Recherche
Plan du site
   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
 
 
 
 
 
AED La Grande Relève Articles N° 984 - janvier 1999 > Allo ! New York

 

Le site est passé à sa troisième version.

N'hésitez-pas à nous transmettre vos commentaires !
Merci de mettre à jour vos liens.

Si vous n'êtes pas transferé automatiquement dans 7 secondes, svp cliquez ici

Voyons maintenant quelques cas exemplaires de cette “emprise du marché” : comment évoluent les services publics quand les mutations technologiques servent de prétexte à de nouvelles législations ? Commençons par la communication. Passons sur la comparaison des radios et des télévisions publiques avec les chaînes privées. Il y aurait aussi beaucoup à dire sur la Poste qui, depuis peu, par souci de rentabilité, privilégie le marketing et la publicité : elle a vendu beaucoup de gadgets pour le Mondial de foot... mais la distribution des journaux est de plus en plus lente et, c’est prévu, va coûter de plus en plus cher... Mais laissons la parole à un ingénieur civil des télécommunications qui sait bien de quoi il parle :

Allo ! New York

janvier 1999

Notre système téléphonique est un exemple typique du service public tel que l’ont développé, non seulement la France, mais aussi de nombreux pays européens. Il est caractérisé par la possibilité donnée à toute personne habitant notre territoire de se raccorder au réseau national et international, de manière permanente et à des conditions économiques abordables et égales pour tous. En France, il s’est développé sous forme de monopole et, jusqu’à des temps récents, était placé sous la responsabilité directe et totale du Ministère chargé des Télécommunications (Postes et Télécommunications, issu des PTT), dont le personnel ayant le statut d’agent de l’État (fonctionnaires) assurait le fonctionnement.

Alors que dans d’autres domaines, tels que l’électricité ou les chemins de fer, le développement et l’exploitation ont été assurés au 19ème siècle par des entreprises privées (il y a eu 6 sociétés de chemin de fer pour l’ensemble du pays), le “téléphone” a été, dès le début, pris en mains par la puissance publique, probablement à cause de ses caractéristiques techniques (il est beaucoup moins facile d’assurer une bonne “correspondance” entre deux réseaux de télécommunications indépendants que pour le chemin de fer, où chacun a la faculté de changer de train en portant ses bagages s’il le faut !) ; et probablement aussi à cause du caractère stratégique de la transmission à distance de la voix, outil de première importance pour tout gouvernement. Dès son apparition dans le pays, il a fait l’objet d’un monopole étatique, dont le principe remonte au télégraphe Chappe de la fin du 18ème siècle !

Même si la recherche du profit n’a pas été, pendant de nombreuses années, le moteur officiel de l’activité téléphonique, les PTT ont participé, pendant des années, au budget de l’État par des ressources financières substantielles (ce qui, il faut bien le reconnaître, n’est pas la vocation première d’un ministère, hormis celui des Finances !). Heureusement, les marges assurées par son exploitation ont aussi permis des développements techniques et technologiques de premier plan grâce à l’affectation d’une partie des profits (oh pardon : des résultats !) à la recherche.

Le processus de “démocratisation” du téléphone chez nous s’est réellement déclenché à la fin de la Seconde guerre mondiale, lorsqu’on a pris conscience du rôle majeur qu’il devait avoir dans le développement de nos pays occidentaux. Mais, la montée en puissance n’a pu se faire au rythme souhaité, tant pour des raisons technologiques et industrielles, qui conditionnaient l’efficacité et les coûts, que pour cause de choix politiques dans les affectations budgétaires de notre pays au cours de la période 1945-1970. Il est bien connu que, jusqu’aux années 70, la moitié des Français attendait la tonalité pendant que l‘autre moitié attendait un raccordement...

Depuis l’époque du 22 à Asnières, les techniques ont connu un développement exceptionnel qui s’est traduit par une très bonne qualité d’écoute, pas de coupures et une rapidité d’interconnexion entre correspondants assurée par l’automatisation des centraux, ce qui a permis d’assurer progressivement un véritable service à chacun d’entre nous, couvrant non seulement la parole mais aussi de nouveaux types d’information (images ou données numériques). Aucun “progrès” n’étant parfait, il faut toutefois signaler que personne n’a encore pu trouver une solution contre la menace de l’écoute téléphonique toujours possible par celui qui gère le réseau ou par des âmes malveillantes techniquement bien équipées ; cette ombre donne au service public un caractère quelque peu limitatif, même si l’écoute a officiellement pour objet de débusquer les réseaux de trafic en tous genres, et par conséquent de participer à la sécurité publique.

Texte de la loi de 1837 sur le monopole de l’Etat sur le réseau télégraphique :

« Quiconque transmettra sans autorisation des signaux d’un lieu à un autre, soit à l’aide de machine télégraphique, soit par tout autre moyen, sera puni d’un emprisonnement d’un mois à un an et d’une amende de 1.000 à 10.000 francs ».

Rédigée en termes très généraux, cette loi a, par la suite, servi de base au fur et à mesure de leur apparition, à l’élaboration du statut de tous les systèmes de communication modernes : télégraphe électrique, téléphone, radio, télévision,... Jusqu’à son abrogation récente, l’article L39 du code des PTT s’énonçait ainsi :

« Quiconque transmet sans autorisation des signaux d’un lieu à un autre, soit à l’aide d’appareils de télécommunications, soit par tout autre moyen, est puni d’un emprisonnement d’un mois à un an et d’une amende de 3.600 à 36.000 francs ».

Le monopole des PTT s’appliquait essentiellement là où il y avait traversée de l’espace public ou passage d’une propriété à une autre, par exemple entre deux maisons même voisines ou deux appartements d’un même immeuble, entre lesquels il interdisait de manière autoritaire toute liaison par fil ! Mais il s’arrêtait pratiquement au seuil de tout domaine non public, qu’il s’agisse d’une propriété privée ou appartenant à l’État, c’est-à-dire aux prises de raccordement du téléphone. C’est ce qui a permis à des immeubles de bureaux, à des usines, à des Ministères ou même à des territoires parfois très vastes tels que l’ensemble des gares, dépôts et voies de chemin de fer de la SNCF de réaliser des réseaux téléphoniques à usage interne utilisant des câbles. Il faut signaler aussi la concession de fréquences radioélectriques à certains Ministères “sensibles” tels que ceux de la Défense Nationale et de l’Intérieur, les protégeant des risques d’être écoutés ou perturbés... Ce monopole a permis la construction d’un véritable Service public, mais il faut bien reconnaître qu’il a maintenu l’usager dans un statut de sujet, en lui interdisant, par exemple, de se raccorder directement sur son voisin ou d’utiliser des matériels autres que ceux que lui étaient imposés par l’Administration.

Les télécommunications d’aujourd’hui, dont la téléphonie (transport de la voix) représente environ 75 % du trafic, constituent un exemple type de service public payant, c’est-à-dire non financé par l’impôt. D’une certaine manière, elles sont comparables au réseau autoroutier actuel, dans lequel on paie à la distance (avec des tarifs modulés en fonction des tranches horaires) et en fonction des gabarits (dans les télécommunications, en fonction des types d’informations transmises, par exemple voix et images, ces dernières correspondant à des gabarits plus importants), une différence importante vient du paramètre “temps”, pris en compte dans les factures de France Télécom et pas (encore ?) pour la circulation autoroutière (où, au contraire, les vitesses sont limitées !).

Pour des raisons techniques (il n’y a pas de frontières pour les ondes radio, et l’espace n’appartient à personne en particulier) et politiques (par exemple la libéralisation des télécommunications en Grande-Bretagne), il est devenu impossible aux autorités françaises, dans les années 80, d’empêcher des entreprises de contourner les réglementations nationales en passant par les pays voisins pour leurs communications internationales [1].

De la concurrence et du service public !

« Offrir l’accès Internet aux écoles n’est-ce pas l’exemple type d’un service public ? Ainsi courant mars, à la demande du ministère de l’Education, France-Télécom fait une offre pour connecter les établissements scolaires à Internet. Tarif : 3.200 FF TTC pour une durée de 380 heures par an pour 15 ordinateurs, raccordement et accès compris. L’offre est alors acceptée par le ministère mais dénoncée par l’ART, l’agence de régulation des télécommunications, et le Conseil Européen de la concurrence comme anticoncurrentielle.

France Télécom vient donc de proposer une nouvelle offre. Nouveau tarif : 4.890FF pour 15 ordinateurs et 380 heures par an, soit un surcoût de près de 50%. L’offre précédente permettait selon les commentateurs au ministère de l’Education Nationale d’économiser plusieurs millions de francs. Résultat : pour les bienfaits de la concurrence, les contribuables vont donc être priés de mettre la main au portefeuille, à moins que le projet ambitieux de l’éducation nationale soit revue à la baisse !

Nul doute que dans un avenir proche l’accès des écoles à Internet sera un objectif aussi pour l’Afrique. D’ici là, le modèle imposé par l’occident, privatisation et concurrence dans les télécoms, à coup de chantage aux prêts du FMI aura atteint toute l’Afrique.

Assisterons-nous, sous prétexte de faire vivre les concurrents de l’ancien monopole public à de telles surenchères ? »

Bruno Jaffré, la Lettre de CSDPTT, juillet 98.

L’Union Européenne en construction a naturellement “libéralisé” les télécommunications, officialisant l’ouverture des frontières et instituant la concurrence dans chaque pays. Ceci ne veut pas dire que l’on ait rayé du jour au lendemain les structures étatiques qui détenaient les monopoles ; mais on a dû les faire évoluer pour qu’elles s’adaptent aux règles de fonctionnement en vigueur au niveau mondial (par exemple pour constituer des alliances jugées nécessaires au développement des activités en dehors de nos frontières). British Telecom (BT), en Grande-Bretagne, a été entièrement privatisée il y a environ 15 ans ; aujourd’hui, malgré l’organisation volontariste de la concurrence à l’intérieur du pays, BT détient encore plus de 80% du marché britannique. Naturellement, compte tenu de la culture dominante dans ce pays (la recherche de la rentabilité à tout prix), le bilan social global est très lourd en licenciements (peut-être y avait-il aussi de la gabegie chez eux !) ; on n’entend pas dire qu’il y ait eu baisse du contentement des sujets de Sa Gracieuse Majesté, mais on peut se poser la question, comme c’est actuellement le cas avec les chemins de fer britanniques...

Depuis début 1998, l’Union Européenne vit sous le régime de la libéralisation totale des télécommunications, mais en l’assortissant du concept de service universel que chacun des 15 pays s’est engagé à respecter. La définition de ce service universel s’efforce de reprendre à son compte l’essentiel du contenu de notre service public traditionnel : service téléphonique pour tous, de qualité et à un prix abordable (voir encadré). Cela signifie que France Télécom a perdu son monopole, et que l’État a dû aider la mise en place de la concurrence. La loi de réglementation des télécommunications du 26 juillet 1996, qui constitue la dernière étape d’une évolution commencée au début des années 1990, « organise la compatibilité du service public avec les objectifs de la concurrence ».

N’entrons pas dans les détails, trop nombreux, de la nouvelle mécanique mise en œuvre par le gouvernement pour assurer le respect des nouvelle règles. Je suis de ceux qui sont actuellement satisfaits des baisses de prix constatées et qui font jouer la concurrence pour les communications longue distance et vers l’étranger. La concurrence existe sur le terrain, avec les mêmes compétences (les ingénieurs et techniciens des nouveaux opérateurs viennent en partie de France Télécom, et en tout cas des mêmes écoles !), et portée par un développement du “marché” (besoins nouveaux, “explosion” du téléphone portable, nouveaux services...) ; et le public semble y trouver son compte.

Extraits du rapport public d’activité 1997 de l’ART [2] :

« Le service public des télécommunications est assuré dans le respect des principes d’égalité, de continuité et d’adaptabilité et comprend trois composantes :

• le service universel des télécommunications (qui correspond à notre bon vieux téléphone, en mieux du point de vue technique ) ;

• les services obligatoires de télécommunications (autres services destinés aux entreprises ) ;

• les missions d’intérêt général dans le domaine des télécommunications, en matière de défense, de sécurité, de recherche publique et d’enseignement supérieur »

Mais que devient dans ce contexte notre droit de propriété sur tous les investissements effectués depuis des dizaines d’années par la communauté nationale ? Jusqu’à maintenant, il est plutôt bien respecté, puisque les nouvelles sociétés de télécommunications (Cegetel, du groupe Générale des Eaux/Vivendi et quelques autres), qui sont amenés à utiliser des moyens appartenant à France Télécom payent à celle-ci des droits d’interconnexion ou d’usage, en plus d’une quote-part du coût du service universel. Mais des sujets d’inquiétude apparaissent déjà : France Télécom n’a-t-il pas laissé entendre qu’il supprimerait des cabines publiques ? Et, malgré la concurrence affichée entre les trois principaux opérateurs français du domaine, pourquoi les communications entre les installations fixes (le téléphone de votre salon) et les postes mobiles sont-elles parmi les plus chères au monde ? Si la puissance publique exerce correctement ses missions, que ce soit à travers ses responsabilités d’actionnaires majoritaires pour France Télécom (dont 62% des actions sont actuellement détenues par l’État) ou celles de régulateur à travers l’ART, et si nous avons tous des comportements de citoyens-responsables que nous sommes devenus (ou devrions être !), pourquoi ne pas croire qu’il est possible de faire respecter cette nouvelle réponse au besoin de service public ?

Cette nouvelle situation est loin d’être stabilisée, et il serait étonnant qu’il n’y ait pas quelques surprises au cours des toutes prochaines années. D’abord en ce qui concerne les opérateurs présents dans le pays (environ 60, tous plus ou moins concurrents de France Télé-com !), dont une grande partie ne s’intéressent actuellement qu’au marché des entreprises : dans quelques années, combien seront-ils encore, et quelles seront les conséquences sur la qualité des solutions offertes après une âpre concurrence ? Et surtout, probablement, dans le domaine des techniques qui continuent à évoluer à un rythme fou, ne laissant pas un temps d’amortissement suffisant aux investissements effectués. Le service public du téléphone n’est pas mort, mais attention aux dérapages toujours possibles !

---------

[1] on a vu le même phénomène avec le services postaux lorsque des sociétés ont confié leurs courriers à des transporteurs routiers jusqu’aux boites à lettres de pays proches tels que les Pays-Bas, où les tarifs pour l’étranger étaient moins élevés qu’en France.

[2] L’ART, Autorité de Régulation des Télécommunications, est, pour la France, l’organisme indépendant chargé de la réglementation (à travers ses avis sur les projets de lois et la réglementation ainsi que sur les négociations internationales) et de la régulation (contrôle du respect des textes, règlement des litiges entre concurrents, etc.).

^

e-mail