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   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
 
 
 
 
AED La Grande Relève Articles N° 358`· 13 avril 1957 > Comment donner du travail aux jeunes ?

 

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Comment donner du travail aux jeunes ?

par J. DUBOIN
13 avril 1957

Dans sa circulaire, le ministre du travail insiste pour qu’on embauche les travailleurs âgés ; dans ses conférences et ses articles dans la grande presse, M. Alfred Sauvy veut qu’on crée des emplois pour des milliers de jeunes gens.

J’ai montré que cette poursuite du “plein emploi” était en contradiction avec le principe de la “productivité” qui, lui, consiste à supprimer le plus d’emplois possible. Aucun de ces Messieurs ne m’ayant réfuté, quelques lecteurs s’en étonnent. Mais s’ils se mettaient à leur place, ils comprendraient que ces Messieurs, se proposant de construire un carré rond, ont besoin de réfléchir à la manière dont ils doivent s’y prendre. À la vérité, ils voudraient éviter la transformation sociale que les progrès techniques rendent indispensable. En affectant de poursuivre la recherche du “plein emploi”, ils esquivent le problème. C’est un procédé que les autruches avaient inventé avant eux.

Quand on préfère ouvrir les yeux, on est obligé de se rendre à l’évidence : rendement en constante augmentation et labeur humain en constante décroissance.

Par exemple, notre région du Nord est peut-être la plus active de France. Nos deux départements du Nord et du Pas-de-Calais possèdent le magnifique centre industriel de Lille-Roubaix-Tourcoing, une terre très fertile, un sous-sol riche en houille.

Or, il y a un siècle, le secteur industriel, presque exclusivement consacré au textile, absorbait 90 % des travailleurs. Aujourd’hui, cette proportion est tombée à 52 %. Fabrique-t-on moins de tissus de tous genres ?

Passons aux charbonnages : juste avant la dernière guerre mondiale, le rendement moyen du mineur de fond était de 1.136 kilos par jour. Il y a quelques semaines, il atteignait 1.700 kilos. Cette augmentation n’est-elle pas admirable ?

Et pourtant, elle ne s’arrêtera pas, car on va perfectionner l’outillage, et la concentration des fosses doit faire baisser leur nombre de 109 en 1945, à 45 à la fin du programme en cours. Inutile d’ajouter qu’il en résultera une nouvelle diminution des effectifs. Il y a dix ans, le nombre des mineurs de fond s’élevait à 134.299 unités ; il est tombé aujourd’hui au-dessous de 82.000, soit une chute d’environ 48 %. Elle sera plus profonde encore à la fin du programme, car on estime que, d’ici 1965, 15 à 20.000 mineurs deviendront inutiles.

Dans l’industrie textile, le nombre des travailleurs s’élevait, fin 1949, à 195.000. À la fin de 1954, l’effectif ne comptait plus que 170.000 salariés, non compris les frontaliers. La modernisation des filatures et leur concentration actuellement en cours, diminueront encore sérieusement le nombre des travailleurs nécessaires. En résumé, quand on considère à la fois le Textile, les Houillères et la SNCF, on s’aperçoit que l’emploi évoluera vers une réduction de 80.000 unités d’ici une dizaine d’années, en admettant que l’automatisation ne provoque pas d’ici là quelques coupes sombres qu’on ne paraît pas soupçonner.

Intervient alors M. Minjoz pour déclarer qu’il faut réembaucher les travailleurs âgés.

Et M. Alfred Sauvy, au nom de la pression démographique, réclame la création d’environ 140.000 emplois nouveaux, pour les jeunes gens “excédentaires” qui viendront s’offrir sur le fameux “marché du travail”.

Enfin, M. Emile Roche, le grand augure du Conseil Économique où il représente avec M. Alfred Sauvy la Pensée française, écrit, froidement, qu’entre 1960 et 1970, il faudra créer 210.000 nouveaux emplois dans les deux départements du Nord et du Pas-de-Calais. On voit qu’il a complètement oublié la circulaire de M. Minjoz rappelant aux industriels que leur devoir, et leur intérêt (sic), sont d’embaucher des travailleurs âgés. On peut donc se demander si ces Messieurs réfléchissent à ce qu’ils disent ou écrivent.

Ainsi, dans leur jugeotte, la production n’a pas pour objet de fournir des produits ; son rôle serait de procurer des emplois ? Alors pourquoi ces progrès techniques, ces machines et l’énergie extra-humaine qui les fait tourner ?

Ces Messieurs raisonnent comme au Moyen-âge, ils en sont restés au temps béni de l’artisanat.

Ce qui permet à M. Benedetti, préfet du Nord, d’adresser un vibrant appel, dans La Vie Française, aux industriels du Nord : « Allons, Messieurs, faites preuve d’initiative, créez des usines ! » Pour ce haut fonctionnaire, il est clair qu’on monte une usine comme on organise un comice agricole !

Évidemment quelques nouvelles entreprises seront créées, mais comme elles adopteront nécessairement de nouveaux progrès techniques, c’est pur enfantillage que d’espérer ( ?) qu’elles exigeront 210.000 travailleurs.

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Répétons, sans nous lasser, que lorsque tous les efforts des savants et des techniciens tendent à transférer le labeur des hommes à des machines puissantes et infatigables, l’augmentation de la production doit se traduire par du bien-être et des loisirs, et non par l’embauchage intégral des travailleurs. C’est si logique qu’aucun commentaire n’est nécessaire.

Pour que chacun ait sa part de travail, il faut organiser le travail par roulement, comme aujourd’hui le service militaire. En conséquence, il convient d’abaisser l’âge de la retraite jusqu’au moment où tous les jeunes ont un emploi. Sans oublier de prolonger la scolarité afin que ces jeunes puissent acquérir les connaissances que doit posséder l’honnête homme du XXème siècle.

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