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   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
 
 
 
 
 
AED La Grande Relève Articles N° 997 — mars 2000 > La “net-économie”

 

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Emplois précaires, cadences de travail infernales, délocalisations, la Net-économie n’est pas la panacée.

Jean-Pierre Mon en donne quelques exemples :

La “net-économie”

par J.-P. MON
mars 2000

Les centres d’appel

Ce sont des permanences téléphoniques mises en place par les entreprises qui font du commerce à distance (par téléphone d’abord, puis de plus en plus par internet). Ces centres se développent très rapidement grâce à l’évolution technologique qui permet à la fois de faire baissr le prix des composants et les tarifs des télécommunications. De plus en plus d’activités sont concernées par ces centres d’appel : télécoms, banques, assurances, commerce… si bien que, selon le cabinet d’études Yankee Group, ils connaissent dans le monde une croissance annuelle de 30 à 40%.

En France, on en compte actuellement plus de 2.000 dont un tiers ont été créés depuis 1996. Ils emploient 70.000 personnes et on prévoit la création de 2.500 nouveaux centres dans les trois prochaines années, ce qui représenterait environ 100.000 nouveaux emplois. De quoi réjouir Martine Aubry qui pourra ainsi dégonfler un peu plus ses statistiques du chômage ! En fait, ces emplois sont des emplois précaires : 60% d’entre eux sont des CDD dont 50% sont d’une durée inférieure à trois mois et 40% sont à temps partiel. Il ne s’agit donc pas de vrais emplois mais de petits boulots. On s’aperçoit en outre que ces créations d’emplois se font au détriment d’emplois permanents détruits par la libéralisation. C’est notamment le cas dans les télécommunications.

Qui plus est, les conditions de travail dans les centres d’appel sont souvent difficiles : il n’existe pratiquement pas de couverture sociale conventionnelle ni, pour la plupart, de perspectives de promotion ; les rémunérations sont faibles malgré des rythmes de travail accélérés (dans certains centres, le temps qui s’écoule entre deux appels s’est réduit à cinq secondes !)

Il n’est donc pas étonnant que le taux de remplacement soit important (30 à 40%). Selon une responsable syndicale, « les employés rêvent tous de partir. Et rien n’est fait pour les retenir, au contraire. Les sociétés favorisent le “turn-over” : quand un employé est nouveau, jeune en plus, il la ferme, il accepte les bas salaires, les horaires abracadabrants, il accepte tout sans broncher, d’autant plus facilement qu’il se dit qu’il n’est pas là pour longtemps… Et, vu les conditions de travail, ils n’ont aucune raison d’avoir ce qu’on appelait autrefois l’esprit-maison ».

Pour couronner le tout, les entreprises délocalisent facilement leurs centres d’appel d’un pays à l’autre suivant la souplesse des législations sociales. C’est ainsi, par exemple, que, début 1999, Telecom New Zeland a décidé de sous-traiter ses centres d’appel à la société américaine Sitel avec pour conséquence le “départ” de plusieurs milliers d’emplois aux Etats-Unis. Mais là-bas non plus ça n’est pas le paradis, pas même dans la fameuse Silicon Valley. Les prolétaires de la “net économie”

Parmi les vedettes du commerce électronique qu’elle a contribué à lancer, on trouve la librairie “en ligne”, Amazon.com [1], dont le siège se trouve à Seattle, et qui a fondé sa philosophie sur la vitesse : cadences de travail caractérisées par un minimum d’interruptions et un maximum d’efficacité. Mais cette vitesse dont elle s’enorgueillit implique pour la majorité du personnel un travail répétitif : emballage jour et nuit des livres dans les centres de distribution de la librairie, réponse au courrier électronique… « Si les salariés extrêmement qualifiés reçoivent de grosses primes [2], ils ne représentent qu’une partie infime des effectifs » fait remarquer un des responsables de la centrale syndicale AFL-CIO. Le plus grand nombre de salariés est affecté au “service”, c’est à dire aux caisses et aux centres d’appel ; ils touchent des salaires qui vont de 10 à 13 dollars (66 à 85 FF) l’heure … Pas étonnant donc si Amazon.com connaît de fortes tensions sociales « entre chefs enthousiastes et employés mécontents [3], entre machines hyperrapides et rythmes humains, entre millionnaires en stock-options et collègues mal payés… »

Amazon. com n’est pas une exception dans la Silicon Valley : la plupart des entreprises des NTIC [4] ont recours au travail temporaire malgré le manque de main d’œuvre qualifiée. Cela leur permet de réduire leurs coûts de production et de s’assurer une parfaite flexibilité. C’est notamment le cas de Microsoft dont un tiers des employés sont des travailleurs temporaires. Parmi eux, certains restent suffisamment longtemps pour être qualifiés de “permatemps” (travailleurs temporaires permanents). Selon le syndicat Washtech [5] qui vient d’être créé par des travailleurs temporaires, les entreprises de logiciel de Seattle finiront par fonctionner avec 90% de travailleurs en contrats temporaires. D’autres entreprises, comme Cisco, n°1 des infrastructures de réseaux, sous-traitent une partie de leur production à des familles d’immigrés, travaillant à domicile, qui sont payées à la pièce et gagnent la plupart du temps moins que le salaire minimum.

Vivre, ou plutôt survivre, au paradis des “start-up”, ces entreprises qui se lancent en espérant valoir quelques milliards de dollars au bout de quelques mois, n’est pas chose facile pour la grande majorité des gens, même s’ils ont un emploi.

La vallée des inégalités

Dans la Silicon Valley le fossé entre riches et pauvres ne cesse de se creuser. Les inégalités y sont si criantes que Bill Clinton, au cours d’une soirée de Novell-informatique, a exhorté les “grosses huiles” locales à ne pas oublier les laissés-pour-compte de la société américaine : « Nous ne devons pas nous voiler la face. Tout le monde ne partage pas cette croissance économique ». Qu’on en juge : Suivant le quotidien San Jose Mercury News, dans le comté de Santa Clara, un habitant sur neuf “pèse” plus d’un million de dollars, sans compter la valeur de ses biens immobiliers ; plusieurs centaines de résidents ont plus de 25 millions de dollars en banque et la vallée compte au moins treize milliardaires qui, ensemble, totalisent 45 milliards de dollars. Sur les six premiers mois de 1999, le salaire annuel moyen était d’environ 75.000 dollars (en gros, 500.000 FF). Mais, dans ce même comté, « en 1995 (dernière année pour laquelle on dispose de statistiques), 13% des enfants vivaient en dessous du seuil de pauvreté et dans les six dernières années, le nombre d’élèves forcés de quitter le système éducatif n’a cessé d’augmenter… En 1997, Second Harvest, la plus grande banque alimentaire de la vallée, a fourni 9.000 tonnes de nourriture aux plus défavorisés. Il en sera probablement de même cette année. Plus de la moitié de cette aide alimentaire sera allouée à des familles dont au moins un des parents est salarié. La brutalité du monde économique de la Silicon Valley apparaît vite aux nouveaux arrivants. Qu’ils soient professeur, policier, ouvrier de chantier infirmière, médecin ou avocat, certains ont bien du mal à surnager au milieu de ce déluge de richesses » [6].

Cela n’a pas toujours été le cas. Dans les années 70, il y avait une classe moyenne dans la Silicon Valley dont l’économie dépendait en grande partie “des budgets gouvernementaux et non des fluctuations de Wall-Street”. On y trouvait des professeurs, des garagistes, des charpentiers, des VRP, des employés dans les industries de la défense. Mais avec le boom économique et la flambée de l’immobilier, la classe moyenne a disparu. On trouve maintenant des gens qui avec un salaire annuel de 50.000 dollars sont obligés de vivre dans des caravanes car ils ne peuvent pas acheter un logement dont le prix moyen de 450.000 dollars est le double de ce qui est demandé dans le reste des Etats-Unis. Que faire alors quand on gagne beaucoup moins que 50.000 dollars par an ? — Comme ce chauffeur qui travaillant pour une agence de coursiers a un salaire mensuel de 2.400 dollars, ou encore comme cet employé d’Hewlett-Packard qui dirige la distribution des nouveaux produits sur le campus de la société : loger dans un foyer pour SDF. C’est presque devenu la règle [7].

Bien sûr, ceux “qui ont réussi” défendent le système : « La Silicon Valley est une méritocratie où n’importe qui peut réussir quelles que soient sa race, sa couleur de peau ou sa croyance religieuse [8] ». Mais en fait, les réussites sont l’exception : « La majorité des “start-up” qui s’installent dans la vallée échouent. Et pour celles qui réussissent, 85% des actions de base appartiennent aux fondateurs de l’entreprise et à des investisseurs privés, ce qui ne laisse que 15% aux employés [6]. » Cela permet bien évidemment de distribuer des “stock-options” à quelques cadres ou salariés privilégiés qui pourront ainsi rejoindre le club des riches. Mais à quel prix ? — Au prix de semaines de travail de quatre vingts heures pour les dirigeants, de soixante heures pour les cadres moyens et même pour certains employés, le tout dans un climat exécrable où toute protestation est impensable puisqu’elle paraît nuire à la rémunération future de l’ensemble des travailleurs. Peut-on encore appeler cela “vivre” ?

Peut-on trouver meilleure conclusion que celle de Todd Dwyer, professeur d’économie : « La Silicon Valley risque de s’effondrer sous le poids de sa propre prospérité » [9].

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[1] Paradoxalement, Amazon.com dont le chiffre d’affaires a dépassé un milliard de dollars en 1999, n’a encore jamais gagné d’argent depuis sa création en 1995.

Et malgré un déficit qui devrait atteindre 350 millions de dollars en 1999, ses actions font un tabac à Wall-Street !

[2] Jeff Bezos, le fondateur d’Amazon.com, possède plus de 4 milliards de dollars d’actions de sa société.

[3] Ils mesuraient ma valeur, dit l’un d’eux, au nombre de messages électroniques auxquels j’étais capable de répondre. »

[4] NTIC = nouvelles technologies de l’information et de la communication.

[5] = Washington Alliance for Technology Workers

[6] Jeff Godell, Rolling Stone, New-York, février 2000.

[7] Le Consortium de logements d’urgence estime que 35% des personnes qui vivent dans des refuges pour sans domicile fixe occupent un emploi stable.

[8] T.J Rogers, PDG de Cypress Semi-conductor.

[9] Lettre au San Jose Mercury News.

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