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AED La Grande Relève Articles N° 1 - 16 au 31 octobre 1935 > La ligue de la médecine

 

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La vie médicale

La ligue de la médecine

par H. JAWORSKI
16 octobre 1935

Les bénéfices que dans tous les domaines apportera la réalisation du plan Duboin sont inconcevables. Notre mentalité routinière est effrayée par les changements. On dit, par exemple, que le travail des machines va donner aux hommes des loisirs qui protégeront la paresse ; or, au contraire, ces bienheureux loisirs vont permettre de créer à tous ceux qui aiment réfléchir, étudier ; même plus on pourra penser comme l’humanité ne l’a peut-être jamais fait encore !
Mais le sujet est trop vaste et nous devons nous cantonner à notre propre domaine. Dans la grande crise il y a une multitude de petites crises, morales et matérielles, celle du corps médical n’est pas la moins grave ni la moins douloureuse.
Traqué par les impôts, poursuivi par le terme, avec clientèle de plus en plus restreint et appauvrie, le médecin parisien se débat dans les plus grandes difficultés et perd beaucoup de son prestige... La médecine doit rester un véritable sacerdoce, mais que peut valoir celui d’un prêtre qui n’est pas sûr d’avoir son église demain... On accuse la médecine de vouloir se commercialiser et il y a malheureusement des médecins qui abusent et, à ce point de vue-là également, le public est victime. C’est pour cela que beaucoup d’entre nous depuis longtemps avons réclamé la fonctionnarisation des médecins comme d’ailleurs celle des avocats. Ces services publics doivent être payés par l’Etat et il est profondément regrettable et immoral que des questions d’intérêt particulier s’insinuent là où la souffrance humaine est en jeu.
Il est vrai que la grande majorité des médecins en France est hostile à la fonctionnarisation, mais c’est surtout à cause de l’état actuel des choses où la politique et les intrigues dirigent l’avancement.
Nous allons étudier un plan d’organisation de la médecine à Paris, tel qu’il pourra s’organiser avec la grande révolution qui vient, chose qui ne peut tarder à cause de la diminution fatale et progressive du profit et du pourvoir d’achat causée par le progrès du machinisme.
Mieux que n’importe quel argument, l’exposé de ce que sera la médecine dans l’organisation future montre les bienfaits qui nous attendent et la tristesse de la situation actuelle, autant pour les pauvres malades que pour les pauvres médecins.
Pour le moment bornons-nous à quelques considérations générales.
En principe on calcule qu’il faut un médecin pour mille habitants. Paris et le département de la Seine ayant environ 6600 médecins, on voit de suite que ce ne sont pas les médecins qui manquent, au contraire, parce qu’avec des organisations centralisées, les médecins pourront avoir beaucoup plus de loisirs.
La fin de la guerre je l’ai passée dans un centre spécialisé de neurologie. Jamais je n’ai vu de malades si bien soignés. Et vous allez comprendre facilement pourquoi.
Après un examen clinique minutieux et avec une feuille d’observation complète, le médecin a besoin d’examens spéciaux, d’analyses de laboratoire, qui viennent confirmer son diagnostic et éclaircir les points restés douteux. Notre centre était doté de services annexes, d’analyses cliniques, bactériologiques, biologiques, de radiologie, de physiothérapie, d’électrothérapie et d’hydrothérapie.
Il nous suffisait de signer un bon pour avoir une réaction électrique, une réaction Wassermann (d’ailleurs obligatoire), un examen du liquide céphalo-rachidien, une radiographie, etc., etc. Notre examen examen était parfait et en signant d’autres bons nous faisions faire aux malades des douches, des massages, de la physiothérapie, etc., etc. Il n’y avait que pour les médicaments et surtout pour les spécialités que nous étions un peu bridés ; mais il s’agissait d’organisations récentes et puis, c’était la guerre.
Or, figurez-vous la situation dans la médecine courant. Vous pensez comme médecin que le malade a besoin de tel ou tel examen, mais immédiatement le malade demande : Docteur, combien cela me coûtera ? et vous hésitez devant tel examen supplémentaire. Quelquefois, cela peut être grave. Je me souviens d’un jeune homme de 24 ans qui est venu me consulter pour des battements de coeur. Il avait la langue sale et cela semblait un cas banal. Heureusement ,e savais qu’il était riche, et je me suis permis de lui conseiller une radiographie. Cela semblait un luxe, mais il pouvait payer. Or, à ma grande surprise, la radiographie a révélé des plaques athéromateuses de l’aorte, c’est-à-dire de la syphilis. Le jeune homme a commencé par nier puis il s’est souvenu que son père prenait un sirop où il y avait du mercure. Le traitement l’a complètement guéri et sa vie a complètement changé. J’avoue que pour une chose si simple, en apparence, je ne me serais pas permis de conseiller une radiographie à un malade pauvre.
Et je ne parle pas de traitements. Tous les médecins nous sommes arrêtés tous les jours à cause des prix des traitements que les malades ne peuvent pas payer, même quand ils sont absolument indispensables...
Je crois d’ailleurs que ce n’est pas nécessaire d’insister davantage, même n’étant pas médecin, tout le monde doit reconnaître, il me semble, ces vérités premières. A elles seules, elles doivent imposer l’organisation sociale de la lutte contre les maladies.
D’une façon générale, l’organisation de la médecine, à Paris doit être basée sur l’établissement de centre médicaux par quartier.
Ces centres fonctionneraient surtout le matin et comprendraient un service de consultations de chirurgie ; un service de consultations dentaire.
2e Un petit hôpital par arrondissement, comprenant des services mixtes pour les personnes brusquement malades intransportables, les accidents de la rue et les hospitalisations très courtes.
3e A la périphérie de Paris, les grands hôpitaux et les hôpitaux spécialisés pour les accouchements, les maladies des femmes, les maladies des enfants, le chirurgie, le cancer, les maladies de la circulation et du coeur, les maladies de la bouche, les maladies de la peau et vénériennes, les maladies du tube digestif et des annexes, les maladies coloniales et les parasites, les maladies des voies urinaires de l’homme, les maladies nerveuses, les maladies mentales, les maladies du nez, de la gorge et des oreilles, les maladies du poumon, la tuberculose, les maladies des yeux, plus des centres spécialisés, celui de transfusions, celui d’applications électriques spéciales, celui de massage, etc.
Chacune de ces maladies que nous avons désignées exige un hôpital spécial. Il y a en outre, comme nous l’avons vu, les grands hôpitaux de médecine et de chirurgie. A chacun de ces hôpitaux doit être annexé un pavillon d’anatomie pathologique ou habitent des médecins spécialisés et qui font les autopsies. Les autopsies doivent être obligatoires et ne doivent jamais être faites par les médecins traitants ; ces derniers peuvent assister et même s’ils veulent aider l’autopsie, mais celle-ci doit être dirigée par le médecin spécialisé. C’est un contrôle très important et très instructif.
Dans l’aménagement des hôpitaux, avec l’organisation idéale que nous envisageons il y a lieu de penser, dans tous les cas où c’est possible, à la cohabitation de l’époux ou d’un parent du client. Pourquoi ajouter aux souffrances de la maladie l’isolement, quand il n’est pas nécessaire.
Dans une organisation aussi vaste beaucoup de points se présentent à l’étude, celle d’un hôpital de contagieux ou simplement des pavillons de contagieux dans les grands hôpitaux, celle des maisons de santé pour des malades chroniques de très longues durées, enfin les maisons des vieillards et de convalescents, ces dernières n’entrant pas dans le cadre de l’organisation de Paris.
Une autre question qui pourrait prêter à discussions est celle des visites particulières. Le traitement des malades étant socialement organisé, les médecins pourront-ils continuer à exercer chez eux ou seulement dans les dispensaires ou les établissements de quartier ? Les malades légers pourront-ils continuer à se soigner chez eux ? Je réponds à ces deux questions par l’affirmative, mais je serais heureux d’avoir l’opinion de mes lecteurs à ce sujet.
Sachant par exemple que l’organisation centrale est parfaite, absolument parfaite, une femme jeune, saine, avec une grossesse absolument normale, pourra-t-elle continuer à accoucher chez elle, ou devra-t-elle forcément aller à l’établissement central ? Voilà, par exemple, une question qui se pose. L’accouchement est un phénomène normal, physiologique mais quand même des complications imprévues peuvent subvenir. A l’établissement central, tous les secours sont prêts. D’un autre côté, malgré tous les soins les conditions d’aseptie à domicile ne peuvent pas être aussi parfaites que dans l’établissement. Mais il y aussi le côté moral, les semaines de séjour au lit obligatoires seront plus agréables au milieu de la famille, chez soi, que dans l’établissement pour si beau qu’il soit. Je le répète, je voudrais connaître l’avis du lecteur à ce sujet, car l’avenir doit avant tout apporter le bonheur et la joie.
C’est une question morale qui se pose. Scientifiquement la question est résolue. De l’établissement spécialisé on peut transporter l’accouchée chez elle, sans risques, au bout du 12e jour, dans une ambulance. Mais vous, public, vous, femmes, acceptez-vous de bon gré qu’il soit absolument défendu, dans votre intérêt d’ailleurs d’accoucher chez vous ?
Naturellement toute cette question comporte une foule de parties et chaque détail doit être étudié à part. Il y a par exemple le principe de la gratuité absolue, mais est-ce que certaines choses ne devront pas être payées ? Pour moi j’espère que non, mais comment limiter les abus ?
Une autre question capitale est celle du service d’urgence, des accidents aigus des maladies (hémorragies, ruptures, etc., etc.), des accidents de la rue, enfin tout ce qui comporte l’urgence. Paris à ce point de vue là est une des dernières villes du monde en ce moment.
Une autre question aussi capitale est celle du triage. Aujourd’hui le malade va où il veut, or c’est le médecin qui doit lui indiquer à quel service et à quel établissement son cas appartient. Le triage vers la fin de la guerre était admirablement fait.

(A suivre)

Dr H. JAWORSKI.

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