfin, l’allongement des études et l’avancement de l’âge du départ en retraite (65 ans, puis 60 ans et même moins dans certaines professions) a aussi notablement contribué à la réduction globale du temps de travail.

En résumé, le nombre d’heures de travail annuel d’un ouvrier était [5] : de 5.000 il y a 150 ans, de 3.200 il y a un siècle, de 1.900 dans les années 1970 et de 1.520 en 1997, ce qui ferait, d’après André Gortz [6], 800 heures par an si le travail était réparti sur toute la population en âge de travailler. Plus frappant encore : rapporté à la durée totale du temps éveillé sur l’ensemble du cycle de vie, le temps de travail représente [7] : 70% en 1850, 43% en 1900, 18% en 1980 et 14% aujourd’hui. Cette évolution est observée dans tous les pays industrialisés.

Et notre nouvelle majorité voudrait maintenant « remettre la France au travail », nous faire revenir en arrière au prétexte qu’il faut travailler plus pour produire plus de richesses. Quelle ignorance ! ou quelle ignominie ?

Ouvrons les yeux

Si l’on est gentil, on peut penser que nos gouvernants sont trop occupés pour s’informer sérieusement. S’ils le faisaient, ils sauraient que la diminution de la durée du travail s’est accompagnée d’un formidable accroissement de la production : de 1960 à 1990, en dépit de la croissance démographique, la production mondiale par habitant a été multipliée par 2,5. En France, entre 1988 et 1998, le PIB s’est accru de 1.350 milliards de francs, soit en moyenne 200 francs par personne et par mois. Aux États-Unis en 20 ans, il a augmenté de 75%, ce qui correspond à un accroissement de richesse de 2.000 milliards de dollars.

En 30 ans, la production alimentaire mondiale est passée de 2.300 kilocalories quotidienne par individu à 2.700 kilocalories, soit respectivement de 90% à 109% des besoins fondamentaux. Ces chiffres démentent les prévisions alarmistes de ceux qui proclament que le monde court à la famine. En fait le seul problème est celui de la distribution de cette production. Partout, ces résultats ont été obtenus avec un nombre d’agriculteurs de plus en plus réduit : aux États-Unis, la proportion d’agriculteurs est passée de 70% de la population en 1850 à 2,7% aujourd’hui ; en France le pourcentage de la population agricole est tombé de 26,7% en 1954 à environ 4% en 1996 alors que la production agricole a plus que doublé entre 1946 et 1996.

Manifestation des ouvriers en 1936, chez Renault à Boulogne-Billancourt.

Bref, le monde est véritablement entré dans une société d’abondance mais les économistes continuent à utiliser des lois nées et adaptées à une époque de rareté.

En fait, « l’État capitaliste a toujours favorisé les producteurs dont il est l’émanation, sans quoi, grâce à l’impôt, il aurait pu jouer le rôle de répartiteur du revenu national et corriger les injustices sociales. Mais pourquoi l’État prendrait-il l’intérêt du consommateur ? Ce serait une attitude inconcevable en régime de rareté. […] En effet, ceux qui possèdent quelque chose voulant que ce quelque chose conserve de la valeur, il faut donc qu’il reste rare. Et cette préoccupation inspire toute la politique libérale qui n’a pour objet que de prélever sur les pauvres pour mieux doter les riches [1] ».

C’est en pratiquant une telle politique que les 2.000 milliards de richesses supplémentaires créées en 20 ans aux États-Unis se sont accompagnées d’une baisse de 20% des salaires, alors que plus de la moitié de ces richesses a été accaparée par 1% de privilégiés.

On peut craindre que les projets économiques de notre nouveau gouvernement n’aient pour but de nous amener à la même situation : flexibilité, précarité, réduction de la protection sociale, … pour la grande majorité de la population (“la France d’en bas”), et accroissement de la richesse pour une minorité de possédants. Et, cerise sur le gâteau, pour les entreprises privées, démantèlement des services publics. Mais soyez sans crainte, “la France d’en haut” a déjà trouvé une excuse : c’est Bruxelles qui nous impose ces mesures.

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[1] Jacques Duboin, Rareté et abondance, éd. OCIA, 1945.

[2] Le Monde-Économie, L’État, le capitaliste et l’ouvrier, 19 juin 2002.

[3] Sous la monarchie de juillet (1830-1848), seuls les riches ont le droit de voter !

[4] Ce fut la revendication la plus importante du syndicalisme à partir du 1er mai 1891. Elle aboutit à une loi, en avril 1919, fixant à 8 heures la durée de la journée de travail, sur la base de 6 jours par semaine.

[5] René Passet, Le Monde Diplomatique, juillet 1997.

[6] André Gorz, Misères du présent, richesses du possible, éd. Galilée, 1997.

[7] Roger Sue, Temps et ordre social, éd. PUF, 1994.

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Fermeté et ouverture...

par C. ECKERT
14 janvier 2007

« Nous agirons avec fermeté et avec ouverture »

… C’est ce que l’on a pu entendre de la bouche de Jean-Pierre Raffarin lors de sa déclaration du 16 juin, au soir du deuxième tour des élections législatives.

Le Petit Robert définit la fermeté par « état de ce qui est assuré, décidé », « qualité d’une personne que rien n’ébranle » ou encore « qualité d’une personne qui a une autorité sans brutalité ». De son côté, l’ouverture peut être une « qualité de l’esprit ouvert » ou un « premier essai en vue d’entrer en pourparlers ». Comment peut-on être assuré, décidé, autoritaire et à la fois avoir l’esprit ouvert ? Comment quelqu’un que rien n’ébranle peut-il en même temps envisager d’entrer en pourparlers ? C’est ce que Jean-Pierre Raffarin a assurément oublié de nous expliquer.

Avec fermeté les jours pairs et avec ouverture les jours impairs, à moins que ce soit le contraire ? Avec fermeté pendant les heures d’ouverture et avec ouverture pendant les heures de fermeture, ou l’inverse ? Plutôt qu’une variation dans le temps, il s’agira plus sûrement d’une sélection à la tête du client comme cela se pratique déjà couramment. La fermeté pour les futurs retraités et l’ouverture pour les détenteurs de stock-options. La fermeté pour les pays endettés et l’ouverture pour les banques et autres groupes financiers en faillite. La fermeté pour les arracheurs de maïs transgénique et l’ouverture pour les membres de la FNSEA qui insultent la ministre et saccagent son bureau. La fermeté pour José Bové et l’ouverture pour Total-Fina-Elf et les dirigeants de l’usine AZF de Toulouse. La fermeté pour les sauvageons et l’ouverture pour les délinquants financiers et les ministres mis en examen. La fermeté pour les victimes de la double peine et l’ouverture pour les violeurs blondinets. La fermeté pour les Palestiniens et l’ouverture pour les Israéliens. Etc. Au train où vont les choses et compte tenu du paysage politique des prochaines années, cette liste s’allongera certainement beaucoup d’ici la fin de la législature qui commence.

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Aux grands mots, les grands remèdes..

par G.-H. BRISSÉ
14 janvier 2007

Qui gouverne la planète dans le temps présent ? Le président G.W.Bush ? M. Poutine ? Vous n’y êtes pas ! Les vrais maîtres du monde contemporain se nomment Charles Dow et Edward Jones, deux économistes, collaborateurs du Wall Street Journal, qui créèrent, le 26 mai 1886, sur la base de douze valeurs industrielles (aujourd’hui, trente) un indicateur plus connu sous l’appellation de “Dow-Jones” ! Les spéculateurs de la Terre entière ont, en permanence, les yeux braqués sur cet indice. Le “Dow-Jones”, sa monnaie de référence, le dollar, et les marchés financiers qui les sous-tendent, constituent le nec plus ultra de l’économie mondiale, et des échanges inter et transnationaux. Aucun gouvernement ne peut survivre sans l’aval préalable des “marchés”. Pieuvre tentaculaire, Big Brother anonyme, avec sa cohorte de technostructures, d’experts et d’analystes financiers, de spéculateurs et autres “golden boys” et “raiders” patentés, d’opérations de marketing savamment orchestrées, qui font et défont les fortunes, les gouvernements et jusqu’aux organismes internationaux...

L’heure a sonné de la mondialisation de l’économie par sa globalisation (de l’américain “globalization”) avec l’abolition des frontières, l’aménagement du “village planétaire”, qui a ses lois propres, ses règlements, ses comportements uniques, et uniformes.

Les grandes métropoles sont truffées de ces immeubles sans âme, de verre, d’acier, de béton, climatisés, aseptisés, lotis dans un écheveau d’autodromes empuantis, où s’élabore sur des claviers d’ordinateurs, le monde idéal, d’aujourd’hui et de demain, vu et corrigé par une “jet-set” apatride.

Univers virtuel, reconstitué en permanence sur logiciels, sur écrans d’internet et d’intranet. On y explore toutes les stratégies possibles de rentabilité financière immédiate et maxima, de recherche d’une meilleure productivité à travers les études de marketing et la politique de flux tendus, d’exploitation spatiale des ressources humaines par la flexibilité.

La dictature des “marchés” s’est imposée [1] insidieusement au fil des ans, prenant le pas sur celle, présumée, du prolétariat. Un prolétariat dispersé et écartelé, désormais dépourvu d’objectifs concertés, destructuré, sans squelette, condamné à l’errance, à la mobilité forcée, aux “petits boulots”, au télétravail intérimaire, au chômage intermittent, à l’exclusion sociale, à la merci permanente du nouveau Minotaure, évacué à la marge par l’avancée du machinisme, de l’automatisme, de la cybernétique, de l’électronique, de la robotique, autrement dit par la révolutionique - la révolution technologique, bras armé du nouvel ordre mondial.

Il faut se rendre à l’évidence : le libéralisme économique a basculé dans le “néo” et dans “l’ultra”. Comme toute idéologie dominante, il ne connaît plus de bornes. Peu importe le sort de l’Humanité, pourvu que Messieurs Dow et Jones grimpent vers les sommets, que les Bourses de la planète, reliées par des communications circulant à la vitesse de la lumière, enregistrent des profits, que les grands équilibres financiers soient respectés.

Cette logique et son mécanisme implacable et eschatologique, ont fait gloser un sociologue américain, M. Francis Fukuyama, sur “La fin de l’Histoire”. L’Histoire n’a plus de sens, puisqu’elle est désormais accomplie, grâce à l’hydre de l’économie de marché qui étend ses tentacules sur la planète entière.

Toutefois, l’évolution actuelle laisse à penser que l’histoire de l’humanité négocie un tournant vertigineux vers un nouveau type de civilisation dont nous n’entrevoyons que les prémices.

Le credo de l’économie de marché

Le credo libéral peut se résumer à l’origine aux formulations de Turgot : “laisser faire, laisser passer”, et encore de Guizot : “enrichissez-vous” ! Chaque individu, considéré comme “rationnel”, prend logiquement les meilleurs décisions pour défendre ses intérêts propres, et la situation de tous s’améliore forcément. L’intérêt individuel mène automatiquement à l’intérêt général, comme guidé par “une main invisible” (Adam Smith). L’égoïsme de l’homme motive seul son activité économique. La liberté économique mène à l’efficacité et à la prospérité.

Pour les chantres de l’ultra-libéralisme, le libre jeu de la concurrence sur le marché est donc le seul moyen de parvenir à la prospérité générale et au bonheur de tous.

L’ultra-libéralisme a conquis ses lettres de noblesse avec Milton Friedman. Enseignant jusqu’en 1977 à l’Université de Chicago (ses adeptes furent dénommés par la suite “les Chicago Boys”) il n’a cessé d’exalter les bienfaits du marché et dénoncé les méfaits de l’interventionnisme public. Ses recettes : suppression du salaire minimum, privatisations, baisse de l’impôt, réduction des dépenses publiques, notamment à caractère social, libre convertibilité de la monnaie, réduction progressive de la masse monétaire. Cette médecine de choc a fait florès au Chili sous le régime du général Pinochet, puis aux États-Unis, avec Ronald Reagan, au Royaume-Uni avec Margaret Thatcher. Elle a largement inspiré le traité de Maastricht, alimente l’actuel Pacte de stabilité européen et sous-tend ce que d’aucuns dénomment aujourd’hui “la bonne gouvernance”.

L’expérience a cependant montré que la réalisation de l’équilibre s’opère sur des bases très restrictives et trop éloignées de la réalité. Le marché ne peut exister sans relations non marchandes préalables. Le seul jeu de la concurrence ne permet pas forcément aux individus d’agir au mieux de leurs intérêts personnels et collectifs. L’économie est tissée de relations marchandes et non marchandes, individuelles et communautaires, qui ne peuvent exister les unes sans les autres.

La mondialisation de l’économie, telle qu’elle s’amplifie actuellement, se résume dans la réalité à une dangereuse logique d’accaparement et de puissance. Elle est à l’œuvre dans le phénomène capitalistique, qui a besoin d’entrepreneurs ayant une vision sur le long terme, et non de spéculateurs qui jouent au casino.

C’est essentiellement la gestion de la dette publique des États et des fonds de pension pour les retraites (selon le système anglo-saxon) qui alimentent les quelque 1.500 milliards de dollars, soit l’équivalent du PIB annuel de la France, qui circulent quotidiennement sur les places financières. Le volume des transactions sur les produits dérivés (produits financiers sophistiqués tels les swaps, options, contrats sur taux, sur devises, sur indices boursiers, dérivés des actions, obligations, devises) atteint des sommes astronomiques.

Dans cette société du casino, Wall Street, première place boursière du monde, se taille la part du lion : le cours des actions y est en moyenne vingt fois supérieur aux bénéfices des entreprises cotées.

Le système génère une stérilisation de masses financières considérables, qui devraient être investies vers le logement, la protection sociale, la lutte contre la faim et les inégalités, ou les grands problèmes de l’environnement. Au lieu de quoi, elles sont détournées de leur mission initiale, de manière contre-productive.

On en arrive à cette situation aberrante que les ressources financières de 358 privilégiés de la fortune dans le monde sont équivalentes à celles des 2,3 milliards de personnes les plus pauvres.

L’absence de mécanismes de régulation et de re-distribution réserve les formidables gains de richesse et de temps à une infime minorité de la population mondiale. Et cette minorité est, en un sens, malade de son abondance, car elle vit dans une misère spirituelle et affective au moins aussi intense que les 2 milliards qui souffrent directement de pauvreté et de misère matérielle !

Pendant que les 20% les plus riches du monde se partagent plus de 80% du PIB universel, le nombre de pauvres s’accroît au rythme de la population planétaire, soit 2% l’an. Un milliard et demi d’êtres humains subsistent à la limite du seuil de survie (cf : les annuaires des Nations Unies et de la Banque Mondiale).

Périls en la demeure

L’instabilité des changes et des taux d’intérêts, l’extension des produits financiers complexes destinés à y faire face, la multiplication des acteurs et l’extension de leurs liens à l’échelle planétaire, tendent à fragiliser le monde financier.

Les risques de crise se mesurent à l’aune des opportunités de profits permises par la spéculation. Le comportement moutonnier des acteurs lié à la recherche de gains spéculatifs va se traduire par une déconnexion entre la valeur des actifs sur les marchés financiers et leur rentabilité réelle. On perçoit mieux ainsi les risques de faillite du système.

Quand les taux d’intérêt sont supérieurs au taux de croissance nominal (taux de croissance en volume ajouté au taux d’inflation) la sphère financière assèche l’économie réelle et la pousse vers la récession en espérant plus d’argent qu’il ne se crée de richesses nouvelles. Même les entreprises industrielles ont alors intérêt à placer leur liquidités sur les marchés financiers plutôt qu’à investir. La hausse des taux d’intérêt augmente le coût des déficits publics, diminuant les marges de manœuvre de la politique budgétaire. S’y ajoute la désinflation compétitive, qui mène à la récession.

Cette logique-là débouche sur un capitalisme sans capitalistes, sans investissements, purement spéculatif. L’exemple caricatural en est ce qu’il fut convenu de dénommer “la nouvelle économie”, avec ses excroissances cancéreuses des “start-up”, ces “jeunes pousses” évanescentes, purement spéculatives.

Le gonflement artificiel de la bulle financière reflète le surendettement généralisé des gouvernements, des entreprises, des ménages.

Le montant de la dette de tous les pays riches atteint des taux qui donnent le vertige. Aux États-Unis, il atteint plus de 70% du PIB. Nous ne mentionnerons que pour mémoire le gouffre sans fond de la dette des pays les moins avancés, tout juste en mesure de limiter leurs remboursements à ses seuls intérêts. La France à elle seule doit emprunter 530 milliards de francs en moyenne par an, dont 30% souscrits sur des fonds étrangers. Il est clair qu’elle ne parviendra pas à répondre aux exigences des critères de convergence formulés par le traité de Maastricht et le Pacte de stabilité européen. Tôt ou tard, ces traités devront être renégociés.

On assiste en outre à une dépendance stratégique accrue de chaque économie à l’égard du commerce international, dont 60 % s’opère aujourd’hui entre pays industrialisés, alors que ceux-ci représentent 20 % de la population mondiale.

Cette course à l’endettement est insupportable pour tous. C’est une véritable spirale infernale. Le seul remboursement de la dette dans les pays pauvres provoque des coupes budgétaires dramatiques dans les investissements publics : infrastructures, écoles, santé.

En contrepartie, les réserves monétaires mondiales des banques centrales sont estimées à plus de 1.500 milliards de dollars !

L’économie mondiale danse sur un volcan. L’essor du commerce international reflète pour partie l’internationalisation croissante des entreprises : 40% des échanges mondiaux de marchandises sont aujourd’hui liés aux 40.000 multinationales et à leurs 270.000 filiales. D’où l’orientation vers de monstrueux oligopoles, un phénomène de concentration qui se traduit par la multiplication des fusions et acquisitions, avec leur douloureuse interface : les fermetures d’entreprises, les licenciements massifs, dits “boursiers”.

La globalisation financière, liée à la libéralisation des mouvements de capitaux et justifiée théoriquement par le souci de permettre une réduction des taux d’intérêts et une orientation de l’épargne là où elle est la plus utile, se traduit par une unification croissante des marchés (du fait de l’homogénéisation des modes de production) mais aussi des biens de consommation en raison de l’extension du mode de consommation occidental. Loin de se cantonner aux seuls produits industriels, l’ouverture des marches s’étend aujourd’hui à un nombre croissant de services : transports, énergie, santé, télécommunications, services financiers.

Les firmes transnationales ont désormais la capacité de déplacer leurs sites de production d’un pays à l’autre sans crier gare. Le capital est devenu totalement mobile, cherchant en permanence la meilleure rentabilité au mépris de la pérennité de l’emploi. L’accroissement de la taille des entreprises et leur mobilité est donc tout à la fois une conséquence et une cause de l’ouverture des marchés.

Il est clair que ces derniers imposent de plus en plus leur diktat. Les gouvernements entre leurs mains ne sont plus que des marionnettes, des chambres d’enregistrement. Les États sont tous endettés, les déficits budgétaires colossaux ; ils sont contraints en permanence à recourir à l’emprunt.

Les marchés n’ont que faire d’un volet social. Ils saluent favorablement les diminutions ou limitations de salaires, les réformes sociales restrictives, les “plans sociaux” et autres “dégraissages”. La diminution du chômage est perçue par les milieux boursiers comme un mauvais présage : si les salaires risquent de croître, la Bourse baisse !

L’autonomisation accélérée de la sphère financière par rapport à la sphère marchande, consécutive à l’effondrement du système de Bretton Woods qui préconisait le maintien de parités fixes, a donc des conséquences incalculables, dont on commence seulement à mesurer les sinistres effets. L’émergence d’une sphère financière privée a progressivement dépossédé les États de la plupart de leurs prérogatives dans ces domaines ; les moteurs du processus de globalisation témoignent d’un retrait en ordre dispersé des États devant la puissance de la dynamique d’intégration. On assiste à l’érosion de la volonté politique, à la montée de l’irresponsabilité, et à un lent travail de sape de l’autorité des gouvernements.

Des conséquences incalculables

Le processus d’affaiblissement des États, dont on commence seulement à mesurer l’ampleur, favorise l’insurrection de peuples dont la zone d’influence outrepasse souvent des frontières tracées artificiellement au gré des traités inter-nationaux.

Sous les coups de boutoir de la mondialisation de la communication, s’esquisse un processus d’érosion et parfois de destruction de la plupart des cultures, du Nord comme du Sud, donc une profonde déculturisation des sociétés soumises au joug de la “communauté mondiale”. Pour faire face à la montée de valeurs nécessairement englobantes et homogénéisantes, les peuples résistent en tentant de protéger leurs propres valeurs de cultures nécessairement diversifiées. Une nouvelle résistance est engagée, qui vise à exister en se différenciant des autres et en conservant son originalité.

Les réflexes de défense suscitent une fièvre de protection territoriale, de la langue traditionnelle, des pratiques religieuses, rites et coutumes qui permettent à chaque peuple de conserver son identité culturelle. Mais cette peur risque aussi de déboucher sur un enfermement nationaliste, sur un intégrisme religieux dominant la politique. Au plan politique, elle donne du grain à moudre aux démagogues populistes extrêmes, de droite comme de gauche ; dans le domaine religieux, elle favorise l’enfermement dans des sectes.

À la globalisation répond l’atomisation. Des forces d’auto-désorganisation sont à l’œuvre un peu partout : en Europe, dans la CEI, en Afrique, en Asie, en Amérique latine. D’un côté, des entités supra et transnationales tentent de se bâtir, pensées et programmées par des experts fort éloignés de la vie des populations concernées.

De l’autre, des nations se fractionnent en pays qui s’opposent, luttent et s’éloignent en raison de conceptions religieuses à vocation fondamentalistes ou intégristes, économiques, culturelles ou linguistiques inconciliables.

Au village planétaire global imaginé par les technocrates de la finance, s’oppose de plus en plus ouvertement une constellation d’identités régionales en quête de sens.

Si rien n’est entrepris pour réguler et maîtriser ce mouvement, pour anticiper et accompagner les mutations en cours, il faut s’attendre à une extension des conflits, des guerres locales et civiles inextricables, aux transferts massifs de populations, à la montée des actes de subversion et de terrorisme, et de grande criminalité.

En soutien à cette évolution, le commerce des armes n’a jamais été aussi florissant ! Le libre marché, l’abolition des frontières contribuent à son expansion : il est évalué à plus de 65 milliards de dollars annuels, pour des dépenses militaires globales de l’ordre de 1.000 milliards de dollars par an, soit un flux de dépenses de l’ordre de 2 millions de dollars à la minute !

Aux plus beaux jours de la guerre froide, des milliers de milliards de dollars ont été consacrés à la mise en chantier d’un armement atomique, puis nucléaire, ultra-sophistiqué. On s’aperçoit, aujourd’hui, de la parfaite inanité de cette panoplie insensée [2]. Mais le désarmement progressif et universellement contrôlé coûte encore plus cher, y compris à travers les dégâts humains du nucléaire. La destruction des stocks d’armes bactériologiques, chimiques, des mines, l’interdiction de leur production et de leur commercialisation, n’en sont encore qu’à leurs premiers balbutiements.

Une autre conséquence de la mondialisation des marchés est l’extension et la montée en puissance de la corruption et de la prolifération des mafias. Cette tendance est favorisée par l’abandon des missions de service public et par la course à l’affairisme. L’internationalisation des affaires a ouvert à la grande criminalité financière des capacités de développement illimitées, sans sanctions, notamment par l’intermédiaire des “paradis fiscaux”. La privatisation accélérée des services publics a transformé les États et les collectivités locales en distributeurs de marchés à des concessionnaires ou fournisseurs privés.

Aux États-Unis, on estime à 80.000 le nombre de lobbies (groupes de pression financiers en poste à Washington pour faire pression sur 535 parlementaires).

Ce processus favorise le développement de véritables réseaux structurés de corruption. La mondialisation des affaires met de plus en plus ouvertement en contact les mécanismes et agents de la corruption nationale avec les circuits internationaux de la criminalité financière. Les techniques et montages d’opérations de blanchiment de l’argent sale sont mise en place sur toute la planète par les établissements financiers, leurs réseaux de filiales et correspondants dans les paradis fiscaux et à travers les sociétés écrans “off shore”.

Le marché mondial de la drogue est estimé à 700 millions de dollars, et les flux financiers qui s’alimentent à ces réservoirs “pèsent” quelque 50 milliards de dollars par an !

Quant au chiffre d’affaires des organisations criminelles, il est évalué, selon l’ONU, à quelque 1.000 milliards de dollars.

Il est vrai que l’accroissement de l’insécurité et de la criminalité alimente la fortune d’entreprises spécialisées, de plus en plus présentes sur le marché : milices privées, réseaux de vigiles, de télé-surveillance, de gardiennage, fabriques de portes et véhicules blindés, équipement vidéo, domotique, télé-alarme, bunkers électroniques, cités modèles avec système de sécurité privée, type : “sécurit ville” aux États-Unis.

En résumé, de cette première ébauche d’une analyse incomplète de l’évolution planétaire, nous pouvons d’ores et déjà tirer des leçons quant aux problèmes qui se posent au quotidien à nos compatriotes, à la manière de les aborder et de tenter de trouver des solutions. Nous constatons simplement que les principaux acteurs d’une campagne électorale surréaliste se sont bien gardés de les évoquer. Comment pouvons-nous espérer, dans ces conditions, que ce scrutin (présidentiel, législatif) puisse déboucher sur une métapolitique doublée d’une praxis pour notre temps, à la hauteur des exigences du XXlème siècle ?

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[1] NDLR. La façon dont cette dictature a été préparée, puis s’est répandue, est exposée dans un excellent petit livre de Keith Dixon intitulé Les évangélistes du marché. édition Raisons d’agir.

[2] NDLR. Ce qui n’a pas empêché le gouvernement de B.Clinton de relancer la “guerre des étoiles”, relance encore accélérée maintenant par son successeur.

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Témoignage

Le ciel me tomberait-il sur la tête ?

par M. LAURENT
14 janvier 2007

Je ne suis pas peureuse, je ne l’ai jamais été et, pourtant en ce matin du 11 mai 2002, j’ai peur.... Une peur confuse, un peu celle des Gaulois redoutant que le ciel ne leur tombe sur la tête. Après une nuit où mon fragile sommeil a été perturbé par le rappel inquiétant des évènements récents, je me réveille sous un ciel d’apocalypse, inhabituel ici. Dans le pré voisin, un oiseau répète inlassablement un cri que je n’avais jamais entendu. Quel est-il ? Qu’annonce-t-il ? Deviendrais-je superstitieuse ?

Hier, les médias annonçaient l’entrée en force du Parti de Pim Fortuyn aux Pays-Bas, une des contrées les plus riches du monde... Il y a là de quoi déculpabiliser la gauche évincée du pouvoir le 21 avril ; car, quoi qu’elle eût “osé” suivant le conseil donné par Ph. Robichon [1] à Lionel Jospin en 1997, elle n’eût, sans doute, pu résister aux coups de boutoir de l’extrême-droite, soutenue par la force occulte de grandes fortunes et de certains mouvements religieux foncièrement sectaires (vis-à-vis du communisme en particulier... et de la démocratie), mais se voulant chrétiennement moralisateurs.

J’ai eu, localement, l’occasion de voir progresser cette “taupe”, et je l’ai dénoncée tant que j’ai pu, mais sans arriver à inquiéter vraiment une société dépolitisée, individualiste, corporatiste, désarmée par la facilité économique des Trente Glorieuses. Le Dauphiné Libéréde ce 11 mai analyse assez bien la mentalité d’une certaine partie de la population : « On a peur de perdre cette prospérité que l’on veut sans limites » ; alors un slogan percutant comme : « Le Tiers Monde nous attaque ! » provoque une crispation contre les immigrants.

L’attentat de Karachi, au Pakistan, à quelques jours des élections législatives en France, ne vient rien arranger. Mais au fait, que faisaient nos ingénieurs français là-bas ? — Ils participaient à la construction d’une arme de guerre, un sous-marin redoutable. Avec l’aide financière de qui ? — ... Et que fait-on pour lutter contre le courage démentiel des kamikazes islamistes ? — Sûrement pas la paix, car elle ne pourrait renaître que sur des notions mondiales de justice, de solidarité, de partage.

À la veille de l’élargissement de l’Europe à des peuples moins riches que nous, une telle mentalité, parmi les nantis, ne peut qu’inquiéter !

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[1] Voir Lionel J’ose pas, GR 1021, p.3.

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