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   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
 
 
 
 
 
AED La Grande Relève Articles N° 992 - octobre 1999 > Quelle création de valeur ?

 

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Réflexion

“Nous créons de la valeur” dit volontiers un chef d’entreprise quand ses actions montent, pour justifier telle ou telle mesure de “dégraissage”, et cet argument parait péremptoire. Il n’est pas nécessaire d’être économiste pour savoir ce que cela signifie...

Quelle création de valeur ?

par A. PRIME
octobre 1999

J’ai été frappé par les réflexions pertinentes exprimées le 9 septembre sur France-Inter par Jean Arthus, chargé des études économiques à la Caisse des Dépôts et Consignations. Pour une fois, je n’ai pas eu l’impression d’écouter un “expert qui se trompe selon les règles [1]”. Il confirmait que les grandes puissances financières “exigeaient” des rendements de 15 à 18 %. C’est une des raisons des méga-fusions qui s’accentuent de jour en jour dans les grands pays capitalistes notamment. En France, l’exemple le plus récent est celui de Promodès-Carrefour : le groupe va se retrouver dans 48 villes en situation de monopole. Où est la sacro-sainte loi de la concurrence, chère au libéralisme ?

En ce qui concerne la grande distribution, le consommateur n’est pas perdant. Du moins dans l’immédiat. Mais la concentration accrue des groupements d’achats va peser de plus en plus lourd sur les fournisseurs, en premier lieu sur les fournisseurs de denrées périssables, les producteurs de fruits et légumes en tête. La situation actuelle, avec les manifestations diverses paysannes, montre bien le mal qu’ont ces producteurs à vivre du fruit de leur travail. Toutes les tables rondes organisées par le Ministre de tutelle entre vendeurs et acheteurs ne peuvent être que poudre aux yeux face aux intérêts en jeu pour les super et hypermarchés.

Les financiers ont trouvé une jolie formule pour désigner les 15 à 18 % de rendement qu’ils demandent ; ils appellent cela “création de valeur” [2]. Or, comme au cours de la dernière décennie, les progrès techniques dans les entreprises où ils investissements ont atteint un degré tel que de nouveaux progrès ne peuvent être - sauf exception - que marginaux, il ne reste plus qu’un domaine pour agir, pour peu que l’activité commerciale diminue : la main-d’œuvre. Comme le dit Arthus : quand les financiers n’ont plus d’idées, c’est le salarié qui paie. Au double sens du terme : 1) il paie en effet stricto sensu la restauration des profits des plus riches, lesquels, ô ironie, disposent de son sort, 2) il paie, c’est-à-dire qu’il trinque : au mieux, blocage ou quasi-blocage des salaires (la fameuse modération salariale à laquelle souscrit sans barguigner en France le gouvernement “socialiste”), flexibilité, embauche CDD [3], au pire licenciement ou mise à la retraite anticipée, quelquefois très tôt [4], à la charge bien entendu des contribuable, jusqu’à la retraite. Le capitalisme reste fidèle à sa méthode non avouée bien sûr : socialiser les pertes, privatiser les profits.

Autre astuce signalée par Arthus pour conforter les gains des actionnaires : le rachat, par les financiers, d’actions parmi celles qu’ils détiennent, puis leur destruction : le nombre des actions diminuant, le rendement par action devient plus élevé.

Quand on mesure l’inventivité du capitalisme pour gagner de l’argent et faire perdurer le système, on comprend mieux pourquoi, en cette fin de siècle, l’Internationale victorieuse n’est pas celle que les travailleurs étaient en droit d’attendre des progrès des sciences et des techniques depuis deux siècles et de leurs luttes -souvent héroïques - dans le même temps.

Les pays qu’on disait socialistes - URSS en tête - ont failli à la mission historique qui eût pu et dû être la victoire du socialisme si...si...si... Vaste sujet qui reste à analyser.

Un espoir cependant, qu’évoque Arthus lui-même. Le capitalisme mourra peut-être d’avoir trop absorbé. Car, dit-il en soulignant que de grands industriels eux-mêmes en sont d’accord, demander 15 à 18 % de rapport chaque année (notamment de la part des gérants de fonds de pensions [5]), alors que la croissance ne peut être au mieux que de 3 à 4 % l’an, est une aberration.

Est-ce reconnaître qu’une crise majeure du capitalisme néo-libéral est possible dans un futur plus ou moins proche ? Tout nous porte à croire que l’hypothèse n’est pas à écarter. Le monde n‘est jamais “fini”. C’est la grande leçon de l’Histoire.

Michelin

Le nouveau gérant, édouard Michelin annonce sans état d’âme, à la fois une augmentation de 20 % des bénéfices pour le dernier semestre, et la suppression de 7.500 emplois. Maladresse ? à ce double clin d’œil aux marchés la Bourse répond par un bond de 12 % de l’action.

“Justification” donnée au journal Les échos, le 13 septembre : « Il nous faut [sic] une croissance de productivité de 20 % sur trois ans. Nous jouerions les autruches si nous n’avions pas clairement dit que 20 % de productivité, c’était forcément des réductions de postes... Et 3 % de réduction de postes par an, beaucoup d’entreprises le font. »

à la question « Pour vous, qu’est-ce qu’un bon patron ? » le très chrétien jeune patron (36 ans), formé aux Etats-Unis, répond : « C’est quelqu’un qui a en permanence le souci des conditions de la croissance et de l’épanouissement du personnel dont il est profondément solidaire. »

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[1] Cette expression est de Paul Valéry

[2] Alors que c’est du vent en comparaison de la valeur du travail et des biens produits.

[3] En forte augmentation d’année en année.

[4] Il y a quelques mois, IBM sauf erreur, demandait une mise à la retraite des ouvriers et employés à 50 ans, 49 pour les cadres.

[5] Rappelons que les fonds de pensions notamment anglo-saxons représentent 30 à 40 % des capitaux boursiers.

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