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   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
 
 
 
 
 
AED La Grande Relève Articles N° 1105 - janvier 2010 > Comment produira-t-on dans un siècle ?

 

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Et après Copenhague … ??

Refusant le débat nécessaire, face aux catastrophes climatiques annoncées, les “grands” de ce monde n’ont donc pas assumé leurs responsabilités, ils ont reculé devant l’idée de devoir prendre quelque mesure contraignante. Or il y a d’autres problèmes dont ils devraient également débattre ensemble. Quand les énergies fossiles seront épuisées, de même que la plupart des gisements de métaux que nous avons pris l’habitude d’exploiter sans scrupule, comment produira-t-on et qu’en résultera-t-il pour nos modes de vie ? C’est à ces questions essentielles qu’il faut sans doute commencer à penser, surtout si cette réflexion amène à conclure qu’il est des économies à entreprendre dès aujourd’hui. Jacques HAMON a le courage d’inciter à y réfléchir dans un texte dont nous extrayons l’essentiel et qui s’appuie sur 41 références que, faute de place ici, nous publions sur notre site Internet (Ouvrir l’article...).

Comment produira-t-on dans un siècle ?

par J. HAMON
31 janvier 2010

La population mondiale s’est accrue très lentement pendant les 1500 premières années de l’ère chrétienne, à peine plus vite pendant les 250 années suivantes, puis de façon vertigineuse, passant de moins d’un milliard en 1750 à près de sept milliards aujourd’hui.

Certes, la médecine et l’hygiène ont fait des progrès à partir du 18ème siècle, mais il semble que ce soit l’amélioration générale des conditions de vie découlant de la disponibilité des énergies fossiles carbonées qui, à elle seule, puisse expliquer cette brusque croissance démographique.

L’utilisation du charbon, du pétrole, puis du gaz naturel, à des coûts dérisoires, a mis à la disposition de l’homme non seulement de l’énergie, équivalant, en moyenne, à celle de plusieurs dizaines d’esclaves par terrien, des transports terrestres, maritimes et aériens presque gratuits, mais aussi l’énorme potentiel de la pétrochimie : engrais, médicaments, pesticides, plastiques, etc. Lorsque ces esclaves carbonés fossiles ne seront plus là, chaque être humain devra travailler beaucoup plus pour produire beaucoup moins.

Si un milliard d’êtres humains souffrent de malnutrition, la cause ne peut pas en être attribuée à l’impossibilité de produire, car le rendement des cultures vivrières s’est considérablement accru. Par exemple, celui du blé tendre atteint maintenant 8 tonnes à l’hectare par an, en France, contre une tonne il y a un siècle. Celui du riz approche les 30 tonnes à l’hectare, contre 2 au plus autrefois, dans les cultures d’Asie les mieux menées. Une catastrophe comme la famine irlandaise causée par le mildiou de la pomme de terre au 19éme siècle, avec ses trois millions de morts et d’émigrés, parait désormais inconcevable.

CE QUI VA CHANGER

Or cette situation pourrait être remise en cause par la disparition des pesticides et des engrais de synthèse, associée à celle des énergies fossiles carbonées. Et l’utilisation massive de ces dernières ne saurait durer plus d’un siècle ou deux, du fait, d’une part, de leur caractère non renouvelable et de l’épuisement des gisements, et, d’autre part, parce qu’elle émet des gaz à effet de serre dont l’accumulation menace de perturber dangereusement le climat terrestre. La situation pourrait même être aggravée par l’évolution du permafrost arctique. Les autorités nationales s’agitent beaucoup, parlent encore plus, mais, pour l’instant, n’ont pas réussi à réduire massivement ni les émissions indues de gaz à effet de serre, ni le gaspillage insensé des énergies fossiles carbonées.

Des substituts à ces dernières ont été proposés : piles à combustible à catalyseur platine pour les véhicules, accumulateurs au lithium pour moteurs électriques, et, pour la production d’électricité, des panneaux photovoltaïques exigeant de l’indium ou du gallium, en négligeant toutefois quelques contraintes géologiques. Mais, au niveau actuel de leurs consommations, les réserves escomptées de platine, de gallium et d’indium seront épuisées dans quelques décennies. Le lithium devrait être accessible plus longtemps, de même que les réserves économiquement exploitables d’uranium 235 (utilisé dans les centrales EPR), qui sont de l’ordre du siècle. Par comparaison notons que celles d’uranium 238 (pour les centrales de quatrième génération) sont de l’ordre de plusieurs millénaires.

La disparition des énergies fossiles carbonées ne peut plus être ignorée, mais elle n’est pas pour demain. Par contre, on ne semble pas voir que les réserves exploitables de quelques métaux essentiels, comme l’argent, l’étain, le cuivre, le nickel, le plomb et le zinc, ne correspondent que d’une à quatre décennies d’utilisation. Ni que les réserves de métaux qui nous sont aussi familiers que l’aluminium et le fer ne garantissent guère plus d’un siècle de disponibilité. Il en résulte que notre futur, à moyen et long terme, ne ressemblera pas à notre présent.

CONTRAINTES POUR L’ENVIRONNEMENT

Si l’agriculture moderne assure des rendements élevés, c’est à un coût notable pour l’environnement, dû aux contaminations chimiques et à la réduction de la biodiversité microbiologique des sols.

En France, passer à une agriculture plus respectueuse de l’environnement pourrait, dans certaines conditions, améliorer le revenu à l’hectare des exploitants, tout en augmentant les besoins en travailleurs agricoles. Cette approche, qui associe prairies naturelles, élevage bovin et cultures, avec un minimum d’intrants, en incluant des assolements de légumineuses, pourrait être généralisée dans toutes les anciennes zones de bocage, mais sous réserve d’accepter les pertes résultant des aléas climatiques. Mais ailleurs, que faire ? Politiquement, l’agriculture biologique a le vent en poupe. Elle a l’avantage de n’utiliser aucun intrant de synthèse et l’inconvénient de nécessiter des agriculteurs très expérimentés, et beaucoup plus d’ouvriers agricoles. Certains croient que l’agriculture biologique pourrait facilement assurer la subsistance présente et future de la population mondiale. Pour l’instant, en France, avec 2 % des surfaces cultivées, cette agriculture est protégée des parasites et des pathogènes par les 98 % de cultures conventionnelles. Dans le cas des céréales, le passage durable à l’agriculture biologique parait entraîner une perte moyenne de rendement de plus de 50 %. Ce qu’il en pourrait être des autres cultures reste à établir, mais une étude récente suggère que, du fait d’une productivité plus faible, les produits bio sont 72 % plus chers que les produits conventionnels. Et trouvera-t-on les millions d’ouvriers agricoles nécessaires pour remplacer les équipements à moteur thermique et les herbicides ?

Sauf mise en œuvre massive (technologiquement improbable) des énergies renouvelables, la disparition des énergies fossiles carbonées impliquera le retour à la traction animale ou le passage à des engins agricoles utilisant des agro-carburants ; dans un cas comme dans l’autre, 20 à 30 % des surfaces agricoles utiles devront y être consacrées et le remplacement des machines et des herbicides par la sarclage à la main ou attelé. L’irrigation et l’arrosage des cultures devront probablement être limités et les rendements moyens diminueront. Actuellement un tiers de la population mondiale n’a pas accès à de l’eau potable, ou en manque et ne bénéficie pas d’un traitement des eaux usées et autres déchets. Cette situation dramatique sera aggravée, avec, chaque année, des dizaines de millions de morts prématurées qu’un accès à l’énergie aurait pu permettre d’éviter.

La dérive climatique et la montée du niveau des mers affecteront négativement la production agricole de nombreux pays, dont la France et les principaux producteurs de céréales, induisant des migrations de survie auxquelles l’accueil ne pourra pas être refusé.

CHANGEMENTS DANS LES MODES DE VIE

De grands efforts ont été entrepris, depuis une vingtaine d’années, pour substituer une chimie verte à la pétrochimie, avec pour l’instant des résultats bien modestes. Sauf percées spectaculaires, il faudra utiliser le chanvre, la laine, le lin, la soie, le soja et le cuir pour habiller et chausser les Français. La cuisson des aliments et le chauffage reposeront sur le bois et, marginalement, sur l’éthanol, dont la production occupera une partie des sols exploitables. D’anciennes professions retrouveront leur importance, mais la transition sera lente, l’expertise ayant disparu de France. Les pays d’Afrique et d’Asie tropicales devraient pouvoir nous venir en aide, leurs artisans n’ayant pas perdu la main.

Les connaissances accumulées au cours des siècles passées ne seront pas perdues, mais leur mise en œuvre pourrait être rendue difficile, voire impossible, dans un contexte énergétique de parcimonie aggravé par la raréfaction des métaux essentiels. Aurons-nous les moyens de construire des alternateurs pour exploiter les barrages hydrauliques et les aérogénérateurs modernes et des panneaux photovoltaïques pour obtenir de l’électricité, ou serons-nous obligés de revenir aux anciens moulins, à vent ou au fil de l’eau, pour moudre les grains, presser les oléagineux, scier les grumes, actionner les soufflets des forges, etc... Devrons-nous nous éclairer à la bougie et à la lampe à huile ? En absence d’une électricité abondante et fiable, nous n’aurons ni chaînes de froid, ni Internet. Les lignes ferroviaires d’Afrique orientale ont longtemps fonctionné au bois, mais elles avaient des rails. Conserverons-nous la possibilité de produire des rails ? Ou bien nos transports terrestres à longue distance seront-ils basés sur des caravanes de charrettes et de mulets - ou de chameaux plus au sud ? Les transports maritimes devront-ils être confiés aux bateaux à voiles et aux galères ?

Il est peu probable que les grandes agglomérations urbaines restent viables, surtout si l’eau doit être tirée du puits avec un seau, puis transportée dans des outres ou des tonnelets, et les déchets évacués d’une façon similaire. Une autre occupation des sols s’imposera, avec un réseau de petites unités urbaines de services et leurs périphéries rurales, vivant en semi-autarcie, ou des régions presque indépendantes autour des restes d’une ville moyenne… Passer, sans conflits violents, de nos modes de vie et densités humaines actuels à ceux de “l’après énergies fossiles carbonées” ne parait possible qu’en plusieurs siècles. Il faudrait faciliter cette transition en réduisant drastiquement nos consommations énergétiques, en remplaçant le plus possible la machine par l’homme, en préparant la nouvelle occupation de l’espace et en économisant les énergies fossiles carbonées pour faire durer leur utilisation dans les domaines essentiels en attendant les progrès de la chimie verte et des inévitables biotechnologies associées.

Nous n’avons le choix qu’entre … un retour à un mode de vie socialement riche mais matériellement modeste, ou la barbarie des guerres mondiales, régionales et locales. La baisse du niveau de vie ne pourra pas être partout du même ordre de grandeur… La France métropolitaine aura peu à offrir, et beaucoup à souffrir. Elle ne figure pas parmi les pays pouvant espérer, par égoïsme, disposer des dernières traces de charbon, de gaz naturel ou de pétrole. Elle ne dispose pas de gisements de métaux essentiels ou rares. Sa surface agricole pour nourrir, vêtir et chausser ses habitants est actuellement de l’ordre de 0,4 hectare en moyenne par personne, ce qui n’est pas beaucoup. Mais elle a aussi en moyenne un quart d’hectare de surface forestière pour produire des bois de construction et de chauffage (si les feux de forêt facilités par la dérive climatique ne nous en privent pas) et de nombreux cours d’eau exploitables mécaniquement, si les alternateurs font défaut.

Certains pensent que les progrès technologiques associés à une re-socialisation de nos modes de vie devraient permettre de créer un monde durable, largement immatériel, sauf en matière de gestion des sols et de l’eau. Cette option, fort intéressante, me paraissant peu crédible, je crois l’issue précédemment décrite probable, mais pas inéluctable. Pour l’éviter il faut réduire rapidement la consommation des énergies fossiles carbonées pour laisser en terre l’essentiel de leurs gisements, dont une minime consommation annuelle resterait possible à des fins chimiques. Il faut aussi organiser le recyclage des métaux essentiels et mettre rapidement en œuvre les plus prometteuses des énergies renouvelables …

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