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Que restera-t-il du jeu de la mort, ce pseudo-documentaire fondamentalement pervers diffusé le 17 mars dernier par France 2 ?
Rappelons-nous : les réalisateurs avaient sélectionné quelques dizaines de personnes souhaitant participer à un jeu télévisé. Une partie d’entre eux, le public, a été invitée à jouer la claque (sur indication d’un prompteur) et une dizaine d’autres étaient placés devant des manettes (genre sucre d’orge) avec laquelle ils devaient envoyer une décharge électrique au candidat pour le sanctionner chaque fois que sa réponse était fausse. L’animateur du jeu était une charmante jeune femme rompue aux techniques d’autorité... Le candidat était enfermé dans une cabine et les volontaires questionneurs n’entendaient que ses cris de plus en plus désespérés au fur et à mesure qu’il recevait des décharges de plus en plus insupportables.
Les téléspectateurs avaient été avertis que les décharges électriques étaient fictives et que le torturé était un acteur faisant semblant... ce que les participants du jeu ne savaient pas. En d’autres termes, on les avait convaincus de devenir des tortionnaires sous le regard de millions de téléspectateurs. De même pour le public présent sur le plateau, appelé par l’animatrice à encourager les hésitants à pousser leur manette, malgré les cris du torturé, lorsque le jeu l’exigeait.
On voulait, paraît-il, à force d’analyse du bout du comptoir du café du commerce, nous démontrer que n’importe qui d’entre nous peut être amené, en obéissant aux ordres, à commettre des actes contraires à ses convictions et donc, à sa volonté. En d’autres termes, le conditionnement serait en quelque sorte une mécanique imparable et néfaste.
La seule démonstration a été, en réalité, celle de la souffrance morale infligée sans honte aucune aux questionneurs, véritables cobayes humains chez qui cette expérience laissera une blessure définitive : ils se souviendront toujours avoir participé à des actes inhumains (même si, après coup, on en les a rassurés en leur expliquant la tromperie) sans se dresser contre l’injonction, sans avoir osé dire non. Mais comment pouvaient-ils résister, une fois qu’ils étaient pris dans l’engrenage du jeu depuis leur arrivée au studio de télévision jusqu’à la scène télévisée ? Comment pouvaient-ils casser la baraque, rompre le consensus contre les injonctions de l’animatrice représentant en fait l’autorité de la multitude, les millions de téléspectateurs ?
C’est là qu’en fait se situe la scandaleuse escroquerie. L’être humain est un être social, et en tant que tel il ne peut vivre ni s’épanouir que par le lien avec les autres, la collectivité humaine. Le conditionnement, c’est l’apprentissage de la vie commune, elle est conditionnée par une séries de règles, soit morales (le « tu ne tueras point », fondateur de l’humanité), soit objectives comme la nécessité d’une langue commune ou de la connaissance de la langue de l’autre avec qui l’on est en lien social. Le processus de conditionnement est, comme la langue selon Esope, le pire et le meilleur, tout à la fois. C’est un moyen, et c’est l’usage qu’on en fait qui détermine sa qualification morale. Et, là encore, c’est le consensus plus ou moins général qui lui donne son pouvoir.
L’un des conditionnements les plus banals est (malheureusement) celui de la personne que l’on forme à tuer pour en faire un soldat, avec la sanction de la loi et l’approbation générale : une véritable inversion des valeurs communément reconnues. Et c’est là où la frontière entre le conditionnement accepté et l’abandon de la capacité de décider de la valeur de tel ou tel acte (c’est-à-dire l’aliénation) est pratiquement impalpable. Des millions de jeunes Français ont ainsi participé à la guerre d’Algérie. Combien de soldats ont participé ou assisté à des tortures, en particulier à l’électricité, pour la plupart contre leurs valeurs profondes ? Dans ce sens, on peut dire que, sciemment, les organisateurs du jeu de la mort ont aliéné le libre-arbitre des volontaires sélectionnés pour l’émission. Les questionneurs et le public sur le plateau de télévision étaient avant tout volontaires pour un jeu. Un mot-clé, puisqu’il s’agit là de faire semblant ou de faire comme si (comme on dit entre enfants), selon des règles du jeu, un conditionnement volontairement accepté. Alors qu’en fait les organisateurs ont trompé, piégé, les participants au jeu. On a très bien vu les hésitations à activer la manette des tortures, puisqu’il était a priori logiquement impossible que le meneur de jeu exige des actes moralement vraiment répréhensibles, alors que, dans le même temps, on prenait violemment conscience que c’était vraiment pour de vrai qu’on faisait souffrir.
Autre escroquerie : la télévision serait LE monstre moderne, une sorte de machine à décerveler, tombée de nulle part et animée d’une vie propre que personne, en fin de compte, ne contrôle ? Ne faudrait-il pas revenir à la réalité : le monstre le devient entre les mains de ceux qui, précisément, veulent l’utiliser pour aliéner à leurs fins ceux qui le regardent. A-t-on oublié la radio ? L’émetteur Radio Mille Colline au Rwanda n’a-t-elle pas aussi largement contribué au massacre d’un million de personnes en 1994 ? Et plus loin dans le temps les aboiements radiodiffusés de Hitler ?
Plutôt que de cultiver, à des fins misérablement mercantiles, l’acceptation de l’aliénation et la banalisation de l’horreur, ne faudrait-il pas, enfin, réfléchir et agir à la réhumanisation de cet outil de communication et de culture livré à la libre disposition des puissances d’argent au nom du respect la libre concurrence ?