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   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
 
 
 
 
 
AED La Grande Relève Articles N° 1070 - novembre 2006 > II. Vers une société post-marchande

 

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Réflexion

Ayant montré, sous le titre “Cessons d’avoir à mendier du travail” (GR 1069), que l’abolition du marché du travail est dans la logique de l’Histoire et ne serait pas une calamité, Jean Mathieu s’attache ici à faire réfléchir les “Verts” sur une proposition qui tient compte de la réalité sans sortir du système actuel :

II. Vers une société post-marchande

par J. MATHIEU
17 novembre 2006

Société post-marchande est une heureuse formule car elle permet d’ouvrir un avenir imaginable autrement qu’avec les mots pervertis de socialisme, communisme, anarchisme et autres grandes idéologies qui ont déçu les rêves du 19ème siècle. Pour autant il ne semble pas que ce néologisme obtienne un grand succès auprès de nos décideurs mandatés car il demande quand même une portée de vue qu’ils sont encore loin de revendiquer.

De gauche comme de droite, nos élus s’emploient donc prioritairement à “faire en sorte” que le capitalisme continue de jouer son rôle d’employeur solvabilisateur de la société, comme si de rien n’était, et dans cette perspective en trompe-l’œil, ils en arrivent même à rêver d’un “désengagement de l’État”, ce qui est un comble !

La seule logique qui, en fait, permettrait de progresser encore par cette voie implique soit l’expansion sans fin des bureaux, des ateliers, des chantiers, et des indispensables clients, soit une réduction régulière des temps de travail qui oblige les employeurs à réembaucher les exclus et, ce faisant, à les réintégrer dans les prix de revient. Si l’on parvenait à réglementer le jeu concurrentiel sur cette base-là, on pourrait effectivement croire à une possible sortie de crise.

Dans son Histoire de demain l’éminent professeur en libéralisme Jean Fourastié pronostiquait de cette façon la pérennité du plein emploi, ce qui lui permettait d’annoncer en 1956 que « le fléau du chômage est définitivement vaincu ». Il est vrai qu’à l’époque de Fourastié l’enjeu du devenir social alimentait une guerre froide compétitive qui ne permettait pas aux condottières du capitalisme de faire n’importe quoi avec leurs mercenaires de la classe ouvrière.

Devenus seuls maîtres du jeu, les dogmatiques de la concurrence mondialisée ramènent les belligérants à une autre forme de guerre : sur l’exercice en cours c’est le moindre prix de revient qui gagne la partie. Point final ! Que les éliminés du salariat s’inventent eux-mêmes un petit commerce, ou qu’ils aillent se faire pendre ailleurs, cela ne regarde qu’eux.

Face à cette déferlante qui défie toute moralité, on comprend cependant pourquoi les tentatives de partage du travail, comme celle esquissée par les 35 heures, restent un constant sujet d’atermoiement sous le coude de nos politiciens. Le débat permet au moins de tenir le temps d’une législature, et même de promettre qu’on fera mieux la prochaine fois.

Autre aspect de la même option, mais sans doute un peu plus malin, la formule chère à Jacques Calvez, la relève des générations : les vieux partent quand les jeunes arrivent, et tout le monde devrait être content. ça demanderait certes un peu plus de préparation psychologique, mais si on généralisait bien ce roulement en fonction des desiderata des employeurs, des employés, et des aspirants à l’emploi, ce serait assurément loin d’être ridicule. Sauf, bien entendu, pour les sempiternels coincés de la finance, qui calculeraient qu’entretenir des retraités revient plus cher que contempler la file d’attente des jeunes chômeurs. Encore que l’entretien d’un secteur d’inactivité carcérale, en pleine expansion, devrait les ramener à des calculs plus honnêtes.

*

L’état des forces en présence empêchant tout pronostic quant à la mise en œuvre d’une politique de partage du travail au niveau des entreprises, reste donc à chercher d’autres moyens de s’en sortir. Ainsi voit-on émerger une solution plutôt attristante mais relativement défendable dans le contexte d’immaturité sociale où nous pataugeons encore : maintenir artificiellement l’échange salaire contre emploi, en s’employant laborieusement à réinventer du travail.

Il y aurait certes de quoi faire pleurer un singe sur sa branche s’il concevait que c’est pour en arriver là qu’un de ses ancêtres en est naguère descendu.

Mais enfin, puisque nous voilà en devoir de « faire en sorte de travailler » pour échapper aux très modernes Restos du Cœur… et puisqu’il s’avère moins utopique de revendiquer un boulimique droit au travail, générateur de gaspillage, plutôt que l’émancipateur droit aux loisirs, générateur de liberté, profitons de cette déplorable disposition d’esprit pour tenter une autre stratégie : acceptons le sacro-saint principe de nos maîtres, mais cette fois en exigeant sa réelle application. Exigeons que, pour compenser les manquements d’un marché du travail de plus en plus aléatoire, tout citoyen soit effectivement assuré d’obtenir un emploi quelles que soient les performances de son curriculum vitae.

Ce nouveau contrat social pourrait s’énoncer au niveau constitutionnel en trois ou quatre articles sans ambiguïté :

•1•
Dans la mesure où le travail reste nécessaire pour pourvoir aux besoins de la vie en société, il en va de la justice et de la dignité que chacun puisse y prendre part.
•2•
Tant que le travail reste l’échange obligé du revenu monétaire, le droit à l’emploi se confond avec le droit à la vie, et comme tel ne peut être laissé dépendant des seuls intérêts d’une minorité.
•3•
Partout où l’offre marchande s’avère insuffisante à satisfaire ces droits, les pouvoirs publics sont tenus d’offrir à tout citoyen demandeur un emploi socialement utile et honorablement rémunéré.
•4•
Il revient aux mêmes pouvoirs d’organiser en conséquence l’activité économique, les circuits financiers, et la répartition équitable des richesses produites.

Ainsi libellé, ce projet de loi n’implique pas a priori l’abolition du marché du travail avec son jeu de l’offre et de la demande individuellement négocié. Mais il décrète l’obligation d’employer ceux que l’insuffisance du marché amène à demander son application. Il ne génère pas de contrainte puisqu’il n’engage que les demandeurs. Il n’abolit que l’humiliant état “d’inemployabilité” dont on accable les chômeurs.

Sachant qu’aucun investisseur ni aucune banque créditrice n’ont pour objectif de créer des emplois, l’étrange unanimité des politiciens à vouloir en créer n’est recevable que dans la mesure où ils reconnaissent une autre obligation que celle de la rentabilité. Légiférer dans ce sens ne fait dès lors qu’entériner la recevabilité politique et la mise en forme juridique d’une société post-marchande en gestation.

S’il s’avère que l’offre marchande de demain reste apte à assurer l’essentiel de l’activité salariée, à la satisfaction quasi générale et sans nuisance écologique, il ne tient qu’aux chantres du libéralisme de le démontrer par leurs investissements judicieux et pourvoyeurs d’emplois.

Si par contre la motivation du profit, source essentielle du dynamisme libéral, n’est plus en mesure d’irriguer convenablement la société du pouvoir d’achat dont elle dépend pour vivre, nous voilà bien contraints de mettre en œuvre la société post-marchande.

« Le chômage n’a plus lieu d’être, tout citoyen a droit à un emploi rémunéré ». Tel est donc le principe simple donnant lieu à une loi tellement évidente pour la paix civile qu’on se demande comment nous nous accommodons de son absence depuis si longtemps !

*

Il est vrai que sur le chemin de l’émancipation sociale, on relève des précédents du même acabit. Le vote des femmes par exemple, plus de quatre siècles après qu’un laborieux Concile fasse l’effort de leur accorder une âme.

Aujourd’hui il s’agit de mettre un terme au développement des métastases de la décomposition sociale. Qui peut s’opposer en conscience à cette thérapie, sauf à admettre que le recours à la violence et ses dérives carcérales, dans un État de droit complètement dépassé, serait le seul avenir envisageable ?

Alors est-il insensé de penser que le parti des Verts pourrait faire de ce projet de loi un cheval de bataille un peu plus attractif et porteur d’avenir que la banalité plurielle où il est en train de s’enliser ?

Bien sûr, les inévitables faux-culs de la finance sociale-démocrate ne manqueront pas de masquer leur intime réticence sous les difficultés de réalisation. Mais ces difficultés, n’est-ce-pas notre rôle d’en expliquer les causes, de les affronter avec pertinence, et de chercher à les résoudre, puisque nous aspirons à gouverner en écologistes responsables ?

Il n’en reste pas moins vrai que le parti de créer de nouveaux emplois, plutôt que de se partager ceux qui restent, nous entraîne dans des pratiques de haute voltige, corporatives, administratives et financières, dont on n’a pas fini de discuter. Des emplois pour quoi faire ? Comment peuvent-il être utiles sans concurrencer les autres ? Et dès lors qu’ils ne sont pas rentables, avec quel argent va-t-on les payer ? La société post-marchande émettra-t-elle la monnaie de ses services ? Vaste chantier ! Tout le monde est à même de se rendre compte que les emplois prioritairement utiles sont réclamés partout dans les services publics, et qu’il est quand même désolant d’être amené à en chercher ailleurs.

*

Revenons-en donc à notre projet de loi, enfin voté. Il va de soi que parmi les inscrits à l’ANPE, bon nombre opteront immédiatement pour l’emploi public légalement accessible. Bref, voilà tout un chacun reconnu apte à devenir … fonctionnaire !

Horreur et damnation !!! J’ai bien dit fonctionnaire, sachant combien le mot dérange, pour être sournoisement associé à une charge financière abusive, négative, malsaine et pour tout dire contraire aux lois intangibles de la science économique. Le discrédit de ce mot révèle l’énorme tartufferie qui paralyse l’entendement du débat social, et qui, tel le « cachez ce sein que je ne saurais voir », contraint nos démunis de finance du gouvernement à « cacher ces fonctionnaires qu’on ne saurait payer ». Si l’argent du libéralisme n’a pas à financer les naufragés du libéralisme réfugiés dans les tâches incongrues de l’éducation, de la santé, de la sécurité, de la recherche, etc. qui pourra s’en charger si ce n’est l’institution monétaire sensée servir le peuple citoyen et qui, pour ce faire, répond au nom de Banque Centrale ? Certes, la monnaie du capitalisme libéral et celle de l’humanisme post-marchand ne jailliraient pas de la même source, mais doit-on désespérer des polytechniciens pour résoudre le problème de robinet qui consiste à connecter en aval les canaux solvabilisateurs ?

Il est vrai que pour l’heure, les hyper chevaliers du Nasdaq et de la Net économie s’apprêtent à abreuver le monde de félicités nouvelles. Calculant par ailleurs que le baby-boom des Trente Glorieuses va bientôt muter, des circuits touristiques à la gérontologie assistée, puis au marché prometteur des pompes funèbres, nos experts sont bien aise de nous annoncer que tout plein d’emplois, on ne peut plus « modernes » prendront le relais de feu le salariat industriel…

Bon, j’avais bien tort de m’inquiéter.

Hardi les gars !

Il n’y a pas de sot métier !

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