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AED La Grande Relève Articles N° 1102 - octobre 2009 > I. La nature marchandise jusqu’à l’absurde

 

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Dossier : la crise écologique

Face à la crise écologique, les puissants de ce monde cherchent des solutions seulement dans le cadre de l’économie de marché, même lorsqu’ils admettent la responsabilité de celle-ci dans les désastres annoncés. Parce qu’ils y voient un moyen de sauver le système dont ils tirent profit et aussi la perspective de nouvelles activités marchandes. Guy Evrard analyse cette approche comme un paroxysme de la fuite en avant, qui confine à l’absurde et rend plus urgent de changer les bases de notre monde. Cette première partie traite du marché du CO2.

I. La nature marchandise jusqu’à l’absurde

par G. ÉVRARD
31 octobre 2009

La crise globale qui étreint la planète est maintenant clairement perçue comme la convergence historique d’une crise économique et sociale et d’une crise écologique. La crise écologique, attribuée elle-même à l’activité des hommes, est-il besoin de le rappeler, c’est : •1. le réchauffement climatique dû aux émissions massives de gaz à effet de serre (gaz carbonique, méthane et oxyde nitreux principalement) ; •2. la réduction de la biodiversité, notre réserve génétique pour les indispensables adaptations futures ; •3. les pollutions en tout genre qui fragilisent les organismes vivants et défigurent notre cadre de vie ; •4. les perturbations majeures du cycle de l’eau ; •5. l’épuisement quasi irréversible de ressources naturelles. Globalement, c’est le déplacement incontrôlé de l’infinité des équilibres de notre biosphère, dont on peut craindre qu’à terme il rende la Terre invivable.

La Terre a toujours été le théâtre de grands bouleversements, mais généralement suffisamment lents pour laisser le temps à de nouveaux équilibres de s’établir. L’activité humaine, en changeant d’échelle depuis le 19ème siècle, avec la révolution industrielle et l’accélération de l’accroissement démographique, est devenue elle-même un puissant facteur de bouleversement. Il est donc de la responsabilité des hommes de maîtriser, puis de réduire leur empreinte.

Chacun sait maintenant que le développement, lorsqu’il est confondu uniquement avec la croissance des biens matériels, pousse à une logique productiviste. Il génère certes des richesses mais se soucie peu de leur répartition équitable entre les peuples et parmi eux, et encore moins de l’épuisement de la planète. Le capitalisme libéral dominant, arc-bouté sur le principe du libre marché, visant d’abord la recherche du profit, engendre la prédation. Reconnaissons que le productivisme installé dans un contexte politique autoritaire n’agit guère autrement.

Acculés à la crise, en l’absence d’autres projets d’organisation de la société et de l’économie qui soient portés par des forces politiques capables de convaincre, les dirigeants actuels continuent de rechercher dans la même économie de marché les recettes susceptibles de corriger les atteintes à l’environnement. C’est sans doute un peu par incapacité à concevoir un autre raisonnement, mais c’est surtout parce que le système en place leur ouvre de nouvelles perspectives de profits, peut-être plus grands encore que par le passé, pour ceux qui sauront maîtriser des techniques plus complexes.

Dans deux articles, nous nous limitons aux deux premiers domaines, pour lesquels des mécanismes sont déjà en place ou à l’étude via une hypothétique régulation par la main invisible : le marché du gaz carbonique (CO2) et le marché de la biodiversité. Nous terminerons cependant par une brève mais révélatrice allusion à la gestion de l’eau, thème sur lequel nous nous proposons de revenir ultérieurement.

Le point de vue de Patrick Viveret

Patrick Viveret, philosophe, économiste, magistrat référendaire à la Cour des comptes, dénonce l’absurdité de la démarche. Dans une préface à la nouvelle édition de son rapport Reconsidérer la richesse, il écrit en 2008 [1] : « C’est la même logique de la démesure qui est à l’origine de la crise écologique (dérèglement climatique et risques majeurs pour l’humanité), de la crise sociale (dont la forme la plus dramatique est la crise alimentaire) et de la crise financière. Et cette démesure se trouve accentuée par une représentation et un mode de calcul de la richesse qui, en sous-évaluant gravement les biens écologiques et sociaux non marchands, a lancé le monde dans la course folle, d’abord du productivisme industriel oublieux des critères économiques, ensuite dans un financement largement excessif par rapport à l’économie réelle [*] [2] ».

Dans un récent entretien pour la revue Terre sauvage, Patrick Viveret [3] déclare aussi : « Qu’est-ce qui compte vraiment dans nos vies ? (…) La définition étymologique de la valeur est la “force de vie”. (…) Toute richesse vient de l’interaction entre les humains et leur rapport au cosmos et à la nature. Donc les domaines fondamentaux sont écologiques et anthropologiques. (…) Quand l’économie prétend tout régenter, qu’elle se pose comme la mère de toutes les disciplines et qu’elle en vient à émettre des propositions, théoriques ou pratiques, qui deviennent contradictoires voire destructrices par rapport à des fondamentaux écologiques ou anthropologiques, je considère que l’économie a tort ».

Il concède néanmoins que donner une valeur économique au vivant « peut constituer un progrès par rapport à un statu quo et, en même temps, participe d’une valeur régressive qui est de croire que, pour qu’un bien ou un lien ait de la valeur, il faut qu’il ait une expression monétaire. (…) Nous sommes passés d’une économie de marché (…) où ce qui avait de la valeur n’avait pas de prix à une société de marché où ce qui n’a pas de prix n’a pas de valeur. Quand on est à ce degré de situation maladive, il est utile, partiellement et avec les plus extrêmes précautions, de sortir, au moins, de l’invisibilité. La nature prodigue des richesses invisibles et subit des destructions invisibles. Si la visibilité commence par une évaluation monétaire, c’est un progrès par rapport à l’invisibilité. Mais ce progrès doit s’accompagner d’un progrès plus large qui remet en question l’approche exclusivement monétaire de l’évaluation. (…) Si la seule manière de reconnaître la valeur de la richesse humaine et de la richesse écologique est la monétarisation, on est entraîné dans une spirale extrêmement préoccupante et sans limite. (…) L’un des éléments fondamentaux d’une théorie de la valeur, c’est d’accepter que, plus on va vers des “valeurs hautes”, plus on va vers le non quantifiable ».

Le marché du gaz carbonique (CO2)

Le Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) [4], prix Nobel de la paix 2007, a été mis en place en 1988 par l’Organisation Météorologique Mondiale (OMM) et le Programme des Nations-Unies pour l’Environnement (PNUE). Le GIEC a pour mission d’évaluer les informations d’ordre scientifique, technique et socio-économique qui sont nécessaires pour mieux comprendre les fondements scientifiques des risques liés au changement climatique d’origine humaine, cerner plus précisément les conséquences possibles de ce changement et envisager d’éventuelles stratégies d’adaptation et d’atténuation. S’appuyant sur 2.500 chercheurs de 130 pays, dont l’ensemble des publications est soumis au consensus, il travaille en réseau et n’a pas vocation à conduire les travaux expérimentaux.

Les prévisions d’élévation de la température à la surface de la Terre reposent sur des modèles mathématiques qui déterminent le forçage radiatif, c’est-à-dire l’accroissement de la fraction de l’énergie solaire qui reste prisonnière à la surface de la Terre et modifie son équilibre thermique, en raison de tel ou tel facteur. Ces modèles sont calés sur les évolutions naturelles passées des teneurs des trois principaux gaz à effet de serre, repérables sur plusieurs centaines de milliers d’années notamment grâce aux carottes de glace prélevées dans l’Antarctique, que l’on compare aux évolutions mesurées depuis le début de l’ère industrielle. S’y ajoutent les observations directes des changements climatiques récents : élévation de la température moyenne, élévation du niveau moyen des mers, réduction des glaciers de montagne et des calottes glaciaires aux pôles, réduction des glaces de mer, déstabilisation du permafrost (ou pergélisol) aux plus hautes latitudes… Les modèles sont également ajustés pour tenir compte de l’évolution prévisible de l’albédo, la partie de l’énergie solaire qui est réfléchie par la surface de la Terre et par l’atmosphère, liée aux modifications de la couverture neigeuse et de la couverture végétale au sol et à la présence d’aérosols dans l’atmosphère.

Le dernier rapport du GIEC [5], publié en 2007, établissait ainsi des prévisions moyennes de l’élévation de température de 1,8°C (1,1 à 2,9°C) pour le scénario le plus favorable à 4,0°C (2,4 à 6,4°C) pour le scénario le plus pessimiste, d’ici à la fin du 21ème siècle. À court terme, une élévation moyenne de 0,2°C par décennie est attendue. L’élévation du niveau des mers se situerait respectivement entre 18 cm et 38 cm dans le scénario favorable et entre 26 cm et 59 cm dans le scénario le plus pessimiste ; cependant, l’estimation ne tient pas compte de la dynamique des glaces, encore mal comprise, mais qui paraît plus active que prévu. Le rapport exprimait qu’il y a 90 chances sur 100 pour que ces évolutions soient d’origine anthropique, c’est-à-dire dues à l’activité humaine.

En mars dernier, une ultime réunion de la communauté scientifique à Copenhague, avant la prochaine conférence des Nations-Unies, en décembre 2009, pour l’après Kyoto, c’est-à-dire l’après 2012, s’appuyant sur les résultats acquis depuis le rapport de 2007, a fait savoir que « (…) le pire des scénarios est en train de se réaliser. Les émissions ont continué d’augmenter fortement et le système climatique évolue d’ores et déjà en dehors des variations naturelles à l’intérieur desquelles nos sociétés et nos économies se sont construites ». Les prévisions du GIEC anticipent maintenant une hausse des températures effectivement comprise entre 1,1°C et 6,4°C et une montée du niveau des océans atteignant entre 75 cm et 1,90 m avant la fin du siècle, par rapport à la période préindustrielle ; toujours sans tenir compte de la dynamique des glaces. De nombreux seuils de rupture se situeraient dans la bande 2°C à 3°C [6].

Et pourtant, en juillet, la réunion au sommet à l’Aquila (Italie) des pays les plus riches et les plus pollueurs (G8), face aux pays émergents (G5), convenant de la nécessité de limiter l’élévation de la température à 2°C, conformément aux injonctions des scientifiques, n’a pu trouver un accord sur des objectifs chiffrés de réduction de l’émission des gaz à effet de serre. Le G8 proposait une diminution globale de 50 % d’ici à 2050, dont celle des pays industrialisés à hauteur de 80 % par rapport à 1990 ou à une année plus récente. Mais parmi ces derniers, seule l’Europe avançait un objectif de -20 %, allant jusqu ‘à 30 % si les autres pays s’y ralliaient, à l’horizon 2020. Finalement, l’absence d’un niveau d’étape convenu entre les pays riches a empêché la conclusion d’un accord pour 2050 avec les pays émergents, qui ne voulaient pas se contenter de promesses à long terme alors qu’eux-mêmes ont des besoins immenses d’énergie [7], [8]. Des promesses précédentes non tenues d’aide au financement de l’agriculture dans les pays pauvres ont évidemment été rappelées [9], [10]. Souhaitons que les autres réunions prévues d’ici à décembre 2009 permettent de parvenir à cet accord nécessairement ambitieux.

Ainsi, on voit bien que la seule évocation de risques imminents pour la survie de l’humanité, avec un consensus scientifique largement fondé, ne suffit pas à engendrer une coopération enthousiaste entre les dirigeants du monde, tant les arrières pensées sont fortes dans une mondialisation organisée exclusivement sur les rapports de force et la compétition économique.

Et, bien sûr, c’est parce qu’il est lui-même imprégné de cette logique que Sir Nicholas Stern, ancien économiste en chef de la Banque mondiale, s’est intéressé, en 2006, à l’évaluation économique des conséquences du réchauffement climatique, à la demande du premier ministre britannique de l’époque, Tony Blair. Ce sont finalement davantage les considérations économiques, plutôt que les questions éthiques et sociales, qui ont convaincu les dirigeants de la planète d’entrer en action.

Le rapport Stern aboutit à cette évidence qu’une action ferme et précoce coûtera beaucoup moins cher que l’inaction [11], [12] !

Sur 10 ans, le coût du changement climatique s’établirait à 5.500 milliards d’euros, pour un PNB [**] mondial annuel estimé à 35.000 milliards de dollars. Pour fixer les idées, le budget de l’État français en 2006 s’élevait à 290 milliards d’euros. Ces dépenses viendraient s’ajouter aux dépenses actuelles, déjà tout à fait insuffisantes pour faire face aux besoins vitaux de l’humanité. Par ailleurs, au-delà des 200 millions de personnes directement touchées, beaucoup plus seraient déstabilisées dans leur mode de vie et de production, avec le risque de générer de véritables guerres entre riches et pauvres. C’est sans doute devant l’incertitude de l’issue de tels conflits, inédits à grande échelle, que réside la véritable crainte des puissants de ce monde.

Le rapport Stern recommandait alors le renouvellement du protocole de Kyoto dès 2007 et préconisait que l’humanité consacre 1% du produit national annuel de la planète, soit près de 275 milliards d’euros, pendant 10 ans, à la réduction de la production des gaz à effet de serre et des autres facteurs de réchauffement. Sinon, le coût indiqué précédemment serait de 5 à 20 fois plus élevé.

Pour fixer les idées encore, 1% du PNB mondial équivaut aux dépenses de publicité dans le monde.

Les dépenses seraient réparties au prorata de l’activité économique de chaque pays, soit de 10 à 15 milliards d’euros pour chacun des grands pays européens pendant 10 ans.

Quatre approches concourantes étaient préconisées [11] :

1• La coopération technique pour développer des technologies faiblement émettrices de CO2.

Mais dans un monde organisé sur la compétition, on voit mal des industries (qui n’hésitent pas à breveter le vivant et le savoir ancestral des peuples encore liés à la nature, ou bien des thérapies contre le virus VIH du sida), décider soudainement de faire profiter la planète entière de leurs découvertes !

2• La lutte contre la déforestation.

La destruction des forêts serait responsable de près de 20% des émissions de gaz à effet de serre et, selon la FAO*, représentait en 2005 environ 13 millions d’hectares par an (plus de 20% de la superficie de la France) [13]. Les principales causes se trouvent ici encore dans l’orientation productiviste imposée par la mondialisation de l’économie capitaliste : l’exploitation non durable et souvent illégale du bois, l’augmentation des surfaces agricoles pour l’élevage et la culture du soja, les plantations de palmiers à huile pour l’industrie agroalimentaire et, plus récemment, le développement des agrocarburants. Comment inverser significativement et durablement cette tendance sans remettre en cause fondamentalement le système économique ?

3• L’aide des pays riches aux pays les plus pauvres.

Nous l’avons évoqué plus haut, il a été rappelé au G8+G5 d’Aquila que moins d’un tiers des 50 milliards de dollars d’aides promis cinq ans plus tôt ont été effectivement affectés [10]. Les émeutes de la faim de 2008, alors que des manœuvres spéculatives de grande ampleur étaient observées sur les céréales à la bourse de Chicago, ont confirmé aux yeux du monde que la situation ne faisait qu’empirer. La FAO estime qu’aujourd’hui 1,2 milliard de personnes souffrent de malnutrition. Dans ce système, la “solidarité”, y compris sur des fonds publics, ne s’exerce que si elle est payée de retour.

4• Les permis d’émission.

Même si l’on est convaincu de l’incapacité totale du système à la moindre tentation vertueuse, on adhère, bien sûr, aux trois recommandations précédentes. Ici, sa perversion se révèle pourtant dans le cheminement tordu qui l’obligerait à faire le bien.

Rappelons brièvement le mécanisme mis en place par la Commission Européenne et qui serait généralisé à la planète, selon le principe, juste, du pollueur payeur : « Les émissions de CO2 sont plafonnées à un certain niveau au-delà duquel les entreprises émettrices sont obligées d’acheter des bons (à polluer) aux entreprises faiblement émettrices, ceci de préférence à l’échelle mondiale. Il s’agit de favoriser la réduction des rejets de gaz à effet de serre en développant les différentes bourses déjà instituées et en créant des passerelles entre elles. Les pays en développement y seraient associés. La fixation d’objectifs ambitieux pour les pays riches pourrait rapporter des dizaines de milliards de dollars par an aux pays en développement, ce qui les aiderait à adopter des modes de production limitant les émissions de CO2 ».

Il se dit déjà que les objectifs fixés initialement étaient insuffisants [14], [15], la tonne de CO2 étant actuellement échangée à 14 euros. Gageons que le lobbying des pollueurs saura convaincre encore à la modération des nouveaux objectifs. Mais pourquoi mettre en place une telle “usine à gaz”, sinon pour continuer ce MonopolyR de l’absurde ? Alors que l’on peut lire aussi ceci dans le rapport Stern : « Le changement climatique est l’échec le plus grand du marché que le monde ait jamais connu et il a une action réciproque sur les autres imperfections du marché » [12]. La fuite en avant touche à son paroxysme. Sommes-nous devenus incapables de raisonner autrement, en fixant simplement des règles de droit ? Comment, alors, accorder le moindre crédit aux recommandations précédentes ?

Quoi qu’il en soit, cette stratégie vise à faire du carbone, ou du CO2, un produit marchand de plus en plus cher afin d’en réduire les émissions et de favoriser le développement de technologies qui ne font pas appel aux énergies fossiles (pétrole, gaz naturel, charbon). Les riches multinationales s’en accommoderont évidemment plus facilement que les PME ou les entreprises des pays en développement. Le dispositif des permis d’émission pour les entreprises fort émettrices de CO2 serait complété, en France à partir de 2010 et probablement ensuite dans les autres pays européens, par une “taxe carbone” appliquée à la fois aux entreprises non assujetties au système précédent et aux particuliers. Cette taxe, basée sur la quantité de CO2 émise tout au long de la fabrication et de l’acheminement d’un produit, serait donc répercutée sur le prix de celui-ci vendu au consommateur. Dans un premier temps, elle porterait seulement sur le chauffage des bâtiments et le transport, mais concernerait donc aussi les familles. Le rapport, remis en juillet 2009, de la commission d’experts présidée par M.Rocard proposait de fixer à 32 euros la tonne de CO2 en 2010 [***], pour atteindre progressivement 100 euros en 2030. Là encore, les riches s’en accommoderont plus facilement que les pauvres, même si une compensation est promise à ces derniers, prélevée sur la collecte.

Certes, la civilisation occidentale s’est développée grâce à la disponibilité énergétique, comme Jean-Marc Jancovici le rappelle avec insistance [16]. Le savant Arrhenius, prix Nobel de chimie 1903, fut sans doute un des premiers à s’émouvoir, dès les années 1920, de notre fringale d’hydrocarbures fossiles et d’autres matières premières [17]. Mais la mondialisation capitaliste a poussé à son comble la gabegie énergétique en multipliant les délocalisations des unités de production vers les pays où la main d’œuvre est la moins coûteuse à l’instant t et en faisant voyager les marchandises souvent au-delà du bon sens. Confondant toujours développement et course au profit. Les populations de nos pays qui se vident de leurs usines payent ainsi déjà un lourd tribu à cette stratégie et l’on vient maintenant leur demander d’en payer les conséquences en leur présentant la facture énergétique de cette aberration économique et sociale. On touche ici précisément à la convergence de la crise économique et sociale et de la crise écologique [18].

Bien sûr, le gaspillage énergétique doit cesser, mais il ne cessera réellement qu’en abandonnant l’économie productiviste. À coup sûr, l’énergie reviendra plus cher dans l’avenir car il faudra la concentrer pour la rendre utilisable dans nos machines. Dommage que les Verts, qui appuient clairement le projet de taxe, en insistant certes sur les mécanismes de redistribution, oublient de remettre en cause la logique économique qui a conduit à la situation actuelle [19]. Comme si la majorité des citoyens avaient eu réellement le choix du mode de chauffage de leur logement. Comme si ils avaient décidé de la politique urbaine et choisi d’aller vivre là où aucun transport collectif n’est assuré pour les conduire à leur travail. Comme si ils se satisfaisaient du cheminement insensé des produits qu’ils consomment. Nombre d’entre eux se battent pour que la politique énergétique de notre pays et de l’Europe ne soit pas ouverte à la course au profit mais demeure un service public dont les grandes orientations seraient soumises au débat public démocratique. À bien y regarder, la taxation du carbone reste donc un outil classique de l’économie de marché capitaliste.

On lira avec intérêt, dans l’article ci-après, les réflexions de Jacques Hamon sur les changements majeurs de nos modes de vie qu’imposera la raréfaction des énergies fossiles à bon marché. Entreprendre les adaptations dès maintenant, en y associant démocratiquement les citoyens, peut éviter le chaos.

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[1] Patrick Viveret, Reconsidérer la richesse, rapport à la demande du gouvernement, éd. de l’Aube, 2002. Préface de la nouvelle édition, l’Aube Poche Essais, 2008.

[*] Selon Bernard Lietaer, ancien directeur de la Banque centrale de Belgique, moins de 5% des échanges quotidiens sur les marchés financiers correspondent à des biens et services réels.

[2] Bernard Lietaer, conférence à Lille Mutation mondiale, crise et innovation monétaire, éd. l’Aube, 2008.

[3] Patrick Viveret passeur de sens, Terre sauvage, n°251, juillet 2009, pp.62-65.

[4] GIEC (en anglais : IPCC = Intergovernmental panel on climate change), http://www.ipcc.ch/languages/french.htm#1

[5] Quatrième rapport du Groupe de travail 1 (aspects scientifiques) du GIEC, 2007, p.1, Résumé à l’attention des décideurs : http://www.ipcc.ch/pdf/assessment-report/ar4 /syr/ar4_syr_fr.pdf

[6] Le plus noir des scénarios climatiques se profile, Laurence Caramel, Le Monde, 14/3/2009.

[7] La conférence de Copenhague s’annonce difficile, Anne Chaon, Les Echos, 10/7/2009.

[8] Copenhague en point de mire, L’environnement pour les Européens, magazine de la Direction générale de l’environnement de la Commission Européenne, n°33, 2009.

[9] Le G8 sous la pression des émergents au deuxième jour du sommet de l’Aquila, Françoise Michel, Les Echos, 9/7/2009.

[10] Solidarité alimentaire : pourquoi le G8 n’est pas à la hauteur, Bruno Odent, L’Humanité, 11/7/2009, p.6.

[11] Le rapport Stern sur le changement climatique Conclusions à retenir pour les pays européens, J-P Baquiast et Chr. Jacquemin, 31/10/2006, http://www.automatesintelligents.com/echanges/2006/nov/rapportstern.html

[12] La “Stern Review” : l’économie du changement climatique. Note de synthèse : http://www.essedive.com/partage/articles//net-impact/stern_shortsummary_french.pdf

[**] FAO = Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture.

[13] La déforestation se poursuit à un rythme alarmant, FAO Salle de Presse, Rome, 14 /11/2005 : http://www.fao.org/newsroom/fr/news/2005/1000127/index.html

[14] Le plan national d’affectation des quotas d’émission (PNAQ) de CO2 et différentes références citées : http://www.developpement-durable.gouv.fr/energie/developp/serre/textes/pnaq.htm

[15] F. Laby, Le système d’échange de quotas d’émissions de CO2 ne devrait pas ruiner la compétitivité en Europe, Actu-Environnement.com, 9/6/2006 : http://www.actu-environnement.com/ae/news/1759.php4

[***] elle sera finalement fixée à 17 euros au 1er janvier 2010

[16] Jean-Marc Jancovici, Sur et sous sol, combien d’énergies pour combien d’hommes ? Conférences de la Cité des Sciences et de l’Industrie, Les ressources de la Terre, 24/3/2009. Voir aussi le site fort documenté de l’auteur : http://www.manicore.com/

[17] Svante Arrhenius, Conférences sur quelques problèmes actuels de la chimie physique et cosmique faites à l’Université de Paris en avril et mai 1922 ; partie 4, Les sources mondiales d’énergie ; Paris, Gauthier-Villars, 1922, p.73 (Bibliothèque Nationale de France, Gallica, web). Lien vers une brève biographie d’Arrhenius : http://gyevrard.club.fr/index.htm

[18] Ecologie et progrès social : deux logiques concurrentes ? Table ronde avec Alain Lipietz (député Vert européen sortant), Alain Obadia (membre du Conseil économique et social, PCF), Laurence Rossignol (vice-présidente du conseil régional de Picardie, PS), L’Humanité des Débats, 20/6/2009.

[19] « Sarkozy doit tenir bon sur la taxe carbone, une mesure révolutionnaire », Cohn-Bendit, Les Echos.fr, 26/7/2009.

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