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   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
 
 
 
 
 
AED La Grande Relève Articles N° 1029 - février 2003 > Sommes-nous trop de retraités ?

 

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Les retraites

L’énoncé d’un problème de mathématiques commence par « Etant donné que… », et à partir de là il n’y a plus qu’à tirer les conséquences. Or, selon Paul Vincent, les solutions “de bon sens” qu’on nous propose pour les retraites découlent d’un problème qui aurait été mal posé. Il rappelle ici combien le sens du “social” a eu du mal à se faire jour dans la deuxième partie du XIX ème siècle ; les patrons avaient alors un tout autre raisonnement pour justifier leur manque de générosité. Ils ne pouvaient guère alléguer que les gens ne travaillaient pas assez et c’est sans doute à cette époque qu’ils ont inventé l’adage selon lequel on ne peut distribuer que ce que l’on produit, un adage que nous avons encore entendu pour justifier les restrictions pendant et après la dernière guerre. Et il est certain que, sauf à faire l’économie des guerres et à rogner un peu sur les dépenses somptuaires d’une minorité, il était difficile au XIX ème siècle de nourrir, d’habiller et de chauffer tout le monde de façon convenable, compte tenu de l’état des technologies : point de machines agricoles, des industries installées au fil des rivières fonctionnant avec l’énergie des moulins à eau… Mais depuis cette époque, l’énergie mise à la disposition des hommes par l’intermédiaire de toutes les machines qui sont à son service a été multipliée par plus de 500 (Relire d’André Prime Un socialisme à visage humain). Pourquoi donc avoir changé de raisonnement et, alors qu’il y a surproduction, obliger les gens à travailler davantage ? Et qu’on ne vienne pas nous servir de belles phrases du genre « L’homme esclave des machines ! » Il faut voir à qui profitent les machines et qui veut monopoliser les bienfaits du progrès.

Sommes-nous trop de retraités ?

(suite)
par P. VINCENT
février 2003

Pourquoi par ailleurs se laisser entraîner dans des discussions sur le nombre d’actifs ou d’heures travaillées, même quand il s’agit de productifs, alors que le seul chiffre qui compte est celui de la production ? Si la production augmente, peu importe que moins de gens travaillent et qu’ils travaillent moins ! (à condition bien sûr que cette richesse croissante ne soit pas répartie de façon de plus en plus inégalitaire, profitant seulement à quelques-uns pendant que diminue la masse des salaires et que s’accroissent le chômage et la clientèle des “restos du cœur”.) Avec dix fois plus d’agriculteurs travaillant bien davantage, on avait jadis des famines, alors qu’aujourd’hui l’on exporte. Pourquoi faudrait-il travailler plus dans l’agriculture, quand on bute sur des problèmes de surproduction, avec à la clé le versement de primes pour détruire les excédents ou une politique de dumping qui ruine les paysans du Tiers-Monde ? C’est la même chose dans tous les domaines. Et parce qu’en dehors de quelques industries bien connues fabriquant des matériels de destruction et qui, elles, se portent bien, de nombreux emplois disparaissent, faut-il en recréer à tout prix en fabriquant n’importe quoi, par exemple d’autres matériels de destruction, ou des tas de gadgets inutiles pour les gens, leurs chiens et leurs chats ?

Selon les critères actuels de la Droite ou du Medef, les conditions idéales pour les retraites, c’était il y a 150 ans : les gens travaillaient jusqu’à leur mort parfois depuis l’âge de 8 ans, aux environs de 15 heures par jour (c’est ce qu’indique un ouvrage publié en 1840 par le Dr Villermé) et 6 jours par semaine, sans autre jour de repos que les fêtes religieuses. Et pourtant point de retraites ! Les arguments du patronat n’étaient pas les mêmes qu’aujourd’hui et ils avaient quelque valeur à une époque où, sans l’aide des machines, le travail humain était certes trop peu productif. Mais pourquoi avoir entre temps changé de discours et vouloir nous empêcher de profiter tous du progrès ?

Honte à nous ! Ce sont les Allemands qui ont été les pionniers dans le domaine social et qui, sous l’impulsion de Bismarck et de Guillaume II, tant honnis par nos aïeux, ont les premiers institué des assurances en cas de vieillesse ou pour d’autres motifs d’incapacité de travail, ce dont l’Allemagne ne s’est pas plus mal portée. C’est d’ailleurs à cause de ce mauvais exemple allemand que chez nous, ceux qui, pour des raisons humanitaires, se battaient en vain contre le travail des enfants, se sont vus rejoints par la droite patriotique. Celle-ci avait fini par comprendre que, si l’on voulait qu’à 20 ans ils puissent mourir pour la Patrie, il ne fallait pas les tuer au travail avant. En 1867, dans la Revue des Deux Mondes, le Dr. Cochut décrit le triste état de misère physique des 109.000 garçons de vingt ans, le tiers de la classe d’âge, qui ont dû être réformés cette année-là. Il faudra attendre la leçon de la défaite de 1870 pour pouvoir faire passer une loi interdisant le travail des enfants au-dessous de 12 ans. Elle fut soutenue, il faut le rappeler, par un industriel qualifié de “philanthrope”, ou encore d’“utopiste” : Jean-Baptiste Godin qui, à côté de sa fonderie de Guise où l’on fabriqua pendant plus d’un siècle ses fameux poêles à charbon, avait édifié une cité idéale qu’il avait appelée Familistère et dont on parle encore aujourd’hui.

Il existe un ouvrage de l’historien François Jacquet-Francillon, Naissances de l’École du Peuple, où l’on voit bien le lent cheminement parallèle de l’instruction et du progrès social. On y découvre les nombreux personnages artisans de ce progrès, dont on ne parle malheureusement jamais dans les habituels livres d’histoire. Le cas d’un patron comme Jean-Baptiste Godin est loin d’y être un cas isolé, alors qu’aujourd’hui les statuts des Sociétés anonymes ne sembleraient permettre la “philanthropie” que vis-à-vis de leurs dirigeants.

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