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   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
 
 
 
 
 
AED La Grande Relève Articles N° 1111 - juillet 2010 > Rigueur contre relance

 

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Rigueur contre relance

par J.-P. MON
juillet 2010

Le G8 puis le G20 viennent de se réunir à Toronto avec, comme il fallait s’y attendre, un bilan nul. Pas d’accord international sur la taxation des banques, chaque État fera ce qu’il voudra (ce qui permettra de placer l’argent là où les banques seront le moins taxées : encore une saine concurrence, comme avec les paradis fiscaux !).

En tout cas, tout le monde est d’accord pour attendre avant de demander une augmentation des fonds propres des banques. On dit du côté français : « Notre économie est financée par des prêts bancaires et une exigence trop rapide d’augmentation des fonds propres risquerait de provoquer un choc négatif avec une raréfaction du crédit qui ferait plonger le croissance » [1]. En fait, le différend entre l’Union Européenne et les États-Unis peut se résumer ainsi : économiser pour éviter de faire faillite sous les dettes ou bien relancer l’économie. Malgré leur énorme dette (36.000 milliards de dollars), les États–Unis ont choisi la relance, mais, jusqu’ici elle n’a pas atteint son objectif principal : faire baisser le chômage.

A l’Ouest, la relance impuissante

L’un des nombreux exemples des mesures d’austérité qui frappent les Américains est l’apparition au cœur de New-York, dans Manhattan, dans certaines stations de bus, de pancartes qui annoncent une prochaine réduction de la fréquence de passage des bus [2]. Mais officiellement, le pays ne connaît pas la rigueur. Le gouvernement fédéral a en effet engagé quelque 2.500 milliards de dollars de dépenses publiques, un record depuis la Grande Dépression des années 30. La somme est cependant insuffisante pour protéger les États : avec un chômage élevé (16,5 % des Américains sont totalement ou partiellement privés d’emploi), la consommation stagne et les recettes fiscales des États et des municipalités sont fortement diminuées. Or États et municipalités sont les principaux pourvoyeurs de l’essentiel des services sanitaires, éducatifs, sociaux… Et la situation n’est pas près de s’arranger : le nombre de chômeurs de longue durée (plus de six mois) ne cesse d’augmenter et il atteint 49 % des demandeurs d’emplois. Résultat : 46 États (sur 50) prévoient des recettes en forte baisse dans le prochain exercice fiscal. Comme les États ont de faibles capacités d’emprunt, qu’ils ne sont pas constitutionnellement autorisés à faire faillite, il ne leur reste plus qu’à réduire leurs dépenses et à trouver de nouvelles sources de financement (par exemple, vendre une partie des locaux de la Chambre et du Sénat à des promoteurs privés, comme songe à le faire l’Arizona, ou lancer de nouvelles loteries comme le projette l’Ohio…). Les mesures d’économies sont, elles, classiques : diminution du nombre des fonctionnaires, allongement de l’activité, réduction des retraites, coupes dans les budgets sociaux, les postes les plus touchés étant ceux de la santé et de l’éducation. Presque tous les États envisagent d’ouvrir des négociations avec les syndicats locaux de fonctionnaires parce qu’ils jouissent, paraît-il, de retraites beaucoup plus favorables que les salariés du privé. On se croirait vraiment dans l’Union Européenne où les gouvernements et la Commission n’ont qu’un mot à la bouche : la rigueur.

En Europe, la rigueur impuissante

Le père des “pères la rigueur“, c’est évidemment sa suffisance Jean-Claude Trichet, président de la Banque Centrale Européenne : il n’aime pas qu’on parle d’austérité. À un journaliste qui lui demandait ce qu’il pensait des plans d’austérité qui se multiplient en Europe et des risques que cela fait peser sur la croissance, il a répondu doctement [3] : « Quand un ménage dépense systématiquement plus que ce qu’il gagne et qu’il voit son endettement croître exponentiellement, sa situation est évidemment intenable. Corriger cela est une attitude de sagesse et de bon sens. pour un pays aussi , revenir à une situation budgétaire soutenable dans le moyen terme est une question de sagesse et de bon sens. Il y a un vrai problème sémantique. J’appelle plan de retour progressif à la sagesse budgétaire ce que vous appelez plans d’austérité. En tout état de cause, ces politiques de sagesse sont favorables à la croissance puisqu’elles renforcent la confiance des ménages, des entreprises et des investisseurs. Et le confiance est, je l’ai dit, aujourd’hui essentielle pour la reprise ». Il oublie simplement de dire que si un ménage ne peut pas créer de la monnaie, les banques, elles, le peuvent. Et les États le pourraient eux aussi… s’ils ne s’étaient pas mis une corde au cou en signant le traité de Maastricht.

Quant au projet de la Commission Européenne de créer, dans chaque pays, un fonds d’assurance propre aux banques pour les aider en cas de besoin, J-C Trichet commente : « Nous sommes très prudents sur les taxes bancaires. Il nous semble qu’il faut d’abord tirer les leçons de la crise financière au niveau des règles de prudence. La question d’une taxe éventuelle devrait venir en second lieu… » et faux-cul comme pas un, il ajoute : « Ceci dit, je ressens profondément ce divorce entre les valeurs de nos démocraties et celles du monde financier, en particulier reflétées par les comportements anormaux si souvent observés ces dernières années. Ce problème se pose à toutes nos sociétés démocratiques, et certainement des deux côtés de l’Atlantique. Les valeurs de monde financier doivent changer. L’esprit du temps ne les tolère plus telles qu’elles sont ».

Toujours plus loin

Toujours plus loin sur les sentiers de la folie libérale… Ce sont ces sentiers qu’emprunte le Finlandais Olli Rehn, membre de la Commission Européenne chargé des affaires économiques et monétaires, lorsqu’il écrit dans la rubrique Décryptages du Monde [4] : « Ces derniers mois, les turbulences sur le marché de la dette souveraine ont jeté une ombre sur l’économie. Face à cela l’Union Européenne a agi de façon coordonnée et déterminée pour éviter un effondrement du système financier. Cependant nous ne sommes pas hors de danger. Nous devons donner une base durable à notre croissance (où est-elle ?) et créer les emplois dont l’Europe a un besoin crucial (pour produire quoi ?). Pour cela il faut premièrement que nous réduisions les dettes publiques élevées dont nous avons hérité (de qui, sinon du système bancaire ?). […] Il est vrai que les appels à la rigueur budgétaires ont rarement renforcé la popularité des décideurs politiques mais il ne faut pas sous estimer la sagesse instinctive des citoyens. Ceux ci savent qu’il n’y a rien de plus antisocial que des finances publiques non viables. (Mais si, il y a beaucoup plus antisocial : l’Union Européenne !). Une dette publique qui a grandi au point de devenir incontrôlable monopolise des ressources destinées normalement aux services de base que nos concitoyens attendent de la part de leur État. […] Nous devons tirer parti autant que possible de notre marché unique, et particulièrement du marché unique des services et réformer le marché du travail pour qu’il soit tentant de passer de l’inactivité à l’activité, et d’emplois à faible productivité à des emplois à productivité plus élevée ». (Vous avez bien compris : avec une productivité du travail plus grande, on aura besoin de plus d’employés, pour produire autant sinon plus, des produits qu’ils pourront acheter avec des salaires plus faibles. C’est pourquoi ils devront travailler encore plus !) Et M. Rehn va encore plus loin dans ses divagations : « Nos régimes fiscaux et nos systèmes de sécurité sociale doivent devenir plus favorables à la croissance de l’emploi. Nos investissements dans la connaissance et l’innovation doivent être plus ciblés. De plus, il faut que nous simplifions le cadre réglementaire pour permettre aux entreprises de grandir. Si nous mettons en œuvre des réformes structurelles profondes, nous pouvons arriver à un taux de croissance annuel de plus de 2 % au cours de la prochaine décennie. Ainsi 10 millions d’emplois pourraient être créés et le taux de chômage pourrait être ramené autour de 3 % d’ici la fin de la décennie. (En attendant ces lendemains qui chantent, serrez-vous la ceinture !). Sans réforme, l’Europe risque de s’enfoncer dans un lent déclin. Pour éviter cela, il faut réformer avec détermination le modèle européen d’économie sociale de marché pour le moderniser ». Heureusement, il y a longtemps qu’on a compris ce que veulent dire les mots réforme et modernisation en volapük européen !

Comment peut-on écrire encore de telles inepties, quand tous les indices économiques disent le contraire comme le montrent les courbes fournies par des organismes aussi gauchistes que Eurostat, le FMI ou la Fondation Robert Schuman :

Autres sons de cloche

Il y a, heureusement, quelques autres sons de cloche. Ainsi, M. Martin Wolf, éditorialiste économique au Financial Times, explique, lui, chiffres à l’appui, que c’est l’effondrement de la dépense du secteur privé qui est à la source des déficit budgétaires et non l’inverse [5]. Selon lui, ceux qui pensent « que les déficits étouffent la dépense privée indispensable à la reprise, que les déficits importants conduisent droit à l’inflation et que les déficits budgétaires échouent à soutenir la demande » se trompent. En effet : « en 2010, d’après les dernières prévisions du Fonds Monétaire International, les secteurs privés des grands pays à hauts revenus enregistrent un énorme excédent de recettes par rapport aux dépenses. Cet excédent devrait représenter 7,8 % du PIB de ces pays, mais il sera de 12,6 % au Japon, 9,7 % au Royaume-Uni, 7,7 % aux États Unis et 6,8 % dans la zone euro ». Alors ne pleurons pas trop sur ces pauvres entreprises privées…

Contre la super stupidité, les Dieux eux-mêmes combattent en vain

Tel est le titre de l’article, publié dans son blog [6] le 23 juin, par Paul Krugman, prix Nobel d’économie, et qui me paraît être la meilleure conclusion de ce débat “relance contre rigueur” : « Brad Delong [*] s’étonne de voir que les propositions de budget rigoureux et de monnaie rare puissent prévaloir en période de chômage de masse, de faibles taux d’intérêts et de déflation naissante ! En fait, ce n’est pas du tout surprenant. C’est terrifiant mais pas surprenant. Les arguments en faveur de politiques de relance lors d’un effondrement sont intellectuellement difficiles. C’est ce qu’avait éprouvé Keynes lorsqu’il écrivait sa Théorie générale. C’est un processus de découverte vraiment pénible.

Le réflexe naturel de presque tout le monde est de penser que les temps difficiles exigent des mesures drastiques et que si l’économie souffre, le gouvernement doit se serrer la ceinture. Surmonter ce “biais” naturel nécessite que les économistes aboutissent à un consensus clair. Et ce consensus n’a évidemment pas été obtenu principalement parce qu’une forte proportion d’économistes a passé les trente dernières années à détruire systématiquement la connaissance difficilement acquise de la macro économie. Nous sommes vraiment dans une nouvelle période noire au cours de laquelle de célèbres professeurs réinventent les erreurs dénoncées il y a 70 ans et les baptisent perspicacité. Par dessus tout, l’anti-relance flatte la médiocrité d’esprit, qui est toujours présente dans la classe politique. C’est le super idiot que nous avons toujours en nous.

Puis-je dire que je m’attendais à quelque chose comme ça ? C’est une des raisons pour lesquelles j’étais si anxieux de voir si Obama se battrait pour la plus grande relance possible ; il semblait évident qu’il n’aurait qu’une seule occasion. Et parce que cette relance n’a pas été assez forte, je pense réellement que nous allons perdre une décennie ».

Vive la planche à billets

Tel est le titre, provocateur pour beaucoup, qu’a choisi Martin Wolf pour un autre article, cette fois dans Le Monde Économie du 29 juin. Il explique : « Confrontés à d’énormes déficits budgétaires, nombre de gouvernements occidentaux ont conclu qu’il fallait procéder aussi vite que possible à un resserrement budgétaire dans l’espoir que celui-ci aurait un effet expansionniste. Leurs chances d’y parvenir sont à mon avis médiocres. Des alternatives plutôt meilleures sont envisageables mais elles ont l’inconvénient de ne pas être orthodoxes. Beaucoup de gens “sensés”, hélas, préfèrent des récessions orthodoxes à des redressements non orthodoxes ». On remarquera que c’est le même handicap psychologique que déplore Paul Krugman (voir ci-contre).

Martin Wolf continue : « Lorsque, comme c’est le cas aujourd’hui, les économies affectées par la fragilité du secteur financier représentant la moitié (et même, si on y ajoute l’économie japonaise, près de 60 %) de l’économie mondiale ; lorsque la grande économie la plus dynamique du monde – la Chine – s’adonne au mercantilisme ; lorsque les taux d’intérêt sont proches de zéro ; et lorsque le crédit est limité pour les ménages et les entreprises, l’idée selon laquelle un resserrement budgétaire rapide aura des effets fortement expansionnistes est à coup sûr une idée héroïque. J’espère qu’elle s’avérera. Mais il n’y a guère de raison de le croire ».

À la question qu’on peut poser : quelle est l’alternative ? Il répond que « si les gouvernements sont contraints de creuser les déficits afin de soutenir la demande dans une période d’affaiblissement du secteur privé, ils peuvent toujours emprunter auprès des Banques centrales. Oui, je sais, cela s’appelle “faire tourner la planche à billets”. C’est d’ailleurs cette politique follement radicale que recommandait en 1948 le fou radical notoire qu’était … Milton Friedman. Il était d’avis que le gouvernement pouvait très bien accroître la masse monétaire en période de récession et la contracter une fois la croissance retrouvée. Un pays doté d’une monnaie flottante peut stabiliser l’économie sans déstabiliser les marchés du crédit.[…] Pour l’instant, nous avons trop peu d’argent pour trop de produits disponibles ».

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[1] Le Monde, 27-28/06/2010.

[2] Le Monde, 22/06/2010.

[3] Le Monde, 01/06/2010.

[4] Le Monde, 08/06/2010.

[5] Le Monde Économie 22/06/2010.

[6] http://krugman.blogs.nytimes.com/

[*] Professeur au département d’économie de l’Université de Californie, Berkeley.

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