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   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
 
 
 
 
 
AED La Grande Relève Articles N° 1106 - février 2010 > Les chèvres de Mongolie

 

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Les chèvres de Mongolie

par B. VAUDOUR-FAGUET
28 février 2010

Quel est l’intérêt (géographique ou économique) de parler d’un pareil troupeau perdu là-bas sur les hauteurs d’une montagne asiatique ? À priori la motivation intellectuelle est faible… Qu’elle soit théorique ou scientifique ! Voilà des caprins qui pâturent à des milliers de kilomètres de notre Europe : rien dans notre quotidien ne nous invite à examiner ce problème agricole avec attention. Au contraire ! Convenons que notre planète-monde actuelle regorge de difficultés dramatiques, de crises brûlantes, de terrorismes sournois, de malaises à grande échelle : autant de sujets qui méritent davantage de vigilance que l’étude annexe de quelques milliers d’animaux à cornes (même si leur toison dorsale est d’une magnifique beauté !).

Erreur ! C’est justement ce détail biologique qui compte ! Cette esthétique animale a des impacts sur un commerce florissant (celui du Cachemire) et ce commerce nous implique directement dans un vaste mécanisme de vente parce que l’allure, la finesse, l’aspect attirant de ces poils ont depuis longtemps séduit les clientèles des pays riches. Clientèles qui aiment particulièrement le contact avec ce matériau si doux… Il existe effectivement un circuit marchand fort ancien portant sur des foulards ou des pulls, lesquels vêtements possèdent une qualité d’allure assez exceptionnelle. Depuis de longues années les bourgeoisies aisées d’Occident ont, par goût du luxe, pour le plaisir du toucher, acquis ce genre d’objet raffiné. Cependant l’habitude d’avoir un tricot de ce type restait un signe de distinction sociale : le nombre de clients était relativement confidentiel. À l’exportation le produit fini coûtait cher à l’unité : les volumes de vente étaient limités.

Un équilibre agro-pastoral

De sorte que, sur place, dans les zones pastorales concernées, il existait un certain équilibre agro-pastoral entre les ressources en herbage et le cheptel. N’oublions pas qu’il s’agit de steppes herbeuses froides et que le rapport entre le nombre de têtes et la ressource verte est forcément précaire. Le nomadisme extensif traditionnel formait une réponse adaptée à cette contrainte ; il ne “poussait” pas les rendements. Les bergers vivaient sur une gamme de productions animales (laitages, viande, fromages) qui autorisaient la subsistance (ou la survie) sans épuiser la nature du sol. Les tissages constituaient seulement un apport supplémentaire exceptionnel : en rien ils ne ciblaient une priorité ou une finalité dans cet élevage.

L’entrée en lice de la modernisation (et de la mondialisation) va bouleverser de fond en comble l’organisation de ce schéma romantique ancestral. En déclenchant une cascade d’absurdités et de désastres successifs. La globalisation marchande, cyclone vampirique, foudroie soudain les minces pelouses de Mongolie… Car les négociants de la filière textile ont flairé l’intérêt de ce trésor. Initiés aux rudesses sauvages du profit ou de la rentabilité à court terme, les grossistes du Cachemire, inspirés par le business international, s’emparent de ce périmètre rural. En quelques années la “rationalité” modifie tous les principes locaux : augmentation de la taille des troupeaux, pose d’enclos, importation de nourriture artificielle (tiges de maïs), accélération des cadences… “L’usine” du Cachemire génère un courant d’affaires troubles. Les modestes nomades se métamorphosent en prolétaires de la misère agricole ; ils travaillent à la chaîne pour des compagnies prédatrices qui vont exploiter sans vergogne les bêtes, les sols, les femmes, les hommes…

Le négoce

En très peu de temps les spécialistes du négoce colonisent ces plateaux : l’économique, le rendement, la production intensive, les cadences sans modération sur cet élevage finissent par établir une loi impitoyable. Le scénario catastrophe approche à grands pas !

Le troupeau de chèvres se multiplie à un rythme exponentiel. L’écoulement de la marchandise ne pose aucune difficulté particulière : ce sont les distributeurs européens et américains qui se mettent à vendre des pulls à la classe moyenne (avide de singer par imitation les anciennes aristocraties de l’argent). Les vêtements en Cachemire, expédiés par containers entiers débarquent dans les capitales ou les métropoles occidentales. Ce produit ressemble déjà à un vulgaire habit de prêt-à-porter ; les acheteurs de Londres, Paris et Boston ignorent le contenu exact du trafic qui se joue à une vaste échelle…

Il importe à présent d’examiner les modifications géo-économiques qui frappent ce milieu d’altitude. Les étendues pauvres de cet univers montagnard sont balayées par des bises gelées, des bourrasques glacées (les poils très élaborés de ces animaux correspondaient à une adaptation biologique du cheptel caprin).

Arrive le pire : les “batteries d’élevage” destinées à accélérer le processus de fabrication. Derrière les unités agricoles de masse se montent de gigantesques manufactures de tissage pour traiter la matière première. Les malheureuses victimes (les jeunes femmes) sont arrachées à leurs montagnes afin de servir d’esclaves sur les machines d’assemblage (travail en grande partie manuel). Ces personnes déplacées dégradent leurs yeux sur des manipulations miniatures et se brisent le dos à cause d’un travail harassant et oppressif. Elles perdent leur liberté, leur dignité (sans protection sociale ni contestation syndicale élémentaire).

Pour couronner le tout (à savoir cet ensemble considérable de dégâts humains, ruraux et sociologiques) on assiste rapidement à l’installation d’un autre cauchemar : la stérilisation rédhibitoire des écosystèmes. Les pâturages, assez maigres sur ce type de couverture, s’avèrent surexploités, surpiétinés.

Conséquence fatale de cette ineptie : la désertification frappe la totalité de ces domaines. Ajoutons à cela les effets du réchauffement climatique : les calamités sont à leur maximum de plénitude scélérate. C’est l’arrivée de vents tourbillonnants qui s’emballent sur des terres transformées en zone aride. Les particules les plus légères sont arrachées en surface après plusieurs sécheresses successives ; elles sont véhiculées en nuages noirs sur les pentes du piedmont. La présence de l’homme, des animaux, des ressources vitales s’apparente désormais à une aventure problématique. Bientôt, sur cette partie de Mongolie rurale les chèvres feront jaillir des larmes et du désespoir.

Un coup de maître

L’ignorance crétine, la cupidité, l’insouciance, viennent de montrer leur redoutable capacité de nuisance. Les voyous de la finance internationale ont réussi sur ces hauteurs lointaines un véritable coup de maître : assassiner en moins de quinze ans une portion complète de notre univers biologique.

N’oublions pas d’ajouter, toutefois, que ces meutes carnassières ont rencontré sur leur chemin des auxiliaires précieux : tous les “civilisés” de Milan ou de Lyon, de Berlin ou de Copenhague qui ont déployé sur ce dossier, une intelligence de bigorneaux. Les consommateurs, sans réflexion critique, ont facilité le pillage en brisant l’intégrité et l’identité d’une région.

L’orgueilleuse Chine croit fermement à son étoile, à sa croissance, à son hyper-développement. Elle exhibe la gloire de son nationalisme, ses capacités d’expansion et de rayonnement international. Une gloire palpable ; et combien éphémère ! Les vicissitudes noires que nous venons de croiser sur ces plateaux lointains ne sont pas uniques dans leur spécificité.

La Chine pulvérise, dans le silence le plus impressionnant, une bonne partie de sa paysannerie et de ses paysages environnementaux. Les tourbillons de folie qui errent en altitude dans ce pays transportent un message terrifiant : ils ramènent (au cœur de l’impérialisme le plus puissant de la terre) une menace assassine qu’aucune Muraille de pierres ne pourra stopper. Les cyclones d’argile, de silice, de quartz, qui descendent en bourrasques depuis ces gradins élevés risquent bien de briser les ambitions triomphalistes d’une monumentale dictature oligarchique. Et les armées capables de résister à une telle horde déchaînée ne sont pas encore nées ! La Chine conquérante, qui rêve d’acquérir une souveraineté sur le XXIème siècle, s’enferme en ce moment dans un piège minéral et géologique mortel.

De quoi méditer sur les obscurantismes périlleux de notre avenir proche !

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