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   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
 
 
 
 
 
AED La Grande Relève Articles N° 1063 - mars 2006 > Les solidarités transnationales

 

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Témoignages

Si en tant qu’auteur du “Charlot qui passe”, publié dans notre premier numéro de cette année, la foi qui anime notre Ami Roger n’a pas été bien comprise par tous, nous espérons que le discours dans lequel il explique ses motivations, et dont nous reproduisons ici la plus grande partie, fera mieux comprendre ses intentions à nos lecteurs et la raison pour laquelle nous avons tant d’estime pour lui.

Les solidarités transnationales

par R. WINTERHALTER
5 mars 2006

Je crois que le mot transnational est plus adapté que le mot international parce qu’il établit le lien entre les peuples et enlève toute notion d’intérêt national pour ne pas dire de nationalisme.

Avant d’entrer dans le vif du sujet, je ne peux m’empêcher de parler de quelqu’un qui m’a beaucoup apporté dans ce domaine, qui m’a aidé à réfléchir, qui m’a permis de me situer en quelque sorte et de ne pas tomber dans le piège de l’assistanat. Il s’agit de Francis Minod, ingénieur des mines, militant du PSU, qui ayant effectué plusieurs missions en Afrique avait une grande expérience dans ce domaine. Il nous a quitté il y a quelques années, mais pour moi, il est toujours resté à mes côtés...

Je vais maintenant reprendre mes propos lors d’une rencontre à Strasbourg, le 4 mars 1999, sur les thèmes de la coopération décentralisée et notamment de la solidarité avec l’Amérique Centrale :

« Nous sommes plusieurs villes françaises à avoir réalisé des partenariats, des jumelages avec des villes en Amérique Centrale et au Nicaragua en particulier.

Dans la plupart des cas, notre collaboration est basée sur des relations qui datent de plus de 10 ans et il nous semble qu’aujourd’hui nous sommes arrivés à un tournant, où il faut se poser des questions quant à nos motivations, à l’utilité aussi de notre action.

Avant de tenter d’y répondre, je crois utile de dire que de part et d’autre, nous sommes passionnés par toute une série d’actions qui sont, certes, diverses mais qui ont des points communs. Pour parler de nos projets il convient donc de rappeler notre démarche. Elle part d’un constat et d’un fait particulier qui doit nous éclairer : 20 % de la population concentre 85 % des richesses. Derrière ce chiffre, il y a des réalités insupportables : 14 millions d’enfants meurent chaque année avant l’âge de 5 ans ; plus d’un milliard de personnes souffrent de la faim et vivent dans la pauvreté absolue ; 1,3 milliard d’êtres humains n’ont pas accès à l’eau potable ; plus d’un milliard d’adultes sont illettrés. Et 115 enfants sur 1.000 meurent à la naissance dans les pays pauvres.

La planète est menacée par le développement de l’insécurité.

Les pressions migratoires s’accroissent. Plus de pauvreté criante dans le Sud, c’est aussi plus de difficultés pour le Nord. Or loin de s’atténuer, l’écart entre riches et pauvres s’aggrave d’année en année. Alors que les uns vivent dans la misère et l’exclusion, d’autres “gèrent” le superflu.

Partant de ce constat, il s’agit de redéfinir l’éthique, les valeurs qui nous motivent, en nous appuyant sur la conviction que les droits humains valent pour tous, sans distinction. Il faut d’abord être porteur d’une telle éthique, de telles valeurs pour être en mesure de construire des projets et se donner les moyens de les réaliser.

Pour nous, la coopération décentralisée rend possible une certaine conception du développement et des relations internationales. Notre démarche est citoyenne en vue du partenariat et d’un développement durable, intégré et global.

C’est à partir de cette démarche que la notion de partenariat prend toute sa valeur, car pour nous l’aide au développement ne donne pas des droits sur ceux qui en bénéficient. Elle doit respecter la culture, la structure sociale, la personne des bénéficiaires et leur laisser l’essentiel des décisions, de la gestion et du contrôle des projets. Le soutien à un projet engage les partenaires dans une relation d’échange dans laquelle chacun donne et reçoit quelque chose (don et contre-don).

C’est dans ce cadre qu’il faut parler de développement durable car notre aide doit pouvoir s’entretenir dans la durée pour atteindre l’autosuffisance économique et l’utilité sociale, tout en ménageant les ressources naturelles qui l’alimentent (énergie, matières premières). Il s’agit en fait d’un développement intégré qui est un développement dont les composantes sont indissociables : le revenu, la santé, l’éducation, l’environnement, les droits de l’homme, la justice sociale.

C’est aussi un développement global, qui garde la visée d’un développement pour tout être humain. C’est dans ce sens que les actions de coopération se doivent d’associer ici et là-bas des élus, des militants associatifs, des représentants de la société civile, des communes, des établissements publics et, le plus souvent possible, des scolaires et des jeunes, en vue de l’élaboration, du suivi et du contrôle des projets. Cette logique démocratique entraînera une dynamique de responsabilisation des citoyens ici et là-bas.

Voilà aussi pourquoi il faut veiller à établir des contrats de projet entre les partenaires, proposer la confrontation d’expériences diverses et la coordination de nos efforts. Il s’agit donc en fait d’une notion différente de la coopération officielle d’État à État. C’est aussi quelque chose qui va plus loin que le simple jumelage, car nos relations sont à taille humaine ; elles allient le réalisme politique et économique à la maîtrise indispensable pour chaque peuple de son propre développement. Elles impliquent aussi une éthique de solidarité qui exclue toute forme de paternalisme et d’assistanat...

C’est en partant de ce constat que nous avons tenté de redéfinir l’éthique, les valeurs, l’esprit qui nous motivent. C’est à partir de cela qu’il faut réexaminer nos projets dans le but de les relier et de les pérenniser.

En d’autres termes, il faut que les décideurs et les financiers comprennent bien que nous représentons un espoir pour les populations que nous avons en face de nous, que nous n’avons jamais voulu faire de l’assistanat, mais toujours voulu mener des actions pour que nos partenaires puissent effectivement se prendre en charge, s’assumer sans tomber dans le travers de l’humanitaire.

Il s’agit maintenant de faire des propositions, de voir de quelle manière nous pouvons à la fois “profiter”, dans le sens noble du terme, de l’expérience des uns et des autres, relier nos projets, nous mettre en réseau en faisant ressortir des points communs qui traversent nos différents projets... »

Telles sont les valeurs sur lesquelles peuvent être basés rapports et interventions dans le cadre des solidarités transnationales. Et c’est apporter notre contribution à la construction de la Paix pour au moins deux raisons :

• D’une part, la paix est l’affaire de tous les citoyens, à tous les niveaux, et pas seulement l’affaire des responsables politiques nationaux et internationaux. Les collectivités locales ont, à cet égard, une responsabilité particulière d’information et de sensibilisation, parce que c’est au niveau local que la relation apparaît la plus forte entre le responsable politique et le citoyen.

• D’autre part, la paix ne peut pas être définie simplement comme l’absence de guerre, elle doit être appréhendée comme un processus dynamique de relations entre les individus aptes à créer les conditions d’un “vivre ensemble” dans la démocratie, la justice et le respect de chacun... et ceci d’abord dans la cité.

Pour entrer dans le concret, je voudrais vous entraîner dans l’aventure que nous menons actuellement dans le cadre de la Maison de la Citoyenneté Mondiale de Mulhouse :

Là aussi, nous avons la volonté de lier réflexion à action et expérimentation concrète. Nous menons une série de projets avec, constamment, le souci qu’à travers les projets se développent : 1•des pratiques de démocratie active où des citoyens, des professionnels et des élus se rencontrent, pour mieux se comprendre en se traitant d’égal à égal ; 2•l’usage du don et du contre-don : nous donnons parfois de notre superflu, mais nous sommes également prêts à recevoir de la part de celles et ceux qui, au Sud, vivent dans la pénurie et l’exclusion, ne serait-ce que leur détermination, leur volonté d’entreprendre et de s’en sortir envers et contre tout ; et 3• la mise en réseau des difverses initiatives.

C’est ainsi que nous poursuivons notre partenariat avec Ciudad Dario, au Nicaragua. Un voyage a permis de faire une évaluation de notre action de développement rural et agricole ; d’examiner l’état d’avancement de la future salle chirurgicale et de mesurer les actions entreprises au niveau de la santé, y compris la santé par les plantes médicinales ; de découvrir des expérimentations de banques de graines et de semences, un élevage de chèvres, de poules... et de rencontrer à la fois des citoyens organisés et des élus, d’assister à une séance officielle du conseil municipal, qui s’est conclue par la décision de déclarer Ciudad Dario ville Citoyenne du Monde.

Nous avons également participé à la mise en place de la seule Agence pour le développement de la démocratie au Kosovo, dont le siège est à Gjilan, et qui est la suite de notre partenariat pour la paix qui remonte à avant la guerre du Kosovo.

Nous avons des projets au Pakistan, entre autres une association pour l’émancipation des femmes.

Au Maroc, il s’agit de collecter des VTT et du matériel scolaire et informatique et les y acheminer afin de faciliter l’accès à l’école.

Et au Sénégal, nous avons en vue les financements d’une série de projets : une école, un chantier de jeunes, un logement pour une sage-femme, et du tourisme solidaire.

Vous voyez, en ce domaine, il ne suffit pas de le dire, il faut le faire, et c’est ce que nous essayons, avec de faibles moyens.

Comme nous a dit au Nicaragua, Roberto, le chèvrier : « Ici, c’est la vraie démocratie, pas la dédocratie, celle où on est désigné du doigt. On travaille et on partage ensemble ».

Le jeu en vaut la chandelle, et c’est passionnant si on ouvre ses yeux et son cœur.

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