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AED La Grande Relève Articles N° 1070 - novembre 2006 > L’immigration

 

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Témoignage

L’immigration

par P. VINCENT
17 novembre 2006

Même si l’immigration nous paraît aujourd’hui insupportable, mieux vaudrait ne pas crier trop fort !

Bien sûr qu’il est fâcheux pour nous, pour eux aussi sans doute, de continuer à voir arriver de nouveaux demandeurs d’asile ou de découvrir de nouveaux immigrés clandestins. On sait que cela n’arrange pas tout le monde, étant donné que fort heureusement tout le monde n’est pas “employeur au noir”. Je regrette également que certains immigrés veuillent importer chez nous ce qui serait selon eux des exigences impératives du Coran, car j’eus souhaité pour ma part ne pas être soumis dans mon enfance à celles de l’Eglise catholique, alors tout aussi intangibles. Certaines pourtant, comme l’interdiction de consommer de la viande le vendredi, ont disparu miraculeusement. Et nos intégristes ont fini par s’accommoder, pour la plupart, d’institutions laïques qui permettaient de vivre ensemble dans une société ouverte à tous. Nos actuels problèmes devraient aussi pouvoir être résolus de manière consensuelle, sans que nous ayons besoin de brandir l’argument ultime du droit de rester maîtres chez nous. C’est vrai que nous avons tout à fait ce droit. Mais l’avons-nous toujours bien respecté chez les autres ?

Ces étrangers dont nous trouvons aujourd’hui qu’ils exagèrent, ne nous est-il pas arrivé d’aller nous installer chez eux, non pas clandestinement, mais les armes à la main ?

Et les dizaines de milliers de bagnards que nous avons envoyés en Guyane et en Nouvelle-Calédonie en plus de nos militaires et de nos colons, était-ce pour leurs populations indigènes une immigration choisie ?

Quant au prosélytisme que l’on redoute avec raison de la part de certains musulmans, n’a t-il pas eu son équivalent chrétien du côté de nos colonialistes ?

Gabriel Hanotaux, de l’Académie Française, historien et homme politique, ministre des Affaires Etrangères durant la dernière décennie du XIXème siècle, écrivait encore en 1933 que la France « avait été appelée, par un ordre providentiel, à un devoir particulier dans l’évangélisation du globe » et il se désolait de ce qu’« il reste la moitié du monde à coloniser » [1].

Ces étrangers qu’on juge maintenant trop encombrants, n’est-ce pas nous qui souvent sommes allés les chercher ? D’abord pour faire la guerre à nos côtés, en 1939 comme je l’ai vu, en 1914 comme je l’ai appris par les récits de mes parents ou en visitant les cimetières militaires (je suis né dans une région frontalière avec la Belgique où il y eut beaucoup de combats) et même déjà en 1870 comme je l’ai pu lire. Ensuite pour nous aider à reconstruire et à redémarrer le pays à partir de 1945 après les destructions de la dernière guerre. On ne pouvait débuter une carrière d’ingénieur en 1949 sans aussitôt s’en apercevoir. J’en ai vu ainsi arriver en grand nombre dans les premiers secteurs où j’ai travaillé, celui des mines de fer et de la sidérurgie, puis celui de la construction automobile. J’en ai vu quelques dizaines partir de chez eux entassés dans la soute à bagages du Bréguet-Deux-Ponts qui me ramenait d’Alger en 1952.

Et que penser de cette colonisation à l’envers quand, pour repeupler la Creuse, nous ramassions à la Réunion les présumés orphelins ou autres enfants pauvres sur l’assurance donnée à leurs familles qu’ils trouveraient chez nous une vie meilleure ? C’était une idée de Michel Debré (le père de l’actuel président de l’Assemblée Nationale) qui fut pendant 25 ans, à partir de 1963, député de la Réunion et fit parallèlement une brillante carrière dans les gouvernements du général De Gaulle. Ces “transferts”, opérés sous le couvert de la Direction Départementale des Affaires Sanitaires et Sociales (DDASS), touchèrent plus de 1.600 enfants de 7 à 14 ans, et purent durer de 1963 à 1980 malgré quelques protestations, vite étouffées, comme celle du directeur général de la Santé, le professeur Denoix, qui s’attira cette réponse sans appel : « L’entreprise doit être poursuivie avec d’autant plus de constance qu’elle peut être combinée avec un admirable mouvement d’adoption que nous n’arrivons pas toujours à satisfaire ».

Cette immigration choisie donna lieu à quelques réussites, mais aussi à bien des drames : des frères et sœurs furent séparés (c’est le sujet du film de Francis Girod “Le pays des enfants perdus” récemment reprogrammé à la télévision), d’autres enfants furent exploités, parfois maltraités, plus ou moins gravement. Certains, ayant pu retourner longtemps après dans leur île, y ont retrouvé leur famille et découvert parfois les fausses promesses qui avaient permis de les retirer à leurs parents. Ceux-là ont fondé l’Association des Réunionnais de la Creuse qui, en août 2005, a chargé Maître Gilbert Collard de porter plainte contre l’État pour « violation des lois sur la famille et sur la protection de l’enfance, violation des conventions internationales, non-respect des droits de l’enfant ».

On voit par ces exemples que quand on détient le pouvoir et que l’on est le plus fort, on fait souvent ce qui vous arrange sans trop se soucier du droit, « car tel est notre bon plaisir » ou parce que « le droit, c’est moi ». Mais on l’invoque volontiers lorsqu’on n’est plus assez fort pour faire tout ce qu’on veut et que la situation se retourne.

Des événements de notre Histoire ont malheureusement entraîné beaucoup de nuisances et de souffrances, d’où des ressentiments tenaces susceptibles de résurgences tardives, comme l’illustrent les débats toujours en instance sur la colonisation et l’esclavage, la reconnaissance envers les anciens combattants indigènes ou la situation des anciens harkis.

Ce que la colonisation a apporté de positif aux peuples colonisés, ce sera à eux un jour de le dire. On pourrait de notre côté commencer par reconnaître les côtés positifs de l’immigration qui en est le contrecoup lorsqu’il s’agit d’immigrés venant de territoires autrefois colonisés.

À ce propos, la création des DOM-TOM ne constitue-t-elle pas un exemple de régularisation massive réussie, en plus à titre préalable, avec des gens dont la plupart n’étaient jamais venus en France et pouvaient dorénavant être incités à s’y installer ? Y a-t-il eu pour cela un brutal effet d’appel d’air, comme on en a aujourd’hui la hantise ? Certes, au cours des ans, pas mal d’Antillais et de Réunionnais se sont installés en France, mais il en reste quand même encore beaucoup dans leurs îles. Et ceux qui sont ici se sont parfaitement intégrés. Exerçant les professions les plus variées, souvent ils y excellent, accédant parfois à la célébrité, tels Henri Salvador né en Guyane de parents guadeloupéens ou le Réunionnais Maître Jacques Vergès.

Sans avoir fait de tri sélectif à l’entrée, nous avons souvent eu la main heureuse en matière d’immigration. Elle nous a apporté des champions sportifs, des acteurs, des artistes, des écrivains, des prix Nobel et quantité d’autres gens intéressants ou utiles quoique dans des positions moins en vue, à qui nous avons affaire tous les jours. Puisse la peur de voir se déverser sur nous toute la misère du monde ne pas nous priver de ces richesses… Paul Vincent.

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[1] Pour l’Empire Colonial Français, Ed. Sté de l’Histoire Nationale, (Plon)

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