Recherche
Plan du site
   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
 
 
 
 
 
AED La Grande Relève Articles N° 1110 - juin 2010 > Réponse à la folie capitaliste

 

Le site est passé à sa troisième version.

N'hésitez-pas à nous transmettre vos commentaires !
Merci de mettre à jour vos liens.

Si vous n'êtes pas transferé automatiquement dans 7 secondes, svp cliquez ici

Exemple de démocratie participative

Il serait impossible de gérer démocratiquement l’économie ?

— Pas du tout. Et même, ça marche ! Nous en présentons deux exemples.

Jean-Pierre Mon a exploré et traduit les documents qui décrivent le premier. Il s’agit du village espagnol de Marinaleda, qui fonctionne ainsi depuis vingt ans :

Réponse à la folie capitaliste

30 juin 2010

Marinaleda est un petit village andalou situé à une centaine de kilomètres de Séville. Il compte environ 2.700 habitants.

Depuis qu’ils ont occupé, il y a vingt ans, la propriété d’un aristocrate local, ses habitants et son maire Juan Manuel Sanchez Gordillo, sont devenus en Espagne le symbole de la lutte des paysans pauvres.

Alors que le reste du pays affronte un chômage explosif et que l’immobilier s’effondre [1], cette “enclave communiste” [2], entourée d’oliveraies, surprend. Attirés par son programme de construction de maisons et par sa coopérative fermière très active, les gens des villages voisins, et même de villes lointaines comme Madrid ou Barcelone, viennent à Marinaleda pour trouver du travail et des logements.

Son maire qui célébrait au mois d’avril dernier sa trente et unième année de mandat, dit simplement que la crise du capitalisme mondial justifie sa vision socialiste radicale : « Tout le monde pensait que le marché était le Dieu qui faisait tout fonctionner avec sa main invisible… Avant, c’était un péché mortel de penser que le gouvernement avait un rôle à jouer dans l’économie. Nous voyons maintenant qu’il faut que nous mettions l’économie au service de l’homme ».

« Alors que le reste de l’Espagne s’est gorgée de crédits bon marché pour acheter des maisons hors de prix, les habitants de Marinaleda construisent leurs propres maisons, sans hypothèque, selon les dispositions prises par la municipalité. J.M. Sanchez ajoute : Et lorsqu’un villageois perd son emploi, la coopérative l’engage ; il n’y a ainsi personne dans le village qui cherche du travail, prétention téméraire dans une région où le chômage touche 21% de la population ».

Témoignages

• Vanessa Romero et sa famille ont quitté Barcelone pour Marinaleda en janvier 2009, attirées, dit-elle, par la promesse d’un travail et par les services sociaux municipaux. En novembre elle avait perdu l’emploi qu’elle occupait dans une fabrique de sucre, tandis que son mari bataillait pour trouver un travail dans la construction. Maintenant, ils touchent environ 1.100€ chacun en travaillant à la coopérative. « Si un village comme celui-ci, dit-elle, peut offrir du travail aux gens, avec la moitié, ou même moins, des ressources des autres villes, pourquoi les autres villes ne font-elles pas la même chose ? »

• « J’aimerais bien que notre maire fasse quelque chose comme ça », dit un habitant de la ville voisine d’Ecija, tout en cueillant activement des haricots.

• Selon José Martin, “gérant” de la ferme, les demandes d’emplois venant d’habitants d’autres village viennent fortement d’augmenter : « autour d’Ecija, il n’y a que des tournesols et du blé dont la récolte ne demande pratiquement pas de main d’œuvre ».

• Quelques opposants disent que le maire n’a fait que répartir la misère, au lieu de créer de la richesse en promouvant des emplois agricoles de faible productivité, qu’il tient ses électeurs captifs avec des emplois et des allocations.

• Un anthropologue de Séville reconnait que le maire, M. Sanchez, a apporté « la justice sociale à une communauté non éduquée, économiquement oppressée » mais il ajoute que sa vision est anachronique parce que l’avenir de l’Andalousie n’est pas dans les champs mais dans l’industrie et les services. « Ils peuvent bomber le torse, dit-il, parce que l’économie est en crise. Mais que se passerait-il s’ils avaient la chance de devenir riches ? Qui voudrait alors rester dans le petit paradis que Sanchez Gordillo a créé ? »

À quoi, le maire rétorque : « Nous avons des élections tous les quatre ans. Si les gens me réélisent chaque fois avec la majorité absolue, c’est que je dois faire ce qui leur convient ».

Quoi qu’il en soit, en attendant l’avènement du paradis capitaliste, cher aux opposant du maire, l’expérience de Marinaleda est riche d’enseignements en matière de démocratie participative. L’exemple le plus frappant étant certainement celui du logement qui est décrit plus bas.

Démocratie locale

L’expérience acquise lors des luttes sociopolitiques très dures menées par les ouvriers agricoles de Marinaleda pendant de longues années [3] a eu une influence décisive sur la mise en œuvre de diverses avancées sociales et politiques. La municipalité explique comment les élus se sont convaincus de la nécessité d’instaurer la démocratie participative : « Pendant que nous luttions pour la terre, pour l’industrie, pour l’emploi, nous nous sommes rendu compte qu’il y avait d’autres droits élémentaires à obtenir, le premier étant le droit au logement et, tout de suite après, l’accès à des maisons de retraites pour nos anciens qui avaient tant souffert. Il fallait aussi remédier à l’absence de dispensaires, de garderie pour les enfants, d’installations sportives, à la réfection des chaussées dépourvues de revêtement et d’éclairage public… Bref, nous entendions assurer l’accès de tous au bien-être. Car nous avons toujours pensé que la liberté sans égalité n’est rien et que la démocratie sans bien-être social réel n’est qu’un mot creux, un mensonge.

En effet, il ne peut y avoir de projet de gauche sans participation directe du peuple. Dès le début de notre lutte, nous ne voulions pas que les gens se contentent d’aller voter tous les quatre ans ; nous voulions au contraire qu’ils prennent part tous les jours à toutes les affaires qui ont des conséquences sur leurs vies. C’est ainsi que se sont créées les assemblées générales et les assemblées de quartier auxquelles participe directement le peuple, et les assemblées relatives à l’élaboration, à l’approbation des budgets et à tout ce qui concerne le village.[…] Les luttes syndicales ont été de grandes victoires puisqu’elles ont presque toujours permis d’atteindre les objectifs que nous nous étions fixés, notamment notre objectif principal, la conquête de la terre. […] Le syndicat et la Municipalité ont été avant tout des instruments de mobilisation populaire parce que nous savions que c’était seulement par l’action que nous pourrions aborder les défis que nous nous étions proposés. C’est ce qui nous a permis de nous attaquer à :

• la conquête de la terre et sa mise en valeur par les travailleurs ;

• la construction de logements ;

• la lutte pour le bien-être communal ;

• la recherche du plein emploi ;

• la mise en évidence des contradictions du capitalisme.

C’est pourquoi, ceux qui prendront des responsabilités dans ce projet collectif devront avoir un comportement éthique. Toutes les charges seront éligibles et révocables par l’assemblée générale du village. Nous considérons que l’argent doit être un instrument de solidarité et de liberté et non un moyen d’enrichissement personnel. En conséquence, dans notre village, personne ne recevra de rémunération pour exercer une charge politique ou syndicale, puisque chacun doit vivre de son travail. »

La mise en pratique

Marinaleda est en définitive un village géré comme une coopérative, consistant en une oliveraie et une ferme d’environ 1.200 hectares. Cultivées écologiquement, elles fournissent des artichauts, des poivrons, des brocolis, des fèves,… dont la récolte demande beaucoup de main d’œuvre.

D’autres emplois sont fournis par une usine-coopérative, qui fait des conserves et de l’huile d’olive. La production est vendue principalement en Espagne. Et les bénéfices sont réinvestis. Lorsqu’il n’y a pas assez de travail dans les champs, ce qui peut arriver à certaines périodes de l’année, les salaires sont quand même payés.

Mais la réussite la plus spectaculaire est certainement la construction des nouveaux logements. Ils se trouvent en bordure du village sur des terrains expropriés par le gouvernement andalou et donnés à la commune. Ces terrains sont attribués gratuitement aux habitants du village qui souhaitent construire eux-mêmes leur logement. Les matériaux de construction leur sont fournis gratuitement par le gouvernement régional, Les “auto-constructeurs” peuvent bénéficier, toujours gratuitement, des services de professionnels ou d’architectes, à condition qu’ils ne possèdent pas d’autre propriété. Ils participent aussi à la conception des logements et se réunissent en assemblée générale pour fixer le montant des paiements mensuels qui les rendra propriétaires de ces logements. Les dernières maisons construites ont été achetées pour environ 15 euros par mois. Pendant les travaux, les “auto-constructeurs” se réunissent une ou deux fois par mois pour faire le point sur l’avancement des travaux ou modifier le projet. Toutes les maisons ont trois pièces, une salle de bain et un petit jardin (100 m2) pour permettre d’éventuelles extensions. Les heures passées personnellement à la construction sont déduites du coût total, de sorte que ce travail est converti en salaire induit. Actuellement plus de 350 familles ont construit leur logement suivant ces modalités. Pour éviter la spéculation, les propriétaires ne peuvent pas vendre leur maison.

Marinaleda fournit aussi de nombreux services sociaux tels que des logements gratuits pour les personnes âgées, des crèches, de nombreuses installations sportives, et deux piscines. Globalement le village paie assez peu d’impôts au gouvernement central parce qu’il n’y a ni police ni gendarmerie et que de nombreux services tels que le ramassage des ordures ou le nettoiement des rues sont effectués collectivement par les habitants pendant ce qu’ils appellent les “dimanches rouges” !

Dans une Espagne ravagée par la crise immobilière et le chômage de masse, Marinaleda est devenu une exception prospère grâce à la gestion coopérative d’une terre collectivisée.

---------

[1] Il faut voir à ce propos le film édifiant d’Erwin Wagenhofer, “Let’s make money” cf GR1097, p.3

[2] Ces termes “d’enclave communiste”et le titre “une réponse à la folie capitaliste” sont ceux de la journaliste américaine Victoria Burnett dans le New York Times du 23/04/09.

[3] On peut en trouver la description sur le site http://www.marinaleda.com comportant de nombreuses vidéos.

^

e-mail