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   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
 
 
 
 
 
AED La Grande Relève Articles N° 984 - janvier 1999 > L’emprise du marché

 

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L’emprise du marché

janvier 1999

L’arrivée au pouvoir en Grande-Bretagne de Margaret Thatcher en 1979, puis celle de Ronald Reagan aux États-Unis en 1981 ont ouvert les portes de l’Occident à l’économie libérale. Au printemps 1981, le “socialiste” Mitterrand, nouveau Président de la République, voulait “changer la France” mais il écrivait “qu’il n’avait pas été élu pour faire la Révolution”. Ses gouvernements successifs se laissaient gagner au fil des ans par l’ambiance néo-libérale, et, qu’ils soient de gauche ou de droite, reprenaient à leur compte l’antienne chère à Margaret Thatcher :“TINA” (There Is No Alternative = Il n’y a pas d’autre solution). En clair, privatisations massives, rigueur budgétaire et, pour cela, amaigrissement du secteur public et nationalisé, fin de l’État-providence, déréglementations en tous genres...

À Bruxelles, sous la présidence du “socialiste” Jacques Delors, les commissaires européens, et notamment les britanniques, laissaient libre cours à leur imagination libérale : libre échange, concurrence générale, ouverture totale des marchés,... De GATT en OMC, ils préparaient déjà l’AMI [1] !

En France, on jetait tout de même un coup d’œil sur ce qui se faisait outre-Rhin, et l’on se délectait à comparer les mérites du capitalisme rhénan, cogestionnaire, et du capitalisme anglo-saxon, pur et dur. La lutte contre le chômage étant déjà la priorité des priorités (du moins officiellement), on glorifia l’entreprise, et on alla même jusqu’à imaginer qu’une entreprise capitaliste puisse être “citoyenne”... !

C’était le temps des golden boys et de l’argent facile, celui “qu’on fait en dormant”.

Enfin, la chute du mur de Berlin en 1989, suivie peu après par l’implosion de l’URSS, balayaient les derniers obstacles qui restaient encore sur la voie de la mondialisation du capitalisme financier. C’était “la fin de l’histoire”.

En 1992 le démocrate Clinton succède au républicain Bush. L’économie américaine redémarre avec ses restructurations sans pitié. Plus les licenciements sont importants et plus Wall-Street flambe... mais le fossé entre riches et pauvres s’élargit et, pour faire bonne mesure, Clinton supprime les fonds fédéraux alloués à l’aide sociale. N’ayant plus aucun opposant idéologique, les États-Unis s’affirment comme les gendarmes du monde et tentent d’imposer leur domination économique à l’ensemble de la planète par le décloisonnement et la déréglementation des marchés. Mais le système est pervers et la bulle financière éclate en Asie du Sud-Est ; la Russie, privée d’État, en proie à la mafia, est en faillite, et le Brésil menace à son tour de s’effondrer... Bref, c’est la crise ! Y compris aux États-Unis où les signes inquiétants s’accumulent : depuis mars, 150.000 emplois industriels ont été supprimés (Boeing vient d’ailleurs d’annoncer quelque 50.000 licenciements prochains), les exportations continuent de s’effondrer et les profits des entreprises commencent à baisser...

Entre temps, l’Union européenne a presqu’entièrement viré au rose (très clair !) : T.Blair en Grande-Bretagne, L.Jospin en France, G. Schröder en Allemagne, ont succédé à des gouvernements conservateurs. à des degrés divers, ils rêvent d’une “troisième voie” qui associerait marché et protection sociale. Autant dire d’apprivoiser le loup lâché dans la bergerie !

Mais les commissaires européens “libéraux”, eux, sont toujours là et veillent au grain : concurrence oblige, les services publics nationaux doivent s’effacer devant l’entreprise privée dans l’intérêt supérieur des consommateurs. Dans cette affaire les Français sont particulièrement touchés car, comme le fait remarquer Régis Debray [2] : « dans le basic english de Bruxelles, “service public” se traduit par “monopole”... Il en résulte des dialogues de sourds ». D’autant plus que la France bénéficiait jusqu’ici d’un service public jacobin extrêmement développé... et, le plus souvent performant, quoi qu’en disent les grincheux démagogiquement confortés dans leur idée qu’il y a trop de “fonctionnaires”, qu’ils ne font rien et qu’ils nous coûtent cher. L’amalgame se fait bien facilement entre le postier, l’instituteur, l’infirmière hospitalière,... qui gagnent à peine plus que le SMIC, et le haut fonctionnaire sorti de l’ENA ou de l’X qui, de directions centrales en cabinets ministériels, finit par rejoindre le privé pour un salaire quatre ou cinq fois plus élevé que son traitement de fonctionnaire.

Et le brillant énarque ne tardera pas à devenir le pourfendeur zélé de “l’État-patron”.

Pire encore : des années de propagande idéologique pour “le marché” ne sont pas restées sans effet sur les modes de pensée de nombreux responsables (conseillers techniques dans les ministères, directeurs d’administrations centrales ou même cadres dans diverses institutions sociales,...). Anticipant les mouvements de privatisation, essayant de montrer qu’ils savaient gérer aussi bien (ou aussi mal) que le privé dont ils adoptent les méthodes, ... ils privilégient la rentabilité financière au détriment du service à rendre, de la mission à accomplir. Le mal touche indistinctement les services publics dit concurrentiels que les autres, la culture, le sport, ...

Bref, la marchandisation s’attaque maintenant à tous les ressorts de la vie.

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[1] Accord Multilatéral sur les Investissements, voir dans nos N°975 la description de l’accord et la pétition proposée, et N°982 les nouvelles menaces.

[2] dans Le Monde, 7/11/98.

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