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   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
 
 
 
 
 
AED La Grande Relève Articles N° 1118 - mars 2011 > Un dur combat

 

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À l’heure où le gouvernement remet en cause tous les acquis sociaux, il est bon de rappeler ceci :

Un dur combat

par J.-P. MON
31 mars 2011

Au début du XIXème siècle, le développement de l’industrie provoque une dégradation des conditions de vie des ouvriers. Déjà, « le progrès échappe aux classes laborieuses » [1] et, tout comme aujourd’hui, la rentabilité des investissements devient une obsession : les ouvriers travaillent quatorze à quinze heures par jour et les semaines de travail sont souvent de sept jours ! Les maladies professionnelles font des ravages, les logements des ouvriers sont de véritables cloaques, la mortalité infantile est beaucoup plus élevée dans les quartiers ouvriers que dans les quartiers bourgeois. À la suite de la publication du “Tableau de l’état physique et moral des ouvriers employés dans les manufactures de coton, de laine et de soie”, réalisé par l’ancien chirurgien militaire Villermé, l’État fait une incursion timide dans le monde du travail en promulguant la loi du 22 mars 1841. Cette loi réglementait le travail des enfants dans l’industrie : interdiction de les faire travailler avant huit ans ; de huit à douze ans, ils ne devaient pas travailler plus de huit heures par jour, et de douze à seize ans, pas plus de douze heures par jour.

Cette loi, dont l’objectif avoué n’était pas d’humaniser un peu le travail des enfants, mais d’offrir à l’armée des soldats en meilleure santé, n’en est pas moins considérée comme la première loi sociale, celle qui marque, en France, la naissance du droit du travail.

Mais elle inquiète alors beaucoup la bourgeoisie qui, par la bouche d’un de ses députés [2], Gustave de Beaumont, prévient : « Il ne s’agit aujourd’hui que des enfants en bas âge, mais soyez en sûrs, un temps long ne s’écoulera pas sans qu’il s’agisse aussi, et sans qu’on vous le propose, de réglementer le travail des adultes. » Il n’est donc pas surprenant que, mal contrôlée, l’application de cette loi soit limitée.

Ce n’est qu’en 1874 qu’une nouvelle loi améliora celle de 1841, en élevant l’âge d’accès au travail à douze ans et, surtout, en créant un corps d’inspection spécifique, chargé d’en vérifier l’application.

Les “craintes” de Gustave de Beaumont étaient justifiées : la durée du travail commença à décroître vers la fin du XIXème siècle, grâce à de longues luttes ouvrières parfois sanglantes. Elle s’est faite au cours du XXème siècle de différentes façons : par l’établissement du repos dominical, rendu obligatoire par la loi du 13 juillet 1906,
par la réduction à 8 heures de la journée de travail, en s’inspirant de l’exemple américain [3],
par la réduction de la semaine de travail à 40 heures en 1936, puis à 39 heures en 1982, puis à 35 heures en 1998.

Enfin par le raccourcissement de l’année de travail avec l’obligation du repos le dimanche et les jours fériés et surtout la mise en place des congés payés : 15 jours en 1936, trois semaines en 1956, quatre semaines en 1969, cinq semaines en 1982.

L’allongement des études et l’avancement de l’âge du départ en retraite (65 ans, puis 60 ans et même moins dans certaines professions) a aussi notablement contribué à la réduction globale du temps de travail.

En résumé, le nombre d’heures de travail annuel d’un ouvrier était [4] : de 5.000 il y a 150 ans, de 3.200 il y a un siècle, de 1.900 dans les années 1970 et de 1.520 en 1997, ce qui ferait, d’après André Gorz [5], 800 heures par an si le travail était réparti sur toute la population en âge de travailler.

Plus frappant encore : rapporté à la durée totale du temps éveillé sur l’ensemble du cycle de vie, le temps de travail représente [6] : 70% en 1850, 43% en 1900, 18% en 1980 et 14% aujourd’hui.

Cette évolution est observée dans tous les pays industrialisés.

Au nom de quoi faudrait-il enterrer ces conquêtes ?

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[1] Le Monde Économie, L’État, le capitalisme et l’ouvrier, 19/06/2002.

[2] Sous la monarchie de juillet (1830-1848) seuls les riches avaient le droit de voter.

[3] Ce fut la revendication la plus importante du syndicalisme à partir du 1er mai 1891. Elle aboutit à une loi en 1919 fixant à 8 heures la durée de la journée de travail sur la base de 6 jours par semaine.

[4] René Passet, Le Monde diplomatique, juillet 1997.

[5] André Gorz, Misères du présent, richesses du possible, éd. Galilée, 1997

[6] Roger Sue, Temps et ordre social, éd. PUF, 1994.

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