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   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
 
 
 
 
 
AED La Grande Relève Articles N° 1055 - juin 2005 > La finance… plus destructrice qu’un raz-de-marée

 

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LECTURES

La finance… plus destructrice qu’un raz-de-marée

par M.-L. DUBOIN
juin 2005

Voici un petit livre que tout le monde devrait lire. Il s‘agit de “les tsunamis de la dette”, écrit par Damien Millet et Éric Toussaint, publié par le Comité pour l’annulation de la dette du Tiers monde (le CADTM), dont le siège est à Liège (Belgique), 345 avenue de l’Observatoire, et par les éditions Syllepse, à Paris, et qui ne coûte que 9 euros pour 190 pages.

Ce livre est bien fait, facile à lire et il apprend, ou rappelle, une quantité de faits historiques, en particulier du dernier quart de siècle, qui sont très lourds de conséquences et amènent à comprendre les ressorts de la politique mondiale actuelle. Or, qu’on le veuille ou non, qu’on le sache ou non, cette politique nous concerne tous et elle prépare notre avenir.

L’ouvrage part d’un fait, le séisme du 26 dernier dans l’Est de l’océan indien, dont la violence a été épouvantable et dont tout le monde a vu des images dans les médias. Il rappelle brièvement la chronologie de l’annonce des dégâts et cite quelques chiffres qui en donnent la mesure. La compassion devant la détresse des populations touchées semble avoir été générale, équipes de secours et dons sont arrivés sur les lieux, et des tentatives ont été faites pour les organiser en les adaptant pour qu’il soit paré, d’abord, au plus urgent.

La réaction du CADTM, deux jours après le drame, a été de se rappeler que les 5 pays les plus touchés, dont des régions entières ont été totalement anéanties, avaient alors une dette extérieure de 300 milliards de dollars. Une dette dont il a d’ailleurs été démontré qu’elle est “odieuse” parce qu’elle a été le plus souvent contractée par des dictateurs qui l’ont détournée des objectifs humanitaires fixés. Et c’est aux peuples, à qui elle n’a donc pas servi, qu’on demande maintenant non seulement de la rembourser, mais d’en assurer le “service”, c’est-à-dire le paiement d’intérêts exorbitants. C’est en effet plus de 32 milliards de dollars par an que les créanciers mondiaux exigent d’eux, dont 36% par les institutions financières internationales comme la Banque mondiale, le quart par des pays riches et le reste par des créanciers privés. Le CADTM a donc publiquement réclamé l’annulation de cette dette pour ces pays tellement sinistrés. Ce que l’association Attac a complété, une semaine plus tard, par la revendication d’un prélèvement fiscal mondial exceptionnel, par exemple de 0,005% de la capitalisation boursière mondiale, laquelle s’élevait, fin 2002, à 20 000 milliards d’euros.

Il faut voir les réactions à ces demandes et comment est accueillie l’idée d’une annulation, si légitime, de pareille dette ! Il faut lire le récit des interventions des autorités gouvernementales des pays les plus riches. Le montant des aides qu’ils promettent s’élèvent à 4 milliards de dollars au moment où, début janvier 2005, les dégâts sont estimés à 14 milliards. D’annulation de dette, il n’est pas question, la compassion des riches ira jusqu’à se mettre d’accord sur un moratoire. Et il faut comprendre ce que signifie cette générosité : il est accepté que ces pays dévastés ne paient pas cette année la rente qu’ils servent aux riches, mais quand ils reprendront leurs paiements, dans un an, ils devront en plus payer une pénalité de retard !

Si c’est avec stupeur qu’on découvre les réticences des pays riches à accepter un retard de paiement, même pour un moratoire tel qu’en définitive ils ne perdront rien, ce peut être avec étonnement qu’on apprend que des pays tellement touchés hésitent à accepter la remise, même momentanée, de leur dette. Et puis on comprend qu’il y a, hélas, deux raisons très légitimes à cette attitude. D’abord ils ne veulent pas admettre qu’on puisse imaginer qu’ils ne sont pas en mesure de payer leur dette. Pourquoi ? Mais parce qu’ils attachent, forcément, beaucoup d’importance à la note que leur mettent les agences de notation internationale (telles que Moody’s ou bien Standard and Poor’s). Or on sait comment raisonnent les acteurs économiques quand on lit ce qu’écrit alors le principal assureur des voyagistes français : « C’est une grosse catastrophe humaine, mais une toute petite pour les assureurs et les réassureurs ne seront pas sollicités », le plus dévastateur des tsunamis sur le plan humain ne saurait donc être pris en considération dans les critères d’évaluation de ces agences. Mais de la note qu’elles mettent dépend l’opinion des marchés financiers auprès de qui les pays touchés peuvent avoir à emprunter… « On voit là toute la perversité du modèle économique actuel, expliquent nos auteurs, que les dirigeants des pays touchés par une telle catastrophe préfèrent rassurer les marchés financiers plutôt que libérer des fonds pour aider leurs populations meurtries et reconstruire leurs côtes dévastées ».

L’autre raison, tout aussi importante, est que pour que leur dette soit “rééchelonnée” ils seront obligés d’en passer par un programme de contraintes dicté par le FMI, c’est-à-dire qu’ils devront suivre des prescriptions qui ne feront qu’aggraver leurs difficultés.

Le CADTM et d’autres mouvements sociaux ont donc insisté pour l’annulation et contre le moratoire en soulignant : « Sinon, vos dons serviront juste, tôt ou tard, aux pays dévastés à rembourser une dette devenue immorale… » Mais le club des pays créanciers, qui siège à Bercy, au Ministère français de l’économie, décide le 12 janvier… une suspension des paiements pour les pays qui en ont fait la demande, en précisant toutefois, car sinon l’Indonésie l’aurait refusé, qu’à titre tout-à-fait exceptionnel, étant donné l’ampleur de la catastrophe, qu’ils souhaitent que la suspension ne soit soumise à aucune condition… Néanmoins, ce moratoire, prévu pour durer jusqu’à la fin de cette année, sera complété par d’autres mesures, après évaluation du FMI et de la Banque mondiale. Le club des créanciers ne précise ni si cette suspension de paiement impliquera des pénalités de retard, ni si les intérêts continueront à s’accumuler. Mais il faut se rappeler qu’après le cyclone Mitch le moratoire qui fut accordé au Honduras, de novembre 1998 à février 2001, ne dispensa pas ce pays de payer les intérêts accumulés dans l’intervalle… Or, profitant du fait que le tsunami n’est plus d’actualité, le club de Paris se réunit le 9 mars pour décider que : « les intérêts moratoires courus en 2005 seront capitalisés et remboursés comme les montants différés ». Ces conditions sont bel et bien scandaleuses : un pays comme par exemple l’Indonésie qui compte plus de 200 000 morts et disparus dans le tsunami, devra rembourser non seulement ses 3 milliards de dollars de dette odieuse pour 2005, mais en plus des intérêts pour n’avoir pas effectué ce “remboursement” au cours de 2005.

Le CADTM a aussitôt dénoncé ce scandale dans un communiqué de presse, mais qui s’en est aperçu, quels médias s’en sont fait l’écho ?

Ce bref résumé du premier chapitre de cet excellent petit livre ne donne qu’une faible idée de ce qu’il fait découvrir. Il analyse les effets de la politique économique imposée aujourd’hui au monde entier par l’idéologie dominante et ses “programmes d’ajustement structurel”. Il montre que si les catastrophes naturelles sont à la fois plus fréquentes et plus graves dans les pays pauvres, ce n’est pas parce que les désastres aimeraient plus les pauvres que les riches, mais que ces derniers, pour relancer leurs économies en crise, n’ont eu aucun scrupule à inventer ce qui est appelé “une aide liée” : on vous prête de l’argent, mais vous réorganisez toute votre économie à notre avantage. Et pour “servir la dette” coûte que coûte, ce sont des populations entières qui sont sacrifiées. Les résultats sont là et en témoignent. La fragilité de l’environnement dans les pays concernés est une de ces conséquences, qui fait conclure que l’intervention humaine, en particulier celle de la finance sur les systèmes de production, tue davantage que les catastrophes naturelles.

Nos auteurs entreprennent alors de raconter comment le FMI et la Banque mondiale ont véritablement orchestré la faillite de l’Indonésie, ce pays que l’opinion n’a découvert que par le tsunami de décembre dernier, ou par ses plages de rêve pour touristes venus d’ailleurs. C’est un archipel à qui la nature a offert d’énormes avantages géographiques (carrefour maritime très bien placé) et de très grandes richesses, une très vaste forêt tropicale, des matières premières agricoles (riz, caoutchouc, cacao, soja, huile de palme, thé, sucre, bananes) et minières (étain, bauxite, nickel, cuivre) dont des gisements de gaz naturel et de pétrole, ces derniers étant, évidemment, devenus au vingtième siècle l’objet de toutes les convoitises. Longtemps chasse gardée, colonie des Pays-Bas dès 1605, l’Indonésie est envahie par les Japonais en 1941. Sitôt après la capitulation du Japon en 1947, un mouvement indonésien tente de dégager leur archipel de toute tutelle. Alors la Banque mondiale intervient pour aider les Hollandais en soutenant financièrement leur offensive contre les nationaux… En lisant la suite, l’histoire, les efforts puis l’échec d’un des précurseurs du mouvement des “non alignés”, Soekarno, l’offensive du général Suharto avec le massacre, en septembre 1965, d’au moins 500 000 civils accusés d’être des communistes, suivie de l’ère Suharto, “l’Ordre Nouveau”, l’ingérence des États-Unis passant par l’intermédiaire du FMI, on aboutit au Rapport mondial sur la Corruption 2004, de Transparency International. On comprend ce que fut le “miracle indonésien”, dont la Banque mondiale a entretenu la vision, en découvrant ce que furent les transmigrations forcées de populations entières “embauchées” en masse dans des entreprises transnationales qui exploitent les ressources du pays en violation totale des droits des populations autochtones.

Apparaît alors clairement le moteur de cette exploitation : « Tant le développement et la prolifération des exploitations intensives de ressources naturelles que l’accroissement accéléré des surfaces destinées aux plantations commerciales découlaient des programmes financés par les prêts internationaux. Et ces prêts étaient toujours conditionnés par l’ouverture de marchés à tous les niveaux — disparition des barrières douanières, attraction des capitaux étrangers, priorité aux monocultures pour l’exportation et privatisation des secteurs de distribution de biens et de services. »

À méditer…

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