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   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
 
 
 
 
 
AED La Grande Relève Articles N° 992 - octobre 1999 > L’enjeu, c’est la société humaine

 

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Dossier OMC

Dans la crise de société qui se concrétise avec cette ouverture prochaine d’un cycle de négociations à l’OMC, il faut d’abord cesser de ne voir qu’un seul de ses aspects, celui qui nous concerne chacun plus personnellement. C’est un peu ce qui s’est passé à propos de l’AMI, présenté souvent, par le milieu du spectacle, comme une atteinte à l’exception française dans le domaine de la culture. Les accords vont porter sur la mondialisation des services (GATS), des tarifs industriels (GATT), de la propriété intellectuelle (TRIPS), des droits de douanes, abolir des barrières techniques, sanitaires etc.

L’enjeu est donc beaucoup plus vaste et encore plus grave.

L’enjeu, c’est la société humaine

par M.-L. DUBOIN
octobre 1999

N ous sommes face à un problème de civilisation, car il s’agit de donner définitivement aux entreprises qui “font des profits” la mainmise sur l’humain, sur sa santé, sur sa formation, sur toutes ses activités, sur son avenir, sur sa culture et sur son environnement, et cela par des règles applicables au monde entier et qui ne seraient plus renégociables. Acceptons-nous de remettre à quelques très riches lobbies le droit de nous imposer une façon de vivre définie dans le seul but d’augmenter leurs revenus ? Ou bien sommes-nous décidés à sauvegarder notre droit de jugement, celui de choisir ce que nous croyons bon ?

productivisme ou production de qualité

Prenons l’exemple de l’agriculture. La science agronomique ayant fait d’énormes progrès au XXème siècle, il y avait deux façons de les utiliser.

En économie de marché, il s’agit de produire de façon à ce que la vente des produits rapporte le plus possible d’argent. Ces progrès ont donc été utilisés pour transformer l’agriculture en une véritable industrie alimentaire, concentrant la production dans des entreprises à hauts rendements, et générant de gros profits. Du point de vue économique et financier, cette optique productiviste est une réussite, en ce sens qu’elle a permis de conquérir des marchés mondiaux, ce qui est bon pour la balance commerciale des pays exportateurs et met “les indicateurs au vert”. Mais du point de vue humain, et même si ces productions gigantesques ont fait baisser les prix agricoles, elle n’a pas éradiqué la faim, bien au contraire, parce qu’elle a privé de leurs moyens de survie des millions et des millions de petits paysans pauvres partout dans le monde. En Europe, cette politique, la PAC, consista en subventions pour maintenir les prix payés aux producteurs et en aides proportionnelles à la taille des entreprises, encourageant ainsi les concentrations. Les plus “gros” ont ainsi survécu, et sont toujours prêts à se battre, et avec la violence qu’on leur connaît, pour maintenir les avantages que cette idéologie leur a valus.

L’autre façon d’utiliser le progrès de la science agronomique est de pratiquer ce qu’on appelle parfois l’agriculture biologique : étudier les sols et leur environnement, déterminer leurs besoins pour les nourrir sans excés ni carence, sélectionner les graines, etc. Les produits obtenus en respectant ces équilibres naturels sont de qualité, mais ces méthodes s’accomodent mal à de très grandes entreprises, et requièrent souvent plus de main d’œuvre que la culture extensive.

Or, en économie de marché, il faut que cette maind’œuvre vive de la vente de ses produits, ceux-ci sont donc proposés plus cher. Dans le Tiers monde, les petits producteurs ne peuvent pas en vivre. Mais en France, ceux qui la pratiquent se battent pour faire la promotion de leurs produits et c’est la lutte du pot de terre contre le pot de fer, entre la Confédération paysanne et la FNSEA, José Bové contre Luc Guyot, David contre Goliath.

Le “Gaulois” parait de moins en moins ridicule aux yeux du public au fur et à mesure que celui-ci découvre les procédés des multinationales comme Nestlé, Novartis et autres. Nos lecteurs, par exemple, savent [1] quel est l’objectif du “Terminator” de Monsanto. Or dans les projets de négociations à l’OMC, il y a encore pire que cela, avec les brevets sur le vivant : une société qui aura manipulé génétiquement une espèce aura des droits (tels des droits d’auteur) sur toutes générations qui suivront. Et si elle parvient à supprimer les espèces rivales, quel pactole ! C’est ainsi que la nourriture du monde devient la chasse gardée de ces grosses entreprises et des producteurs qui les suivent, leurs prix sont imbattables par la concurrence “propre”.

société à deux vitesses

L’opinion découvre la mainmise de ces multinationales en même temps que les dangers de cette alimentation (santé, environnement, pollution, diversité et conservation des espèces, etc.) d’où le slogan qu’on commence à entendre : une nourriture de mauvaise qualité faite par les riches pour les pauvres, et une nourriture de qualité faite par les pauvres pour les riches.

Il est tentant d’ouvrir le parapluie, et de dire : « moi, je suis averti, je m’arrange dans mon coin, je connais un producteur bio, nous faisons des échanges (par exemple dans un SEL) en dehors du marché.. » Franchement, cette attitude signifie : « le reste du monde peut bien crever, ce n’est pas mon problème ». égoïsme que certains cachent en le théorisant : « c’est en soi-même, c’est sur soi qu’il faut travailler pour trouver un équilibre intérieur qui irradiera peu à peu notre entourage, etc.., etc.... » Et pendant ce temps-là, les gros industriels américains préparent l’avenir du monde.

Il serait temps de comprendre que seule une mobilisation générale peut mettre fin à ce système qui n’a plus rien d’humain.

Pour vendre à profit dans l’abondance, il faut un marché mondial...

Ce qui est rare est cher, et seuls les riches peuvent payer cher. Il y a donc deux types de productions rentables :

- celle de produits de luxe, destinée à quelques riches,

- et surtout une production abondante donc bon marché, mais qui ne rapporte qu’à condition de pouvoir la vendre en très grandes quantités, d’où la nécessité, dans cette logique, d’organiser ce marché à l’échelle mondiale.

Et c’est là le but des négociations de l’OMC, il s’agit de faciliter ce marché de masse, qui profitera à une minorité de plus en plus restreinte, faite non plus de “producteurs”, mais plutôt de manipulateurs, manipulateurs du patrimoine génétique et manipulateurs de foules.

Un seul et même combat !

Les problèmes que rencontrent les agriculteurs ne sont pas fondamentalement différents de ceux des Bibendums qui manifestent en ce moment-même à Clermont-Ferrand, ni de ceux de tous les employés qui se sentent des licenciés en puissance, que ce soit dans l’industrie, dans les banques, dans le petit commerce ou la culture.

La logique marchande impose toujours et partout la recherche de rentabilité. Alors il faut réduire les coûts (les employés sont des coûts dans une comptabilité d’entreprise, quelle qu’elle soit) pour être compétitif ; il faut gagner des marchés en éliminant la concurrence, et malheur au perdant dans cette guerre permanent, universelle et sans merci.

Monsanto élimine les petits producteurs qui ne tirent pas de la vente de leurs produits des bénéfices suffisants pour acheter ses semences ou ses désherbants ; Michelin licencie, bien que ses performances soient bonnes, parce que ses actionnaires (les fonds de pension par exemple) ne se contentent plus de “retours sur investissement” de 10 % l’an, il leur faut au moins le double. Et seules les firmes parvenant au tout premier rang du marché mondial dans leur branche vont survivre. C’est pourquoi on assiste à tant d’opérations de fusions, dans tous les domaines.

Tout le monde le sait, dans l’agriculture, dans l’industrie ou dans le spectacle : ce qui rapporte, c’est ce qui coûte très peu et se vend bon marché mais dans le monde entier.

Quand Michelin prend les devants et annonce qu’il va réduire ses frais en licenciant, il agit dans la logique générale du marché, celui-ci comprend le message et la cote en Bourse des actions Michelin montent. Protester contre édouard Michelin ne sert à rien si le système demeure. Qu’un autre gérant soit mis à sa place, ou même que l’ensemble de son personnel s’organise en cogestion, s’ils sont placés dans le même système, ils feront la même chose pour que l’entreprise puisse trouver des marchés, sinon, elle fera faillite. C’est donc bien cette logique qu’il faut changer et non pas les hommes qui sont amenés à l’appliquer.

Le combat de tous les consommateurs est ainsi le même que celui des Bibendum, des José Bové et de tous ceux qui se trouvent éliminés, rejetés, méprisés comme bons à rien, non compétitifs ou pas modernes, parce que la production abondante qu’on peut faire sans eux n’est plus rentable que si elle atteint la dimension mondiale.

Accepter l’idée d’un vrai changement

Ce système est-il une fatalité, comme cherchent à le faire croire ceux qu’il entretient encore ? Un peu de réflexion montre pourtant que non, et nos propositions d’une économie distributive [2] garantissant à vie, pour tous, un revenu décent contre l’engagement de participer quelque temps aux responsabilités et tâches de la société, sont réalistes, puisque grâce à une monnaie de consommation, elles sont facilement applicables.

Nous avons discuté, cet été, avec un paysan, courageux et compétent, qui se plaignait de ne plus pouvoir vivre décemment de la vente de ses abricots et pêches. Accepterait-il que son revenu ne soit plus le bénéfice de ce qu’il arrive à vendre, mais qu’il lui soit désormais assuré à vie, contre son engagement de bien entretenir ses vergers et de produire des fruits de la meilleure qualité possible ? Cette suggestion l’a abasourdi. Il rejeta l’idée d’emblée, sans qu’il nous soit possible de rentrer dans les détails, d’expliquer pourquoi et comment ce revenu pourrait être très largement suffisant pour bien vivre. Notre homme était tellement conditionné par le capitalisme de marché qu’il ne voulait qu’une seule chose : vendre beaucoup et le plus cher possible. Un point, c’est tout.

Il va falloir aux distributistes encore beaucoup de pédagogie !

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[1] Lire par exemple La leçon du Terminator page 8 de la GR-ED N°987 d’avril 1999.

[2] En voir, par exemple, le bref résumé (en trois pages) paru dans la GR-ED N°983 de décembre dernier.

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