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   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
 
 
 
 
 
AED La Grande Relève Articles N° 1113 - octobre 2010 > Pouvons-nous sauver le soldat “emploi” ?

 

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Le texte ci-dessous nous est malheureusement parvenu trop tard pour être intégré dans le numéro précédent. Roland POQUET y répond à l’une des questions posées à nos élus dans GR 1109, et sur lesquelles ils sont muets : pourquoi le retour au plein emploi n’est-il plus possible dans le système économique actuel ?

Pouvons-nous sauver le soldat “emploi” ?

par R. POQUET
31 octobre 2010

Dans les pays supérieurement équipés, nul ne peut nier que la situation de l’emploi est préoccupante : le temps de travail global tend à diminuer, l’emploi se raréfie. C’est une lame de fond que la crise grossit sensiblement mais qui est visible depuis une quarantaine d’années ; certains diront qu’elle vient de bien plus loin, masquée un temps par la seconde guerre mondiale et les trente années qui suivirent. Les chiffres sont accablants et ne laissent, hélas, que l’embarras du choix pour qui veut les présenter.

Aux États-Unis, les années 2008 - 2009 ont été les plus noires depuis la dépression de 1929 : la crise a détruit 8,7 millions d’emplois, provoquant une brutale paupérisation de la population (une personne active sur deux a versé dans le sous-emploi !) et 20 à 25 millions de personnes ayant appartenu aux classes moyennes ont brutalement été reléguées sous le seuil de pauvreté ; aussi les États-Unis voient-ils leur taux de sans-emploi dépasser les 10% (en fait, 17,5 si l’on tient compte de ceux et celles qui ont renoncé à chercher un travail, ce qui représente 26,9 millions de personnes !)

En France, les destructions d’emplois ont suivi le même rythme ; en 2009, 320.000 emplois ont disparu, le chômage a augmenté de 20 % et le nombre de demandeurs d’emploi (catégories A, B, C) a dépassé les 4 millions : sur ces 4 millions, un million de chômeurs arrivent en fin de droits en cette année 2010. Réaction en chaîne bien connue, une perte de 45.000 emplois dans les travaux publics en 2010 affectera sérieusement la filière immobilière : déjà les notaires ont dû se séparer de 10.000 collaborateurs et 17 % des agences ont fermé. Cette crise intervient alors que notre pays avait déjà perdu un tiers de ses effectifs industriels, soit 2 millions d’emplois.

La zone européenne est logée à la même enseigne avec, bien entendu, de fortes disparités d’un pays à un autre : en deux années, le chômage est passé de 7,8 % à 10 % de la population active, soit une perte de 3,9 millions d’emplois.

Le constat est sans appel.

Mais c’est la faute à “la crise” clament nos gouvernants, parodiant ainsi un personnage de Maupassant qui répétait à l’envi « elle a fait la faute » pour justifier son mariage avec une ravissante personne beaucoup plus jeune que lui. Quelle faute avons-nous commise ? Aurions-nous vécu au-dessus de nos moyens ? La France se serait-elle à ce point appauvrie ? — Pas que nous sachions !

N’empêche que la “rigueur” frappera de plein fouet les classes moyennes et les déshérités. « Faut qu’ça saigne ! » annonçait, il y a déjà un demi-siècle, Boris Vian. Attachez vos ceintures ! La tornade est loin d’être passée.

*

Face à cette situation qui s’aggrave de jour en jour, tous les moyens sont bons pour, à la fois, revigorer l’économie et réduire la dette — une nouvelle quadrature du cercle ! Un esprit tant soit peu lucide se réjouirait d’assister à une diminution du volume global des heures travaillées dans un pays. Ce détachement progressif du travailleur vis-à-vis des tâches serviles ne correspond-il pas à l’un des souhaits permanents de notre humanité ? Cette obstination à vouloir, à tout prix, fournir un travail aux personnes en âge de l’assumer, comment certains observateurs lucides l’ont-ils interprétée ?

Après avoir rappelé que c’est le travail salarié qui, en grande partie, met en mouvement le mécanisme de l’échange économique et le couple production-consommation, l’écrivain Renaud Camus1 ajoute : « L’emploi est le lieu d’un contrat où se croisent deux besoins. L’employeur a besoin que les emplois qu’il offre soient remplis pour que soit assurée sa production (et garantis ses bénéfices). L’employé a besoin de remplir l’emploi qu’il occupe pour que soit assurée sa subsistance. Si l’un de ces besoins disparaît, le besoin symétrique se trouve sans point d’appui. Il bée dans le vide. Il n’y a plus de contrat possible. Il n’y a plus d’emploi concevable. » On ne peut être plus clair : pas d’emploi, pas de salaire — pas de salaire, pas d’achat — pas d’achat, pas de vente — pas de vente, pas de bénéfices. La machine économique s’enraye et, in fine, ne dégage plus les profits escomptés.

Dans son remarquable ouvrage Condition de l’homme moderne (1958), Hannah Arendt écrit « La consommation ne se borne plus aux nécessités mais se concentre au contraire sur le superflu… Toute notre économie est devenue une économie de gaspillage dans laquelle il faut que les choses soient dévorées ou jetées presqu’aussi vite qu’elles apparaissent dans le monde pour que le processus lui-même ne subisse pas un arrêt catastrophique. » En ce qui concerne l’emploi, nous pourrions ajouter ceci : cette croissance sans fin (qui dévore énergies et matières premières dans des produits de plus en plus nombreux mais aux durées d’usage de plus en plus courtes) entretient un volume de travail appréciable qui, loin de diminuer depuis quelques années, semblait stagner au moment où la “crise” est arrivée.

Laissons à Nietzsche le soin de conclure : « La plus laborieuse des époques, la nôtre, ne sait que faire de son labeur, de son argent, si ce n’est toujours plus d’argent, plus de labeur. »

*

Nous sommes donc en plein paradoxe. Avant d’aller plus loin, précisons-en à nouveau les termes.

L’application d’un certain nombre de techniques (informatique, robotique, génétique, télécommunications, biotechnologies) provoque, sur une production donnée, une réduction des effectifs et du temps de travail global. En regard, la nécessité de faire tourner la machine économique et de réaliser des profits exige que le volume global des heures travaillées augmente.

Faut-il travailler plus afin de sauver le valeureux soldat “emploi” et l’impitoyable général “profit ” ou aller dans le sens de l’Histoire en favorisant une diminution de volume du travail contraint ?

Ce questionnement nous aidera à interroger la notion de “plein emploi”.

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