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   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
 
 
 
 
 
AED La Grande Relève Articles N° 1118 - mars 2011 > Nous n’irons pas aux Paradis

 

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Photo G. Petit

Nos lecteurs étaient conviés à se rencontrer le 29 janvier dernier au café repaire de Marly pour écouter Bernard Blavette nous parler des paradis fiscaux, et puis pour fêter ensemble les 75 ans de La Grande Relève.

Ce fut l’occasion de faire connaissance avec Gilles Petit[*], lecteur “de père en fils”… Merci à lui d’avoir bien voulu raconter ici sa soirée :

Nous n’irons pas aux Paradis

par G. PETIT
31 mars 2011

Un samedi soir de fin janvier, sur les hauteurs des Yvelines. Gare de Marly-le-Roi, un tunnel frigorifié sous les rails et un bistrot, “Le Fontenelle”. Un gros moustachu bavard bloque l’entrée : « C’est pour la réunion ? Prenez l’autre porte », rigole-t-il en avalant une gorgée de Madère. Frissonnant, on passe « l’autre porte », persuadé de tomber dans une salle vide.

Et là, la surprise. Et vite l’émotion qui grimpe aux yeux. La petite salle est archicomble, pas loin de 80 personnes de tous âges, et Martine Vimeney, blonde pimpante, qui accueille dans son “Café Repaire” mensuel [1] . Au menu : le mensuel La Grande Relève et sa directrice Marie-Louise Duboin, avec la belle Martine organisatrice, ont invité tous leurs sympathisants, et bien sûr leurs amis du Parti de Gauche, d’Attac, de la Ligue des Droits de l’Homme...

* La Grande se Relève

Je vais être franc : je suis impliqué personnellement dans La Grande Relève : mon père travailla dès le début avec Jacques Duboin en 1935 sur ce mensuel, repris par sa fille Marie-Louise. Je n’y avais jamais collaboré, imaginant que cette idée d’économie distributive de 1935 était devenue obsolète après la disparition du bloc socialiste, il y a 20 ans(a). Mais, après l’exposé de Bernard Blavette et les explications de Marie-Louise Duboin, il m’est apparu clairement que son père (et le mien) avaient 75 ans d’avance et qu’en 2011, tout s’éclairait.

G.P.

(a). En 1979, juste après la chute de la “Bande des 4”, j’effectuai un voyage professionnel à Shanghai et Pékin. Il existait alors deux monnaies en yuan : l’une pour les touristes étrangers, l’autre pour le vulgum pecus. Choquant d’abord, mais compréhensible par la suite.

Au micro, un chroniqueur sacrément documenté, Bernard Blavette. Ancien commercial, militant d’Attac, le bonhomme va illuminer deux heures magiques sur les paradis fiscaux. On connaissait leur existence, bien sûr, mais la rigueur de l’exposé va époustoufler tout le monde.

6.000 milliards de dollars, ah bon !...

Il débute : « Les paradis fiscaux forment la pièce centrale de déstabilisation de la démocratie ; elle entraîne l’oligarchie ». Diable, il commence fort. Taxe Heaven en Grande-Bretagne ou Oasis Fiscal en Allemagne, ces paradis n’ont qu’un but : échapper à l’impôt. « Je préfère “zones de non droit” », ajoute Blavette. Et de citer, pêle-mêle, tous proches de nous, loin des palmiers idylliques, Monaco, Andorre, Suisse, Luxembourg, Lichtenstein, Malte, Guernesey, Jersey : « des pays au coeur du capitalisme, mais qui servent également à blanchir l’argent sale ! ».

Et de revenir utilement sur l’historique. Au 19è siècle, le Commonwealth se demandait où imposer toutes ses entreprises disséminées sur la planète. La décision fut « au lieu de leur siège social ». Blavette imagine qu’on ne se doutait pas encore des conséquences. Tout démarra aux Îles Caïman [2], où des “VIP” anglais acculés trouvèrent refuge. En remerciement, on supprima les impôts. Puis, en 1870, suivit Monaco, qui cherchait une solution “rentable” pour ses casinos. Le Lichtenstein lui succéda en 1900 : petit pays pauvre et montagneux, il avait trouvé le moyen d’attirer des entreprises.

Photo G. Petit

Mais ces îlots paradisiaques restèrent marginaux jusqu’au lendemain de la Deuxième Guerre Mondiale et surtout jusqu’à l’arrivée de Ronald Reagan et Margaret Thatcher dans les années 80, où la libéralisation des capitaux devint totale.

Des chiffres effarants : en 1964, les Îles Caïman accueillaient 2 banques. On en compte aujourd’hui 500 et 300 compagnies d’assurance ! À Vaduz, capitale du Lichtenstein, 80.000 sociétés se sont installées !

Autre chiffre ahurissant, les capitaux bloqués dans ces “Paradis” se montaient en 2009 à 6.000 milliards de dollars [3].

Zones franches et complaisantes

Les paradis fiscaux sont complétés par les “Zones Franches”. Celles-ci se doivent d’attirer des entreprises dans des pays pauvres avec privilèges à l’appui, c’est-à-dire aucune règle (salaires, droits du travail, devoirs écologiques, etc, imaginez tout ce qui fait pâlir un patron). Exemples : le Vietnam, la Jamaïque, le Mexique à la frontière des États-Unis…

En 1975, il existait 79 zones franches. En 2006, on en recensait 2.700 : allez demander à Nike ou Adidas où se fabriquent leurs belles godasses… !

À ces zones franches, il faut ajouter les transports : dame, mes belles chaussures, je ne vais pas les vendre sur place, non mais ! D’où les pavillons de complaisance : Malte ou Panama. « Cela représente 60 % du commerce mondial maritime ! », précise Blavette, qui résume : « Ces 3 éléments, paradis fiscaux, zones franches et flottilles de complaisance forment l’architecture au service d’une oligarchie ».

Le plus extraordinaire, c’est qu’il existe des ouvrages destinés aux particuliers, fraudeurs potentiels “Le Guide des Paradis Fiscaux” du suisse Chambost [4]. Ou “Les Paradis Fiscaux” du Français Grégoire Duhamel. Il s’agit d’un vrai “Guide Bleu” avec des notes de 0 à 20. Le bon élève ? — Costa Rica, avec 16,5 sur 20, et une explication détaillée : comment transférer votre argent, comment créer une société bidon, comment bâtir une société écran, où se situent les bons restos, tout y est. Si vous ne dénichez pas cette bible du fraudeur bon vivant, allez donc sur le site France Offshore, un bijou d’appel à la tricherie [5].

Photo G. Petit

Bernard Blavette est clair : « Ces sociétés offshore mettent un État à genoux ! Enron en avait 3.000, par exemple. Mais le droit à l’éducation, à la santé ? Les déficits de la Sécurité Sociale ou d’ailleurs émanent d’une campagne d’intoxication majeure ! Je regrette que les syndicats parlent peu de ces milliards envolés, alors que l’État emprunte à ceux qui ont fraudé ! C’est de l’escroquerie ! »

Un blanchiment très sale

Parlons maintenant du blanchiment. Il représente 30 % des placements dans les paradis fiscaux. Accrochez-vous : 1,5 teradollars d’argent sale. Soit 1.500 milliards de dollars (excusez la traduction monétaire pour les lecteurs avertis et jongleurs que vous êtes devenus). Ce que Blavette intitule PCB, soit Produit Criminel Brut, soit encore drogue, sexe ou armes.

Prenez Parmalat, par exemple. Gentille petite société italienne qui trayait du lait, avec yaourts et beurre à la sortie et communiquait dans le sport (cyclisme, volley-ball). Voilà-t-il pas qu’en 2003, une guêpe folle la prend pour s’installer au Luxembourg et se lancer dans tous les trafics possibles. Aussitôt imitée par Pernod-Ricard empêtré désormais avec des narco trafiquants colombiens ( !), sans évoquer Marlboro, impliqué dans un trafic absurde : l’argent de la cocaïne sert à acheter ses propres cigarettes pour les revendre en contrebande en Amérique du Sud !

Dérisoires, ces petits exemples ? Oui, si vous ne buvez ni lait, ni pastis, encore mieux si vous ne fumez pas. Mais non si vous comptabilisez les milliards qui circulent quelque part, alors que vous regrettez les enseignants et les infirmières qui s’envolent, ou vos fins de mois délicates qui représentent beaucoup moins qu’un milliardième de tout ce fric extérieur et flottant.

« Interpol ne fait pas le poids, avoue Blavette. J’ai rencontré le juge Van Ruymbeke. Il enquêta des mois sans réponse de quiconque pour relancer ses dossiers. Son seul truc fut de rencontrer ses collègues aux frontières luxembourgeoise et suisse. Mais ces infos glanées dans des bistrots frontaliers n’avaient aucune valeur juridique… En fait, les 6 teradollars servent surtout à la corruption (voir Total dans son pillage des sources minières), aux milices privées et aux lobbies omniprésents. »

D’ailleurs, les oligarques ne s’en cachent pas. Claude Bébear, par exemple, le PDG d’AXA, en 2006 : « Les États doivent céder une part de leur souveraineté », ou Bernie Ecclestone (président et milliardaire en Formule 1) : « Hitler fut un chef d’État efficace. Je déteste la démocratie qui empêche beaucoup de choses. »

Alors ?

Alors le capitalisme ne peut se réformer lui-même. Reste la prise de conscience à l’extérieur et l’indignation.

Les deux heures d’interventions personnelles qui suivirent l’exposé de Bernard Blavette furent passionnantes. Mais une question majeure demeure : comment modifier le système capitaliste financier à partir d’une petite France, qui vit sur une planète toute acquise à ce système ?

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[1] Le Fontenelle, 30 rue de Fontenelle, 78160 Marly-le-Roi

[2] Voisine de la Jamaïque dans les Caraïbes, les îles Caïman furent découvertes en 1503 par Christophe Colomb, puis occupées par Francis Drake en 1586, avant de devenir anglaises en 1670. Le gouverneur actuel de cette Couronne Britannique est Duncan Taylor.

[3] On dit aujourd’hui 6 téradollars : ça parle mieux à nos petits cerveaux de contribuables : 1 téra = 1.000 milliards, OK chef, j’ai compris.

[4] Le plus amusant, c’est que Bernard Blavette a déniché ce pavé dans un couloir du métro ! Sans doute un SDF qui s’était endormi à la 3ème page !

[5] Offshore = pays où les règles sont “différentes” de celles du pays d’origine d’une société.

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