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   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
 
 
 
 
 
AED La Grande Relève Articles > N° 1071 - décembre 2006

 

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N° 1071 - décembre 2006

Au fil des jours   (Afficher article seul)

En France, les économistes n’aiment pas la décroissance, et les prévisionnistes du Trésor sont optimistes… pour 2025 ! En Allemagne, on commence à penser que le progrès technologique pourrait résoudre les problèmes financiers des retraites et de la santé !

Intoxication ? Non, empoisonnement !   (Afficher article seul)

Jean-Pierre Mon s’appuie sur deux exemples récents pour montrer comment la grande presse tente, insidieusement, de faire croire qu’il n’y a pas d’alternative à l’économie de marché.

Flexibilité, mais pour quelle sécurité ?   (Afficher article seul)

Roland Poquet réplique à Michel Onfray : la flexibilité du travail n’est acceptable que s’il y a sécurité du revenu.

Monnaies sociales et construction de l’utopie   (Afficher article seul)

Un sauvetage fort discret   (Afficher article seul)

Richard Duncan révèle comment le dollar fur sauvé, en 2003-04, par le Japon, à la demande de celui qui est devenu, depuis, le président de la Réserve fédérale.

Un Nobel de littérature s’exprime sur la démocratie “moderne”   (Afficher article seul)

Prévisions d’un grand esprit    (Afficher article seul)

Marie-Louise Duboin analyse la “brève histoire de l’avenir” que trace J.Attali : hyperempire, hypersurveillance, puis hyperconflit, quand la première des libertés sera celle de tuer, avant le salut de l’hyperdémocratie… par le microcrédit.

Comment voir l’avenir… ?   (Afficher article seul)

L’apprentissage dès 14 ans ?    (Afficher article seul)

Le playdoyer de Philippe Meirieu pour que l’École de la République ne se résigne pas à former des citoyens à deux vitesses.

...   (Afficher article seul)

Croissance, productivité : concepts dépassés ?   (Afficher article seul)

Jean Gadrey montre que les notions telles que “gains de productivité, sources de croissance” n’auront plus de sens avec les emplois de demain.

La grande relève, c’est MAIN-TE-NANT.   (Afficher article seul)

Marc Dehousse invite les lecteurs à agir dès aujourd’hui grâce à internet et il leur explique comment s’y prendre, car il leur a préparé le terrain et fait le chemin.

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Chronique

Au fil des jours

par J.-P. MON
9 décembre 2006

Encore une exception française

Dans sa chronique du Monde des 12-13 novembre, Eric le Boucher dénonce « la salade verte, arrosée par Dieu et Malthus, idéologisée, qui séduit la France où l’écologie est devenue la dernière manière de lutter contre le capitalisme ». Il appelle « salade verte » l’idée des écolos français de montrer l’exemple en matière de réduction des émissions de CO2. Le cœur de leur stratégie serait, se moque-t-il : « avoir mauvaise conscience, se serrer la ceinture, entrer volontairement dans la “culture de la modération”. Au besoin, il faut contraindre les récalcitrants par la force (à Paris, par exemple). Les hommes roulent-ils toujours en 4x4, veulent-ils la clim (parce que justement, il commence à faire chaud, vous ne trouvez pas ?) et la Terre continue-t-elle de bouillir ? C’est parce qu’on n’a pas assez expliqué, que la prise de conscience n’est pas assez haute dans la hiérarchie de l’État, que le capitalisme et les industriels refusent de “produire autrement” et de faire “des produits qui soient réparables”. Changeons le capitalisme, diminuons la croissance ! » Cette “salade verte”, toujours d’après E. Le Boucher, n’aurait aucune chance de convaincre ailleurs. La preuve ? Je le cite encore : « c’est une version première (et encore douce) de cette stratégie qui a présidé au fameux protocole de Kyoto… Le malheur est que ça n’a pas marché puisque les États-Unis n’ont pas ratifié le protocole, que le Canada vient de s’en retirer, qu’aucun pays émergent n’est concerné alors que la Chine deviendra la plus grosse pollueuse dans dix ans ». Pour que ça ne soit pas un échec il faut que tout le monde participe, qu’il n’y ait pas de resquilleur. « La méthode du cri d’alarme, de l’exemplarité et de la restriction volontaire défaille. Elle se heurte en outre, quoi qu’en disent les militants Verts à des incertitudes scientifiques ».

La solution ? Faire coopérer les États mais cela déplaît aux pays libéraux (la très grande majorité) qui craignent l’étatisme et redoutent que cela ne débouche sur un immense gâchis d’argent. Ce n’est sûrement pas en leur proposant la modération et de changer le capitalisme, nous dit encore E. Le Boucher, mais en inversant le point de vue, comme le propose l’économiste Nick Stern dans le rapport qu’il vient de remettre à Tony Blair : « Le monde n’a pas à choisir entre “éviter le changement climatique”et “promouvoir la croissance et le développement”. L’évolution des technologies énergétiques et les mutations des appareils économiques [???] font que la croissance n’est pas antinomique avec la réduction des gaz à effet de serre ».

Tout va donc pour le mieux dans le meilleur des mondes capitalistes.

Mais ces diables de Français ne le comprennent toujours pas !!!

Décroissance à l’allemande

Voilà maintenant que les Allemands commencent aussi à se singulariser : comme dans tous les autres pays de l’Union européenne, la décroissance démographique est habituellement présentée comme une catastrophe, une bombe à retardement, notamment pour le financement des retraites et les dépenses de santé. Comme le serinent partout les économistes « moins de personnes au travail, c’est moins de croissance » avec toutes les conséquences que cela implique, selon eux, pour le niveau de vie. Le cas de l’Allemagne est exemplaire : après sa réunification en 1990, c’était le pays le plus peuplé de l’Union européenne, mais aussi celui où, sauf en 1998, le nombre des décès a excédé celui des naissances. D’où la multiplication en Allemagne de colloques et ouvrages traitant du “drame démographique”.

Mais quelques voix “discordantes” s’élèvent…

Le directeur de l’Institut de recherches économiques de Hambourg pense, au contraire, que le déclin démographique est une bonne chose pour l’Allemagne : plus de problème de logement, finis les embouteillages et les amphithéâtres bondés ! « De nouvelles perspectives devraient s’ouvrir pour les jeunes, les seniors et les femmes, aujourd’hui défavorisés sur le marché du travail », écrit-il.

Pascal Hetze, expert au Centre de recherches sur le tournant démographique à l’Université de Rostock pense, lui, que les questions démographiques sont « traitées avec beaucoup trop d’intensité dramatique » car, dit-il, « on ne sait pas précisément quelles seront les retombées économiques du tournant démographique ». On ignore précise-t-il, « comment une société vieillissante se comportera, car les seniors d’aujourd’hui ne sont pas forcément représentatifs des seniors de demain ». Et, contrairement à ce que nous assènent les économistes classiques, il imagine que « le progrès technologique et l’augmentation de la productivité garantissent un certain niveau de croissance et permettent de résoudre les problèmes posés par les systèmes sociaux ». Il en déduit qu’il faut donner la priorité à l’éducation et à la formation.

Ça ira mieux demain.

Le Trésor français, qui n’est pas fichu de faire des prévisions fiables sur un an, vient de revoir à la hausse de 0,3 point la croissance potentielle de l’économie française à l’horizon 2050. Il s’appuie pour cela sur de nouvelles projections de population active de l’Institut national de la statistique et des études économiques, selon lesquelles le vieillissement de la population française serait moins marqué que prévu, de sorte que la proportion de personnes en âge de travailler augmenterait à nouveau à partir de 2020 et que la richesse par habitant s’améliorerait à partir de 2025 ! Acceptons en l’augure… !

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Actualité

Intoxication ? Non, empoisonnement !

par J.-P. MON
9 décembre 2006

On se souvient [1] que le Medef s’est vivement opposé au projet de loi du gouvernement destiné à permettre aux associations de consommateurs d’engager des “actions de groupe” contre les entreprises qui leur causent des dommages.

Il bénéficie aussi, ce qui n’a rien d’étonnant, du soutien plus ou moins affirmé d’économistes “libéraux”, comme le montre l’article publié dans la page Débats du Monde du 11 novembre, intitulé Le piège de la “class action”. Son auteur, Mathieu Lainé, « avocat et maître de conférences à Sciences Po » [2], y dénonce vigoureusement le projet du ministre de l’Économie et des finances en ces termes : « Vecteur de puissance pour l’association de consommateurs et signe de tous les dangers pour l’entreprise visée, il constituerait une atteinte grave aux principes les plus essentiels de notre procédure civile ». Rien que ça ! Et, en bon “libéral”, il s’indigne : « Comment peut-on souhaiter déresponsabiliser l’individu à un point tel que d’autres agiront désormais en justice à sa place, sans qu’il ait à y penser ni même qu’il soit au courant, pour déblayer le terrain et lui donner ensuite la possibilité d’aller tranquillement réclamer sa quote-part, sans avoir subi les risques et les coûts propres à toute action en justice ? » Diable, l’avocat raisonne comme un psychanalyste : il faut payer, et cher, pour que le traitement soit efficace ! Il n’hésite pas non plus, à l’occasion, à semer la terreur : « Donner à des associations le pouvoir de lancer des “class actions” revient enfin à leur accorder une présomption de représentativité aussi dangereuse que celle accordée en 1966 aux syndicats et à leur confier une terrible arme de destruction économique massive, dont personne ne peut aujourd’hui mesurer les effets en termes d’emploi, de croissance et de délocalisations ». Le cher maître n’y va pas avec le dos de la cuillère des poncifs libéraux et c’est peu dire ! N’en pouvant plus, il ne se retient pas et il explose : « Dans un pays qui triomphe par l’inquiétante défiance de sa population face à l’économie de marché, il est même stupéfiant que l’on entretienne les idées reçues et que l’on crée une nouvelle incitation à sortir de France sous prétexte de “créer des contrepouvoirs au libéralisme” ». Lui, bien sûr, n’a pas d’idées reçues ! Il en a même d’originales pour résoudre ces petits problèmes entre consommateurs et entreprises : « Nous avons au contraire toutes les raisons de croire dans la meilleure des régulations : la libre concurrence. Les clients sont libres d’acheter les produits à qui ils veulent. La moindre imperfection du service offert par un acteur du marché est exploitée par ses concurrents, qui sont incités à améliorer leurs prestations pour attirer les consommateurs ». C’est beau d’être jeune… mais inquiétant de penser que dans des institutions universitaire renommées de faux naïfs répandent de telles idées reçues, démenties un peu plus chaque jour par les faits.

Plus pernicieux encore : Dix-sept “experts” du Cercle des économistes, qui rassemble une trentaine de personnalités « aux horizons professionnels variés et aux sensibilités politiques différentes » [3], viennent de publier, le 2 novembre, un ouvrage intitulé Politique économique de droite, politique économique de gauche, destiné à « apporter une pierre utile aux confrontations des prochains mois ». Selon eux, l’élection présidentielle de 2007 prend un « caractère vital, compte tenu du temps qui a déjà été perdu par la France ». Ils se disent tous convaincus que « seule la volonté politique peut […] incurver la trajectoire économique qui, dans une économie mondialisée et à dominante libérale, qu’on le veuille ou non, dicte sa loi ». Autrement dit, si on les suit, tout est, a priori, verrouillé : on peut à la rigueur « incurver » mais pas changer la trajectoire économique. Forts de cette conviction, ils explorent les « degrés de liberté » qui restent aux gouvernants, puis recensent douze « grands chantiers » et une centaine de projets sur lesquels la droite et la gauche pourraient marquer leurs différences. Dans la première partie de l’ouvrage, « Agir dans les espaces de liberté et vite », les auteurs donnent « leur juste place » aux contraintes qui s’imposent à la France : ouverture aux pays émergents, concurrence fiscale, contraintes budgétaires, règles et normes du capitalisme…

À partir de cet inventaire, ils identifient les « vrais sujets » sur lesquels la France doit avancer : la réforme de l’État, la situation « insoutenable » d’un pays combinant faible durée individuelle du travail et faible taux d’emploi, la nécessité de revisiter son contrat social… Puis les auteurs passent en revue les “grands chantiers” actuels : l’entreprise, l’emploi des jeunes, l’avenir de l’université et de la recherche, la politique industrielle … Selon eux, c’est sur chacun de ces points « qu’il faut que le citoyen sache quel est le pôle qui électoralement, l’aimantera » : par exemple, le maintien du statut des fonctionnaires ou bien la réduction des personnels, la défense des 35 heures et du Smic ou bien l’allongement de la durée du travail sur la vie, la fiscalité redistributive ou bien une réduction des impôts sur le capital et une baisse des charges pesant sur les entreprises, etc. Ce sont, en effet, des « choix qui restituent une dimension politique au débat économique ». En fait, si l’on doit prendre en compte les contraintes qu’ils considèrent comme incontournables, il ne reste, pour la droite comme pour la gauche, aucun choix possible, c’est la régression économique et sociale qui nous attend.

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[1] Voir GR 1068, août-septembre 2006, page 2.

[2] Certains cumulent les emplois… M Lainé ne doit être que l’un des 1.434 enseignants vacataires que compte Sciences Po, où il n’y a que 66 enseignants titulaires.

[3] Le Monde, 04/11/2006.

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Réflexion

Flexibilité, mais pour quelle sécurité ?

par R. POQUET
9 décembre 2006

Dans le numéro 435 de Res Publica, Michel Onfray a écrit que « la flexibilité était nécessaire au monde de l’entreprise si on l’assortit à la sécurité du travail, de l’emploi, des salaires ».

Ce point de vue me paraît relever d’une vision contradictoire de la réalité. Ainsi que l’expérience nous le prouve, flexibilité a de la peine à rimer avec sécurité. L’entreprise qui, par nécessité dans ce monde soumis à la rentabilité et à la concurrence, joue de la flexibilité n’a pas pour vocation de stabiliser le marché du travail, de garantir un emploi pour tous et de fournir des salaires à ceux qui ont perdu leur emploi.

J’aurais beaucoup mieux saisi sa pensée (sans doute inconsciemment imprégnée des discours officiels) si Michel Onfray avait remplacé « sécurité du travail, de l’emploi, des salaires » par « sécurité du revenu ». En raison de l’irruption des nouvelles technologies, le problème de l’emploi ne sera plus jamais résolu : par voie de conséquence, en même temps que la notion de travail perdra de sa valeur, les salaires seront de moins en moins présents dans la richesse nationale. Ils ne représenteront bientôt plus que la moitié de celle-ci, le capital s’employant à accaparer la seconde moitié !

Supposons un instant que chacun reçoive, du berceau à la sépulture, un revenu garanti par la richesse créée par notre génération et, ne l’oublions pas, par toutes celles qui l’ont précédée, revenu distribué indépendamment du travail fourni et selon d’autres référents à définir : il reviendrait à des instances démocratiques placées sous l’autorité du Parlement de répartir les différents temps de vie : temps d’éducation, temps de formation et de travail, temps libéré …

Soyons clairs. Malgré les efforts déployés depuis une trentaine d’années par tous ceux qui sont en mesure de peser sur le monde du travail, il faudra bien un jour s’interroger sur la façon de rompre le lien qui unit travail et revenu. Les désordres sociaux de plus en plus graves que nous déplorons actuellement sont la preuve aveuglante que l’absence de travail, et donc de revenu, chez quelques millions d’individus définitivement précarisés, entraîne nos sociétés vers le chaos.

Utopique cette rupture du lien qui unit présentement travail et revenu ? C’est oublier que Marx l’avait prévue dès le milieu du XIXème siècle [1] ! Dans ses Principes qui datent de 1857 à 1859, mais qui n’ont paru qu’en 1953 sous le titre Grundrisse, Marx écrit notamment ceci : « À mesure que la grande industrie se développe, la création de la richesse vraie dépend moins du temps et de la quantité de travail employée que de l’action des facteurs mis en mouvement au cours du travail dont la puissante efficacité est sans commune mesure avec le temps de travail immédiat que coûte cette production … » puis il tire de ce constat une conclusion d’une portée incalculable : « La distribution des moyens de paiement devra correspondre au volume de richesses socialement produites et non au volume de travail fourni ».

Vous avez bien lu : distribution des revenus et non échange travail-revenu.

Nous sommes à la croisée des chemins. Faut-il, prioritairement, sauver l’entreprise et ses produits surabondants en y introduisant de plus en plus de flexibilité, ou sauver l’individu en lui accordant le droit de vivre décemment ?

Le capitalisme actionnarial, qui régit présentement nos sociétés d’opulence, provoque une concentration des capitaux et des richesses chez une infime minorité de la population. Professions libérales, classes moyennes et retraités ne relèvent la tête que de façon sporadique puisqu’à longueur de journée les medias leur rappellent que libéralisme rime avec liberté. Si le dynamisme de l’économie de marché n’est plus à démontrer, la réalité nous amène à constater que son dysfonctionnement devient de plus en plus meurtrier.

La solution ? Elle sera faussée si elle est dictée par la “révolte des gueux”. Elle aura une chance d’apparaître si un certain nombre d’intelligences qui refusent le discours ambiant se mettent à penser et à parler avec vigilance et en toute indépendance. Les écrits de M. Onfray témoignent de ces deux qualités que j’apprécie au plus haut point.

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[1] Nous devons la révélation qui suit à André Gorz.

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Un entretien avec Heloïsa Primavera

Heloisa Primavera achève actuellement un Doctorat à la Faculté des Sciences Économiques de l’Université de Buenos Aires, où elle est Professeur en Maîtrise d’Administration Publique et Directeur du Programme de Recherche et Développement intitulé “Monnaies Complémentaires et Économie Sociale”. On peut découvrir son activité relative à l’économie solidaire aux adresses suivantes sur internet www.redlases.org.ar ou info@redlases.org.ar .

Rappelons qu’Heloisa Primavera est, par sa formation, biologiste moléculaire et généticienne (étude des virus). Convertie en sociologue sous la pression de sa vie en Amérique Latine, elle a vécu la crise de 2001 en Argentine.

Nous lui sommes très reconnaissants d’avoir bien voulu répondre, et avec tant de sincérité et de finesse, à quelques questions que nous nous posions sur cette période et sur la réaction du peuple argentin.

Monnaies sociales et construction de l’utopie

9 décembre 2006
La Grande Relève : Toi qui as vécu la terrible crise qui a secoué l’Argentine en 2001, peux-tu nous dire ce qui, avec le recul, te paraît le plus important de cette expérience de prise en mains de son économie par la population elle-même ?

Héloïsa Primavera : Tout d’abord je voudrais remercier l’occasion d’être présente dans les colonnes de La Grande Relève, car la pensée de Jacques Duboin est sans doute une des plus importantes, non seulement en langue française mais aussi dans le monde, par son caractère précurseur, par sa complexité et sa finesse à la fois. Car il a défini, dès les années 1930, les concepts de rareté et abondance en économie, concepts qui ont du attendre près de soixante dix ans avant d’être repris par d’autres auteurs contemporains, impliqués dans le processus de redéfinition de la monnaie afin de bâtir une société plus juste et équilibrée.

Je remercie donc très spécialement mon amie Marie-Louise Duboin, qui joue un rôle fondamental dans le maintien de ces idées inspiratrices, car les changements de paradigme – puisque finalement c’est bien de cela qu’il s’agit ! – exigent de longues années.

Pour répondre à la question qui concerne la crise argentine de l’année 2001, je commencerai par rappeler quelques chiffres et donnés historiques, qui aideront peut-être à mieux comprendre ce qui s’est passé :

1976 - 1983 : Période de la dictature militaire, la plus sanglante de l’histoire de l’Argentine. Cette dictature a fait disparaître plus de 30.000 personnes pour imposer un plan économique de concentration de la richesse ; pour différentes raisons, ce plan a échoué et la malheureuse Guerre de l’Atlantique Sud (que nous appelons “des Îles Malouines” et pas des “Falkland”) a précipité le retour à la démocratie.

1983 - 1989 : Le parti politique de centre-gauche qui a triomphé n’a pas pu assurer la stabilité économique qu’il aurait voulue. Dans un contexte d’appauvrissement de la population et de réduction du rôle de l’État, avec des politiques fiscales imposées par le Fonds Monétaire International et la Banque Mondiale, sous prétexte d’une l’énorme dette extérieure, que ces institutions internationales avaient elles-mêmes générée, le gouvernement a dû partir avant la fin de sa période constitutionnelle, à cause du chaos social provoqué par l’hyperinflation.

En 1986, donc au cours de cette période, la province de Salta, au Nord du pays, gouvernée par un parti de l’opposition, crée un “bon provincial” pour faire face aux difficultés dues au plan d’ajustement fiscal. Quelque temps plus tard, d’autres provinces imitent son exemple et le pays commence à voir une multiplicité de monnaies intérieures non officielles.

1995 : Dans le petit village de Bernal, dans la province de Buenos Aires, un groupe d’une vingtaine de voisins, formé autour de jeunes professionnels confrontés eux-mêmes au chômage, crée le premier “Club de Troc” dans lequel on échangeait d’abord des produits fabriqués par chaque membre, puis des services tels qu’un soin médical ou dentaire, des consultations psychologiques, de petits travaux domestiques, etc.

Un an après, les média accordent un peu d’attention à cette initiative : elle a plus de 5.000 adhérents dans tout le pays et elle utilise un “bon d’échange”, nommé “credito” pour symboliser la confiance qui existait entre ses membres, qui tous étaient à la fois producteurs et consommateurs. Ces deux aspects d’une économie en équilibre incitent à employer le mot de ”prosommateurs“, emprunté à Alvin Toffler (dans son livre La Troisième Vague). Ces groupes ne cessent de croître.

1997 : Un groupe qui promouvait les échanges de savoir réciproques, inspiré de l’initiative française de Marc et Claire Hébert-Suffren, crée un premier “club de troc” dans lequel la formation est permanente. Ce faisant, il savait que les résultats couraient le risque de “déviation capitaliste” si les participants ne comprenaient pas, en profondeur, de quoi il s’agissait. Un programme dit d’Alphabétisation Économique est lancé, et le nombre de participants, répartis dans tout le pays, dépasse alors 30.000.

En Août 1998, nous faisons connaissance avec la pensée de Jacques Duboin, en Finlande, lors de la rencontre organisée par “l’International Ground Grassroots Initiatives” (IGGRI) et le gouvernement de ce pays nordique.

1999 : Quelques centaines de “clubs”, alors nommés “nodos” car ils se regroupent autour un Réseau Global de Troc Solidaire, existent dans les pays. Ils commencent à diffuser l’initiative en Uruguay et au Brésil, ces pays de la région qui sont à la fois proches et semblables. Avec la participation de membres de douze pays, le Réseau Latino-Américain de Socio-économie Solidaire est créé à Buenos Aires, pour faire connaître cette stratégie en dehors des circuits réduits d’échanges non marchands et pour l’étendre au mouvement d’économie sociale populaire et solidaire qui se développe. C’est également là que nous proposons l’expression “monnaies sociales” pour désigner les monnaies complémentaires produites, distribuées et contrôlées par les citoyens eux-mêmes, pour souligner une attitude plus politique qu’économique ou de micro-finances.

Nous sommes invités à rejoindre le groupe d’animation d’un Pôle de Socio-économie Solidaire, à l’intérieur de l’Alliance pour un monde responsable, pluriel et solidaire (www.socioeco.org ; www.alliance21.org ), où nous proposons la création d’un groupe de travail international sur ce sujet : le chantier “monnaie sociale” (http://money.socioeco.org).

En Argentine, vers 2000, il existait déjà plus de 10 grands réseaux indépendants et plus de 1.000 groupes. La pluralité monétaire était la manifestation de la grande nécessité de compléter la monnaie officielle, soit avec les “bons provinciaux”, il y en a eu jusqu’à 19 sortes avant qu’on les retire de la circulation, soit avec les “bons d’échange” des clubs de troc (il y en avait plus de 400), que nous considérions comme des “monnaies sociales”.

2001 : Les monnaies et la crise ne cessent de croître, jusqu’à ce que la crise politique déclenche la macrocrise institutionnelle que vous connaissez tous et que nous appelons “la catastrophe”, en Décembre 2001.

Il y a alors plus d’un million de membres dans les groupes de troc. Mais l’esprit du capitalisme et des “banques centrales” s’est infiltré dans les groupes à monnaie sociale. C’était peut être inévitable ; pénible, mais inévitable : l’esprit du manque a pris la place de l’esprit de l’abondance…

2002 : Dans la brève période où l’horizon était d’une très grande incertitude, le nombre des membres qui bénéficiaient du troc a été estimé à six millions !

Comme toujours, un petit nombre de gens a exploité le grand nombre des autres, mais il a fallu beaucoup de temps pour parvenir à identifier ce vice ! La confiance, voire le besoin de faire confiance à quelque chose, était si grand, que les gens étaient devenus aveugles à ce qui se passait sous leurs yeux. Jusqu’à tomber dans la réalité dure et cruelle : la plupart des “bons de troc” étaient des papiers sans aucune valeur [*]…

2003 : La plupart des participants, pratiquement tous les médias et presque tous les groupes d’étude locaux, abandonnent le “troc” comme mouvement politique. Pire, chaque groupe révèle son véritable intérêt et la responsabilité de son engagement vis-à-vis de l’avenir de l’économie populaire, et du rôle des monnaies sociales.

2006 : Comme fondateurs d’un réseau latino-américain, nous avons fait des études de cas et de viabilité, à moyen terme, des initiatives de résistance.

C’est ainsi que nous avons créé le Projet Colibri dans lequel l’axe se déplace du chômage (la gestion de ce qui manque) à la gestion intégrale du territoire (où l’expression de l’abondance serait plus assurée).

*

Mais il faut bien savoir que, malgré le silence des média et de la plupart des académiciens locaux, le troc n’est pas mort en Argentine. Un grand réseau (le Réseau de Troc de la Zone Ouest de Buenos Aires), de 47.000 membres, subsiste, et de nombreux groupes sont constitués de plus de 500 participants. Il y a en outre de nombreuses initiatives, plus petites mais réparties un peu partout dans le pays, qui ont tiré la leçon :« la monnaie complémentaire sera sociale ou disparaitra ! » Ainsi, dans l’ensemble, en prenant le risque de faire des estimations, c’est probablement à cent mille personnes qu’on peut chiffrer le nombre de ceux qui continuent à participer.

GR : Y a-t-il eu des erreurs commises ? Et si oui, comment pourrait-on, à l’avenir, les éviter ?

HP : À mon avis, il est difficile de parler d’échecs et d’erreurs si l’on regarde tout ça avec une approche historique ! C’est même injuste… Quoi dire d’un processus qui s’est installé au cours de siècles de “banalisation” du paradigme de la rareté, au point qu’elle passe pour naturelle ? Je dirais plutôt que c’était un bon essai, qui nous a montré les difficultés de passer du plan des bonnes idées et des intentions, au plan de la construction de nouvelles pratiques sociales et du défi de les rendre durables. Èvidemment, je peux dire ça quatre ans après, mais j’ai été moi-même très déçue par les difficultés d’établir de vrais dialogues à l’intérieur des groupes, autrement dit par la difficulté de vivre dans le paradigme de la rareté… de la pensée ! Ou bien de la difficulté à VIVRE le paradigme de l’abondance dans la vie réelle.

En termes plus humains, oui, je dirai que, soumis aux engagements et aux passions, nous avons commis de terribles erreurs… de naïveté ! C’était peut-être croire que le problème était dans l’économie alors qu’il était dans la politique ! Croire qu’il suffisait d’ajouter un instrument qui changeait la monnaie au lieu de changer le “chip” de rareté qui est à l’intérieur de nos propres têtes ! Je parle de la mienne, de la tienne, celle de nos alliés les plus proches, et même pas de celles de nos ennemis… !

GR : Quelles leçons en as-tu tirées et quels conseils peux-tu donner à ceux qui cherchent comment remplacer la monnaie capitaliste afin d’en éviter les méfaits sur la majorité d’une population ?

HP : J’en ai bien tiré des leçons sans doute, mais je n’oserais pas appeler conseils ce que je vous envoie ici. Si je pense, tout de même, à une nouvelle Alliance, je souhaiterais d’abord que chacun, dans un groupe, expose TOUT ce qu’il croit bel et bon sur le sujet (et aux alentours), qu’il dise les meilleures idées, les meilleurs instruments, les meilleures inspirations, les meilleurs échecs aussi, de façon à ce qu’il y ait le moins possible de surprises à l’intérieur du collectif. Tout cela pour construire cette difficile position existentielle qu’est l’acceptation de la légitimité de l’autre. Chacun a ses raisons, ses projets, ses valeurs et ses limites. Personne n’est obligé d’accepter de travailler avec quelqu’un, à n’importe quel prix. Nous avons tous le droit d’essayer la meilleure stratégie, à condition de payer le prix de l’essai. Souvent, ce prix n’est pas en valeurs monétaires mais en valeurs sociales, de prestige, etc. Il s’agit souvent aussi d’une certaine “cécité cognitive”, dont il est très difficile de se débarrasser si l’on croit être déjà là où tout le monde devrait être…

Je vous donne un exemple pour ne pas tomber dans l’ésotérique des intellectuels qui aiment bien qu’on ne les comprenne pas : si nous étions dans la situation de partager un projet commun, j’écouterais bien vos arguments pour proposer que la monnaie à utiliser soit une monnaie distributive, avant de la rejeter ou de proposer “mon” modèle. Ensuite, j’essaierais de penser quels seraient les avantages de votre modèle avant de faire la proposition du “mien”, tout en gardant la possibilité d’arriver à une troisième position, si on la trouvait. Pour ceux qui veulent approfondir ces arguments, je me permets de recommander la lecture d’un article intitulé “Projet Colibri : un rayonnement de l’économie solidaire ?” du Rapport [1] 2005-2006 du Centre Walras - LEFI “Exclusion et liens financiers. Monnaies sociales”, sous la direction de Jérôme Blanc. Il montre dans quelle mesure j’ai moi-même changé, depuis quelques années, ma position vis-à-vis du signifié de la monnaie dans la société. Et aussi comment, en utilisant les monnaies sociales comme stratégie de radicalisation du processus de démocratisation, plutôt que comme une option financière en soi, nous continuons à travailler vers la véritable démocratie.

Je sais que la démarche parait impossible, alors qu’en vérité elle ne l’est pas. Si quelqu’un a considéré Jacques Duboin comme un des derniers utopistes [2], nous aimons bien penser que nous tous qui travaillons sur les monnaies sociales, nous sommes ses dignes héritiers…

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[*] NDLR : Nous avons demandé à Héloïsa de préciser ceci, car les bons de monnaie sociale sont évidemment des papiers sans valeur intrinsèque, mais qui portent la promesse d’être échangeables. Or si n’importe qui émet des bons en grand nombre, sans l’assurance que cette promesse est tenable, on s’aperçoit ensuite que la promesse n’est pas tenue.

[1] adresse sur internet : www.redlases.org.ar/documents

[2] allusion à l’article intitulé “Jacques Duboin, le dernier des utopistes”, publié par Bernard Kapp dans la rubrique Histoire économique du quotidien Le Monde, daté du 22 juin 1999.

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Un sauvetage fort discret

par J.-P. MON
9 décembre 2006

En mai 2003, Ben Bernanke, alors membre du Conseil des gouverneurs de la Réserve fédérale américaine dont il est devenu en janvier 2006 le président, se rendit à Tokyo pour proposer aux Japonais une action concertée urgente. Il dit à ses interlocuteurs que la Réserve fédérale américaine était prête à sacrifier le pouvoir d’achat des consommateurs américains, (baisses d’impôts et faibles taux d’intérêt pouvant peut-être encore les inciter à acheter des choses dont ils n’avaient pas besoin avec de l’argent qu’ils n’avaient pas). Mais pour cela, il fallait que le Japon aide à maintenir à un niveau peu élevé les taux d’intérêt américains en achetant des dollars et des bons du Trésor américains. C’est bien ce qui se passa, comme le raconte Richard Duncan [1] : « En 2003 et pendant le premier trimestre de 2004, le Japon procéda à une expérience monétaire remarquable, remarquable par l’impact qu’elle eut sur l’économie mondiale et tout aussi remarquable parce qu’elle passa presque entièrement inaperçue dans la presse financière. Durant ces quinze mois, les autorités monétaires japonaises créèrent 35 mille milliards de yens, c’est à dire à peu près l’équivalent de 1% du produit économique mondial annuel. Cela représente 2.500 dollars pour chaque Japonais, et, à peu près 50 dollars par personne si on répartissait également cette somme entre tous les habitants de la planète. En bref, c’était une création monétaire à une échelle jamais vue en temps de paix » [2].

On peut se demander pourquoi les Japonais créèrent autant de monnaie. S’ils ne l’avaient pas fait, leur monnaie se serait renforcée et leurs produits seraient devenus moins compétitifs sur le marché américain. S’ils ne l’avaient pas fait, le dollar se serait encore plus affaibli par rapport aux autres monnaies [3]. S’ils ne l’avaient pas fait, les Japonais n’auraient pas eu de dollars pour acheter des bons du Trésor américain, ce qui aurait fait monter encore plus les taux d’intérêt. Les consommateurs auraient eu moins d’argent à dépenser et le monde entier aurait probablement subi une grave crise économique [4].

« Intentionnellement ou non, précise Duncan, en créant et en prêtant l’équivalent de 320 milliards de dollars aux États-Unis, le ministre japonais des finances neutralisait un raid du secteur privé sur le dollar et finançait du même coup les baisses d’impôts américains, ce qui relança l’économie mondiale, tout en maintenant les Bons à long terme à des taux d’intérêts proches de leur niveau historiquement le plus bas. En 2004, l’économie mondiale eut un taux de croissance jamais atteint dans les 30 dernières années. La création de monnaie par la banque du Japon à une échelle sans précédent a peut être été le facteur le plus déterminant de cette croissance. En fait, ces 320 milliards de dollars ainsi créés pourraient avoir fait la différence entre la reprise et la déflation mondiale. Mais il est bien étrange que l’on n’en ait pas parlé » [2].

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[1] Richard Duncan a travaillé comme analyste financier pendant plus de 16 ans dans plusieurs compagnies ou organismes de haut niveau : Salomon Brothers, HSBC securities, Fonds monétaire international et Banque mondiale.

[2] Richard Duncan, The dollar crisis, ed. Wiley, 2005.

[3] Sur la crise du dollar, voir aussi www.lewrockwell.com/blumen/blumen6.html

[4] Bill Bonner et Addison Wiggin, Empire of debt, ed. Wiley, 2006.

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Un Nobel de littérature s’exprime sur la démocratie “moderne”

par J. SARAMAGO
9 décembre 2006

« Nous vivons une époque où l’on peut tout discuter mais, étrangement, il y a un sujet qui ne se discute pas, c’est la démocratie. C’est quand même extraordinaire que l’on ne s’arrête pas pour s’interroger sur ce qu’est la démocratie, à quoi elle sert ? C’est comme la sainte Vierge, on n’ose pas y toucher. On a le sentiment que c’est une donnée acquise. Or il faudrait organiser un débat de fond à l’échelle internationale sur ce sujet et là, certainement, nous en arriverions à la conclusion que nous ne vivons pas dans une démocratie, qu’elle n’est qu’une façade.

Bien sûr on pourra me rétorquer que, en tant que citoyen et grâce au vote, on peut changer un gouvernement ou un président, mais ça s’arrête là. Nous ne pouvons rien faire de plus, car le vrai pouvoir aujourd’hui, c’est le pouvoir économique et financier, à travers des institutions et des organismes comme le Fonds monétaire international ou l’Organisation mondiale du commerce qui ne sont pas démocratiques. Nous vivons dans une ploutocratie.

La vieille phrase “la démocratie, c’est le gouvernement du peuple par et pour le peuple” est devenue “le gouvernement par les riches et pour les riches” ».

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Lectures

Prévisions d’un grand esprit

par M.-L. DUBOIN
9 décembre 2006

Quelle personnalité, ce Jacques Attali ! Avoir refusé tout poste ministériel et exigé de rester dans l’ombre quand il a accepté d’être conseiller de F. Mitterrand, c’était déjà se singulariser dans le monde de la politique, car l’ambition personnelle y est plutôt la norme ! Il se distingue aussi en tant qu’auteur par la variété des genres et des sujets qu’il aborde : mémoires, biographies, romans, une pièce de théâtre, un conte pour enfants et plus d’une vingtaine d’essais ! Parmi les intellectuels qui publient leurs réflexions en français, il est sans doute l’un des plus prolixes et l’un des plus brillants par la portée de sa pensée. Et peut-être aussi l’un des plus sûrs de lui. Bref, j’ai été attirée par son dernier livre, intitulé sans excès de modestie : Une brève histoire de l’avenir [1].

Et il m’a fait le même coup que son précédent ouvrage, La voie humaine [2] : j’ai été emballée par au moins les trois premiers quarts, et puis la fin m’a donné l’impression que la montagne accouchait d’une souris !

Dans ce dernier livre, il part d’un principe : l’avenir peut s’entrevoir par l’examen du passé, pourvu qu’on soit capable de distinguer ce qui est invariant de ce qui évolue. Et il l’applique en commençant par effectuer, magistralement et à grands traits, en une vingtaine de pages, un survol de l’histoire de l’humanité, pour choisir certains faits (qui, à d’autres, ont pu paraître anodins, dit-il en passant), dont il souligne la similitude, ce qui lui permet de croire qu’ils se reproduiront, donc qu’ils seront encore là pour constituer l’avenir. Cette idée paraît à la fois simple, prétentieuse, et puissante.

De tout ce qu’il pointe de l’aventure humaine depuis la nuit des temps, il conclut qu’une même force est toujours en marche : celle de la libération de l’homme vis à vis de toute contrainte. Et l’Histoire lui apparaît alors comme la succession de trois “Ordres”, tous trois organisés pour contrôler les richesses : d’abord “l’Ordre rituel”, dans lequel l’autorité est religieuse, puis l’Ordre impérial”, dont le pouvoir est militaire, et “l’Ordre marchand” actuel, individualiste, dans lequel le groupe dominant est celui qui contrôle l’économie. Le souci prioritaire de ces trois Ordres a toujours été la défense de son pouvoir, que ce soit en pariant sur la vulnérabilité des plus faibles ou bien par l’exploitation, à son profit, d’un progrès technique. Car dès que la légitimité d’un Ordre est mise en cause, un Ordre nouveau s’installe avec d’autres pouvoirs et d‘autres rapports de forces. Ainsi le soldat a remplacé le prêtre, et le marchand remplace le soldat.

Sa “brève histoire du capitalisme”, qui occupe les 120 pages suivantes, est celle d’un Ordre qui n’était au début qu’un « minuscule parasite à l’intérieur des sociétés théocratiques ou impériales » et qui, « sur un espace de plus en plus vaste, avec des technologies de plus en plus efficaces à la fois dans la violence, l’injustice et la splendeur » installa l’Ordre marchand. Ce qui distingue cet Ordre est que lui seul parle une langue unique, celle de la monnaie. Il est fondé sur la compétition, qui exige du neuf et sélectionne une élite, mais suppose la bataille, donc la violence. Au passage, l’auteur tire des leçons qu’il qualifie d’universelles, par exemple : « quand une superpuissance est attaquée par un rival, c’est souvent un tiers qui l’emporte » et « le vainqueur fait souvent sienne la culture du vaincu ». Ou encore : « une doctrine religieuse, si influente soit-elle, ne réussit pas à ralentir la marche de la liberté individuelle ». Le capitalisme est pour lui une suite d’histoires de neuf “pôles”, successivement Bruges, Venise, Anvers, Gênes, Amsterdam, Londres, puis Boston et New York, la nouvelle vague technologique, le “nomadisme californien”, la faisant aboutir aujourd’hui, autour de Los Angeles, à l’Empire américain, dont la fin est inscrite dans le premier chapitre de l’histoire de l’avenir.

Mais ce n’est pas la fin de l’Histoire. Vers 2050 commencera ce que J.Attali nomme l’hyperempire « déconstruisant les services publics, puis la démocratie, puis les États et les nations mêmes. » Le monde n’aura plus un centre car “le centre” sera partout. Ce sera le règne de l’hypersurveillance, laquelle ne sera plus exercée par l’État mais par des sociétés de services privées, payées par leurs clients. Puis viendra le règne de l’autosurveillance, à l’aide de toutes sortes de nouvelles machines, dont la plupart seront portables : les fibres des vêtements seront des nano ordinateurs qui surveilleront en permanence lescorps… et les comportements, pour qu’ils soient conformes à des normes. Ainsi « chacun sera devenu son propre gardien de prison ». Puis viendront des autoréparateurs qui corrigeront les erreurs détectées par les autosurveilleurs.

Les partis politiques n’auront plus aucun domaine de compétence, éducation, santé, assurance et autres services seront tous privatisés et mis automatiquement aux normes, et « nul ne songera plus à se soucier d’autrui ».

La vague suivante sera celle de l’hyperconflit, quand toutes les ambitions régionales s’entrechoqueront. Mafias, gangs, et autres criminels en col blanc constitueront les hordes de nouveaux pirates, plus puissants que jamais, aucun État n’ayant assez d’armées de mercenaires pour les contenir. La première liberté sera celle de tuer et avec toutes sortes d’armes nouvelles (chimiques, bactériologiques, et autres e-bombes) devenues accessibles. Tels des barons de la drogue, ces terroristes pourront même se liguer contre des démocraties. Aucune loi de la guerre, ni aucun arbitre ne seront reconnus.

« Puis montera partout la colère des peuples contre l’Ordre marchand ». Se nouera alors « une coalition critique », « on reprochera aux marchés de libérer la violence en orientant tous les désirs vers la convoitise des objets marchands, y compris celle des armes ». Certains dénonceront le principe de liberté individuelle jusqu’à faire l’apologie de la dictature et d’autres proposeront le retour en arrière vers la théocratie. Dans cet hyperconflit, Attali n’écarte pas l’idée que l’arme nucléaire soit utilisée, car pour lui « la tragédie de l’homme est que, lorsqu’il peut faire quelque chose, il finit par le faire ».

L’auteur, s’appuyant sur la réalité de faits actuels pour décrire cet Himalaya de catastrophes, montre qu’il est, hélas, en pleine construction.

La troisième vague sera-t-elle l’hyperdémocratie, salut d’une humanité « libre, heureuse, diverse, équitable, soucieuse de dignité et de respect » ? Attali reconnaît que bien des forces sont en train d’en établir les fondations, et qu’il ne dépend que de nous qu’elle devienne réalité.

… Mais il en fait le vide en deux traits : « À la différence des révolutionnaires communistes d’antan qui avaient le projet de bâtir une autre société… ces nouveaux contestataires » ne proposent aucun système de substitution, « depuis que le communisme a échoué, aucune utopie ne semble disponible ni à la place du marché, ni à la place de la démocratie ». Remercions-le au passage de reconnaître ainsi tant d’efforts, dont les nôtres !

Il décrit alors son hyperdémocratie : elle commencera en Europe et sera fondée sur ce qu’il appelle des transhumains altruistes, qui sont des citoyens non plus du monde, mais de la planète (je n’ai pas vu la nuance), égaux en droits et en devoirs, et qui « feront naître un nouvel ordre d’abondance, dont le marché sera à peu près exclu, au profit de l’économie relationnelle », et qui « ne se croiront pas propriétaires du monde » mais « admettront qu’ils n’en ont que l’usufruit ». Reprenant espoir sur de tels propos, on le suit quand il esquisse les nouvelles institutions “d’une démocratie participative associative”, des instances de contrôle de la qualité, de défense de la propriété intellectuelle, etc. Et puis il voit une banque Centrale mondiale et des Unions au sein des continents, qui auront chacune la responsabilité de leur monnaie… Suspense… La monnaie cessera-t-elle d’être capitalisable pour, enfin, empêcher accaparements et le cumuls ? Eh bien, non, hélas, et je le cite : Une autre institution planétaire aidera […] à développer… » Quoi ? — « La micro finance » ! En voyant pareille reconstruction Himalayenne du monde accoucher de cette souris, on se rappelle que Jacques Attali est président d’une société de microfinance. Ce n’est tout de même pas pour en faire la publicité qu’il a écrit ce livre ?

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[1] éditions Fayard, octobre 2006, 425 pages, 20 euros.

[2] Voir “Une belle voie, mais qui reste à percer”, dans GR 1047, page 7.

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Comment voir l’avenir… ?

par M.-L. DUBOIN
9 décembre 2006

Pour se faire une idée de ce qui nous attend, on peut aussi aller voir ce qui se passe dans un autre pays occidental, dont la “modernaisation” a devancé la nôtre.

C’est le cas du Canada où vit, à Montréal, notre amie Colette Buguet (voir son dernier article dans la GR 1051, consacré à K.Gerstner). Et justement, c’est en mettant en pages ce commentaire de la lecture du livre d’Attali que je lui ai téléphoné pour avoir de ses nouvelles. Je savais que depuis longtemps elle souffrait de la main, qu’elle avait eu beaucoup de mal à avoir un disgnostic, mais qu’enfin il avait été décidé qu’elle devait subir une opération assez lourde, puisqu’il fallait lui prélever un morceau d’os de la cuisse pour le greffer dans sa main. La date de l’opération a été fixée depuis longtemps au 27 novembre.

Et voila ce que j’ai appris : quand elle s’est présentée pour l’opération, elle a été avertie qu’il n’y avait pas de lit pour l’hospitaliser après l’intervention, qu’elle avait donc le choix entre tenter de fixer une autre date forcément éloignée, (mais les conditions auraient été au moins les mêmes, et il y avait danger d’irréversibilité des dégâts d’une nécrose), ou bien rentrer chez elle en sortant de réanimation. C’est ce qu’elle a accepté. L’opération délicate, sous anesthésie générale évidemment, a duré trois heures. À son réveil, son mari et son gendre, en la portant dans l’escalier, l’ont ramenée à la maison. Les lits d’hôpitaux étant vides, faute de personnel pour s’occuper des patients, on lui avait indiqué le numéro de téléphone des urgences, au cas où…

Tout en exprimant ici à Colette notre admiration pour son courage et le moral d’acier dont elle a fait preuve, et en lui adressant nos vœux pour qu’elle se rétablisse vite, on ne peut manquer de souligner que ces conditions hospitalières sont celles d’un des pays les plus riches du monde, qui était un modèle de santé publique… avant qu’il rembourse sa ”Dette”…

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La dégradation des services publics continue, et l’opinion est préparée à admettre la “nécessité” de les privatiser sous prétexte qu’ils fonctionnent mieux. Parmi les façons de dégrader l’École, figure celle qui consiste à renoncer le plus tôt possible à faire suivre par un élève des cours d’enseignement général. Et il est facile de présenter cette “modernisatioin” comme une ouverture vers un apprentissage nécessaire et prometteur. Philippe Meirieu, en dénonçant cette nouvelle mesure, montre tout ce qu’elle signifie :

L’apprentissage dès 14 ans ?

par P. MEIRIEU
10 décembre 2006

L’opinion publique semble approuver très majoritairement la mesure annoncée par le gouvernement sur la mise en place de l’apprentissage à 14 ans. Gageons que chaque Français imagine qu’il s’agit là d’une décision qui ne concerne que les enfants des autres et que ses propres enfants pourront poursuivre tranquillement leurs études jusque dans les prestigieuses grandes écoles ! Plus sérieusement, il est vraisemblable que nos concitoyens imaginent que certains élèves, en rupture scolaire, sont perdus pour les études classiques et que s’obstiner à les maintenir sous statut scolaire est une absurdité. Peut-être même, dans le meilleur des cas, certains de nos compatriotes pensent-ils qu’après une phase « en apprentissage », les adolescents, qui se seront, enfin, réconciliés avec les savoirs et auront « pris un peu de plomb dans la tête », pourront revenir dans l’institution scolaire qui les accueillera à bras ouvert, quel que soit leur passé et leur âge. On voudrait pouvoir les croire : la mise en place d’un « crédit scolaire », à l’image - améliorée - du « crédit formation », et la généralisation de la « scolarité par récurrence » (qui prévoit le retour possible dans des études au niveau où elles ont été interrompues et qui existe officiellement dans les textes) représenteraient, alors, une manière d’individualiser la formation initiale et de l’adapter aux trajectoires des personnes.

Mais, ne rêvons pas ! Ce n’est pas de cela dont il est question, et malgré toutes les circonvolutions sémantiques dans lesquelles les politiques sont passés maîtres, il s’agit, en réalité, de déscolariser de manière précoce les jeunes dont on dira « qu’ils ne sont pas faits pour les études ».

Il faut, d’abord, rappeler quelques évidences, trop vite oubliées. Faire sortir du système scolaire un enfant à 14 ans, c’est décider de son sort à 12 ou à 13. L’institution scolaire a, en effet, une fantastique capacité à anticiper les décisions et, même, quand les circonstances s’y prêtent, à organiser des voies de relégation qui préparent, avec les meilleures intentions du monde, certains élèves « à assumer une transition qui serait bien trop brutale pour eux ». L’apprentissage, par ailleurs, c’est aujourd’hui, on ne le rappelle pas suffisamment, treize semaines de cours seulement par an et cinq semaines de congés payés. Or treize semaines de cours dans les apprentissages fondamentaux (en particulier, celui de la langue) c’est, pour des élèves en échec, la condamnation à perpétuité à des tâches de pure exécution, c’est l’impossibilité d’accéder à la « seconde chance » que constitue la formation continue.

L’apprentissage à 14 ans, c’est, en réalité, le mépris déguisé des “métiers manuels”, c’est imaginer que ceux-ci sont constitués de tâches d’exécution accessibles par l’observation et la simple reproduction, c’est ignorer la part nécessaire de conceptualisation que tout métier manuel comporte et la complexité des situations professionnelles auxquelles ils ont à faire. Que je sache, il n’est d’ailleurs pas prévu d’embaucher à 14 ans des apprentis en chirurgie ou en orthodontie qui sont, pourtant bien des “métiers manuels”, chacun en conviendra.

L’apprentissage à 14 ans, c’est enfin l’institutionnalisation du renoncement : renoncement conjugué de la société, qui abandonne certains de ses enfants sans leur donner les clés du monde complexe dans lequel nous vivons, et renoncement des élèves eux-mêmes, chez qui l’on prétend encourager “le sens de l’effort”, mais à qui l’on offre quelques petites centaines d’euros par mois, dans lesquels ils vont voir un pécule providentiel, qui viendra s’ajouter à l’arrêt de tout effort scolaire.

Facilité pour les jeunes, l’apprentissage à 14 ans est aussi le signe d’une abdication politique, sociale et scolaire majeure. On pouvait encore hésiter sur la pertinence du “socle commun” ; on sait maintenant clairement ce que cela veut dire : tout le monde aura peut-être “le socle”, mais seuls quelques-uns auront la statue ! Avec un palier d’orientation rétabli, de fait, en fin de la classe de Cinquième, “le socle” va se réduire comme une peau de chagrin, les ambitions pour notre jeunesse écartent toute dimension culturelle, pour ne fournir que quelques savoir-faire purement utilitaires. Une aubaine pour TF1 qui vend toujours des « parts de cerveau disponibles » et pour les démagogues de tous bords qui trouveront en face d’eux de plus en plus de jeunes sous l’emprise des médias, sans avoir acquis les connaissances et l’esprit critique qui leur permettraient d’exercer leur jugement. L’éducation scolaire, parce qu’elle est porteuse de l’idéal républicain d’égalité, doit rester une priorité absolue et c’est aux politiques et aux pédagogues à travailler pour qu’elle puisse s’adresser à tous, au lieu d’exclure ceux et celles qui, justement, en ont le plus besoin.

Enfin, cette mesure va, sans aucun doute, renforcer encore l’apartheid scolaire : qui imagine que les fils et filles de médecins, de professeurs et d’hommes politiques iront en apprentissage à 14 ans ? Qui ne voit qu’elle va contribuer à exclure encore plus fortement une jeunesse qui, malgré ses papiers d’identité, n’est pas considérée comme “française” par certains de nos concitoyens ? Et en baissant le niveau d’instruction d’une partie des jeunes, c’est toute l’institution scolaire, et la société tout entière, qu’elle va tirer vers le bas. D’autant plus que, contrairement à ce qu’imaginent les esprits ignorants de l’histoire de l’instruction scolaire, ce sont toujours les “élèves difficiles” qui font progresser l’École et permettent de nourrir l’inventivité pédagogique, qui bénéficie, en réalité, à tous. Il faut se souvenir que c’est en tentant d’enseigner “l’enfant sauvage”, Victor de l’Aveyron, qu’Itard imagina la plupart des outils pédagogiques encore aujourd’hui utilisés pour stimuler l’intelligence des “enfants normaux” (comme la célèbre “boîte aux lettres” avec des ouvertures de différentes tailles et de différentes formes). Écarter les “esprits rebelles” (les “enfants sauvages” d’aujourd’hui) facilitera peut-être la vie, à court terme, de quelques enseignants, mais transformera encore plus l’École en chambre d’enregistrement des inégalités sociales. Pire encore, cela appauvrira considérablement les pratiques pédagogiques. et même les plus brillants en pâtiront !

Évidemment, dans quelques classes, « on aura, enfin, la paix ». Mais au prix d’une régression sociale considérable. On pourra, un peu plus, « enseigner en rond », mais au prix de l’abandon d’une des missions fondatrices de l’École : la découverte de l’altérité. Certains jeunes, sortant d’apprentissage, pourront, dans les meilleurs des cas, trouver un emploi sur place et commencer une carrière professionnelle avec quelques savoir-faire empiriques, mais ils plafonneront vite et, l’exemple de l’Allemagne le montre bien, ils se trouveront, quelques petites années plus tard, en situation difficile, car incapables d’accéder aux savoirs complexes qui requièrent une formation initiale solide.

En réalité l’apprentissage à 14 ans est un renoncement très grave. Renoncement à l’ambition du Général De Gaulle et du ministre Berthoin qui imposèrent, en 1958, la scolarité obligatoire à seize ans. Renoncement à l’ambition d’une École de la République qui ne doit pas se résigner à former des citoyens à deux vitesses. Renoncement à une véritable réforme de l’École, capable, dans un même creuset, d’offrir à chacun des moments d’apprentissages communs et des itinéraires différenciés pour l’accès aux savoirs fondamentaux. Renoncement à une ambition essentielle de la France : garantir à chaque enfant, à seize ans, la maîtrise des fondamentaux de la citoyenneté, elle est, certes, loin d’être réalisée mais elle doit constituer un horizon possible, une tâche à laquelle doivent s’atteler ensemble, professeurs, parents, citoyens et hommes politiques. Renoncement à l’inventivité sociale et pédagogique qui pourrait permettre une réforme en profondeur de l’institution scolaire. Renoncement enfin à la lutte contre l’apartheid urbain et social qui, si nous n’y prenons garde, pourrait bien agrandir sous nos pieds la fracture sociale, au point que nous tombions tous dedans prochainement !

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10 décembre 2006

Il semble qu’il existe toute une galaxie d’associations qui font du racolage et qui mènent une propagande anti-fonctionnaires, avec de drôles de méthodes.

Il s’agit par exemple de SOS Éducation, de Sauvegarde Retraite, de Contribuables associés. Cette dernière, par exemple, a monté devant Bercy une superbe manifestation de “contribuables mécontents”… qui étaient en réalité des intermittents du spectacle que Benoîte Taffin avait payés pour venir ainsi manifester (alors même qu’ils n’étaient peut-être pas contribuables !!) .

Sauvegarde Retraite affirme que des fonctionnaires jouissent de privilèges scandaleux, comme des salaires de 17 % supérieurs à la réalité, ou des cotisations de retraite qui rapportent quatre fois plus que celles versées dans le privé. Cette association demande aux gens de participer à un référendum sur des questions du genre « Souhaitez-vous toucher une meilleurs retraite ? » en leur suggèrant de lui faire un don pour soutenir sa campagne. Dans un hebdomadaire, un lecteur dénonçait cette pratique, début novembre, en ces termes : « Non content d’être une escroquerie intellectuelle, cette (en)quête m’a bien l’air dêtre une escroquerie tout court ».

De tels comportements contribuent à opposer une partie de la population contre l’autre (“Diviser pour règner !” fait toujours recette) en jetant l’anathème contre les fonctionnaires : répandre l’idée que ceux-ci sont payés “à ne rien foutre”, c’est soutenir que le gouvernement a bien raison de faire des économies en supprimant des postes. Et tant pis pour l’hôpital, l’enseignement, la recherche, etc.

D’après Paul Vincent.

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Si la revue Politis a des difficultés, c’est peut-être, entre autres raisons, parce qu’elle ose publier des réflexions qui, bien que pleines de bon sens, ne sont pas parfaitement conformes à la pensée unique, dans le domaine économique par exemple. C’est pourquoi nous n’hésitons pas à lui faire de la publicité, et tout à fait gratuite, en citant un de ses articles de septembre, dans lequel Jean Gadrey apporte de l’eau à notre moulin quand nous suggérons qu’il faut renoncer à baser le revenu sur le travail :

Croissance, productivité : concepts dépassés ?

par J. GADREY
10 décembre 2006

Les économistes commencent timidement à envisager l’existence de limites écologiques à la croissance. Pour la majorité d’entre eux, il s’agit de rechercher les voies d’une croissance plus “durable”, mais “riche en emplois”. Question importante, controversée, mais qui en évacue une autre, en amont : les concepts de base de ces raisonnements sont-ils toujours pertinents pour penser les trajectoires futures ?

La croissance économique d’un pays c’est, en gros, l’augmentation, année après année, des quantités de biens ou de services produits dans ce pays. On peut l’obtenir de deux façons (qui souvent se combinent) :
- en augmentant le volume (les heures) de travail pour un même niveau d’efficacité dans la production,
- ou en produisant plus de quantités par heure de travail.

C’est cette seconde voie, celle des gains de productivité du travail (les plus importants sont liés à des technologies de mécanisation ou d’automatisation du travail), qui explique l’essentiel de la croissance depuis la révolution industrielle.

Quant au volume de travail, il progresse quand la croissance est supérieure aux gains de productivité, il régresse sinon.

Ce raisonnement est impeccable tant que les évolutions de la production consistent à produire toujours plus des mêmes choses : plus de quintaux de blé et de baguettes de pain, plus de kilomètres de routes, de mètres carrés de logements, de téléviseurs et de voitures, de communications téléphoniques, de gestion de comptes courants, de tri du courrier, etc.

La période des “Trente Glorieuses” a, certes, connu des variations de la qualité des biens industriels et des services, mais l’essentiel de la croissance était alors quantitative, et les gains de productivité étaient obtenus par la « substitution du capital technique au travail ». Au prix d’une autre croissance dont on ne se souciait guère, celle des quantités de ressources naturelles (dont l’énergie) incorporées dans cette production en perpétuelle expansion, et celle des pollutions associées.

Tout cela n’a pas disparu, mais, depuis une trentaine d’années, la sphère des activités dont la rationalisation est du type “fordiste” précédant s’est considérablement rétrécie. Les emplois se créent exclusivement dans les services (qui représentent près de 75 % de l’emploi total en France, contre 43 % en 1965 !), et, parmi eux, les seuls secteurs qui ajoutent encore régulièrement des emplois, compensant (en partie) les pertes ailleurs, sont des services non, ou peu, industrialisables : services aux personnes âgées dépendantes et à la petite enfance, services d’éducation, de santé et d’action sociale, services de proximité associatifs (culture, loisirs, environnement...) et des collectivités locales, mais aussi services de conseil et d’assistance aux entreprises et aux administrations, etc.

La notion de “gains de productivité sources de croissance” (produire autant avec moins de travail) est largement dépourvue de sens dans ces secteurs moteurs de l’emploi : que veut dire une réduction du temps de travail exigé pour des soins aux personnes et aux enfants ou pour des conseils aux organisations sinon, dans la plupart des cas, une réduction de la qualité de ces soins et de ces conseils ? Dans ces activités, le temps de la relation, et la richesse de son contenu qualitatif, sont au cœur même du “produit” attendu !

Des gains de qualité et d’efficacité sont possibles dans ces activités “relationnelles”, mais ils échappent aux mesures de productivité et de croissance parce que ces concepts “fordistes” n’ont pas été pensés pour cela. Il faut alors recourir à des évaluations multicritères des “performances”.

Ainsi, non seulement les concepts majeurs de l’analyse économique font-ils l’impasse sur la “consommation productive” des ressources naturelles et sur les pollutions associées, mais ils semblent de moins en moins adaptés pour penser l’avenir de l’emploi dans une économie où les services relationnels prennent un poids croissant.

Il faudrait mettre à la place des évaluations démocratiques de l’utilité sociale et écologique des activités et des emplois. Les économistes y perdraient le monopole de l’analyse de l’emploi, qu’ils détiennent abusivement aujourd’hui. Mais on verrait probablement qu’il ne faut pas moins de travail, mais plus, et de meilleure qualité, pour répondre à des besoins justifiés et plus “soutenables”. Un chiffre : pour atteindre le même “taux d’emploi”, par rapport à la population en âge de travailler, que la Suède dans les services relationnels de proximité, nous devrions créer trois millions d’emplois, majoritairement publics et associatifs…

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La grande relève, c’est MAIN-TE-NANT.

par M. DEHOUSSE
31 décembre 2006

Lecteurs convaincus de la valeur humaniste, de la justesse de raisonnement de Jacques Duboin, vous regrettez certainement que ses idées et tous les développements qu’en ont faits ses héritiers ne soient pas mieux connus. Et que La Grande Relève ne soit pas mise en évidence sur les présentoirs des marchands de journaux, sous prétexte qu’elle n’et pas “vendeuse” . Il faut croire que les théses de l’Économie distributive étaient trop en avance sur leur temps, et que les citoyens ne sont pas encore assez persécutés pour se révolter ! Toutes les couches de la société sont aujourd’hui sinistrées par la voracité du feu capitaliste, la lutte des classes était bien un épiphénomène !

Or plusieurs groupements politiques engagés dans les campagnes électorales de 2007-08 ont enfin réalisé que les fondements démocratiques étaient anéantis par la primauté du pouvoir économique orienté vers le seul profit. Certains veulent que l’économie soit au service du politique et non l’inverse, mais aucun n’a de solution pour réaliser ce qui risque de rester un vœu pieux, car tous raisonnent sans remettre la monnaie capitaliste en cause. Tout au plus proposent-ils des aménagements, des taxes, des prélèvements, bref, des RE-distributions, toutes ces recettes qui mécontentent les uns, sans pour autant faire le bonheur des autres.

La solution ne peut venir qu’en se réappropriant le débat politique. L’émergence du concept de gestion politique participative est patent depuis quelques années. Or le collectif pour une Alternative à Gauche est l’un des plus sensibles à cette pratique. C’est pour cela que j’ai proposé une contribution (N°130) intitulée « De nouveaux moyens monétaires pour notre politique » sur son site - forum .

Celle-ci a déjà reçu la réponse de l’un d’entre vous, lecteurs, mais cela ne suffit pas. J’invite donc tous les distributistes à participer aux débats électoraux par la voie des forums de tous les candidats sur internet. Vous trouverez sur le site de l’AED un menu pour vous relier à la campagne 2007-08.

Sachez que dans un forum, une idée n’est lue et perçue que si les débats qui l’entourent sont nombreux et actualisés. Il faut absolument que les distributistes entrent en effervescence, comme des bulles de champagne quand on ouvre la bouteille. et dès maintenant.

J’ai fait mettre un lien web de l’AED/GR sur le site de la coalition antilibérale, et par réciprocité la GR a créé le lien inverse. Par esprit de pluralité, et parce que l’économie distributive est universelle, lecteurs, à vous de jouer : créez tous des liens semblables avec le maximum de candidats.

Internet permet instantanément des échanges d’idées. Les forums permettent plus de participation. Bref, les technologies actuelles rejoignent enfin les pensées visionnaires de Jacques Duboin et les réflexions de ses successeurs.

Ne ratons pas ce rendez-vous et agissons maintenant, adressons-nous dans un langage simple à tous, et surtout aux jeunes.

Notre rôle dans cette campagne est de montrer qu’il existe une alternative à la soumission au système dominant.

En apportant une solution technique réaliste, la monnaie de consommation, nous rendons l’espoir d’un changement, nous pouvons réconcilier les citoyens avec la politique et avec leur avenir.

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