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   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
 
 
 
 
 
AED La Grande Relève Articles N° 1112 - août-septembre 2010 > Les très hauts salaires

 

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Quelques repères

Les très hauts salaires

par J.-P. MON
août 2010

Comme disait Margaret Thatcher lorsqu’elle était premier ministre de sa très gracieuse majesté, la reine d’Angleterre : « il vaut mieux taxer les pauvres que les riches car ils sont beaucoup plus nombreux ». C’est devenu une règle très suivie dans tous les pays de l’Union européenne, comme en témoigne le plan de rigueur (pardon ! il faut dire la “gestion rigoureuse”) du budget français, conçue par le gouvernement de François Fillon : suppression de postes de fonctionnaires, baisse des dépenses d’intervention de l’État et notamment des dépenses sociales, diminution du nombre des emplois aidés, report de l’augmentation de 25 % de l’allocation pour les adultes handicapés, etc… Mesures auxquelles il faut ajouter la réduction des franchises médicales et l’augmentation des forfaits hospitaliers. Par contre, il n’est pas question de renoncer au bouclier fiscal ni d’augmenter les impôts (« Si on augmente les impôts, on n’aura plus d’entreprises et on n’aura plus de consommation de la part des particuliers [1] »).

Une enquête récente [2] nous révèle justement où en sont les malheureux dirigeants de nos entreprises, prêts à s’expatrier pour gagner enfin correctement leur vie. Nous en donnons ci-dessous l’essentiel.

Les revenus démesurés des grands patrons

Selon les données 2009, le revenu annuel d’un grand patron représente de 200 à 350 années de Smic [3]. Ce revenu est calculé hors stock-options et actions gratuites et ne comprend pas un certain nombre d’avantages en nature tels que voitures et logement de fonction. Qui plus est, malgré la crise financière, pour la plupart des grands patrons, les revenus 2009 n’ont pas baissé par rapport à 2008. « Ces revenus demeurent bien supérieurs à ce que le talent, l’investissement personnel, la compétence, le niveau élevé de responsabilité ou la compétition internationale peuvent justifier. Ils vont bien au-delà de ce qu’un individu peut dépenser au cours d’une vie pour sa satisfaction personnelle, même en accumulant les biens de luxe. Ils garantissent un niveau de vie hors du commun, transmissible de génération en génération, et permettent de se lancer dans des stratégies d’investissement personnel (entreprises, collections artistiques, fondations, etc.) [2] ».

Revenus annuels des patrons d’entreprises du CAC 40 les mieux rémunérés

entreprise revenu annel en milliers d’euros revenu annel en années de SMIC
F. Riboud Danone 4.422 349
Bernard Arnaud LVMH 3.879 306
C. Viehbacher Sanofi 3.600 284
J.P Agon L’Oréal 3.360 265
H. de Castries AXA 3.199 263
G. Mestrallet GDF-Suez 3.134 248
L. Olofsson Carrefour 3.111 246
C. de Margerie Total 2.666 211

Les hauts salaires et les très hauts salaires du secteur privé

Dans son étude [4] de 2007, l’INSEE classe dans la catégorie des “hauts salaires” du secteur privé, les 1,3 million de personnes qui perçoivent un salaire annuel brut supérieur à 124.573 euros. Il s’agit essentiellement de cadres (82 %) mais aussi de professions intermédiaires (15 %). C’est une population très hétérogène en termes salariaux. Pour affiner son enquête l’INSEE définit ensuite la catégorie des “très hauts salaires” (THS) comme les 1 % de salariés à temps complet les mieux rémunérés. Ce sont 133.000 personnes qui touchent en moyenne, un salaire brut annuel de 215.600 euros, soit trois fois le salaire moyen des “hauts salaires” (70.659 euros) et près de sept fois le salaire moyen de l’ensemble des salariés à temps complet du secteur privé (près de 32.000 euros).

Même si l’on retrouve des THS dans tous les domaines, trois secteurs en concentrent plus de la moitié. Il s’agit du conseil et de l’assistance (secteur qui inclut “l’administration d’entreprises” avec notamment les holdings, têtes de groupe), des activités financières et du commerce de gros. Ils emploient aussi près de 40 % des “hauts salaires” alors qu’ils représentent moins de 20 % de l’emploi privé total. À l’opposé, trois secteurs rassemblent plus du quart de l’emploi privé (le commerce de détail, la construction et les services opérationnels) mais ne représentent que 10,6 % des “hauts salaires” et 8,5 % des “très hauts salaires”.

Logiquement, le poids des THS est particulièrement important dans les entreprises de plus de 500 salariés puisqu’elles emploient 42 % de cette population, 48 % des “hauts salaires” et seulement 36 % de l’emploi salarié à temps complet du secteur privé. En effet, la taille de l’entreprise est un déterminant du salaire, tout particulièrement pour certaines fonctions comme celle de dirigeant. Néanmoins, les très petites entreprises (TPE), qui représentent un peu plus d’un quart de l’emploi total, emploient 17 % des THS et 16 % des “hauts salaires”. Mais les trois quarts de ces THS sont concentrés dans des TPE de conseil, finance ou commerce de gros qui ne représentent qu’une petite fraction, très spécifique, de l’univers des TPE. Avant tout, des dirigeants et des financiers.

En termes de professions exercées, 95 % des très hauts salaires sont cadres ou dirigeants d’entreprise. On peut distinguer quatre groupes :

• celui des dirigeants salariés (le plus fourni) qui inclut aussi les cadres d’état-major des grandes entreprises ainsi que des cadres supérieurs salariés par des holdings “tête de groupe”. Le salaire annuel brut moyen de cette catégorie, qui représente 40 % des THS, s’élève à environ 230.000 euros.

• celui des professionnels de la finance (15 % des THS). Il s’agit de cadres des services financiers en entreprise (chefs d’un service financier d’une grande entreprise par exemple) ainsi que de professions spécifiques du secteur bancaire comme les “cadres des marchés financiers”, catégorie qui inclut les traders, ou encore les “cadres des opérations bancaires”. Ces cadres de banque ont un salaire moyen de près de 290.000 euros.

• Le groupe constitué de cadres commerciaux, dont un tiers travaille dans le commerce de gros et un autre tiers exerce dans l’industrie (11 % de la population des THS avec un salaire moyen de 181.000 euros).

• Enfin, un groupe plus hétérogène constitué de professions plus techniques, avec des spécialistes de l’informatique ou des télécommunications (4 %), des ingénieurs de l’industrie (7 %) ou des pilotes du transport aérien (2 %). Leur salaire moyen est proche de celui des commerciaux.

Des sportifs de haut niveau

Parmi les THS, quelques salariés (4 %) sont classés en “professions intermédiaires”. Il s’agit notamment des sportifs de haut niveau, salariés par des entreprises du secteur des activités récréatives, culturelles et sportives ou clubs de sport professionnel. Le salaire moyen de cette dernière population, qui se distingue aussi de toutes les autres par sa jeunesse, est particulièrement élevé (plus de 400.000 euros par an).

Caractéristiques des THS

• La population des très hauts salaires est très masculine. En effet, plus on s’élève dans la hiérarchie salariale, plus la proportion d’hommes s’accroît. Elle est de 55 % dans l’ensemble des salariés du privé, de 65 % pour les seuls salariés à temps complet, de 78 % parmi les “hauts salaires” et s’élève à 87 % parmi les “très hauts salaires”. Elle est nettement plus forte parmi les dirigeants (92 %) et plus faible dans les métiers de la finance (autour de 80 %). Mais si la proportion de femmes au sein de ces THS est réduite, la différence de salaire des femmes THS par rapport à celui de leurs homologues masculins est en moyenne relativement faible (- 6 %).

• Le salaire étant fortement corrélé avec l’expérience, la population des THS est plus âgée (âge moyen 49 ans) que celle des “hauts salaires” (45 ans), des cadres (42 ans) et de l’ensemble des salariés à temps complet (un peu moins de 40 ans). Leur pyramide des âges est très différente de celle de l’ensemble des salariés : 11 % sont sexagénaires contre 2 % ; les quadras et quinquagénaires dominent (72 %) alors qu’ils représentent moins de la moitié de la population des salariés à temps complet ; enfin, seulement 16 % d’entre eux ont moins de quarante ans.

• Les sportifs de haut niveau se distinguent par leur jeunesse (31 ans en moyenne) de même que, dans une moindre mesure, les professionnels de la banque (43 ans d’âge moyen).

À l’opposé, les dirigeants salariés sont les plus âgés, avec une moyenne de 52 ans.

• La population des THS se concentre là où se trouvent les sièges sociaux des grandes entreprises c’est-à-dire en Île-de-France. Alors qu’un quart des salariés à temps complet travaillent dans cette région, c’est le cas de près de la moitié des “hauts salaires” et de deux THS sur trois.

• Les très hauts salaires ont connu des trajectoires salariales individuelles particulièrement dynamiques entre 2002 et 2007. Ainsi, les salariés déjà classés THS en 2002 et qui le sont toujours en 2007, (soit près de 80 % des THS de 2002 toujours en emploi en 2007), ont bénéficié d’une croissance annuelle moyenne de leurs salaires de 5,8 % en termes réels. Ceux qui ont atteint cette position dans la hiérarchie salariale sur la fin de la période, soit 28 % des THS de 2007, ont bénéficié d’évolutions encore plus substantielles (14,5 % en moyenne annuelle).

Pour ces deux groupes, il s’agit d’augmentations salariales nettement supérieures à celles de l’ensemble des salariés ayant toujours eu un emploi sur la période (+ 2,3 %) ou même des seuls cadres (+ 2,9 %).

Des emplois bien rémunérés aussi chez les non-salariés

On observe aussi des THS dans la Fonction publique, en retenant pour les définir le même seuil que celui du secteur privé (124.573 euros). Ils sont environ 1.200 dans la fonction publique d’État, quelques centaines seulement dans la territoriale, soit au total 0,05 % de l’emploi public. Comme dans le secteur privé, les hommes sont très majoritaires (87 %), ils travaillent le plus souvent en Île-de-France (80 %) et 50 % d’entre eux appartiennent à une administration financière.

Mais c’est surtout chez les non-salariés, que l’on trouve des actifs atteignant de très hauts revenus d’activité comparables à ceux des très hauts salaires du secteur privé : environ 160.000 non-salariés perçoivent en effet un revenu d’activité supérieur au seuil retenu ici, soit près de 8 % des non-salariés (hors agriculture). Dans cette population, elle aussi très masculine (82 %), 43 % exercent des professions de santé (médecins, chirurgiens-dentistes, pharmaciens), 12 % des métiers du droit (avocats, notaires) ainsi que diverses professions libérales (conseils, architectes...). Contrairement aux salariés ayant un très haut salaire, les non-salariés ayant des très hauts revenus d’activité sont présents sur tout le territoire, seulement un quart d’entre eux travaillant en Île-de-France. En revanche, comme les THS, ils sont relativement âgés (près de 49 ans en moyenne).

Les médecins représentent 27 % des 159.000 non-salariés ; leur revenu d’activité moyen s’élève à 151.775 euros.

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[1] Sarkozy dans son intervention télévisée du 12/07/2010.

[2] L’observateur des inégalités, N°76 , juin 2010.

[3] Les Échos, 26/04/2010.

[4] INSEEpremière n°1288, avril 2010.

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