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   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
 
 
 
 
 
AED La Grande Relève Articles N° 1060 - décembre 2005 > Réenchanter le socialisme

 

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Réenchanter le socialisme

par R. POQUET
2 décembre 2005

Après avoir pris connaissance des principes de base de l’économie distributive, les pessimistes diront qu’elle relève d’une hypothèse, les optimistes qu’elle constitue une perspective.

Elle n’a pourtant pas surgi du néant : sa construction relève d’une analyse sans concession des dysfonctionnements de notre système économique et financier. Et il serait aisé de prouver que son application porterait remède à bon nombre de maux qui accablent nos sociétés : chômage, précarité, stress, hantise du lendemain, destruction des valeurs, violences...

Comme nous nous rangeons dans le camp des optimistes, nous pensons que si cette perspective économique a quelque peu perdu de son opportunité depuis que Léon Blum a « vidé le socialisme de sa force de transformation sociale » [1], dans le même temps, elle nous est plus que jamais nécessaire pour “réenchanter” le socialisme, en dessinant des pistes qui répondent aux nécessités du moment.

Mais rappelons tout d’abord quels enseignements et quelles conséquences nous pouvons tirer de l’évolution et de la transformation du capitalisme depuis les années 1930.

Les pays supérieurement équipés, et la France notamment, ont franchi le cap de la rareté et sont en mesure de fournir un minimum de biens et de services nécessaires au bien-être matériel de leurs populations. Et pourtant les inégalités se creusent : la richesse se réfugie dans le capital et la spéculation, abandonne peu à peu les classes moyennes et la classe ouvrière, et délaisse quinze millions de nos concitoyens. La raison nous en est connue. Le capitalisme est un système qui n’a pas son pareil pour développer la production des biens et des services en période de rareté (les taux de croissance actuels d’un certain nombre de pays comme l’Inde, la Chine, voire le Brésil, en sont la preuve), mais qui peine à répartir ses productions dès qu’elles deviennent abondantes, ce qui ralentit l’investissement des capitaux en vue de productions renouvelées et réduit la croissance. Mentionnons une autre tare non négligeable : son incapacité à prendre en compte la dimension écologique et environnementale si elle ne répond pas à ses impératifs de rentabilité financière.

Dans les années 19960, la pénurie de l’après guerre ayant disparu, le capitalisme se trouva confronté au même problème qu’en 1929 : comment éviter une nouvelle crise de surproduction ? Sa faculté d’adaptation lui permit de trouver la parade : on le vit non plus réduire volontairement la production, mais au contraire dépasser le stade de la satisfaction des besoins élémentaires en excitant les désirs des consommateurs par une offre de produits diversifiés, voire superflus, grâce à une publicité de plus en plus délirante, et dans le même temps en réduisant systématiquement les durées d’usage afin de mettre la machine économique en sur-régime et provoquer un “turn over” de plus en plus rapide, consacrant ainsi l’ère du “jetable”. Soulignons au passage que ces deux phénomènes conjugués provoquent un énorme gaspillage de temps de travail, de matières premières et d’énergies, et propulsent chaque consommateur dans une fascinante course à l’avoir qui met souvent au second plan le développement humain (santé, éducation, culture, logement agréable...). Machine aveugle qui balaiera tout ce qui lui fait obstacle, le capitalisme vit et prospère sur le terreau de ce “toujours plus de biens” qui entraîne le “toujours plus de services”, dans une course folle qui semble ne plus devoir s’arrêter.

RÉSUMONS

La raison d’être du capitalisme est la production et la reproduction des objets.

Son impératif est la rentabilité économique. Sa finalité est le profit et l’accumulation de l’argent.

En raison des attaques qu’il subit perpétuellement mais aussi de ses phases évolutives, le capitalisme accepte les appellations les plus diverses : économie marchande, économie de marché, économie néo-libérale, économie actionnariale... plus rarement économie de l’échange. Cette dénomination nous paraît aussi justifiée que les précédentes dans la mesure où la production et la distribution sont assujetties à un cycle bien repérable. On pourrait schématiser celui-ci de la façon suivante : « moi ouvrier, employé, cadre, pour réaliser tel produit ou pour rendre tel service, j’échange mes capacités contre un salaire qui permettra d’acheter telle production ou bénéficier de tel service, ce qui dégagera un bénéficeou un profitque le producteur réinvestira pour relancer la production, et ainsi de suite ». Si, en raison d’une mécanisation de plus en plus poussée, d’une concurrence mondiale de plus en plus vive et de délocalisations de plus en plus nombreuses, la masse salariale s’est raréfiée en amont(en vingt ans, la part des salaires dans le produit national est passée de 67% à 55%, et en trente ans le nombre des chômeurs a grossi de 300.000 à 3 millions), en aval le profit peine à se former par amenuisement de la vente : seules quelques firmes influentes (celles du CAC 40 notamment) dégagent des bénéfices colossaux, au détriment des multiples entreprises de plus en plus fragilisées.

QUELS ENSEIGNEMENTS TIRER DE CES CONSTATS ?

Le plein emploi, c’est fini, définitivement, si nous persistons à maintenir les mécanismes de l’échange dont il est l’élément moteur. Et pourtant, la campagne des présidentielles de 2007 s’ouvre sur l’affirmation que l’emploi sera la priorité des priorités.

Le plein revenu est devenu indispensable pour ces millions de personnes privées de tout travail ou de toute activité rémunérée. « Pas de travail, pas de revenu », nous dit l’orthodoxie libérale. Mais peut-on laisser dans la détresse la plus complète un habitant sur cinq, alors que la richesse nationale n’a jamais été aussi grande ? Aussi assiste-t-on à une gigantesque redistribution des revenus grâce à une aggravation sans précédent de la fiscalité et avec le concours d’une très lourde bureaucratie. Dilemme insoluble : d’un côté, les entrepreneurs réclament une réduction des charges afin que leurs produits soient compétitifs et se vendent mieux, et de l’autre, les laissés-pour-compte-qui-n’enpeuvent-mais réclament des revenus pour vivre, le travail leur étant devenu inaccessible.

LES CONSÉQUENCES SONT VISIBLES.

Tout dépôt de bilan jette à la rue des milliers de salariés et freine l’essor de l’économie. Toute disparition de l’emploi (et souvent de perspective de vie) provoque des traumatismes profonds dans la population touchée directement et indirectement, et met à mal la notion de travail comme valeur essentielle de nos sociétés.

Nous touchons du doigt le dysfonctionnement majeur de nos économiesfondées sur l’échange : la richesse existe, grâce à une mécanisation et à une organisation de plus en plus poussées, mais si l’emploi se raréfie, les revenus du travail s’amenuisent dans les mêmes proportions, et il est illusoire de penser que les revenus du capital continueront à croître, une croissance “molle” est là pour nous le rappeler.

LA SOLUTION RADICALE

La solution radicale consisterait à opérer le divorce entre emplois et revenus, à indexer la totalité des revenus non plus sur l’emploi mais sur la richesse nationale globale du pays et à distribuer chaque revenu en fonction de critères à définir ou à redéfinir en partant de l’existant, grâce à une monnaie chargée de faire passer rapidement la production à la consommation ; dissocié du processus de formation des revenus, le temps de travail serait réparti entre tous les actifs, tout au long d’un cycle de vie au cours duquel alterneraient travail, formations de l’individu et du citoyen, bénévolat au service de causes diverses, périodes de loisirs ...

Soyons réalistes. Cette rupture entre emplois et revenus se fera progressivement mais irrévocablement, nous en avons la conviction, l’ensemble des revenus accordés indépendamment du travail fourni ne cessant de croître avec la raréfaction de l’emploi. Ne voit-on pas que cette bureaucratie mise en place uniquement pour redistribuer les revenus a ses limites ? Dans la fiscalité, mais aussi dans l’utilisation de ressources humaines qui trouveraient dans d’autres tâches une meilleure motivation. À moins que par leur seule présence ils empêchent avant tout l’explosion du chômage ...

Les désordres sociaux auxquels nous assistons nous incitent à interpeller de toute urgence nos décideurs, en leur proposant quelques pistes de réflexion et d’action relatives à l’emploi et à la monnaie.

Employons-nous à leur faire admettre que l’on ne retrouvera plus le plein emploi dans les structures économiques actuelles. Bien sûr, il faut continuer à défendre l’emploi, mais il est navrant de constater que le droit au revenu est rarement évoqué. La richesse augmente chaque année, ne l’oublions pas. Réclamer un revenu décent pour chaque citoyen est une mesure de salut public.

Certaines revendications reviennent de façon récurrente.

Rappelons-les et insistons pour qu’elles soient réexaminées avec la plus grande attention :
- un revenu minimum garantipour tous qui irait de pair avec le relèvement progressif du smic.
- Dans un premier temps, un revenu de base pour les étudiantsafin qu’ils poursuivent plus sereinement leurs études sans mettre en danger leur santé par l’accumulation des petits boulots ; évidemment, ils constituent dans les grandes villes une proie facile pour les exploiteurs...
- Mais aussi, ainsi que le réclame la CGT et Nicolas Sarkozy (si, si), une sécurité sociale professionnelleafin que toute personne qui vient de perdre son emploi bénéficie d’un plein revenu jusqu’à ce qu’elle retrouve un nouvel emploi ou accède à la retraite.

Mais où trouver l’argent ?

diront les tenants de l’orthodoxie financière. Bonne question qui nous permet d’aborder le sacro-saint domaine de la monnaie.

Nos économies ne disposent pas de moyens de paiement suffisants pour se développer ? Remettons en question l’un des critères de Maastricht selon lequel le déficit annuel de chaque État de la Communauté ne devrait pas dépasser les 3% de son budget, décision arbitraire et stupide que le gouvernement des États-Unis se garde bien d’adopter, lui qui favorise un déficit annuel bien supérieur à ces 3% lorsque son économie demande à être relancée. Les bonnes âmes chargées de garder les portes du trésor européen et de juguler l’inflation, afin de conserver à l’argent le plus de valeur possible et de ne pas nuire aux petits épargnants (sic), perdent le sommeil à l’idée que l’accumulation des déficits a porté la dette publique en France à 1100 milliards d’euros ou à l’annonce que la croissance montre frileusement le bout de son nez. Vite, s’exclame Jean-Claude Trichet, l’ineffable président de la BCE (Banque Centrale Européenne), relevons les taux d’intérêt à court terme dès ce 1er décembre. Mesure qui a le don d’inquiéter les responsables d’entreprises, tel Henri Lachmann, PDG de Schneider Electric : « Jean-Claude Trichet se trompe d’ennemi : l’adversaire n’est pas l’inflation mais plutôt le chômage, qui est la conséquence d’une croissance insuffisante. Or, en montant les taux d’intérêt, la B.C.E. va pénaliser la croissance et l’emploi » [2].

Vieille querelle : ou l’on favorise la monnaie ou l’on favorise l’économie, mais comme l’économie est asservie à la finance... Quant à ces 1.100 milliards d’euros, comment les rembourser puisque nous les avons empruntés ? Dormez en paix, bonnes gens : à qui et comment rembourser puisque cet argent a été créé du néant comme toute monnaie bancaire ! ? Réfléchissez plutôt au moyen d’instaurer une monnaie (simple bon d’achat) qui s’annulerait à l’utilisation, ce qui lui ôterait tout pouvoir de thésauriser et de spéculer, et qui représenterait une part de la richesse du pays.

Dans cette attente, est-il possible de desserrer l’étau financier ? Partir à l’assaut d’un tel pouvoir n’est pas chose aisée.

- Un économiste, partisan du non au récent referendum, estimait qu’il était possible de doter la direction de la BCE (Président et Conseil des Gouverneurs) d’un pouvoir élargi à une direction collégiale, plus représentative des intérêts de tous. Parions que la lutte sera chaude.
- Certains militent en faveur de la mise en circulation de monnaies parallèles, monnaies affectées à certains produits invendus ou services collectifs, et remises à des catégories de populations déshéritées. Simples bons d’échange, ces monnaies disparaîtraient aussitôt qu’utilisées. On retrouve le principe défini plus haut qui avait le mérite d’être radical en remplaçant le système monétaire actuel par un système sur lequel la spéculation n’aurait aucune prise. L’adoption de monnaies parallèles est rendue difficile, on s’en doute, au sein d’un régime financier qui veille jalousement sur ses prérogatives : devant la justice, des partisans d’un SEL (système d’échanges local) ont perdu leurs illusions ...
- Veut-on assouplir la mesure des 3% de déficit ? La Commission de Bruxelles distribue les mauvaises notes et inflige des amendes substantielles aux Etats “hors-la-loi” qui finissent par passer sous ses fourches caudines.
- Faut-il réclamer un plan en faveur du microcrédit, comme le suggère Jacques Attali, président de PlaNet Finance ? C’est une forme de prêt qui permettrait aux chômeurs et aux RMIstes de créer leur entreprise dans les banlieues, les organismes de microcrédit étant autorisés à pratiquer des taux d’intérêt en rapport avec leurs frais. Le gouvernement vient de refuser en s’abritant derrière les mesures incitatives prévues par la loi Borloo... Les banques seraient-elles plus intéressées par les macrocrédits ?

Comme on le voit, la marge de manœuvre est faible, tant le pouvoir financier international suit avec la plus grande vigilance toute tentative iconoclaste.

*

Réenchanter le socialisme, disions-nous. Les illusions perdues en 1936 ne sont pas près de faire leur réapparition et le militantisme n’a plus l’engagement et la vigueur qu’il avait à cette époque en raison, sans doute, de conditions moins favorables. Quoi qu’il en soit et dans ce chaos qui s’annonce, nous devons nous attendre à voir s’affronter des forces d’une violence encore insoupçonnée. Rien à perdre, tout à gagner : c’était le pari de Pascal, c’est maintenant celui des révoltés des banlieues.

Pour quel avenir ?

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[1] “Fragments mécréants” de Daniel Bensaid, éd. Lignes, 2005

[2] Le Monde, 23 novembre 2005.

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