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   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
 
 
 
 
 
AED La Grande Relève Articles N° 989 - juin 1999 > Collection de sophismes

 

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Ce dossier du mois sur les retraites est le résultat d’un travail collectif auquel ont participé, outre les membres de la section Yvelines-Nord d’ATTAC, M-L Duboin, Lasserpe, J-P Mon, J-C Pichot, A. Prime. Mais de son côté, notre ami G. Gaudfrin, en analysant, à la demande de deux députés, le livre de Jacques Bichot intitulé “Retraites en péril” [1] parvenait aux mêmes conclusions :

Collection de sophismes

par G. GAUDFRIN
juin 1999

Le livre dénonce avec pertinence les incohérences, les critères et modes de calcul absurdes, les corporatismes, les transferts archaïques et les injustices entre régimes ; en résumé, la Tour de Babel que sont devenues les retraites par répartition. Il en décrit l’historique, conclut à la perte de sens et fait des propositions.

Parmi celles-ci, l’auteur a raison de vouloir fonder les droits à la retraite sur le principe des points en fonction de ce que chacun investit dans ce qu’il appelle le capital humain puisque celui-ci est à l’origine de toute production, que ce soit les biens et services consommables ou les outils pour les produire. Malheureusement on cherche en vain une réforme susceptible d’assurer le financement de ces droits. En suivant son raisonnement sur leur constitution, il serait logique qu’ils soient fonction des productions réalisées par le capital humain, c’est-à-dire la somme des valeurs ajoutées, autrement dit le PIB, même si cette mesure est rudimentaire.

En ne précisant pas cela, ou en en rejetant le bien fondé, l’auteur limite le financement à la seule part salariale du PIB. Il précise même : « ne changeraient ni le coût pour l’employeur, ni le salaire net restant au travailleur, ni les ressources des organismes de protection sociale... » Les PIB ont beau et auront beau augmenter,, au total et par habitant, comme cette part salariale ne cesse de diminuer, il ne faudra pas s’étonner demain plus qu’aujourd’hui de voir salariés et retraités se regarder avec suspicion pour savoir comment partager cette part de plus en plus congrue des productions. Or

Axiome A Il est normal que cette part diminue : l’évolution technique n’a cessé de démontrer que l’augmentation des productions va de pair avec une réduction du volume de travail contraint. On devrait pouvoir s’en réjouir puisque le génie humain crée ainsi du temps libre... mais on ne le peut pas parce que les revenus du travail, en restant essentiellement liés à la durée et la permanence de l’emploi, ne peuvent plus se former au rythme des productions.

Axiome B Cette incohérence est aggravée par la féodalité des marchés financiers, parce que la rentabilité des capitaux et la circulation monétaire conditionnent tous les revenus et les investissements, ce diktat cantonne le politique dans un rôle subalterne. La démocratie est ainsi, en matière économique, tenue en laisse par l’oligarchie financière [2].

Comme dans ces conditions les revenus du travail ne pourront pas retrouver une part suffisante de la valeur ajoutée, et surtout pas évoluer comme elle, on ne pourra pas financer correctement la Répartition sans élargir l’assiette des cotisations au-delà de la seule part salariale, et ce ne sont pas les réformettes du genre CSG qui pourront compenser cette dérive.

La myopie concernant les conséquences bénéfiques de l’évolution technique (réduction du travail pour des productions en hausse) associée à la non remise en cause des axiomes A et B conduit à des sophismes dont le premier au moins apparaît dans le livre.

Les suivants sont évoqués à propos des revenus du travail et par conséquent de leur corollaire, le financement des retraites.

1er sophisme : « Le rapport actifs / retraités, en se dégradant, prépare la faillite de la Répartition ». C’est possible si elle n’est fondée que sur la part salariale de la valeur ajoutée. C’est absolument faux du point de vue de la production puisqu’elle ne cesse d’augmenter par habitant en même temps que ce rapport se dégrade. En caricaturant : n’y aurait-il plus qu’un seul actif, de ce point de vue quelle importance [3] ?

Ce sophisme aboutit à des incohérences comme le recul de l’âge de la retraite. On remplace des retraités par des préretraités ou par des chômeurs (jeunes en particulier). Art de déplacer les problèmes... ou de baisser les pensions par des abattements plus précoces.

2ème sophisme : « Seule la croissance fournira des emplois » (et des profits !)

a- Le fait d’inverser la logique physique qui devrait s’exprimer par : « multiplions les emplois pour augmenter la croissance » est déjà révélateur de la perte de discernement. Einstein, déjà, craignait qu’on en vienne à « produire pour travailler » !

b- La croissance par habitant ne s’arrête pratiquement pas, mais voilà... l’évolution technique et la productivité ne sont pas terminées, heureusement, qui, tout en modifiant les productions et les besoins, réduiront le travail marchand nécessaire. Ah, si seulement on pouvait freiner cette foutue productivité pourvoyeuse de temps libre ( !)

c- Ce sophisme conduit aussi à miser sur des projets à forte part de travail avec, à la clef, le moins de productions consommables possible pour ne pas encombrer les marchés. Cet espoir - avec la formation et le soutien concomitants de profits - n’est pas pour rien dans les projets du genre grands travaux, conquête spatiale, armements...

d- De ce point de vue, les conséquences et la réparation des excès de la course à la rentabilité des capitaux dans un contexte de concurrence exacerbé (dépollution, réhabilitation d’environnement, narcoéconomie, déchets, violences, insécurité, atteintes à la santé et inflation pharmaceutique, multiplication des contentieux, des transports croisés de produits semblables, malthusianisme et déviations agro-alimentaires, obsolescences factices et pub démentielle qui submergent le consommateur et l’anesthésient...) sont elles-mêmes bénéfiques parce qu’elles créent des emplois et des profits !

En fait la croissance n’a pas à être relancée mais réorientée en ayant conscience qu’avec l’évolution technique, l’incohérence A et le diktat B nous font entrer dans l’ère des gaspillages planétaires, des rendements décroissants au détriment des besoins réels et de l’équilibre social. L’inflation des palliatifs législatifs et de la Redistribution prétendant amender le système, est le signe d’une société malade [4].

3ème sophisme : « Le partage du travail, comme dans les 35 heures, pour réduire le chômage ». (On devrait à son sujet parler d’heures travaillées, non de personnes employées).

Quand une denrée est rare, il est normal de la partager. Mais pas d’illusions : on ne fera que partager des revenus du travail, qui continueront à ne pas se former au rythme des productions.

4éme sophisme : « La réduction des charges sur les bas salaires pour augmenter l’emploi ».

Si cela permet quelques embauches et productions supplémentaires (PME, artisans), le supplément de revenus correspondant a toutes chances d’être annulé par la tendance à multiplier les bas salaires dans toute l’économie, ce qui réduirait encore la part des revenus du travail dans la valeur ajoutée.

5ème sophisme : « Les espoirs mis dans le développement des services ».

Même s’il y a des activités utiles ou très innovantes à développer, et à condition de les rendre “marchandes”, leur incidence n’aura rien à voir avec le problème - là aussi l’évolution technique veille. à moins de réinventer par ailleurs, en la multipliant tous azimuts, la domesticité d’autrefois. A.Sauvy ne disait-il pas « que les hauts revenus étaient plus favorables à l’emploi » ? On ferait baisser les statistiques au prix de multiples formes de précarité [5].

Ces sophismes sont provoqués par l’obsession de l’emploi. On justifie cette obsession au nom de l’insertion sociale, alors qu’elle découle d’abord de la liaison revenu/durée (et permanence) de l’emploi. Il serait honnête de le reconnaître. On court ainsi après tout ce qui peut augmenter l’activité, d’abord marchande parce que source d’emplois rémunérables, de rentabilité de capitaux, de commerce monétaire (et de recettes fiscales), l’utilité passe après, pendant que bien des activités utiles et épanouissantes, elles, (formation, prise en compte du long terme etc.) sont inhibées pour la raison inverse [4].

***

Dans Jalons pour une réforme, l’auteur, en refusant d’opter pour un financement des retraites en fonction des productions réalisées par le capital humain (tout en fondant les droits sur l’investissement dans celui-ci, ce qui paraît pour le moins peu cohérent), tombe naturellement dans le 1er sophisme : le recul de l’âge de la retraite.

Il évoque ensuite une certaine tentation (retraités contre actifs) et le renouvellement des générations. S’il a raison pour celui-ci, de vouloir fonder les droits à la retraite sur l’investissement dans le capital humain, la tentation évoquée subsistera, et dans les deux sens, si on ne change rien au financement. Toutefois... Quelques propos semblent se rapporter à la philosophie du financement, je cite :« Le rapprochement entre répartition et système financier, s’il est en germe... Le rapprochement des retraites et de la finance, c’est aussi nécessairement l’adoption par le monde de la protection sociale du sérieux ( ?!)... que l’on observe à certains niveaux de la finance ». Heureusement qu’il précise à “certains” niveaux ! Ou encore : « Combien de temps pour admettre qu’elles (les retraites par répartition) constituent un mécanisme financier, au même titre que leurs homologues par capitalisation. »

L’auteur, n’ayant pas abordé le problème de la part salariale dans la valeur ajoutée, ne serait-il pas séduit sans le vouloir - ou sans vouloir le dire - par le fameux palliatif de la capitalisation qui répond tout à fait à la constitution de créances consécutives à un investissement ? Ne dit-il pas qu’on devrait parler de “remboursements” et non de “versements d’épargne” de la part des actifs ?

Peut-on être rassurés du fait que l’auteur parle par ailleurs d’investissement dans le capital humain... alors que la capitalisation se fonde, elle, sur les revenus du capital... financier, lesquels s’enflent au détriment de ceux du travail dans la valeur ajoutée produite... par ce capital humain ?

Quand certains présentent la capitalisation comme un complément utile à la répartition, en commençant par puiser directement, ou implicitement, sur les revenus du travail qui l’alimentent - tout en favorisant au passage les plus élevés - cela relève de la malhonnêteté. On aura beau les baptiser d’un autre nom, ça ne changera rien.

S’il s’agit d’augmenter l’épargne investie ou le substrat des crédits bancaires aux entreprises, est-ce pour augmenter des productions qu’on ne sait pas écouler ? Pour réduire les “rendements décroissants” de la croissance ? Ou, face à la concurrence exacerbée, pour augmenter la productivité en réduisant les revenus du travail ? De plus, en dehors du problème de la montée en puissance, c’est, à terme, une pression des retraités sur les revenus du travail des actifs (belle solidarité !) et, en même temps, une incertitude face à l’irrationalité des marchés financiers, face aux gymnastiques financières des groupes mondialisés dans lesquels auront abouti les fonds, aux gestionnaires du type assureurs, greniers des banques, qui auront profité de cette manne pour asseoir de juteuses opérations de crédit... Si, comme il est parfois suggéré, ou comme on l’a déjà constaté dans les crises financières récentes, on collectivise plus ou moins directement ces risques, ne parlons plus de capitalisation, mais d’un mariage entre la carpe et le lapin, un défi de plus à la transparence des revenus !

En conclusion, pour que la retraite ne soit pas une incertitude permanente alors que la production par habitant augmente, il faut...se tourner vers la valeur ajoutée, expression de cette production avec, dans tous les cas, les mêmes critères d’obtention de droits pour tout le monde. Qu’ensuite chacun soit incité à orienter son épargne, s’il en a, suivant les besoins de l’économie [4].

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[1] Publié aux éditions Presse de Sciences Po, 1999, collection La bibliothèques du citoyen.

[2] A) et B) n’ont pas eu le temps de nuire pendant les “30 glorieuses” : les raretés issues de la guerre rendaient les besoins évidents, l’emploi de ce fait allait de soi d’autant plus que l’évolution technique n’avait pas encore atteint un seuil critique ; ces raretés, en même temps qu’une demande solvabilisée par l’emploi, soutenaient les prix, donc les profits industriels, lesquels ne cherchaient pas à prospérer dans le financier. Le cercle monétaire, plutôt “vertueux”, est devenu “vicieux”.

[3] On peut montrer qu’avec une augmentation raisonnable du PIB, la hausse du taux de prélèvement ne fait que répartir équitablement une hausse des revenus entre actifs et retraités. Prétendre que, même contractuelle, elle ne serait pas comprise (bas de la page 75), revient à renoncer à toute transparence des revenus.

[4] L’examen du problème des retraites révèle que l’évolution technique contemporaine doit être accompagnée de réformes nous libérant de l’incohérence de A et du diktat B. Dans ce but, celles qui sont élaborées aujourd’hui doivent être d’autant plus étudiées et comparées que l’économie n’est pas une science exacte. La réforme monétaire, conduisant à la monnaie de consommation par exemple ne peut être ignorée sous prétexte qu’elle n’est pas enseignée. Elle nous oblige à remettre en cause le pouvoir financier et la manière dont la monnaie actuelle remplit ses rôles, compte tenu de l’évolution technique. Cette monnaie, non transférable, dont l’épargne ne produit pas d’intérêts, qui convient à la mesure des revenus, des échanges, des coûts et des résultats comptables, permettrait :

- D’assurer les revenus en fonction des compétences, et /ou des besoins, mais en les dissociant de la durée (et de la permanence) de l’emploi, sous réserve que chacun participe aux activités nécessaires, guidé par une gestion paritaire de l’emploi et de la formation, ou prenne l’initiative de leur création. Le contraire du laxisme.

- D’utiliser le résultat comptable... comme un indicateur à l’usage des professions associées aux clientèles pour juger l’entreprise, et non plus comme un diktat financier. On obtiendrait ainsi la souplesse nécessaire aux entreprises, la prise en compte de coûts corrects (les actuels faussent les calculs de rentabilité), la suppression des transferts redistributifs démotivants, un jeu équilibré entre offre et demande, la transparence des revenus, la maîtrise des échanges extérieurs et des identités culturelles.

[5] Quand on nous donne les États-Unis en exemple on oublie qu’ils sont les plus endettés vis à vis du monde et les plus exploiteurs de sa main-d’oeuvre, les plus protectionnistes, que leur balance commerciale est la plus déficitaire, que notre productivité est supérieure, que les écarts s’y creusent... comme entre eux et le reste du Monde d’ailleurs, non pas parce que leur “génie” est supérieur, mais parce qu’aujourd’hui le diktat B favorise naturellement ceux qui peuvent disposer au mieux du pouvoir financier, indépendamment de ses objectifs.

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