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Témoignage
De retour de Porto Alegre, le Professeur René Passet a exprimé ses impressions devant le public de la Maison des sciences de l’Homme, à Paris. Voici ce que M-L Duboin en a retenu :
En introduction, René Passet a voulu nous faire croire que, tel Fabrice à Waterloo, il ne pourrait pas raconter le premier Forum social du monde. Après quoi il a prouvé le contraire, quitte à nous arracher une larme d’émotion, tant sa joie d’y avoir été était communicative.
Quel contraste, n’a-t-il pu s’empêcher de remarquer d’abord, avec les images qu’on a reçues de Davos, de ses petits hommes gris, tous habillés pareil, se faufilant, dans leurs limousines, à travers les rues quadrillées de policiers (et même de militaires appelés en renfort), pour aller se cacher dans un bunker et y comploter... la mondialisation ! Mais où était-elle, la mondialisation ? à Porto Alegre toutes les couleurs étaient là, celles des vêtements et celles des peaux. Des femmes et des hommes venus du monde entier, formaient une houle paisible. Pas de police (d’ailleurs celle de la ville sympathisait), pas de provocation et pas de casse, même le problème soulevé par José Bové n’a pas tourné au spectacle ou au culte d’une personnalité. On avait l’impression que ceux qu’on a appelés les anti-mondialistes y représentaient, en fait, les peuples du monde.
On avait pensé que 3 à 4.000 personnes feraient le voyage, mais c’est plus de 17.000 qu’il a fallu caser. L’université prévue n’a pas suffi à loger les quelque 400 ateliers de travail, il y en eut dans toute la ville.
Le plus impressionnant fut la cérémonie de clôture. Un très grand amphithéâtre, rempli à ras bords, ce qui fait quelque 4.000 personnes, et pour tenir la scène, pas un homme politique et pas de discours !! Mais 50 à 60 représentants des peuples, de toutes les couleurs, et autant de femmes que d’hommes, ont simplement dit, chacun son tour, pourquoi ils étaient venus. L’un d’eux a ému d’une simple remarque « si ce forum avait eu lieu il y a deux cents ans, j’y aurais été enchaîné, car à l’époque mes ancêtres étaient esclaves » et « je suis li-bre !! » s’est-il exclamé.
On nous avait demandé d’apporter chacun une pierre de notre pays pour laisser au sol une marque de cet événement. La plupart l’ont fait, et tout le monde fut ému, bien plus que par un discours, en voyant qu’un israélien et un palestinien ont apporté et présenté ensemble deux pierres identiques, gravées de la même phrase, l’une en yiddish, l’autre en arabe... L’émotion de René Passet s’est communiquée à la salle, quand il a exprimé son bonheur en se rappelant que dix ans plus tôt, dans un article pour Le Monde Diplomatique, il avait souhaité pareil forum, alors qu’il croyait que c’était un rêve irréalisable. Il s’est rendu compte à Porto Alegre que cette utopie venait de devenir réalité. « Et j’y étais ! ! » s’est-il exclamé.
La préparation du Forum n’avait pourtant duré que quelques mois, ce qui est un tour de force quand on considère les moyens dont disposaient les organisateurs... Certes, tout n’a pas été parfait, il y eut des choses remarquables et d’autres moins bonnes, comme lorsqu’un sénateur brésilien tint la parole pendant une heure pour... raconter un film et lire un livre en portugais ! L’important est que tout le monde allait dans la même direction, même si c’est de manières très différentes.
Et ce qui frappait, c’était la très grande qualité d’attention et l’intérêt des échanges.
La publication de l’essentiel des débats et des textes est prévue dans un livre qui sortira plus tard. à ce propos, un journaliste s’est étonné : « Pas de document de synthèse ? », ce qui est un peu fort quand on se rappelle que ceux de Davos, pendant trente ans, n’ont jamais publié le moindre document de synthèse de leur forum économique mondial !
Alors, où était le monde, à Davos ou à Porto Alegre ?
Après cette remarque, René Passet nous confia qu’au départ il était hanté par l’idée qu’il allait se faire dire : « Vous êtes des irresponsables ! Vous n’avez pour vous que votre générosité ! » Il fut réconforté en constatant qu’au sein du Forum de Porto Alegre 350 parlementaires du monde (dont une dizaine de France) se réunirent, et pas pour parlementer, car ils en sortirent avec une résolution que 385 parlementaires signèrent...
Cette déclaration donne chaud au cœur pour continuer, dit-il, car elle ressemble bien à l’ébauche d’un Parlement mondial.
Qu’on en juge à l’aide de ces extraits :
Déclaration finale du
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René Passet exprima ensuite ses réflexions et ses craintes :
Pour lui, ceux d’en face ne croient pas à leur beau discours, mais ils en ont besoin, c’est pour eux un vêtement de dignité. Personne ne peut croire, en effet, aux belles paroles sur la protection de l’environnement de la part des pays qui viennent de faire échouer la conférence de La Haye. Ceux qui veulent imposer des normes aux pays en voie de développement sont également ceux qui se protègent, par ces mêmes normes, tout en ayant le culot de dire aux autres qu’il faut qu’ils s’ouvrent !! Cela est incohérent, et prouve que le discours néolibéral, ils s’en foutent ! mais ils s’en servent. Vous, à Davos, vous prétendez nous donner LA vérité, apostropha René Passet, mais nous, nous savons voir autre chose dans la marchandise, nous voyons ceux qui la produisent et dans quelles conditions. Pour vous, un quintal de blé est égal à n’importe quel autre quintal de blé. Pour nous, ce qui compte dans un quintal de blé c’est que celui qui le produit ait de quoi en vivre. Nous ne défendons pas votre principe d’égalité entre compétiteurs, nous sommes pour l’inégalité en faveur des plus démunis.
Pour illustrer ceci, René Passet fit deux remarques : Que proposent-ils à Davos ? - De la charité, un peu d’éthique et beaucoup de palabres. Qu’ont fait les citoyens de Porto Alegre ? - Le taux d’analphabétisation y est le plus faible dans cette partie du Brésil, qui est pourtant la plus pauvre.
Prenons conscience du rapport de force. Le déploiement de Davos est le plus cynique et le plus effronté. Il faut que les peuples fassent contre-poids.
Les moyens existent, ajouta l’orateur, puisque les instruments qui permettent aux puissants d’être en contact permanent sont aussi les nôtres [voir à ce sujet la note qui suit ce compte rendu].
R.Passet évoqua les dangers de provocation, pour souligner l’importance de rester unis par une même volonté, au delà des différences. Il importe qu’il n’y ait pas d’enjeu de pouvoir entre nous et de ne pas opposer la démocratie traditionnelle, la démocratie représentative, à la démocratie directe, parce que la première est indispensable, on peut la critiquer, mais c’est encore la seule qui existe ! Il exprima ses petites craintes en voyant des parlementaires locaux venus faire de l’électoralisme (un petit dérapage qui ne lui fit que mieux apprécier la cérémonie de clôture). On en a vus, dit-il, qui venaient gérer leur fonds de commerce politique... et on peut craindre que ces gérants de fonds de commerce prennent le dessus (et beaucoup se mordent les doigts de ne pas y avoir pensé plus tôt...). Ce serait un crime. Mais il faut être bien conscients que sans les politiques, on ne peut rien, on a absolument besoin d’eux et de leur rôle de relais.
Il ne s’agit pas, dit-il en conclusion, d’imposer l’idéal tout ficelé d’utopistes aux yeux fiévreux, je m’en méfie... Nous avons décidé d’un Porto Alegre tous les deux ans, et, dans l’intervalle, d’approfondir ensemble des thèmes choisis, mais sans tuer cette merveilleuse agitation.
Quelques remarques complémentaires répondirent à des questions de la salle :
• Nous avons à faire face à deux dangers, celui d’être récupérés et celui de ne pas être récupérés...
• Il a bien plus de chances que l’avenir soit à Porto Alegre qu’à Davos. à Porto Alegre l’imaginaire est en train de gagner.
• Il faut créer des conflits contre la violence.
Note à propos des instruments communs : Comme il n’existe pas de droit mondial à propos d’internet, il faut être conscients de toutes les manœuvres déployées pour en contrôler l’accès.
•D’abord le frein mis par l’argent : il faut payer l’instrument, l’accès à la Toile, et souvent aussi la réception de publicités. D’où la rapacité des Time-Warner, et autres Vivendi. La Toile a été tarifée [1] de telle sorte que si un Américain envoie un message électronique à un ami Africain, c’est l’Africain qui paie !
•Dans 45 pays (dont la Chine, qui compte 20 millions d’internautes) l’état contrôle ou filtre l’information sur internet. Et certains, tels que la Birmanie, ont décidé tout simplement d’en interdire totalement l’accès à leurs citoyens...
•Aux privilégiés, se pose alors le problème du tri, tant il y a de sites. Par exemple, Le Monde trompait... son monde en donnant pour site du Forum mondial celui du gouvernement brésilien, pas du tout dans le même esprit que le site de Porto Alegre. Et comme on assiste à cette fameuse percolation dont nous avons déjà souvent parlé [2] d’autres sites s’ouvrent pour prendre le train en marche en prétendant (P.Haguenauer par exemple) faire mieux que les précédents. De quoi se perdre en se dispersant. Le plus efficace est de se regrouper autour du site d’Attac, largement responsable du forum citoyen, son adresse internet est : http://attac.org/pa/asso/doc/doc50.htm