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   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
 
 
 
 
 
AED La Grande Relève Articles N° 998 — avril 2000 > La fin des années chômage.

 

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Sous un titre accrocheur (pour plaire aux tenants de la “fin de l’économie” comme à ceux qui ont vu “la fin de l’histoire” ?), voici le livre d’un sociologue [1], qui, après avoir bien ri des propositions de Jacques Duboin, y arrive par un autre chemin, sans le revenu universel, donc au sein du capitalisme…

Un fidèle lecteur nous en envoie son analyse :

La fin des années chômage.

par L. de SOMER
avril 2000

L’éloge du travail

Maints sociologues et économistes ont mis le travail en doute - sinon en miettes - le jugeant sur sa fin, en voie de disparition ou sans grand avenir. Guy Aznar dénonce ce pessimisme et ouvre son propos par un « Eloge du travail » qui fait craindre au lecteur une grave scission parmi ceux qui cherchent à donner un nouveau sens à notre société. En fait, il n’en est rien car, par une chirurgie novatrice, Guy Aznar donne au travail, proche de l’étouffement, un souffle « pluriel » qui le rend tout autre.

Avec beaucoup d’objectivité, l’auteur retrace le rôle historique du travail, son lien avec l’emploi qui, selon l’étymologie, nous “implique” dans la société, et nous assure une relative autonomie tout en nous reliant aux autres. Plus encore, et même si la force de travail en est souvent le maillon faible, « l’échange est le rituel majeur de la neutralisation de la violence, ce qui signifie que l’échange est le moment où se construisent les rapports sociaux ».

L’auteur estime que la réduction du temps de travail, à laquelle il souscrit, ne réduit pas la portée de son “éloge”. Il convient de réduire non seulement la durée du travail, pour travailler tous, mais surtout son importance. En effet, le travail n’est pas une valeur mais un moyen. C’est le produit du travail qui a une valeur, monétaire ou non. Elle résulte de l’équilibre établi entre la dépense fournie et la nature du résultat : effort physique ou intellectuel, intense ou bref, résultat monétaire, affectif, sécuritaire, social, intellectuel, etc. Ce constat conduit Guy Aznar à nier la fin du travail.

Bien sûr, le chômage, sans susciter pour autant la violence, rompt cette forme d’échange et crée un vide. Le combler par un revenu gratuit, dispensé au chômeur de banlieue, ne diminue pas sa hargne mais le dévalorise plutôt. Il en va de même des activités sportives et culturelles qui “occupent” la jeunesse, tout en lui refusant cet outil de la relation sociale que seul le travail peut donner.

Le chômage peut se résorber

Dans le même temps où le travail se réduit, en volume et en durée, de façon continue selon une tendance longue, l’explosion du chômage est survenue à partir des années 70. Elle constitue, aux yeux de Guy Aznar, “une boursouflure” en voie de résorption. Il appelle “les trente chômeuses” ces années que caractérise une série de mutations brutales : chocs pétroliers, disparition du monde agricole, des charbonnages, de la sidérurgie, des constructions navales. Ces chocs ont été compensés, dans le secteur privé, par un accroissement de l’activité tertiaire, ramenant le déficit d’emploi à un million. Quant au secteur public, il créait, durant la même période, deux millions d’emplois, si bien qu’au total, en 1996, le niveau d’emploi dépasse de un million celui de 1973.

En fait, pour Guy Aznar, le chômage est le produit du “baby-boom” de l’après-guerre et de l’accès des femmes dans le monde du travail. à quoi s’ajoute l’interruption du mécanisme de “déversement”. En effet, les transferts vers d’autres emplois, plus qualifiés, s’opèrent moins aisément, provoquant des engorgements, et donc du chômage.

L’auteur estime que ces causes conjoncturelles ne se renouvelleront pas. Pour autant, s’il admet que la croissance est source d’emploi, il s’interroge sur sa finalité. L’objectif quantitatif (créer plus d’emplois) doit s’effacer devant le souci qualitatif (vivre autrement), ce qui implique de produire moins d’objets superflus ou polluants et davantage de services humanisés. Cela peut se réaliser si on ne laisse pas « se développer le mécanisme aveugle de la croissance, mais si on l’oriente vers des stratégies choisies ». L’on comprend que de tels propos aient conduit Guy Aznar a participer à la rédaction de l’ouvrage collectif intitulé Vers une économie plurielle - un travail, une activité, un revenu pour tous [2].

L’emploi pluriel : sa diversité, estimation de son volume et de son coût

Le salariat n’est pas, pour Guy Aznar, l’organisation définitive de l’activité économique. L’emploi pluriel fait éclater cette notion en additionnant, au temps de travail effectif, les temps de “pause” qui concernent l’étudiant, le salarié en formation, la femme en congé de maternité, le chômage “frictionnel” de faible durée. Ces “pauses” sont le contrepoint du travail, une sorte de respiration entre deux genres de travail. C’est le travail qui les institue. Elles présentent la meilleure solution de réduction du temps de travail, tout en assurant une fonction sociale bénéfique à la société. L’emploi pluriel c’est aussi l’addition d’un travail “sédentaire” (CDI) et d’un travail “nomade” (intermittent). Il faut pouvoir « choisir des discontinuités de son travail sans subir de discontinuité de son revenu ». La même alternance devrait jouer entre travail salarié et travail indépendant pour aboutir à un statut de “l’entrepreneur occasionnel”. Ces diverses transitions ont en commun d’associer des activités socialement utiles à une garantie temporaire de rémunération, tout en constituant des passerelles vers d’autres emplois. L’auteur n’ignore pas les “activités’ mais il les situe au-delà de l’emploi, estimant que les activités gratuites et bénévoles n’ont pas vocation à remplacer l’emploi. Elles ouvrent le champ libre aux choix individuels d’auto-production, de troc, d’engagements sociaux, familiaux et autres.

De manière très concrète, dans un développement qui couvre près de la moitié de son ouvrage, Guy Aznar répartit l’emploi pluriel selon trois axes : « investir dans les créations d’emplois », « aménager le temps de travail pour l’emploi », « organiser la mobilité pour l’emploi ». Pour chaque type d’emploi, un collectif d’experts a évalué leur nombre potentiel et leur coût global. L’ensemble est exprimé en une série de tableaux et de graphiques. A ces indications chiffrées, s’ajoute, pour chaque type d’emploi, un condensé qui fait le point de la situation (par exemple sur l’emploi dans le secteur associatif). Tout est abordé : le cadre juridique, les aides financières, la bibliographie, le site internet, etc. L’ensemble se conclut par un résumé de ce qui se fait à l’étranger dans le même domaine . Le bilan récapitulatif aboutit à la création de deux millions et demi d’emplois, en cinq ans, pour un coût global de 450 milliards de francs.

Une voix qui, elle aussi, est “plurielle”

Bien sûr, Guy Aznar admet lui-même que ses chiffres puissent être jugés un peu flous ; mais ce qui compte c’est “la cohérence globale” et “la crédibilité”, et sur ce point sa démarche mérite attention. Il faut souligner, en effet, que cette proposition d’emploi pluriel rejoint les réflexions de nombre de sociologues et d’économistes. Il y a notamment convergence avec l’ouvrage1 de Jacques Nikonoff Chômage : nous accusons ! mille milliards de francs pour l’emploiqui prône, lui aussi, “un travail pour tous”.

Bien que Guy Aznar rejette le revenu d’existence et l’allocation universelle, de crainte de voir s’instaurer ce qu’il nomme une sorte de “dualisation” de la société et de marginalisation des exclus du travail, est-il si éloigné des thèses “abondancistes” ? Elles proposent l’octroi d’un revenu personnalisé dans le cadre d’un contrat civique. Les divergences paraissent donc bien minces par rapport à l’importance de l’enjeu et à la volonté commune des chercheurs de donner un sens à notre société.

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[1] sous-titre : la stratégie de l’emploi pluriel, auteur : Guy Aznar, édition : 1999 Syros - Alternatives économiques.

[2] 1997 Syros- Alternatives économiques.

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