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   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
 
 
 
 
 
AED La Grande Relève Articles N° 984 - janvier 1999 > “L’exception culturelle”

 

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Nous abordons maintenant le domaine où le bouleversement est le plus lourd de conséquences, et à long terme : la culture, l’enseignement et la recherche scientifique. Voici pour commencer le témoignage d’un directeur de Centre culturel :

“L’exception culturelle”

« ...Et Madonna est arrivée. » Léo Ferré
janvier 1999

L’exception culturelle, cette expression communément utilisée pour signifier que la France se distingue des autres pays de la planète dans les domaines artistique et culturel, nous l’avons volontairement placée entre guillemets afin de marquer notre réserve face à cette singularité que nous nous attribuons.

Si nous nous en tenons à la France, tout observateur est conscient qu’elle a “éclairé” plusieurs siècles des lumières de ses écrivains, philosophes, artistes de toutes disciplines, non sans bénéficier d’ailleurs du talent de bon nombre d’intellectuels et d’artistes étrangers. Plus près de nous dans le temps, les ministres de la Culture qui se sont succédé ont accompagné et parfois suscité les initiatives de ses écrivains et de ses artistes grâce à un budget porté récemment à près de 1 % du budget de l’État [1], l’aspect le plus visible de cet engagement se traduisant par la création d’un réseau unique au monde de théâtres, de centres culturels et de scènes nationales, ainsi que de centres chorégraphiques musicaux et muséographiques, une attention particulière étant portée à la préservation de son cinéma de création et de son patrimoine architectural.

Ce développement artistique et culturel, qui irrigue la totalité de notre territoire, ne doit cependant pas dissimuler l’apparition de zones d’ombre, de plus en plus nombreuses et de plus en plus sombres. De fait, cette modification affecte insensiblement à la fois les œuvres des créateurs et les comportements des publics et des responsables d’institutions.

Depuis l’impulsion donnée par André Malraux dans les années 60 - au moment même où s’amorçait un changement d’ère pour l’humanité - l’évolution rapide du paysage économique a relativisé l’attention portée par l’État et par les publics aux arts vivants (théâtre, danse, musique, arts plastiques) au profit de ce qu’il est convenu d’appeler les industries culturelles (disque, cinéma, télévision, CD Rom, Internet, voyages organisés...). Bien plus, la compétition mondiale entre les économies qui accèdent à la “civilisation de l’immatériel” a eu pour double effet et de mettre en crise les volontés de l’Etat-Nation et d’accentuer l’emprise de l’argent-roi dans tous les domaines de la création artistique. Débordé de toutes parts par l’irruption et le développement rapide de ces industries culturelles, l’État renonce à lancer des idées pour ne plus distribuer que des crédits et des subventions, ne promet au cinéma que des mesures protectionnistes et laisse se dégrader l’appareil télévisuel dans la réalisation de sitcoms et de téléfilms normalisés, plongés dans le même moule, sous le regard terroriste de l’audimat [2].

Quant aux publics, engloutis dans la fascination de l’image ou séduits par les spectacles et les voyages moutonniers, ils accompagnent dans leur majorité cette évolution qui procède plus d’une déculturation ou d’une soumission à un modèle unique qu’à une mise en valeur des possibilités novatrices de l’intelligence et de la sensibilité humaines.

Bref, les moindres recoins de la création artistique sont, depuis quelques années, explorés, occupés, gangrenés par la standardisation, fruit vénéneux de la mondialisation qui envisage la démocratie comme un vaste supermarché [3]. Car le ver est dans le fruit : le jeu du pouvoir et de l’argent détruit les cultures et assassine la culture, utilisant sa puissance mortifère pour nous acheminer vers un point de non-retour dont nous ne faisons que soupçonner l’horreur.

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[1] En dépit de la création récente d’un ministère de la Culture en Grande-Bretagne (1995) et en Allemagne (1998), la culture demeure la parente pauvre de la Communauté Européenne. A titre d’exemple, l’aide au cinéma et à l’audiovisuel ne représente que 0,06 % du budget de l’Union.

[2] Le soir du décès de Jean Marais, une chaîne publique diffuse coup sur coup, deux films, non du regretté Jean Cocteau, mais du regrettable André Hunebelle. Audimat, quand tu nous tiens...

[3] De ci de là, mais beaucoup trop rarement, surgit un antidote, tel le tout récent et admirable “Snake eyes” de Brian de Palma, film évidemment conspué par la critique américaine et peu remarqué par la critique française.

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