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AED La Grande Relève Articles N° 1040 - février 2004 > L’expérience de Palmeira

 

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Nouvelle expérience au Brésil

Dans l’étude de la monnaie qui a paru l’année dernière nous avons consacré deux chapitres aux monnaies parallèles. Après les tickets-restaurant et autres bons d’achat (voir GR 1034), les systèmes d’échanges locaux, les banques du temps, les créditos, le dividende social et le SOL (voir GR 1035), voici une expérience de monnaie locale menée au Brésil. Eloisa Primavera, également fort impliquée dans les réseaux argentins de troc, l’a décrite au cours du troisième Forum Social Mondial de Porto Alegre dans l’atelier « Richesses, monnaies, lutte contre la pauvreté : nouvelles approches. Mise en réseau et croisement d’expériences existantes ».

L’expérience de Palmeira

par C. ECKERT
février 2004

Palmeira est l’un des quartiers les plus pauvres de Fortaleza, la capitale de l’état du Ceara au nord du Brésil et compte 30.000 habitants [1]. Ce quartier a été créé en 1973 en déplaçant la population d’un bidonville situé au bord de la mer pour construire un hôtel de luxe à cet endroit [2]. Ces gens qui vivotaient des produits de la pêche ont été installés dans un “nouveau quartier”, sans eau ni électricité, ni égouts comme le précédent, mais où l’on avait pris soin de planter un palmier, juste un, pour leur rappeler la mer. C’est ce palmier qui donna son nom au nouveau bidonville.

Malgré leur extrême dénuement, les citoyens de Palmeira décidèrent de prendre leur destin en main et, en 1981, créèrent l’Associação dos Moradores do Conjunto Palmeira (Association des habitants de l’ensemble Palmeira = ASMOCONP) afin d’urbaniser leur environnement. Durant les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix ils installèrent l’électricité, l’eau puis des canalisations et construisirent plus de cent maisons à l’aide de fonds obtenus dans le cadre de différents projets de développement [3]. Ce faisant, ils apprirent à gérer l’argent, ce qui les amena à vouloir utiliser le système des micro-crédits pour lutter contre la pauvreté. Grâce au soutien de deux organisations non gouvernementales qui donnèrent 2.000 Réals [4] de fond de roulement, la Banco Palmas, baptisée comme le quartier d’après l’unique palmier initial, fut créée en 1998.

La Banco Palmas

La Banco Palmas est gérée et administrée par un groupe de cinq personnes élues au sein de l’association ASMOCONP, puis formées aux techniques bancaires. Elle accorde des micro-crédits, de 10 à 300 Réals avec un taux d’intérêt compris entre 0 et 3 %, selon le type de crédit, alors que le taux officiel se situe autour de 10 %. Les crédits sont accordés pour des activités productives (ateliers, magasins, ...) ou l’amélioration de l’habitat. La Banco Palmas a également institué une carte de crédit, la PalmaCard. Pour bénéficier d’un prêt ou obtenir une carte de crédit, nul besoin de justifier de ses ressources ni de donner une quelconque caution, il suffit que des membres de la famille ou des voisins attestent de l’honnêteté de l’emprunteur. Après trois mois de fonctionnement, 90 crédits avaient été accordés, 150 familles disposaient de la PalmaCard, l’association ASMOCONP était passée de 500 à 900 membres, le commerce avait augmenté de 10 % et 20 emplois avaient été créés de manière directe.

Bien qu’il y ait moins de 2 % de retard dans les remboursements, la faiblesse du taux d’intérêt ne permet pas de couvrir les frais de fonctionnement. Cette banque d’un genre particulier est malgré tout autosuffisante car, d’une part, les frais de personnel sont pris en charge par la municipalité et, d’autre part, la plupart des tâches administratives sont effectuées par des bénévoles de l’ASMOCONP. Autre originalité, la place des femmes : elles représentent 65 % des clients de la banque, 80 % des bénéficiaires de crédits et elles sont trois parmi les cinq administrateurs de la banque.

Au bout des deux premières années d’activité, l’association ASMOCONP comptait 1.300 membres et la banque 870 clients. Les ventes locales avaient augmenté de 30 %, générant 80 nouveaux emplois, et 400 familles utilisaient la PalmaCard. Selon des enquêtes menées en 2000 auprès des clients de la Banco Palmas, 95 % d’entre eux considéraient comme positive la fonction de la banque, 83 % avaient plus confiance en eux-mêmes, 75 % voyaient la vie sous un meilleur jour et 95 % estimaient que leurs conditions de vie s’étaient améliorées [5].

Le projet Fomento

Une institution hollandaise, la fondation Strohalm, souhaitait, en 2001, valider la méthode Fomento (ce qui signifie développement) dont les buts sont :

• augmenter l’effet économique d’un don à une communauté sociale en utilisant l’argent donné comme soutien à une monnaie locale [6],
• renforcer l’activité économique locale, conséquence du caractère local de la monnaie créée,
• éventuellement pérenniser cette monnaie locale.

Une délégation de cette fondation rencontra des représentants de la Banco Palmas au Chili, au cours d’un congrès sur les monnaies sociales. Compte tenu de son expérience, la Banco Palmas fut retenue pour mettre en œuvre un projet Fomento de construction d’une l’école communautaire de socio-économie solidaire, Palmatech. L’accord fut passé en janvier 2002 pendant le deuxième Forum Social Mondial.

Les préparatifs

La phase de préparation, qui dura trois mois, consista à évaluer les capacités de production et de consommation du quartier Palmeira, à convaincre ses habitants de l’intérêt du projet et à réaliser une démonstration sous la forme d’un mini-projet.

Afin d’inciter les habitants à participer, un groupe de promoteurs (GP), quinze professionnels de la Banco Palmas préalablement formés à la méthode Fomento, fut mis en place. Ce groupe commença par organiser un marché local hebdomadaire, appelé club d’échanges, où les habitants furent invités à vendre et acheter des produit en utilisant une monnaie locale spécifique, le Palmares. Forts du succès de ce marché, certains artisans se mirent eux aussi à accepter les Palmares, attirant ainsi de nouvelles personnes et produisant finalement un effet boule de neige.

Parallèlement à ce club d’échanges, le GP prit directement contact avec des producteurs et entrepreneurs locaux. À chaque visite, ils vantaient les avantages sociaux et économiques de la méthode, expliquaient le projet et présentaient son objectif, la construction de l’école Palmatech. Leurs efforts permirent de constituer un groupe de trente-cinq entrepreneurs locaux s’engageant à accepter la future monnaie locale. Le nom et l’aspect de cette monnaie furent choisis, elle s’appellerait le Palma. Enfin, une fable expliquant le rôle de la monnaie, adaptée au contexte local, fut imaginée, différents supports pédagogiques (brochures, posters, ...) furent élaborés et des autocollants signalant que « ici on accepte les Palmas » furent distribués aux commerçants et artisans impliqués dans le projet.

Le mini-projet

En guise d’entraînement, la réalisation d’un mini-projet avait été décidée. Comme il devait être de courte durée, être sans risque et avoir une grande visibilité, le choix se porta sur un élevage de poulets. Il fallut trouver un lieu pour sa construction, élaborer le budget, faire prendre conscience aux familles participantes de l’importance qu’avait ce projet pour l’ensemble de la communauté et les former à la méthode Fomento.

Les coûts de construction et de main d’œuvre furent respectivement d’environ 1.000 et 500 Réals. Les matériaux de construction furent payés pour un quart en Réals et pour trois-quarts avec la nouvelle monnaie locale, le Palma. Les salaires furent versés en Réals pour un cinquième et en Palmas pour quatre cinquièmes. Grâce à ce système, une partie des Réals nécessaires à la réalisation du mini-projet furent économisés, ce qui permit de les utiliser pour accorder des prêts, aussi bien aux fournisseurs des matériaux de construction qu’aux personnes ayant directement travaillé pour le compte de l’élevage. Sur les quelque 1.500 Réals prévus pour ce projet, près des deux tiers furent distribués sous forme de prêts. Seules les personnes impliquées dans le projet en bénéficièrent car ils devaient être remboursés en Palmas. De plus, le remboursement devait se faire six mois après le prêt, afin d’inciter les emprunteurs à utiliser les Palmas pour leurs achats quotidiens plutôt que de les rapporter à la banque aussitôt acquis.

La construction de l’école Palmatech

Octobre 2002 marqua la fin de la période de préparation et le début de la construction de l’école Palmatech. Une grande cérémonie de lancement fut organisée, au cours de laquelle des journalistes ainsi que des représentants d’autres quartiers et des autorités locales de Fortaleza se joignirent aux habitants de Palmeira. L’élevage de poulets fut inauguré et Heloisa Primavera, coordinatrice du projet, expliqua la méthode Fomento et la façon dont, grâce à l’utilisation des Palmas, l’école serait construite.

Les frais de construction de l’école, d’une superficie de 240 m2, furent de l’ordre de 55.000 Réals. Comme pour l’élevage de poulets, ils furent autant que possible réglés en Palmas, et les Réals ainsi épargnés servirent à octroyer des crédits. La fondation Strohalm apporta les ressources financières par un don et la Banco Palmas eut la responsabilité de la conduite du projet.

Les onze personnes embauchées pour la construction suivirent une formation au cours de laquelle la méthode Fomento leur fut expliquée et les détails concernant leur rémunération, discutés. Ils estimèrent avoir besoin de 20 % de leur salaire en Réals pour leurs dépenses en services publics (eau, électricité, téléphone, ...) et l’achat d’objets introuvables au sein de la communauté, de sorte qu’ils perçurent 80 % de leur traitement en Palmas. Les matériaux de construction furent eux aussi presque tous payés en Palmas et la banque accorda des crédits en Réals aux fournisseurs.

Au total, près de 90 % de l’apport initial furent dépensés en Palmas dans le cadre de la construction de l’école Palmatech et purent être prêtés en Réals. L’apport a donc été utilisé quasiment deux fois, pour la construction de l’école et pour l’attribution de crédits.

L’essentiel du projet se déroula entre novembre 2002 et février 2003. La plupart des prêts furent tout de suite débloqués, les dépenses liées à la construction de l’école furent surtout faites en décembre et janvier, et la majeure partie des prêts furent remboursés en janvier et février. A la fin mars, 2.000 Palmas environ n’étaient pas revenus à la banque. Certains ont pu être perdus ou détruits, d’autres ont pu être gardés comme pièces de collection et d’autres encore ont pu être conservés pour des dépenses ultérieures. Lorsque la construction fut terminée, fin janvier 2003, la Banco Palmas avait en effet décidé de poursuivre l’usage des Palmas. Elle a donc continué, d’un côté à payer une part du personnel, des biens et des services (peinture de la façade par exemple) en Palmas et, de l’autre côté, à accepter des Palmas comme remboursement de prêts. Les montants ainsi mis en circulation devinrent cependant inférieurs à ce qu’ils étaient durant le projet Fomento proprement dit. De plus, les Réals économisés n’ont plus été réutilisés pour accorder des crédits mais pour alimenter un fond de garantie qui assure la convertibilité entre Palmas et Réals.

Les éléments de satisfaction

Pour arriver à la finalisation du projet, il était nécessaire que le plus de gens possible aient suffisamment confiance dans la monnaie locale pour l’accepter comme moyen de paiement de biens et services. Cette confiance a pu être obtenue par la campagne de promotion qui a bénéficié de plusieurs effets. D’une part, le fait que la Banco Palmas ait été le référent du projet a joué un grand rôle de par sa réputation et celle de l’association ASMOCONP qui en était à l’origine. D’autre part, les démarches du GP ont conduit à la participation de 40 commerces de toute sorte (confection, pharmacie, boulangerie, commerce de céréales, bar, épicerie, salon de beauté, ...) qui ont chacun apposé un logo sur leur devanture et une affiche à l’intérieur afin d’être facilement repérables par les détenteurs de Palmas. Une bonne part du succès du projet vient également du fait que les crédits accordés en Réals devaient être remboursés en Palmas. Les emprunteurs se voyant dans l’obligation d’accepter les Palmas, la confiance en cette monnaie s’en est trouvée accrue. De plus, le taux d’intérêt était inférieur de moitié au taux habituellement pratiqué par la Banco Palmas. Comme pour les autres micro-crédits accordés par cette banque, quiconque était membre de l’ASMOCONP et jugé responsable et honnête par ses voisins pouvait emprunter, si bien que les bénéficiaires, 34 entreprises locales, ont en majorité été des micro- et petites entreprises.

Plus de 1.500 personnes ont pris part d’une manière ou d’une autre au projet Fomento, dont environ 70 % de femmes de 30 à 45 ans n’ayant pas dépassé le niveau d’études primaire. Le club d’échanges a vu passer quelques 200 personnes chaque semaine et de l’ordre de 300 habitants de Palmeira ont utilisé des Palmas pour leurs achats. Si la partie visible du projet Fomento consistait en la construction de l’école Palmatech, des effets beaucoup plus profonds sur l’économie locale en étaient attendus. Les crédits accordés ont augmenté les capacités de la production locale et les emplois créés pour construire l’école ont augmenté le pouvoir d’achat, ce qui a généré une dynamique de développement dans la communauté. Les objectifs du projet ont donc été remplis, comme l’ont montré les résultats d’une enquête menée par des chercheurs de l’université de Bahia auprès d’un groupe de 30 personnes composé de cinq entrepreneurs qui avaient accepté les Palmas et cinq qui ne l’avaient pas fait, cinq employés de l’école Palmatech, cinq fournisseurs qui avaient accepté les Palmas et cinq qui ne l’avaient pas fait, ainsi que cinq personnes qui avaient participé à un précédent projet. Toutes ces personnes ont d’abord rempli un questionnaire puis ont dialogué avec les chercheurs au cours d’un entretien.

Outre cette augmentation des capacités de production et du pouvoir d’achat, l’analyse des données récoltées a mis en évidence un accroissement de la crédibilité de l’ASMOCONP et de la Banco Palmas, ainsi que de celle des entreprises participantes. Il apparaît là une grande interdépendance puisque c’est la réputation de l’ASMOCONP et de la Banco Palmas qui a motivé les entrepreneurs dans leur décision de participer au projet et les habitants à accorder crédit d’abord aux Palmas, puis aux entreprises elles-mêmes, considérant que leur participation était la preuve de l’intérêt qu’elles portaient au développement de la communauté, avec en retour une amélioration de l’image de l’ASMOCONP et de la Banco Palmas.

La part des coûts de construction réglée en Palmas s’étant révélée supérieure aux 70 % fixés par le programme, les crédits ont pu être plus nombreux. Le taux de remboursement de ces prêts était de 95 % au moment de l’enquête, dont 94 % remboursés en Palmas. En ce qui concerne l’objectif à long terme de vitalisation de l’économie locale, 89 % des personnes interrogées ont affirmé que tout ce qui pouvait être acheté localement pouvait être payé en Palmas, ce qui est un bon indicateur de la variété des entreprises participantes. En outre, tous ont avoué avoir modifié leur mode de consommation en préférant les achats sur place, payables en Palmas, aux achats à l’extérieur de la communauté. La vie économique locale n’aurait donc pas été autant stimulée si l’impulsion de départ avait été mise en circulation sous forme de Réals.

Et puis il y a eu la construction de l’école, qui n’était pas un simple prétexte comme le montre la liste des enseignements qui y sont dispensés. Dans les six mois qui ont suivi son ouverture en février 2003 une quinzaine de formations ont été organisées, accueillant chacune de 25 à 30 personnes, dans divers domaines liés à l’économie solidaire, au tourisme solidaire et à la confection en liaison avec la création d’une ligne de vêtements.

Et après ...

Si les résultats du projet Fomento se sont avérés très positifs, il faut tout de même garder à l’esprit que ce projet n’a duré que quelques mois et n’a touché qu’une petite partie des 30.000 habitants de Palmeira. Dans le futur, de tels projets devraient être menés à une plus grande échelle. C’est l’une des raisons pour lesquelles la Banco Palmas n’a pas retiré les Palmas de la circulation après l’achèvement du projet mais continue au contraire à favoriser leur usage.

Pour les quelques centaines de personnes qui ont participé au projet, l’amélioration de leurs conditions de vie permise par l’instauration des Palmas a été telle que, comme nous l’a rapporté Heloisa Primavera à Porto Alegre, ils parlent de l’argent du diable, pour eux les Réals, objet de spéculation, et de l’argent de dieu, les Palmas, qui rendent possible leur développement social.

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[1] site : www.strohalm.nl/english/materials/Bonus_Brazil_Fianl_Report.pdf, juillet 2003

[2] site : www.coepbrasil.org.br/noticias.asp ?id_noticia=181

[3] habitat.aq.upm.es/bpal/onu98/bp553.html

[4] Le taux de change était d’environ 3 Réals pour 1 Euro en janvier 2003.

[5] sites : habitat.aq.upm.es/dubai/00/bp727.html Et aussi : www.tve.org/ho/doc.cfm ?aid=850 et www.passerelleco.info/article.php3 ?id_article=67 (en français)

[6] l’argent donné est accordé sous la forme de micro-crédits qui doivent être remboursés en monnaie locale, cette monnaie locale servant à financer un projet.

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