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   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
 
 
 
 
 
AED La Grande Relève Articles N° 1064 - avril 2006 > L’espérance trahie

 

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L’espérance trahie

par G.-H. BRISSÉ
29 avril 2006

On m’aurait dit, il y a quelques mois, que le CPE n’était autre qu’un Conseiller Principal d’Enseignement, je n’y aurais rien trouvé à redire. Que ce sigle se soit mué en Contrat de Première Embauche, voilà qui reflète bien la confusion des genres et le défaut d’imagination de nos dirigeants. Par l’exercice artificiel d’un énarque statisticien, conseiller du Premier ministre, ce qui n’était conçu à l’origine que comme une variante de contrat de travail a focalisé tous les ressentiments à l’égard d’une conception retorse de l’organisation de la société...

CPE, CNE, TPE, et tutti quanti, voilà bien la traduction la plus visible de l’inquiétude des jeunes et du corps social tout entier, précipités en permanence par une poignée d’énarques dans je ne sais quel labyrinthe de l’incertitude du lendemain, de la précarisation des temps où nous vivons, alors que les progrès des techniques et des capacités productives nous offrent de quoi accroître le bien-être croissant de tous les citoyens !

Hier, le baccalauréat ouvrait les portes de l’Université, et aussi l’accès à certains métiers. Aujourd’hui, il s’est déprécié, et tout en conservant les faux semblants du concours général, il se réduit à un simple sas d’accès à des études plus longues et qui n’en finissent pas !

Qu’offre-t-on à la jeunesse ?

Quelqu’un a déclaré, au grand dam du corps enseignant, que l’Éducation Nationale ressemblait à un mammouth, qu’il convenait de “dégraisser”. Que n’a-t-on pas encore instauré un vaste ministère de la promotion sociale, chargé de prendre en mains l’intégration sociale et professionnelle de nos jeunes, et bien sûr, des adultes ?

Si l’on pose le principe de la formation continue, on doit repenser le travail et la formation professionnelle en termes d’activités. Il est nécessaire d’intégrer le tout dans un profil de vie, qui mène corrélativement en termes de revenus et d’activités, jusqu’à la retraite effective, c’est-à-dire le moment où la société nous offre un repos bien mérité.

Mais pour ce faire, le baccalauréat doit être repensé comme un aboutissement par un contrôle continu des connaissances, un socle sur lequel s’articule le choix librement consenti d’une activité conçue au départ comme un examen de passage, par étapes, vers la condition d’adulte responsable, apte à s’adapter à des environnements multiples.

L’Éducation nationale doit être replacée dans sa vocation première, qui est de donner “des clartés de tout”, comme on disait au Siècle des Lumières, apporter certes des connaissances mais aussi le goût des connaissances, l’aptitude à appréhender, à analyser, pour mieux comprendre ensuite le monde où nous vivons, s’y adapter et éventuellement le transformer.

La vocation de l’Éducation Nationale n’est pas de préparer des individus à se vendre sur le marché du travail, mais bien plutôt à devenir une personne libre et responsable, à bâtir sa personnalité dans un environnement évolutif et dans une société aussi solidaire que possible.

Qu’offre-t-on à la jeunesse aujourd’hui ? Un enseignement théorique dont elle n’aura que faire toute sa vie [...] un parcours théorique de cinq, six, sept ans, qui débouche dans les dédales de l’ANPE, des classes surchargées qui ne devraient comporter qu’une quinzaine d’élèves suivis par deux enseignants et animateur. Le rôle d’un professeur est de dispenser, un savoir, avec le meilleur talent possible, il n’est pas d’organiser la discipline.

Que va trouver le jeune à l’issue de ce parcours long et compliqué et d’une orientation mal conçue ou imposée ? - Une kyrielle de CDD, de contrats en intérim, mais aucune perspective d’avenir, pas même au sein de la fonction publique, qui, vouée au démantèlement, part en quenouille. On lui dit que c’est pour son bien, qu’il faut en passer par là pour se forger une expérience. Alors s’installe un sentiment de désespérance, surmonté à coups de drogue, de trafics d’argent facile, ou de ces multiples faux fuyants qu’offrent des trafiquants en quête de profits illicites.

À cette précarisation débilitante, il fallait un surcroît de sécurisation, au niveau des revenus comme à l’échelle des perspectives d’activités valorisantes. C’est tout le contraire qui est fait : on tente d’adapter le code du travail à la flexibilité du marché qui exige une main d’œuvre malléable et immédiatement disponible, dans le temps et dans l’espace, embauchable et jetable à tout moment, au gré des fluctuations des commandes. Peu importe le sort des travailleurs, pourvu qu’ils répondent présents pour abonder aux meilleurs profits !

En offrant au patronat la possibilité d’accroître le temps de la période d’essai, ce contrat renouvelable à l’infini et qui comporte un risque certain de substitution à des CDI, offre toute latitude de licenciement, n’importe où et sous un quelconque prétexte. Ce faisant, les politiques au pouvoir n’ont fait qu’accroître le sentiment latent d’instabilité, déjà installé avec le CNE destiné aux adultes.

Pour en sortir

Les gouvernements successifs n’ont fait qu’empiler depuis une trentaine d’années des dispositifs légaux sensés favoriser l’insertion professionnelle des “demandeurs d’emplois”, saucissonnés en jeunes, adultes et seniors. Quelque 24 milliards d’euros furent dispensés aux entreprises pour financer les “emplois aidés”, avec, c’est le moins qu’on puisse dire (voir Le Monde du 28 janvier), un effet contrasté.

Au final, le personnel de l’ANPE, celui des ASSEDIC, les patrons et responsables des ressources humaines, tout le monde se perd dans la quarantaine de variantes de contrats de travail “aidés”, aussi inefficaces les unes que les autres, même si quelques résultats positifs sont mis en avant.

Quel incroyable gâchis de compétences, de moyens et d’engagements financiers !

Et ce n’est pas en multipliant les entretiens périodiques avec les demandeurs d’emploi, au prix d’une charge de travail démentielle, que l’on résoudra le problème posé par une croissance économique atone, la prétendue inadéquation entre une offre dont personne ne veut et une demande incertaine, a fortiori si l’on n’a rien à proposer et si l’entretien ne débouche pas sur de réelles perspectives d’emploi ou de formations gratifiantes ou de garanties d’évolutions positives à la clef.

Si j’ai cité CNE, CPE et TPE, c’est bien parce que la multiplication mécanique et l’invocation incantatoire de ces sigles dans un univers où tout évolue très vite, où les modes éducatifs ont nécessairement un impact sur l’évolution de l’emploi, font surgir un malaise plus global de notre société, et a fortiori de nos élites formées dans le même moule et apparemment inaptes à l’appréhender et à la réformer dans la globalité.

Quel “patriotisme économique” ?

Nos politiciens, lorsqu’ils acquièrent une certaine dose de pouvoir, se vautrent dans des formulations d’un autre temps, telles que “patriotisme économique”. Celui-ci n’a ni queue ni tête dans un environnement où le pouvoir réel appartient à de grands groupes financiers internationaux dont la préoccupation première est d’accroître leurs profits, en termes de puissance et d’influence. C’est à qui va avaler l’autre pour mieux le digérer. C’est ainsi que les fonds de pension américains, pour ne citer que cet exemple, sont propriétaires à 70% de nos parcs foncier et immobilier. Allez ensuite, au vu de ce constat, évoquer un quelconque “patriotisme économique” ? Lorsque l’État brade son patrimoine, une part appréciable en est, à coup sûr, rachetée par le capital étranger. Cette tendance n’est pas spécifique à la France : récemment, le Congrès américain s’est élevé contre le rachat, orchestré avec la bénédiction du Président, du trafic commercial de six grands ports américains par des émirats arabes ! Et bien entendu, on ne souffle mot de l’acquisition d’intérêts étrangers par des capitaux français.

Dans ce contexte d’affrontements féroces, l’État, qui est confronté à un surendettement croissant, vend les bijoux de famille pour renflouer son budget ; ce faisant, il perd chaque jour un peu plus de pouvoir en cèdant ses leviers de commande et d’intervention. Et la défense de l’intérêt général, qui constitue pourtant sa mission régalienne, s’effiloche au profit d’intérêts particuliers.

Et on laisse partir en quenouille, au profit d’une spéculation stérile, les actions publiques en faveur de la recherche, de l’innovation, de la santé, du logement, du pouvoir d’achat des citoyens. On permet à une entreprise comme GDF, qui fait de somptueux profits en accroissant son capital privé, d’augmenter ses tarifs de quelque 20% sur un an. Le gagnant est évidemment l’actionnaire ; et le grand perdant est l’usager qui ne trouvera pas dans son salaire ou sa pension de retraite le revenu complémentaire pour faire face à de telles dépenses.

La jungle des textes officiels

À défaut de pouvoir intervenir sur le terrain, les pouvoirs publics multiplient les décrets, les textes de lois, sans compter les organismes ou commissions inopérants. Dans son rapport annuel, le Conseil d’État a attiré une fois de plus l’attention des citoyens sur la complexité du droit. Rendu public le 15 mars dernier, ce document livre des chiffres ahurissants : aux 9.000 lois et 10.000 décrets recensés en l’an 2000, sont venus s’ajouter 70 lois, 50 ordonnances et 15.000 décrets par an ! Le code du travail ne comporte pas moins de 2.000 pages, le code général des impôts plus de 3.500 ; et plus de 10% de ces codes sont modifiés chaque année !

Même les experts les plus compétents et les plus qualifiés ne s’y reconnaissent plus, alors, a fortiori, les modestes citoyens sont plus victimes que bénéficiaires de ce maquis juridique. Et dans un État de droit, c’est un comble !

Ce constat s’ajoute au malaise de la jeunesse, il devient donc réellement urgent de modifier les règles du jeu. En rétablissant l’autorité de l’État sur des bases saines et solides. En intégrant la République Française à une Confédération des Peuples Européens, avec un pouvoir central plus soucieux de subsidiarité que de super-puissance à vocation ultra-libérale.

Au risque de nous répéter, nous ne réitérerons pas nos thèses sur les manières de surmonter la crise actuelle, en particulier celle qui est posée par le problème du chômage. Mais nous sommes convaincus qu’aussi longtemps qu’elles ne seront pas prises en considération, la situation ne fera que s’aggraver.

Conclusion

Comme l’écrit l’éditorialiste Hervé Chabaud [1] : « Il manque un grand projet pour la France auquel les jeunes adhéreraient parce qu’ils se sentiraient concernés ».

Ce grand projet, nous l’avons énoncé. Il n’a toujours pas reçu un début d’application. Parce qu’il bouscule trop d’habitudes acquises, des intérêts puissants, il est mis au rancart par les puissants du jour ou du moins ceux qui se croient encore tels. Jusqu’au jour où les évènements le rendront incontournable !

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[1] le 19 mars dans l’Union de Reims, dont voici l’adresse pour des lecteurs qui nous l’ont demandée : 5 rue de Talleyrand, 58083 Reims cedex.

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