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   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
 
 
 
 
 
AED La Grande Relève Articles N° 992 - octobre 1999 > Au Mondial 99 de l’économie à Seattle : un nouveau jeu : le Monopo-libéral

 

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Dossier OMC

Au Mondial 99 de l’économie à Seattle : un nouveau jeu : le Monopo-libéral

par J. AURIBAULT
octobre 1999

Le 18 mai 1998, au Sommet de Londres, était signé le Projet de Partenariat Économique Transatlantique, (PET) entre MM. Clinton, Blair, Santer et Leon Brittan (avec l’accord discret de la France, en coulisses [1]...).

Ce PET était tout aussi nauséabond que feu le NTM (il ne s’agit pas, bien sûr, du groupe musical, mais du New Transatlantic Market ). But de ce PET : contourner les contraintes politiques dues aux lois fondant la souveraineté de l’État dans les pays occidentaux et instaurer une zone de libre-échange entre l’Union Européenne et les États-Unis (pour commencer). Le maître d’œuvre de cette stratégie néo-libérale est à présent l’OMC.

La prochaine grande réunion de l’OMC à Seattle sera décisive et l’on y jouera au Monopolibéral [2]. Nous avons donc concocté une nouvelle version de ce jeu mondialement connu, qui remplacera à Seattle le Jeu de lois de l’État souverain !

Voici quelques remarques préalables, si vous voulez suivre le jeu auquel s’adonneront les nouveaux maîtres du monde. Car, bien entendu, tout citoyen (vous ou moi) est exclu d’entrée de jeu, si j’ose dire :

1. L’ONU :

Elle est totalement absente du jeu. Ainsi le “machin” comme l’appelait Charles De Gaulle, c’est le mort des parties de bridge. Son Conseil économique et social n’est qu’une chambre d’enregistrement des décisions de l’Assemblée.

Pourquoi d’ailleurs serait-elle concernée par l’économie, puisqu’on ne la consulte même pas lors du déclenchement de guerres humanitaires, question qui entre pourtant dans son domaine de compétence !

2. La BANQUE MONDIALE :

En 1992, un rapport du Comité Économique et social des Nations-Unies déclarait : « D’une manière générale, la Banque Mondiale devrait être encouragée à renforcer et à développer sa politique en matière de réduction de la pauvreté et celle visant les aspects sociaux de l’ajustement. à cet égard, elle devrait se montrer réceptive aux organes de défense des droits de l’homme des Nations-Unies et incorporer des critères relatifs aux droits sociaux, économiques et culturels à tous les stades de ses activités... » C’est bien l’aveu que cette institution n’est qu’un outil financier qui a totalement oublié sa vocation initiale de Banque pour la Reconstruction et le Développement (IRDB).

3. Le F.M.I. :

Le Fonds Monétaire International « a constitué, grâce à des dépôts des pays membres, un fonds de réserves lui servant à accorder des prêts aux pays en difficulté. En fait ces prêts étant fonction de la puissance économique de chaque nation, le FMI n’a prêté qu’aux riches. D’autre part, il fait respecter un code de bonne conduite ; mais là, ce sont les plus faibles qui subissent la loi du FMI [3]. » Selon les décisions prises à Seattle, le FMI risque d‘être à l’origine de nouveaux conflits par l’imposition de règles néo-libérales aux pays emprunteurs pauvres. Il peut aussi accorder des prêts à des pays politiquement puissants, sans contrôler sérieusement leur bon usage (voir l’actualité récente : les emprunts russes alimentant les comptes personnels des proches de Boris Elsine...).

4. L’O.M.C. :

C’est une organisation totalement autonome du système des Nations-Unies. Ce qui lui permettra, lors des réunions entre responsables gouvernementaux de pousser au maximum la privatisation par dérégulation des prérogatives des États.

Le néolibéralisme, qui par ailleurs prône l’avènement de la société civile (mais ne tient ce discours que pour mieux affaiblir l’État), a trouvé par le biais de l’OMC le moyen de réduire l’influence des partis politiques, des représentations nationales, en un mot de la société civile, pour créer un espace commercial libre des contraintes nationales. Après “Kramer contre Kramer”, le nouveau film de cette fin de siècle est “OMC contre OMC”, la deuxième entité pouvant être “l’Organisation Mondiale des Citoyens”, qui hélas n’existe pas encore. On voit le travail qui reste à faire....

5. Monopolibéral :

Chaque case du Monopolibéral correspond à la liste déjà établie par l’OMC, Susan George en a obtenu la liste reproduite page 2. Plus de 160 sous-secteurs et activités ont déjà été répertoriés. Et l’on attend de connaître le document concernant la privatisation de la santé. Mais sera-t-il porté à notre connaissance, la transparence n’étant pas une qualité foncièrement libérale ? Il est produit par la Coalition of Services Industries (31 pages, parait-il !). Le terme “Coalition” peut déjà faire frémir, il a la même signification en anglais qu’en français et rappelle fâcheusement les coalitions militaires des guerres de l’Empire...

6. Les besoins vitaux :

Peut-être serez vous étonnés de ne pas trouver dans ce jeu les deux grandes activités essentielles à la vie sur terre : la production agro-alimentaire et l’approvisionnement en eau ? Et pour cause, elles ont déjà tombées dans le domaine... privé ! On a pu constater les dégâts qu’engendre cette situation et le gâchis auquel elle conduit. Aucun économiste sérieux ne peut prétendre que les filières alimentaires sont régies par des lois économiques cohérentes depuis la production jusqu’à la distribution. Ce qui, pour un distributiste est normal puisque nous sommes, dans ce domaine, typiquement en économie de rareté ! Et ceci implique :

7. La faim dans le monde :

Il suffit de se rappeler les derniers conflits commerciaux entre les États-Unis et l’Europe pour imaginer les conséquences futures d’un libéralisme débridé : “guerre” de la banane, mesures de rétorsion [4] en représailles de l’interdiction d’importer du boeuf made in USA, dopé aux hormones. Et aussi les conflits internes à l’Europe ou à la France, producteurs contre grande distribution...

Le comble de l’horreur économique : suivre les directives de Bruxelles pour l’instauration de quotas de production et la mise en jachère des terres fertiles européennes... alors qu’il est prévu pour 2020 près de 4 milliards de terriens ne disposant pas des droits de base en matière d’alimentation ! La faim dans le monde est ainsi programmée, c’est notre honte économique !

8. L’eau, patrimoine commun de l’humanité : capitalisée.

Pour l’eau, le problème s’aggrave : 2 milliards d’êtres humains n’ont pas accès à l’eau potable et l’on prévoit qu’en 2020, ce chiffre pourrait atteindre 3 milliards. Quelle manne financière pour les “Seigneurs de l’eau“ ! Il faut reconnaître que dans ce domaine les États-Unis ne sont pas les leaders, la France domine avec Vivendi (ex-Générale des Eaux) et Suez-Lyonnaise des Eaux. La première de ces deux sociétés privées privatise l’eau, dans les règles de l’art libéral, en Amérique latine, après s’être offert US Filter, devenant ainsi une des oligopoles européennes. La seconde contrôle, entre autres, les eaux du Québec et cherche même à exporter l’eau, à l’image de ce qu’est le pétrole pour les pays arabes. Là aussi, nous sommes maintenus en économie de rareté, car l’eau devient de plus en plus précieuse du fait de l’agriculture rentable (donc intensive et par suite polluante) et des industries rentables (donc irresponsables et incontrôlées et de ce fait polluantes).

9. La mort programmée de la souveraineté de l’État :

L’objectif de l’OMC est bien clair : réduire au minimum le rôle actuel de l’État.

Et nous insistons sur ce vocable État à bon escient, car “état-nation” ou “état-providence” ont tellement été galvaudés par la presse libérale, les politiciens et les économistes conservateurs qu’ils ont acquis un sens incertain, voire péjoratif. Nous préférons donc l’État, c’est-à-dire : l’État social et culturel qu’il faut défendre face à la globalomanie actuelle. N’en déplaise aux tenants de l’idéologie ambiante, libéraux ou sociaux-démocrates conformistes, on ne peut raisonnablement laisser les entreprises transnationales prendre les pouvoirs !

Il est significatif que des organisations plus impliquées, jusqu’à présent, dans le respect des droits civils que dans les problèmes économiques s’inquiètent de la dérive actuelle de la gouvernance de nos pays. Ainsi, La Chronique d’Amnesty de juillet-août 99 est entièrement consacrée à “L’emprise de la sphère économique ” Sans vouloir entrer dans les débats « pour savoir si les firmes transnationales ou les institutions internationales sont les “nouveaux maîtres du monde”. Il nous suffit de constater qu’il disposent d’une réelle capacité d’influence ». Et son vice-président de conclure : « Il est donc nécessaire de forcer les acteurs économiques à mieux intégrer la dimension humaine ».

Et gardons-nous de nos amis : « Le modèle que MM.Antony Blair et Gerhard Shröder nous proposent, en s’inspirant des théories de leurs conseillers, n’est, tout compte fait, ni neuf, ni social-démocrate. A moins d’accepter une social-démocratie à l’usage des libéraux, c’est-à-dire une social-démocratie privatisée [5] ». La position de Dominique Strauss-Kahn n’est guère rassurante lorsqu’il déclare : « le compromis de Londres n’est pas juridiquement contraignant » !

10. Modernisme en trompe-l’œil

La fin de l’été, en France n’aura été que l’illustration de ce Monopolibéral auquel nous risquons d’assister pendant le Round du Millénaire.

Des différents échanges du couple industriel Elf/Total et du trio bancaire BNP/Parisbas/ Société Générale, nous retiendrons l’impression d’une succession de coups de dés et de coups de bluff, retransmis en direct et amplifiés par les médias. Lesquels médias, associés aux conseillers-experts et publicistes, ont largement exploité et profité du feuilleton bancaire : on annonce, avec légèreté, que les frais de publicité engendrés ont déjà atteint la coquette somme de 175 millions de francs. Dans cette cacophonie publicitaire nous avons quitté le Monopoly pour le Poker menteur !

Au fait, à qui cette publicité stupide était-elle adressée ? Aux institutionnels ou aux fonds de pensions américains ? Car pour ce qui me concerne, j’avais le sentiment amer que quelques PDG jouaient avec l’argent du citoyen-contribuable, faisant fi du nombre d’emplois supprimés dans leurs entreprises.

Suis-je trop critique ? Lisez la déclaration de Philippe Jaffré, PDG d’Elf, et “hit man” (tueur) dans le hit parade du néolibéralisme : « Depuis que je suis en poste, j’ai réduit de 15% le nombre des salariés français du groupe. J’avoue que j’ai eu quelques problèmes avec les syndicats, mais je l’ai fait. Et je continuerai [6]. »

Le modernisme économique a donc ce visage de foire aux actions ? Sans vouloir juger du bien fondé de la décision prise par la Commission ad hoc (mais indépendante !!!), le conflit bancaire a été provisoirement résolu. Mais l’attitude des politiciens, de droite comme de gauche, a été pour le moins surprenante. La déclaration offusquée de J.-P. Chevènement (“attentat !”), ou les commentaires critiques (mais mous) du PS, tombaient comme des langues de bois !

Pourquoi ? Pour éviter de dire ouvertement leur crainte de voir fondre sur la Société Générale un prédateur étranger. Mais de qui se moque-t-on ? Que devraient dire les Anglais de l’EDF qui investit notre argent dans des sociétés de distribution électrique du Royaume-Uni ?

Que doivent penser les Allemands de Vivendi, après son entrée dans le capital de la Compagnie des eaux de Berlin en juin 1999 ? EDF et Vivendi = prédateurs ?

Messieurs les censeurs de gauche, balayons devant notre porte..., nous voulions l’Europe, mais elle est d’abord libérale et l’on désespère de la voir sociale. Comment croire après tout cela à votre capacité de défendre la démocratie, chancelante dans nos pays, face aux prédateurs mondiaux qui se réuniront à Seattle ?

Que conclure ?

Qu’il est encore temps de réagir et de choisir le type de société que nous souhaitons pour nos descendants.

Il faut d’abord fuir le discours des idéologues libéraux faisant de l’économisme (comme d’autres du scientisme).

L’économie de marché n’est, en fait, qu’une mystification, c’est-à-dire une justification du mercantilisme sauvage. Elle ne défend que ce qui favorise le développement de la marchandise, matérielle ou humaine. Elle dévalorise : le travail de l’homme (noter l’hypocrisie du terme“management participatif ” !), et elle nie ses besoins vitaux et ses aspirations.

Si l’on veut éviter la dictature du Big Brother de Georges Orwell, ou l’avènement du Meilleur des Mondes de Huxley, il faut et il suffit de ne plus laisser faire, ne plus rien laisser passer !

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[1] Voir notre éditorial de la GR-ED 982.

[2] Le Monopoly est un jeu qui nous est venu tout droit des États Unis il y a une cinquantaine d’années... Rendons donc à César !

[3] Jean-Marie Albertini, dans Les rouages de l’économie nationale.

[4] Pas drôles notamment pour les producteurs de Saint Paul de Léon, dont l’importation aux États-Unis de leurs échalotes est taxée à 100%. Il s’agit pour eux d’une mesure léonine... si l’on peut dire !

[5] La social-démocratie privatisée, José Vidal-Beneyto, Le Monde Diplomatique , Juillet 99.

[6] Le Canard enchaîné 18/8/99.

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