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   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
 
 
 
 
 
AED La Grande Relève Articles N° 1104 - décembre 2009 > Le développement souhaitable

 

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Actualité

François Châtel dénonce l’illusion d’un développement à la fois soutenable et capitaliste !

Le développement souhaitable

par F. CHÂTEL
décembre 2009

Il est difficile d’envisager l’avenir sans y intégrer la notion de développement. Depuis que le progrès technique a sorti une partie de l’humanité de la précarité et permis que ses besoins primordiaux puissent être assurés, il paraît légitime que toute remise en question de ce processus soit inéluctablement rejetée. Cette volonté de transmettre un progrès aux générations futures est entrée dans l’ordre des préoccupations, avec le souci de passer le relais dans de bonnes conditions.

Le conditionnement religieux a modelé les esprits en faveur du travail et du développement économique. L’insécurité, le manque, la précarité des ressources durant des siècles ont conduit les peuples, surtout de l’Occident, à adopter un état d’esprit inquiet et avide de biens matériels, au-delà de toute satiété.

Face à l’amélioration des conditions d’existence et aux bénéfices enregistrés, le besoin de rationalité a conduit les économistes à élever au rang de dogmes les processus économiques utilisés, dont la fameuse croissance sur laquelle repose l’équilibre du système capitaliste. S’est instauré en conséquence un fanatisme du productivisme et de la consommation, censé guérir, telle une drogue, tous les maux, et surtout toutes les inquiétudes, envers la marche idéale du système : « L’incapacité à penser l’avenir en dehors du paradigme de la croissance économique permanente constitue sans doute la faille principale du discours officiel sur le développement durable. En dépit de ses dégâts sociaux et écologiques, la croissance, de laquelle aucun responsable politique ou économique ne veut dissocier le développement, fonctionne comme une drogue dure ». [1]

Cette idéologie économique est tellement ancrée dans les esprits qu’économistes et partis politiques ne considèrent le développement que lié à la croissance du PIB, cet indicateur qui oublie de prendre en compte des déterminants importants pour la qualité de vie comme, par exemple, les loisirs non marchands et les activités sociales et politiques.

Après les crises liées à la surproduction, qui ont mis à mal la pérennité du système, une situation nouvelle menace aujourd’hui son intégrité : les limites physio-biologiques de la planète. De partout les cris d’alarme retentissent, à juste titre, pour signifier la responsabilité des activités humaines dans les causes de dégradations irréversibles de l’environnement.

Le développement durable

Qu’à cela ne tienne, le néo-libéralisme prétend savoir utiliser toutes les opportunités, il s’empresse de marchandiser l’écologie dans un grand mouvement de mobilisation générale désigné par « développement durable ». Le leitmotiv “produire et consommer” est mis à la mode verte, il peut ainsi continuer à être scandé haut et fort pour la gloire éternelle du capitalisme : « Le capitalisme a intérêt à faire croire que croissance et développement vont toujours de pair, l’amélioration du bien-être humain ne pouvant passer que par l’accroissement perpétuel de la quantité de marchandises » [1].

Comment croire que la croissance va devenir soutenable, sachant que “soutenable” signifie que l’activité humaine ne crée pas de pollution à un niveau supérieur à sa capacité de régénérer son environnement ? S’en remettre à l’espoir que les besoins de la nature et de l’économie vont enfin concorder, faire aveuglément confiance à la science et la technique, c’est conduire l’humanité vers un fléau qui met sa propre existence en jeu. Sous le terme de “dématérialisation du capital”, on fait ainsi le pari que les nouvelles technologies permettront une production propre, consommant peu de ressources non-renouvelables.

S’acharnant à sauvegarder leurs privilèges, les possédants entraînent l’humanité à jouer à la roulette russe, alors que la baisse de la consommation des ressources, par unité de bien produit, est déjà largement compensée par l’augmentation générale de la production de ces biens. Les prélèvements de ressources naturelles et les pollutions continuent à croître, les rapports du Programme des Nations Unies pour le Développement le prouvent.

L’effet rebond

Cette croyance aveugle omet la probabilité, non négligeable, de l’apparition de l’effet rebond, qui, d’une manière générale, est défini comme étant « l’augmentation de la consommation liée à la réduction des limites à l’utilisation d’une technologie, ces limites pouvant être monétaires, temporelles, sociales, physiques, liées à l’effort, au danger, à l’organisation… » [2]. D’où le corollaire suivant : dans le cas d’une incitation permanente à la consommation, les économies d’énergie ou de ressources, initialement prévues par l’utilisation d’une nouvelle technologie, sont partiellement ou même complètement compensées après adaptation du comportement de la société.

Omission de l’effet rebond dans les pourparlers du Grenelle de l’environnement, ou bien volonté de relancer la demande afin de doper la consommation dans des domaines inédits pour augmenter les ventes et les profits ? Que serait-on tenté de répondre dans notre société de consommation ?

L’humanité peut-elle se reconnaître dans ce système qui ne fait que révéler sa grossièreté, sa cruauté, son mépris des peuples et des cultures ? Il ne lui est proposé, pour modèle de société, que le productivisme et la consommation, déjà responsables du spectacle désolant qu’offre l’état actuel du monde ? Noyée dans sa technologie, qui sert surtout à confectionner des gadgets, elle a perdu la conscience de ce qu’elle est : physiquement malade, en raison de la pollution et d’une nourriture empoisonnée, psychologiquement névrosée, dominée par la peur, moralement immature, ayant un comportement d’adolescent gâté, ignorant, inculte.

L’amélioration des conditions d’existence peut-elle être envisagée hors de cette association suicidaire entre développement et croissance productiviste ?

Une période-clé

Dans une vie, certains signes obligent à faire des choix déterminants. Perçus et acceptés, ces appels permettent généralement une évolution bénéfique. De tels signes s’adressent aujourd’hui à l’humanité, qui se trouve ainsi dans une période-clé de son évolution. Que va-t-elle en faire ? Quelle orientation va t-elle choisir ? La mondialisation des échanges a permis l’instauration d’une conscience planétaire, qui peut s’avérer un atout majeur pour régler les problèmes environnementaux. Elle pourrait déboucher sur une nouvelle économie globale, capable d’assurer une cohabitation réussie entre l’humanité, son environnement et ses cultures, en toute équité et en toute justice [3].

Elle peut maintenir sa position capitaliste individualiste, poursuivre dans la voie du productivisme et continuer à subordonner la nature. Mais on se souvient de la réflexion de Théodore Monod en faveur des animaux et qu’on peut élargir à la nature en général : « La nature ne demande pas qu’on l’aime mais qu’on lui foute la paix ». Il lui faudra alors faire face à un environnement de plus en plus hostile, car déréglé et en souffrance, à des conflits internes en augmentation continue, en raison d’inégalités injustifiables, à des peurs, à des politiques répressives et totalitaires, et trouver une solution à sa démographie envahissante.

Refuser aujourd’hui une révolution dans son attitude vis-à-vis de la planète, c’est pour l’humanité aller droit au-devant de déconvenues imprévisibles. Cette situation évoque celle des habitants de l’île de Pâques…

Dépasser l’adolescence

Accepter l’évolution, c’est s’offrir toutes les chances de franchir le cap psychologique de l’adolescence, s’ouvrir ainsi à la solidarité, proposer ses services à la société, tout en affirmant sa personnalité en exprimant ses compétences.

Le développement est possible et souhaitable, mais il faut se libérer de l’obsession de la croissance économique, de le duo infernal productivisme-consumérisme.

Il s’agit désormais de construire les biens relationnels pour s’orienter vers un système qui favorise la solidarité et le bien-être. Et pas seulement en interne, par la convivialité dans le respect des cultures, mais aussi en externe, pour avoir un impact écologique le plus équilibré possible.

Tourner le dos à ce changement radical de système, c’est laisser une caste privilégiée maintenir le désordre actuel parce qu’il lui est favorable. C’est se faire candidat au suicide et offrir aux générations futures un héritage insalubre.

Choisir de développer le bien-être est une remise en question matérielle, mais c’est davantage encore une rénovation psychologique. L’épanouissement des potentialités humaines doit se réaliser hors du sentier de la croissance infinie des quantités produites et consommées, hors du sentier de la marchandise et de l’échange marchand, mais, au contraire, sur celui de la valeur d’usage [4], de la qualité du tissu social qui naît autour de cette valeur.

Si l’humanité veut échapper à un avenir de dictatures, d’environnement artificiel et de barbarie, une remise en question complète est plus que nécessaire, et au niveau mondial, pas seulement sur le plan individuel.

Il est temps de cesser les enfantillages nationalistes, de ne plus se gargariser du soi-disant mérite de la réussite matérielle et s’enorgueillir de posséder une nuée de gadgets polluants et consommateurs d’énergie. Cette civilisation a été construite dans un état d’esprit conditionné pour les conquêtes, pour les massacres, les exploitations, les déportations, les colonisations et autres dominations que j’oublie certainement. S’il y a lieu d’être fier du passé, soyons-le avec discernement.

L’idéologie capitaliste est basée sur des rapports de force, elle entraîne le mépris d’autrui et l’immoralité qui “paie”. La maintenir ce n’est pas seulement une tromperie, c’est un danger. Alors, sans vouloir les classer dans un ordre d’importance, rappelons les changements indispensables qu’apporterait une économie distributive :
• La création d’une monnaie non circulante remplaçant le système financier capitaliste,
• La démocratie jusque dans l’économie, empêchant toute dictature,
• La suppression du salariat [5],
• La distribution d’un revenu égalitaire garanti à vie,
• Le libre choix de ses activités professionnelles et la liberté d’en changer,
• L’organisation de services publics appliquant les décisions venues de la base [6],
• La gestion privée des entreprises, mais au service du public,
• La socialisation des moyens de production,
• Le maintien des seules hiérarchies de fonctions dans les organisations professionnelles, la suppression des hiérarchies de valeurs responsables des inégalités sociales,
• La mise en place d’un programme de régulation démographique.

Un tel développement, axé cette fois sur le bien-être et non sur l’avoir-plus, soulage la pression exercée sur la planète, en réduisant et en partageant mieux la production et la consommation. Le style de vie du consommateur en est changé parce qu’il n’est plus commandé par la publicité et la mode, mais par de vrais besoins, par la recherche de vraies valeurs, comme l’entr’aide et la convivialité. Pour les pays occidentaux c‘est un décrochage progressif de la croissance, en faveur de l’acquisition d’autres richesses. Dans les pays actuellement nécessiteux, c’est une croissance matérielle régulée, en adéquation avec son impact écologique, et, pour certains d’entre eux, c’est même le retour vers un bien-être ancestral dont ils ont été trop longtemps privés.

La mondialisation du distributisme démocratique, c’est l’idéologie du bien-être qui s’inscrit dans l’équilibre entre les besoins humains et ceux de l’écosystème planétaire, dans l’humanisation des rapports sociaux, le respect de chaque vie humaine, dans la conscience de sa brièveté, avec l’objectif de la rendre la plus heureuse possible.

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[1] Jean Marie Harribey. Développement et croissance.

[2] définition donnée par l’écologiste François Schneider, source : Wikipédia.

[3] voir GR 1102 pages 11 et 12

[4] La valeur d’usage est l’utilité d’un bien ou d’un service, notion qualitative non mesurable et non réductible à une valeur d’échange monétaire.

[5] voir GR 1099 pages 6 et 7

[6] voir GR 1101 pages 11 et 12

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